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Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone

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par Jukoughouo Halidou Ngapna
Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007
  

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Section 2 : La stratégie des poursuites et son impact sur la crédibilité de la Cour spéciale pour la Sierra Léone

Définir une stratégie des poursuites transparente et efficace permet à une juridiction pénale de gagner la confiance de la population pour laquelle elle travaille. Lorsqu'il s'agit d'une juridiction pénale internationale dont les résultats sont attendus à la fois par la communauté internationale et le peuple de Sierra Léone, la contrainte et les exigences sont doubles. Il fallait donc, pour la Cour spéciale palier aux principaux points de désenchantement des TPI à savoir la fluidité et l'économie judiciaire. La division tripartite des affaires à juger (I) participera à l'atteinte de cet objectif même si le processus global donnera une impression de travail inachevé (II).

I. La division tripartite des affaires à juger

Il est nécessaire, pour des besoins d'économie et d'efficacité, de réduire le nombre d'audiences, de centraliser les inculpations des personnes en des affaires communes. Ce procédé s'appelle la jonction d'instances. Elle peut se faire pour des affaires présentant les mêmes caractéristiques, soit en raison de la nature, du lieu de commission de l'infraction ou encore de la personnalité des accusés. La jonction d'instances est une mesure d'administration judiciaire par lequel un tribunal décide d'instruire et de juger en même temps deux ou plusieurs affaires unies par un lien de connexité. Ce procédé, largement utilisé par les juridictions nationales, est prévu dans le Statut de Rome et les Tribunaux Pénaux Internationaux (TPI) ainsi que la Cour spéciale, qui y font largement recours.

La Cour spéciale n'a pas dérogé à la tradition des juridictions dont est inspiré sont statut (A) et a divisé en trois grandes affaires les onze inculpations retenues (B).

A. Une jonction d'instances conforme à la pratique judiciaire internationale

La jonction d'instances obéit à des règles particulièrement strictes. Il faut à la fois que les affaires comportent des particularités en raison de leur nature, de la qualité des personnes poursuivies et que leur jonction ne nuise pas aux principes du procès équitable et de l'individualisation des peines. Successivement seront abordées les deux principales jonctions d'instances, à savoir la jonction des chefs d'accusation pour un même accusé (1), la jonction d'instances de plusieurs accusés (2) et d'évaluer l'ampleur du contrôle du juge qui est le véritable maître de la jonction d'instances (3).

1. Jonction des chefs d'accusation concernant le même accusé

En ce qui concerne les faits, l'on peut réunir en une seule instance des faits commis lors de la même opération, et par le même accusé (règle 48 du Règlement de Preuve et de Procédure102(*) des TPI). Il peut aussi s'agir d'un certain nombre d'actions ou d'omissions survenant à l'occasion d'un seul évènement ou de plusieurs évènements, en un seul endroit ou en plusieurs, faisant partie d'un plan, d'une stratégie ou d'un dessein commun (RPP des TPI, art 2). Les TPI ont interprété de manière large les notions d'espace géographique et de période. Le tribunal a ainsi considéré qu'au vu des documents parvenus au procureur, il était légitime, en vertu de la position hiérarchique de l'accusé, de conclure que les faits se sont produits conformément à l'exécution d'un même plan et de les réunir en une seule et même instance103(*). Le TPIR a réunit quant à lui l'ensemble des actes génocidaires d'avril 1994 et a considéré dans sa décision du 29 juin 2000104(*) que les faits commis au Rwanda pendant cette période répondaient à un plan et dessein unique, étaient exécutés par des personnes organisées et regroupés sous un commandement connu et identifiable, les lieux et la période étant eux aussi clairement définis dans les messages.

En effet, joindre les faits évite à la justice d'entamer contre la même personne des procès successifs et différents pour de nombreux crimes commis dans des situations différentes. C'est donc une économie considérable pour les parties, car la défense et l'accusation disposeront d'un seul dossier. La durée de la procédure sera réduite car les faits de même nature seront évoqués en même temps, les preuves à charge et à décharge échangées dans un même flux. La jonction d'instances influe aussi sur la détermination de la peine ; il n'y aura donc qu'une seule peine pour la totalité des crimes, évitant ainsi la superposition des peines successives.

La Cour spéciale a quant à elle formulé de manière simple sa jonction d'instances. La règle 49 de ses RPP stipule que, dès lors que les conditions de fond sont réunies, les crimes peuvent faire l'objet d'une seule et même instance s'ils font l'objet des charges contre un même accusé105(*). C'est dans cette optique que le Procureur (David CRANE à cette époque là) a décidé d'inclure dans les inculpations environ une vingtaine d'inculpations en moyenne pour chacun des accusés.

Ces règles de procédure prêtent une attention particulière aux jonctions d'instances ratione personae qu'elles précisent dans le détail.

2. Jonction d'instances de plusieurs accusés

La nature particulière des crimes internationaux a pendant longtemps commandé une responsabilité collective. La plupart du temps, ces crimes ne résultent pas de l'action criminelle des individus mais constituent une manifestation de la criminalité collective : les crimes sont souvent commis par des groupes d'individus agissant dans un dessein criminel commun. Même dans le cas où un petit nombre seulement des membres du groupe peuvent physiquement perpétrer un acte criminel (meurtre, extermination, enlèvement ou tortue, etc.), la participation et la contribution des autres membres du groupe est souvent vitale dans la facilitation de la commission lesdits crimes. Ce qui entraîne à dire que la gravité morale n'en est pas moins grande ou différente de ceux qui commettent l'acte en question. Dans ces circonstances, tenir criminellement responsable la seule personne qui a matériellement commis l'acte illicite minimisera le rôle de co-perpétrateur joué par ceux qui, usant d'un quelconque moyen ont facilité la perpétuation de l'infraction.

La jonction d'instances de cette manière a été faite pour la première fois par les tribunaux militaires de Nuremberg où les procureurs ont rédigé un seul acte d'accusation pour tous les accusés. Ils ont tenu compte de la participation volontaire de chacun d'eux dans la commission au moins d'un acte matériel d'une des infractions (par exemple infliger des coups à une personne, fournir un soutien matériel, logistique ou financier aux autres membres du groupe) et de l'élément intentionnel, c'est-à-dire, que les accusés aient eu le même objectif même si la participation des uns et des autres peut être évaluée à des degrés différents.

Ce que le TPIY106(*) appelle « la criminalité collective » prend aussi en compte l'appartenance à un groupe. Il peut s'agir du caractère privilégié de la place que l'accusé occupait dans la hiérarchie de l'organisation. Il suffirait donc que les accusés soient au courant de la nature du système auquel ils ont appartenu et qu'ils aient participé à sa perpétuation. La position d'autorité objective moins que la participation est prise en compte pour sanctionner la situation. Ce processus aurait le mérite de réunir des accusés qui ont participé à des opérations autour de la même affaire et permettra de faire la lumière nécessaire sur l'ensemble des faits pertinents et d'obtenir la manifestation complète de la vérité.

La rège 48 des RPP de la Cour spéciale intitulée « Joinder of accused or Trials » a suivi la tradition judiciaire en joignant les instances des accusés dont les affaires avaient des similitudes. La première condition de jonction d'instances de deux ou plusieurs accusés est l'instant ou l'opération pendant laquelle le ou les crimes ont été commis. Le paragraphe (A) de la règle 48 prévoit notamment que « Persons accused for the same or different crimes committed in the course of the same transaction may be jointly indicted and tried ». C'est dire que l'élément d'appréciation ici est le théâtre des opérations ; le lien entre les accusés étant les lieux et la période, des personnes des groupes armés différents peuvent faire l'objet de mêmes instances. Ce procédé conduirait à une sorte de contradictoire entre les accusés, ce qui aurait le bénéfice d'établir d'une manière efficace la vérité sur des évènements précis. Ceci aurait néanmoins le désavantage que la Cour se détourne de son objectif principal qui est d'établir les responsabilités personnelles et de répondre aux attentes des victimes car elle risquerait de servir de second lieu d'affrontement entre les idéologies des différents protagonistes.

Pour éviter ce fâcheux inconvénient, la Cour a décidé de mettre en avant, non pas la participation des protagonistes à la même opération de guerre, mais leur appartenance à des groupes armés différents. C'est donc dire que le critère de connexité entre les lieux et le temps a été écarté. La partie responsable des poursuites ne pouvait le faire sans l'accord du juge qui est le maître de la jonction d'instances.

3. Le juge, maître de la jonction d'instances

Il est possible de procéder à des jonctions d'instances avant ou après la publication des inculpations, c'est-à-dire que le procureur peut juger nécessaire de réunir les accusés et/ou les faits pendant la rédaction des inculpations originelles. Dans ce cas, la contestation éventuelle de cette décision par les accusés se fera dès le début des audiences préparatoires. Le paragraphe (B) de la règle 48 prévoit aussi que « Persons accused who are separately indicted, accused of the same or different crimes committed in the course of the same transaction, may be tried together, with leave granted by a trial Chamber », c'est à dire que le Procureur obéit à une demande du juge qui, après la réception des inculpations aurait estimé nécessaire, pour une bonne administration de la justice, de réunir les instances des accusés différents. Dans le cas de la Cour spéciale, les premières inculpations ont été produites séparément en mars 2003 et comportaient pour chacun des 13 accusés environ vingt chefs d'accusation. Suite à la mort de Foday SANKOH, de Sam BOCKARIE et de Johnny Paul KOROMA, le président de la Cour a demandé que les inculpations soient réunies en trois groupes. C'est ce que le Procureur fit en janvier 2004107(*).

Le juge est donc seul habilité à ordonner la réunion des instances après que les inculpations aient été publiées. En tant que maître de son instance, le juge, aussi nécessaire qu'il le pense, peut réunir de manière circonstancielle des instances de plusieurs cas disjoints si les faits évoqués ne peuvent être compris sans l'attrait des accusés dont les instances ne sont pas communes.

L'économie judiciaire et l'uniformisation des peines recherchées dans les jonctions d'instances ratione personae et ratione materiae pratiquée par les juridictions pénales, peuvent toute fois heurter le respect des droits des accusés notamment, le droit au procès dans un délai raisonnable. Il est donc nécessaire d'établir des garanties efficaces contre les éventuelles violations des droits de la défense que la jonction d'instances peut provoquer. La première garantie est liée aux principes d'individualisation et de personnalisation des poursuites et des peines qui sont au centre du droit et de la procédure pénales. Il faut donc, malgré le fait que les instances soient jointes, que les accusés bénéficient des mêmes droits que s'ils étaient jugés séparément108(*) et qu'ils répondent personnellement et individuellement de la totalité et rien que des actes qu'ils ont effectivement commis. L'on ne pourra pas imputer la responsabilité d'un fait commis par un accusé à un autre sous le prétexte que leurs instances ont été jointes.

La seconde garantie des droits de la défense est judiciaire. En effet, la décision de la Chambre de première instance de demander au Procureur de joindre les instances est une décision à caractère juridictionnel et est donc ouverte à l'appel devant la Haute Chambre. Cet appel doit se faire in limine litis, c'est-à-dire au seuil de l'instance dans le cas où la jonction s'est faite en amont ou dès la prochaine audience regroupée dans le cas où la jonction est intervenue au cours du procès109(*) Les personnes qui verraient en la jonction d'instances une décision leur faisant grief auront la charge de la preuve devant la Chambre d'appel. Elles devront prouver que les disjonctions préviendront les conflits d'intérêt110(*) et ne constituent pas un obstacle à la bonne administration de la justice. S'ils arrivent à le prouver, les affaires seront disjointes et les procès individuels reprendront.

La Cour Spéciale pour la Sierra Léone a donc fait preuve de conciliation entre les intérêts des parties et de la justice. La bonne administration de la justice aura permis de produire des inculpations regroupées en fonction de l'appartenance à un groupe armé. Quelle auront été les répercussions de ce choix sur les procès ?

* 102 Ci-après RPP.

* 103 Le TPIY a ainsi statué que les crimes commis dans la municipalité de Prijedor en Bosnie-Herzégovine ou ses environs du 1er avril au 30 août 1992 et aux environs des municipalités de Bosanski Samac et Odgal du 1er avril au 31 décembre 1993 relèveraient de la même opération. Voir l'arrêt KVOCKA, cas N° IT-98-30, « Décision relative aux exceptions préjudicielles de la défense portant sur la forme de l'acte d'accusation », 12 avril 1999.

* 104 BAGOSSORA, cas N° ICTR-96-7, «Decision on the Prosecution's motion for Joinder« 29 juin 2000.

* 105 «Two or more crimes may be joined in one indictment if the series of acts committed together form the same transaction, and the said crimes were committed by the same accused» Règle 49.

* 106 Confère TADIC, Cas n° IT-94-1 Chambre d'appel, jugement du 15 juillet 1999, § 191.

* 107 La jonction de ces instances a conduit à la réunion des dix inculpations originelles en trois groupes, plus celui de TAYLOR qui est resté inchangé. Les cas individuels de BRIMA, KAMARA et KANU ont été réunis sous la formulation générique de « AFRC Trial » (voir Case n° SCSL-2004-16-PT) ; ceux de SESSAY, KALLON et GBAO sous l'intitulé « RUF Trial » (case n° SCSL-2004-15-PT) et ceux de NORMAN, FOFANA et KONDEWA regroupés en « CDF Trial » (case n° SCSL-03-14-I).

* 108 Règle de Procédure et de Preuves des TPI n° 82 (A), RPP de la CPI, règle 136 § 2.

* 109 Conformément aux prescriptions des règles 50, 52 et 73 des RPP de la Cour spéciale.

* 110 La règle 82 (B) des RPP du TPIY adoptee le 11 février 1994 prévoit notamment à cet effet que: «The Trial Chamber may order that persons accused jointly under Rule 48 be tried separately if it considers it necessary in order to avoid a conflict of interests that might cause serious prejudice to an accused, or to protect the interests of justice».

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon