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L'aventure scripturale au coeur de l'autofiction dans Kiffe kiffe demain de Faiza Guène

( Télécharger le fichier original )
par Nadia BOUHADID
Université Mentouri, Constantine - Magistère en science des textes littéraires 2008
  

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Chapitre II : L'autofiction stylistique dans Kiffe kiffe demain

Nous essayerons de prouver que Kiffe kiffe demain est une autofiction stylistique et cela en cherchant tous les aspects de spontanéité dans la langue employée par Faiza Guène. La présente analyse se chargera justement de voir plus clairement cette manière de dire la réalité sans tenir compte de la pesanteur d'une langue littéraire soutenue. Nous examinerons donc toutes les manifestations d'une langue spontanée et nous analyserons dans ce sens les différents écarts par rapport à une langue normée.

La langue employée dans Kiffe kiffe demain est particulièrement exceptionnelle vu son rapport à l'oral. En effet, elle est richement oralisée avec l'emploi de mots familiers, argotiques et même verlanisés. De même la syntaxe obéit aux règles de l'oral en utilisant des structures s'écartant de la norme de la langue standard. Notre analyse aura donc au centre de son intérêt ce que Michel Laronde appelle «le disours décentré» : "Tout texte qui, par rapport à une Langue commune et une Culture centripète, maintient des décalages idéologiques et linguistiques. Il s'agit de Textes qui sont produits à l'intérieur d'une Culture par des écrivains

partiellement exogènes à celle-ci, et dont le débord (à la fois celui du Texte et celui
de l'Ecrivain) exerce une torsion sur la forme et la valeur canoniques du message1 ".

Nous approcherons ces « décalages » sous différents plans : linguistique, phonologique et sociolinguistique. Le français parlé s'avère très intéressant à analyser dans un espace de l'immigration où « il s'agit avant tout d'un espace de l'oral, au sein d'une « Société d'accueil » où domine davantage l'écrit, et peut être plus encore l'image2». Notons que les manifestations du français relâché sont à la fois phono-syntaxiques et lexicales.

I. Une langue au bout de la langue

I.1. Les propriétés phono-syntaxiques : I.1.1 La prononciation :

En cherchant un effet de réel, Guène s'est attachée à garder dans son écriture les caractéristiques d'un parler oral. Notons que la langue soutenue reconnue par sa prononciation bien articulée s'oppose à l'oral qui prône tout au contraire l'idée du "moindre effort" et donne de ce fait la priorité au relâchement de l'articulation ainsi qu'à l'économie lexicale.

Le (e) muet est l'une des manifestations de cette prononciation dite familière :

« On appelle e muet (ou caduc) une voyelle centrale dont la prononciation est proche du [ø] ou du [oe], et qui a la particularité de pouvoir être omise dans certaines positions. C'est la voyelle minimale du français à la fois celle vers laquelle tendent les autres en prononciation affaiblie, et le son de remplissage produit sur une hésitation.3 »

1 Bonn, Charles, « Espace littéraire émergent », lien :

http://www.lebkiri.com/HTML/Charles_bonn.html »

2 Ibid.

3 DERIVERY, Nicole, La Phonétique du français, Seuil, Paris, 1997, p.36.

Selon, Nicole DERIVERY, "ce son est appelé (e) caduc parce qu'il est susceptible de tomber, (e) muet parce qu'il n'est pas toujours prononcé, (e) atone car il ne paraît jamais en syllabe accentuée et parfois même (e) féminin car il est la marque de l'opposition entre le masculin et le féminin.1 "

La chute du (e) muet est de plus en plus fréquente quand l'auteure emploie une langue se rapprochant davantage du répertoire familier. Cette chute est ainsi "une pratique qui a pour effet de marquer péjorativement un discours, laissant entendre qu'il s'agit d'une spécificité populaire2" Notons que ce (e) est susceptible de "tomber ou se maintenir selon l'entourage consonantique ou le style employé par le locuteur.3 "

Ce (e) tel qu'on le transcrit dans l'alphabet international4 [ ] est occulté à maintes reprises au niveau de plusieurs éléments. Dans Kiffe kiffe demain ce phonème a été élidé dans la prononciation du pronom personnel "je" :

En supposant que celui qui fait la voix off serait lassé de ce métier. Doria imagine alors ce qu'il pourrait bien dire à ce sujet : "elle a pas tort la gamine... C'est vrai ça, on a des vies de merde, j'crois bien que je vais arrêter de faire la voix off à la télé(...) j'veux dire personne nous demande des autographes dans la rue à nous(...) j'vais créer une association: Les Voix off anonymes, parce que personne lit mon nom au générique de fin de reportages. J'en ai marre, j'suis à bout..." (P.141)

Dans l'exemple ci-dessu le (e) muet a été élidé de manière volontaire et même courante au niveau d'un français relâché. Remarquons que le [ ] est précédé d'une seule consonne, chose qui rend sa suppression très courante. A ce sujet, Françoise Cadet précise davantage: " le e intérieur tombe généralement s 'il est précédé d'une seule consonne (sam(e)di), et se maintient s 'il est précédé de deux consonnes ou

1 DERIVERY, Nicole, La Phonétique du français, op.cit., p.37.

2 GADET, Françoise, Le Français populaire, Paris, PUF, 1992, p. 37.

3 RIGAULT, André, La Grammaire du Français Parlé, Paris, Hachette, 1971, p. 115

4 Un alphabet phonétique internationnal (API) a été proposé en 1888 par l'association phonétique internationale, pour décrire les sons des langues diverses. Chaque symbole phonétique représente un seul et unique son ; un symbole phonétique est toujours entouré des crochets.

plus (maigrelet). Il peut cependant être conservé en première syllabe de mot après une seule consonne (on redonne ou on r (e) donne).1"

Signalons également un cas où le (e) muet est élidé ainsi que la consonne qui le précède :

En parlant de sa mère la narratrice dit : "M'en fous. Du moment que j'étais jolie dans les yeux de Maman. Quand les gens disent que je lui ressemble, je suis fière." (p. 161)

Ainsi, le pronom personnel "je" est totalement supprimé car à l'oral le locuteur tend à sauter plusieurs phonèmes vu la rapidité du débit. A ce sujet Leon Pierre nous explicite : « Toute adresse publique, discours, sermon, conférence, ralentit le débit et entraîne la prononciation d'un grand nombre de E caducs. [...] A l'inverse, la conversation spontanée rapide tend à gommer les E caducs facultatifs 2». De plus, la suppression du pronom renforce davantage l'effet d'oralité.

La prononciation du français relâché ne se limite pas qu'à la chute du (e) muet mais se manifeste aussi sous plusieurs phénomènes, entre autres la troncation des voyelles inaccentuées tel que le [y] du pronom personnel tu [ty] :

«Le y de (tu) [...] disparaît en usage familier quand le verbe suivant commence par une voyelle, règle qui dans certains usages peut être étendue à la position pré consonantique3 ». Donc, ce [y] est supprimé devant les voyelles. Cette troncation du [y] est très abondante dans Kiffe kiffe demain :

Parlant de la sincérité d'un merci adressé à Leila, Doria dit : "Et c'était un vrai merci, celui que tu dis quand tu le penses pour de vrai, quand t'es heureux et que t'as pratiquement les larmes qui te picotent au coin des yeux" (61)

Outre la suppression du [y], du pronom personnel tu, nous remarquons dans ce dernier exemple la prononciation relâchée de l'adverbe "bien" qui est mué en "ben". Ce phénomène est nommé la troncation de la semi-voyelle après consonne.

1 GADET, Françoise, Le Français populaire, op.cit, p. 36.

2 LEON, Pierre, Phonétisme et prononciation du français, Paris, Nathan , 1993, p. 146.

3 GADET, Françoise, Le Français ordinaire, op. cit., p. 104.

Après toutes les bonnes nouvelles qui ont succédé dans la vie de Doria, elle avoue: "Eh ben voilà, ça me suffit comme cadeau d'anniversaire, savoir qu'il y a une justice ici-bas" (p.177)

La troncation du [j] de "bien" est une pratique très courante à l'oral. La narratrice adopte cette articulation pour faciliter la prononciation.

La prononciation relâchée s'étend aussi à l'alternation du "oui" prononcée "ouais". Doria recourt à cette prononciation en nous rapportant ce qui s'est passé entre elle et Nabil quand il est rentré des vacances :"Ouais, on a vraiment discuté de tout. Même de...du truc qui me faisait un peu honte quand même. Ce que vous savez." (p. 184)

Le français relâché ne se prive pas également d'escamoter le (il) impersonnel dans les tournures "il y a" et "il faut".

« La prononciation de il y a se fait de trois façons, selon la vitesse du débit. En trois syllabes, en deux ou en une seule. [i-il-ja], [il-ja], [ja]. 1»

L'élision du pronom personnel « il » est abondante dans Kiffe Kiffe demain : la narratrice nous parle des immigrés qui gardent toujours l'espoir de revoir leur pays natal en disant :

" Certains espèrent toute leur vie retourner au pays. Mais beaucoup n'y reviennent qu'une fois dans le cercueil (...) y en a quand même qui réussissent à retourner là- bas. Comme celui qui me servait de père." (p. 106)

Doria remarque l'impact de Nabil sur elle et dit : « Faut que je côtoie moins Nabil, ça me donne de forts élans républicains... » (p.193)

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