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Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone

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par Jukoughouo Halidou Ngapna
Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007
  

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II. Une Commission chargée de rechercher la vérité et de réécrire l'histoire du pays

Au sortir de dix ans de conflit armé, une société a besoin de repères pour la construction d'un nouveau vivre ensemble. Ce vivre ensemble doit partir sur des bases consensuelles, sans frustrations ni sentiment d'injustice. Il est alors possible, dès lors qu'on a recherché les sources des discordes du passé, de se réconcilier et de définir de perspectives nouvelles vers une construction d'une société gouvernée par le respect des droits de chacun et dépourvue de violences. Les rédacteurs des textes fondateurs de la Commission ont mesuré l'ampleur de la tâche qui devait leur revenir, étant donné que la plus grande partie du travail historique et incombait à l'organisme dont ils avaient la charge de définir le mandat. C'est donc salutaire que la CVR ait eu un mandat très ambitieux recouvrant une part importante des violations des droits de l'homme et une période relativement longue (A) et qu'il lui ait été possible de rechercher la vérité par tous les moyens dont elle jugeait nécessaires (B).

A. Un mandat ambitieux

Il sera donc question, avant de voir la destination que la Commission a souhaité donner à la vérité qu'elle aura écrite (2) rechercher les types de violations sur lesquelles la CVR s'est penchée pour réécrire une histoire acceptée de tous.

1. Réécrire l'histoire de la Sierra Léone acceptée par tous

Le législateur sierra léonais a défini à l'article 6 de la loi instituant la CVR cinq objectifs regroupés en deux paragraphes distincts : il est d'abord question dans le premier paragraphe pour elle d'établir la réalité sur les violations des droits de l'homme et du droit internationale commises pendant le conflit de 1991 à la signature de l'accord de paix de Lomé en 1999. Dans le second paragraphe, la priorité est donnée à l'usage de cette vérité au service de la consolidation de la paix en faisant face aux besoins des victimes.

Dans sa rédaction d'une « histoire complète et impartiale272(*) » du conflit, la Commission ne saurait se limiter à l'intervalle temporel de 1991 - 1999, car l'accord de paix de Lomé n'ayant pas tenu et les violations des droits de l'homme ayant continué jusqu'en 2001, il faudrait que le travail de la Commission couvre la totalité de la décennie du conflit, c'est-à-dire de l'attaque par les rebelles de Foday SANKOH de l'Est du pays en 1991 à la signature de l'ultime cessez-le-feu à Abuja en novembre 2000.

L'histoire doit se faire en toute impartialité, car, selon le révérend Joseph Christian HUMPER, Président de la Commission, «... une vérité partiale, ce n'est pas du tout la vérité273(*)... », ce n'est qu'une version de l'histoire contée par une partie au conflit qui a des intérêts, une réputation ou une image à sauvegarder. Il est rare de voir un organe judiciaire ou quasi juridictionnel dont l'objectif principal est la recherche da la vérité pour établir l'histoire réelle du conflit. En Afrique du Sud, la dimension historique de la Commission transparaissait clairement dans son rôle à jouer pour construire la Rainbow Nation. « Après Nuremberg, disait Desmond TUTU, les Alliés sont rentrés chez eux, alors que nous les Sud-africains sommes condamnés à vivre ensemble274(*) », ce vivre -ensemble se construisant dans une société de confiance où les mythes du passés sont dévoilés. Le Tribunal de Nuremberg a servi à rechercher la vérité partielle. Elle n'avait pour but que d'établir la responsabilité des Nazis dans le déroulement de la guerre et des atrocités qui y ont été commises, sans penser à tous leurs co-perpétrateurs ou sympathisants qui les ont aidés dans leur sombre dessein. Plus récemment, le TPIY rappelait dans une de ses décisions que l'institution a été établie par les Nations unies dans le but déterminer la vérité sur la possibilité que des crimes de guerre, contre l'humanité ou de génocide aient été commis en Ex-Yougoslavie, établissant ainsi une histoire disponible et vérifiable du conflit espérant ainsi briser le cycle perpétuel de la revanche et du ressentiment. La CVR sierra léonaise a donc eu devant elle une charge ambitieuse, lourde même, une charge dont il serait utopique de dire qu'elle aura accompli dans sa totalité, au regard de ses ressources limitées et du cours laps de temps pendant lequel elle aura mené ses activités. Elle aura tout de même permis de faire la lumière sur certains aspects importants du conflit, de taire certaines rumeurs, d'éclaircir des zones d'ombre importantes, réduisant ainsi la possibilité pour certains idéologues de détourner le cours des évènements pour servir les thèses de ceux qui sont contre le processus de paix.

La CVR avait pour but de rechercher la vérité afin de mettre sur pied des données historiques exploitables par les générations futures. L'article 6 de la Loi établissant la Commission précise que cette vérité concerne la recherche de la manière la plus complète possible « les origines et les raisons... des violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire ». Le mandat de la CVR couvre donc deux branches bien distinctes du droit international public qui en fait concernent, selon l'esprit des parlementaires et des rédacteurs de l'accord de paix de Lomé tous les droits fondamentaux reconnus dans la constitution sierra léonaise de 1991275(*), des textes internationaux comme la Charte onusienne des droits de l'homme et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples d'une part et d'autre part, l'ensemble du dispositif de Genève concernant la conduite des hostilités dans les conflits armés ne présentant pas un caractère international276(*). Les causes, les circonstances et les responsables de ces exactions devraient être déterminés au moyen des audiences publiques et privées ainsi que d'autres pouvoirs d'enquête importants mis à la disposition de la Commission.

Il convient de rappeler pour finir que les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire devraient être relatives au conflit armé en Sierra Léone. Cette remarque appelle deux observations particulières. En premier lieu, il convient ici d'écarter toutes les autres infractions aux droits de l'homme qui ne seraient pas directement liées au conflit armé. En effet, les droits de l'homme étant reconnus et applicables aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre, les violations générales ne peuvent faire l'objet du mandat de la Commission. Par exemple, un viol commis par un policier dans l'exercice de ses fonctions, dès qu'il n'était pas destiné à un usage guerrier sort du cadre de compétence de la Commission, de même que peuvent aussi être écartés tous les actes de mutilation génitale féminines commis pendant le conflit armé, constituant des violations des droits de l'homme mais n'étant pas destinées à un objectif militaire déterminé. En second et dernier lieu, les violations relatives au conflit appellent l'examen des « facteurs internes et externes » des violations. C'est-à-dire, que les violations des droits de l'homme et du droit humanitaire commises hors du territoire sierra léonais. La Commission serait donc fondée à enquêter sur les abus et violations dans les pays voisins et partout ailleurs pour établir ces facteurs externes avec pertinence, étant donné que plusieurs acteurs non sierra léonais ont une part de responsabilité dans les exactions277(*).

La Commission avait donc une tâche exaltante à mener pour participer aux efforts de reconstruction et de consolidation de la paix en Sierra Léone. Elle a réussi à établir une histoire du conflit partagée par tous et produit un rapport dans lequel elle fait des recommandations, pour donner un sens à son travail de recherche de la vérité.

2. La recherche de la vérité pour quoi faire ?

La question à se poser lors de la mise en place d'une instance chargée de rechercher la vérité sur des évènements douloureux du passé est de savoir quelle est la destination à donner à cette vérité. La Commission siège-t-elle pour quoi faire ? Quel est la portée des recommandations qu'elle devrait être en mesure de faire et sur qui porte la responsabilité de les mettre en oeuvre ?

La loi relative à l'établissement de la Commission vérité et réconciliation en Sierra Léone, nous l'avons dit plus haut, lui fixait deux principales : la première étant à caractère historique et la seconde destinée à des fins réparatrices et réconciliatrices. Il s'agit en effet de faire face à l'impunité, répondre aux besoins des victimes en travaillant au rétablissement de leur dignité et de promouvoir la réhabilitation et la réconciliation tout en adoptant un rapport dans lequel elle indique des recommandations pour éviter la répétition de telles violences dans l'avenir.

A vrai dire, le travail d'une commission de vérité peut aussi servir à la mise en oeuvre des objectifs d'autres institutions de justice transitionnelle. Il s'agira, pour le cas de la Sierra Léone de mettre la vérité trouvée au service du DDR, de la Cour spéciale ou du Comité national de suivi des recommandations de la Commission. En effet, une fois le rapport de la Commission rendu public, les personnes qui auront intérêt à exploiter les résultats des investigations à charge ou à décharge devant la Cour spéciale devraient y trouver satisfaction. Les juges pourront alors s'y référer pour croiser les versions données par un témoin devant l'une ou l'autre des institutions, assurant ainsi une plus grande crédibilité à leurs solutions. Enfin, la loi instituant la CVR prévoit l'usage de ses informations par le Comité de suivi du rapport qui tiendra ses sessions une fois par an pour évaluer la mise en oeuvre de celui-ci par le gouvernement. Bien qu'un programme de réparation ait été mis sur pied indépendamment de la Commission, le fait de fonder ce programme sur les conclusions des enquêtes et les recherches menées dans le cadre de son travail présente des avantages incontestables. Il est tout de même nécessaire d'étendre un tel programme à toutes les victimes, y compris celles qui n'ont pas témoigné.

En outre, du point de vue pédagogique, le rapport de la Commission est un outil de dissémination non seulement de l'histoire impartiale du pays mais aussi des principes de respect des droits de la personne et de réconciliation278(*). C'est un outil indispensable dans la redéfinition du nouveau vivre ensemble car aiderait mieux à définir les solutions et à tirer les conséquences de la guerre pour le futur.

En tout dernier lieu, la vérité peut servir à la reconstruction institutionnelle et structurelle du pays. Le rapport de la Commission est une base suffisamment solide pour établir les responsabilités des individus ou des institutions dans la perpétration des violations graves des droits de l'Homme. Pour écarter des fonctions stratégiques ou de l'exercice du pouvoir ceux qui se seront rendus coupables de telles exactions, une procédure équitable est nécessaire279(*), et la base des données de la Commission pouvant servir de source pour l'une et l'autre des parties. Outre les responsabilités individuelles, celle collective des institutions étant mise en exergue dans le rapport, il est plus avantageux d'y baser toutes les réformes afin d'en tirer toutes les conclusions utiles.

La tâche qui incombait à la CVR fut l'une des plus consistantes. En effet, réécrire l'histoire du pays, redonner l'humanité aux victimes et aux perpétrateurs, faire des recommandations à mettre en oeuvre pour le futur en deux ans de mandat, même pour un petit pays comme la Sierra Léone nécessite des moyens humains et financiers considérables. Les commissionnaires n'avaient d'autre choix que de lier aux mécanismes inspirés d'autres instances des modalités de réhabilitation propres au pays.

* 272 An impartial historical record dans le texte de l'article 6.

* 273 Discours prononcé à Barray Town en septembre 2002.

* 274 TUTU Mpilo Desmond, Il n'y a pas d'avenir sans ardon, Albon Michel, Paris, 1999

* 275 Constitution de la république de Sierra Léone, Chapitre III : Droits de l'homme et libertés fondamentales.

* 276 L'article 3 commun aux 4 Conventions de Genève de 1949 et le Protocole II de 1977 sur lesquels nous nous sommes étendus en première partir du travail.

* 277 Bien que généreuse, une telle disposition trouverait difficulté à s'appliquer car, seuls les personnes sous l'autorité des lois sierra léonaises sont tenus de coopérer avec la commission. Le recours à la coopération de l'Afrique du Sud pour la recherche des données concernant les armées privées qui ont participé au conflit, et celle du Nigéria en ce qui concerne la responsabilité des forces de l'ECOMOG relevant de son commandement sont très hypothétiques. De plus, il aurait été difficile pour la Commission d'aller enquêter au Libéria où l'un des instigateurs et financiers du conflit était encore au pouvoir.

* 278 Le rapport a été publié en langue nationale et, avec le concours d'ONG locales et internationales, une version courte destinée aux enfants a été produite affin de faciliter sa restitution auprès d'un nombre toujours plus élevé de personnes.

* 279 Voir notamment les différentes procédures de vetting ou de lustration dans les pays ex-soviétiques.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry