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Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone

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par Jukoughouo Halidou Ngapna
Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007
  

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B. Rapport avec la Cour spéciale pour la Sierra Léone

Il est irréaliste de penser qu'une seule institution de justice transitionnelle est suffisante pour régler les problèmes de restauration de l'état de droit dans des sociétés qui ont traversé une période riche en violations des droits de l'homme. La recherche de la vérité doit être couplée avec les poursuites pénales pour accomplir la justice et répondre aux attentes des victimes. La Sierra Léone a été le test grandeur nature de cohabitation entre une CVR et une Cour spéciale chargées toutes deux de mener des enquêtes sur les mêmes faits couvrant les mêmes périodes. Il n'ya cependant pas de précaution dans les textes concernant les rapports juridiques entre ces deux institutions (1) bien qu'un procédé d'échange d'informations soit envisageable (2).

1. Des rapports juridiques entre la Cour spéciale et la CVR non précisés

La CVR est le premier mécanisme adopté en Sierra Léone et trouve son origine dans l'Accord de paix de Lomé de 1999 et ratifiée par la loi de 2000, la philosophie étant l'octroi d'une amnistie pleine à tous les protagonistes du conflit armé (Art IX). Elle est donc antérieure à la Cour spéciale qui n'interviendra qu'après la signature de l'Accord spécial entre le gouvernement sierra léonais et l'ONU le 16 janvier 2002. Curieusement, il n'est expressément pas fait cas dans les Statuts de la Cour spéciale de la Commission. Il est seulement fait cas à l'article 15 (5) qui parle des « mécanismes de vérité et de réconciliation » lorsqu'il s'agit de la prise en compte de la responsabilité des mineurs264(*).

Du point de vue des rapports juridiques entre ces deux institutions, nous pouvons dire que la Cour spéciale semble avoir une supériorité par rapport à la Commission car, la loi ratifiant l'Accord de 2002 prévoit que « toute personne physique ou morale créée ou régie par la loi sierra léonaise a l'obligation d'exécuter les injonctions et mandats de la Cour spéciale265(*)... », créant ainsi une obligation directe à la Commission qui devrait mettre le résultat de ses investigations à la disposition de la Cour.

Cependant, l'article 7 (3) la loi établissant la CVR donne des pouvoirs assez importants à la Commission dans la recherche de la vérité, y compris le recours à la confidentialité à laquelle la commission ne peut renoncer une fois accordée. Plus un pouvoir que cette disposition accorde à la Commission, c'est aussi une obligation juridique de garder en sa possession seule, les informations recueillies sous le sceau du secret. Il a donc eu une possibilité de conflit entre la Commission et la Cour spéciale sur de telles informations. Quel est, du devoir envers les victimes ou témoins qui ont requis l'anonymat de celui envers la supériorité juridique de la Cour sur la Commission celui qui l'emporte ? A la lecture de la formulation de l'article 21 (2) des Statuts de la Cour, selon laquelle, l'obligation de coopération positive avec les injonctions de la Cour existe « quelle que soit la nature de toute autre loi266(*)... », l'on serait emmené à penser que la Commission devrait se plier à toutes les exigences de la Cour267(*). Il y a quand même une exception à cette exigence de coopération et d'obéissance à la Cour. L'article 21 (4) vient en effet tempérer en stipulant que « ...toute personne qui se trouverait dans l'incapacité d'exécuter un ordre de la Cour spéciale devrait lui en rendre compte et donner les raisons de cette impossibilité (...) », laissant ainsi la possibilité pour une institution comme la CVR de faire valoir ses obligations de réserve vis-à-vis des témoignages obtenus par le biais des audiences secrètes. Pendant le fonctionnement de la Commission, la Cour spéciale s'est bien gardée de requérir les informations qui provenaient d'elle. C'était un comportement tacitement adopté pour inciter les populations désireuses de venir témoigner de le faire en toute confiance, sans crainte que leurs dépositions soient utilisées à des fins répressives.

C'est la première fois dans l'histoire de la justice transitionnelle que deux institutions à finalités différentes sont créées et fonctionnent pendant la même période et utilisent les mêmes matériaux. La confusion a pendant longtemps régné au sein de la population. Ceux-ci ont considéré la CVR comme la « branche investigatrice » de la Cour spéciale. Cette impression était d'autant plus renforcée que leurs sièges étaient côte à côte à la Jomo Kenyatta Road, que le Procureur de la Cour spéciale et le Président de la Commission étaient régulièrement en tournée officielle ensemble et que les deux institutions s'échangeaient du personnel, etc.

Il est donc nécessaire, dans un contexte comme celui de la Sierra Léone, de prévoir expressément dans les statuts des institutions, les relations juridiques qu'elles entretiendraient, limitant ainsi des conflits naissant de la trop grande marge de manoeuvre qui serait laissée pour l'interprétation des textes. De plus, en terme de personnel, il est nécessaire de prévoir des incapacités de fait. C'est-à-dire, par exemple, que dès lors qu'une personne ait connu de près ou de loin un dossier de la CVR, qu'il lui soit interdit de travailler pour le compte de la Cour spéciale. Il n'est pas question ici de prévoir une totale étanchéité entre deux institutions complémentaires par essence. Il s'agit, au contraire, de réguler les échanges d'informations qui s'avèrent nécessaires, mais en toute transparence et sur des bases juridiques solides.

2. Des échanges d'informations envisageables

La CVR et la Cour spéciale ont été créées pour accomplir des objectifs louables : la première pour établir la vérité la plus complète sur les circonstances ayant présidé au conflit et son déroulement, la seconde ayant quant à elle pour mission de poursuivre ceux qui portent la plus grande responsabilité dans les crimes commis dans le pays pendant une certaine période donnée. Aucune de ces deux mandats ne saurait être menée au détriment de l'autre. Mieux, nous l'avons à maintes reprises dit, elles doivent l'un avec l'autre, fonctionner dans une complémentarité qui ne serait que bénéfique pour le peuple sierra léonais.

Le Centre international pour la Justice Transitionnelle (CIJT) a mené une étude sur les divers mécanismes que la Cour spéciale et la CVR pourraient utiliser pour échanger les informations. Il a retenu trois principales formules dignes d'intérêt : le modèle « étanche », le modèle « d'accès libre » et le modèle « d'accès conditionnel268(*) ».

Le modèle étanche d'échange peut être défini comme un modèle de fonctionnement où la CVR et la Cour spéciale n'entretiennent aucun échange d'informations, de quelle que manière et nature que ce soient. Une telle précaution assurerait à coup sûr à la Commission une coopération encore plus grande, car l'on serait plus tenté de venir y témoigner en toute confiance, sans craindre que l'information donnée puisse servir à alourdir le sort d'un proche inculpé devant la Cour spéciale, ou tout simplement d'éviter tout risque de représailles de la part des personnes pour lesquelles les informations rendues seraient défavorables. Selon PRIDE269(*), ce modèle pousserait encore plus les es-combattants à venir témoigner devant la Commission.

Si ce modèle présente l'avantage de prévenir les fuites d'informations de la Commission vers la Cour spéciale et de permettre à la première de conclure son mandat, un préjudice énorme risque d'être porté à la justice. La CVR se trouverait à chaque fois avec des informations cruciales pour innocenter ou atténuer la culpabilité des inculpés. En outre, la Commission risque d'être utilisée pour détourner la justice par ceux qui feront sciemment des témoignages erronés ou incomplets devant la Cour pour dire toute la vérité devant la Commission. N'étant pas dans la possibilité de transmettre des informations, un blanc seing risque donc d'être octroyé à des erreurs judiciaires, mettant ainsi la CVR dans une position délicate et faussant ainsi l'objectif de restauration d'une société gouvernée par le droit et la justice. Ce modèle ne mérite-t-il donc pas d'être appliqué, ou du moins de subir quelques aménagements.

Le modèle d'accès libre est quant à lui opposé au précédent. Il consiste en une coopération pleine et complète entre la CVR et la Cour spéciale. Les informations recueillies par l'une ou par l'autre seraient échangées, comme si les deux institutions travaillaient de concert. C'est le modèle utilisé par le Timor Leste entre la Commission de Réception, Vérité et Réconciliation et la Chambre Spéciale de la Cour de justice chargée de poursuivre les crimes de guerre270(*). Ce modèle joue en faveur de la Cour spéciale qui aura des sources d'informations complémentaires. Il peut permettre aux deux instances de recouper leurs informations pour éviter des conclusions contradictoires lors de leurs rapports respectifs.

Le principal désavantage de ce modèle réside dans le déséquilibre qu'il représente pour la Commission. Compte tenu des peurs mentionnées plus haut, l'apparence que la Commission sert de section d'investigation pour le Procureur découragerait les personnes qui souhaitaient venir témoigner devant la Commission. Le modèle étanche et le modèle d'accès libre représentent deux extrêmes qui peuvent être tempérées par l'échange conditionnel.

Comme son mon l'indique, le modèle d'échange conditionnel suppose un échange d'informations entre la Commission et la Cour spéciale. Ces échanges devraient remplir certaines conditions pour assurer l'indépendance des deux institutions d'une part, et d'autre part, la coopération pleine de la population locale. Les informations et dépositions recueillies en public ne posent pas de problème quant à leur échange, toute personne pouvant y avoir accès. Le problème se pose pour les informations confidentielles dont la CVR aurait en sa possession. Sous l'arbitrage d'un juge de siège (juge en de la Chambre d'appel ou de Première instance), les parties au procès (accusation comme défense) pourront demander la mise à leur disposition d'informations nécessaires à la défense de leur dossier271(*). Dans leurs requêtes respectives, elles devraient préciser avec rigueur quelles sont les informations qu'elles souhaitent avoir et quelles sont les personnes qui les ont fournies. Cette exigence doit être rigoureusement respectée pour éviter les demandes formulées de manière générales s'apparentant à une chasse à l'information au hasard. Le juge saisit par la demande convoque une audience extraordinaire au cours de laquelle les parties défendront le bien fondé de leurs demandes et un représentant de la CVR entendu. Si le juge considère que les arguments du requérant sont recevables, il demandera à la Commission de transmettre les informations en tenant compte des intérêts des témoins. Il est alors nécessaire à cette étape d'élaborer une politique claire de protection des témoins de la part des deux institutions. La Commission remettra les informations au juge qui décidera si oui ou non elles peuvent avoir une incidence sur le cours du procès. Les informations signes d'intérêt seront transmises aux parties, avec une précaution importante : le Procureur ne peut les utiliser contre le témoin qui a déposé devant la Commission. Ce compromis est nécessaire à la fois pour ne pas dissuader les personnes à venir témoigner devant la CVR mais aussi de garantir les droits des témoins, notamment à ne pas s'auto incriminer.

Dans une société encore fragile, la mise sur pied de l'Etat de droit nécessite une bonne harmonisation entre les institutions de justice transitionnelle. Leurs statuts doivent prévoir clairement les modalités de cette harmonie affin d'éviter un marge d'appréciation des textes importante. En Sierra Léone, il n'y a pas eu cette prudence ; il n'y a donc pas eu de heurts majeurs entre la Cour spéciale et la CVR. Il n'en reste pas moins important de définir les définir dès le début, car la réécriture de l'histoire de la Sierra Léone en dépend.

* 264 Article 15 (5) «In the prosecution of juvenile offenders, the Prosecution shall ensure that the child-rehabilitation program is not placed at risk and that, where appropriate, resort should be had to alternative truth and reconciliation mechanisms, to the extent of their availability».

* 265 Article 21 (2) de la Loi de ratification de la Cour spéciale pour la Sierra Léone.

* 266 « Notwithstanding any other law... »

* 267 Cette formulation est d'ordre générale et est appelée à embrasser toutes les institution, personnes morales régies par la loi sierra léonaise et personne physique, sans spécifiquement se destiner à la Commission vérité et réconciliation elle-même.

* 268 Respectivement, » fire wall model»,  «free access model» et «conditional sharing model», Marieke WIERDA, Priscilla HAYNER & Paul VAN ZYL, «Exploring the Relationship Between the Special Court and the Truth and Reconciliation Commission of Sierra Leone», The International Centre For Transitional Justice, New York, 24 June 2004, Pp 8 à 10.

* 269 PRIDE (Postconflict Réintegration Initiatives for Developpment and Empowerment), une ONG locale a mené une étude de référence sur l'opinion des ex-combattants sur la Cour spéciale et la CVR. Les conclusions de cette étude étaient plus que clairs : à chaque fois qu'il s'agissait d'échange d'informations, les ex-combattants avaient plus de préférence pour le modèle étanche, car ils craignaient tous que « ...la CVR ne soit une arme d'investigation pour la Cour spéciale... et qu'ils étaient prêts à coopérer avec la CVR dès lors qu'ils étaient sûrs que leurs témoignages ne seraient pas utilisés contre leurs leaders emprisonnés... ». Voir « Ex-combattants Viewn on the Truth and Reconciliation Commission and the Special Cour for Sierra Léone », op cit.

* 270 Selon l'article 24 du Règlement établissant la Commission de Réception du Timor, celle-ci doit transmettre tous les éléments qu'elle juge pertinents pour la compréhension d'un crime grave (crime de guerre ou crime contre l'humanité) au Procureur de la Cour qui décidera sous 14 jours de la destination à donner à ces éléments. La Commission travaille dans ce contexte comme une véritable chambre d'information pour le Tribunal.

* 271 Il convient de rappeler ici que les informations ne sauraient être requises pendant la phase d'instruction, les parties n'étant pas encore en mesure de savoir si une information leur est capitale ou non.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci