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L'aventure scripturale au coeur de l'autofiction dans Kiffe kiffe demain de Faiza Guène

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par Nadia BOUHADID
Université Mentouri, Constantine - Magistère en science des textes littéraires 2008
  

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A.2.Les procédés stylistiques : La métaphore :

« Le retour de la rhétorique parmi les préoccupations de tous ceux qui s'intéressent au langage suscite un véritable engouement, et la métaphore, cette reine des figures, pourrait bien devenir la coqueluche des cénacles et des salons...1 »

La métaphore est l'une des figures de style qui a généreusement servi le français contemporain des cités. Son importance réside dans son pouvoir de création de nouvelles significations plus originales, et également dans l'impact qu'elle laisse chez le lecteur par son foisonnement d'imagerie. En linguistique le terme métaphore « sert à désigner des phénomènes mal circonscrits et si variés qu'il n'est pas toujours facile de savoir de quoi l'on parle au juste.2 ».Selon George Mounin, la métaphore est une « trope fondée sur le rapport d'analogie entre des objets et qui naît de l'intersection de deux ou plusieurs signifiés qui ont des sèmes en commun à l'intérieur d'un seul terme ou d'une seule expression.3». Donc, la métaphore « opère par analogie et substitue un référent à un autre en établissant un lien sémantique entre les deux. 4»

Nous tenterons d'appréhender la métaphore selon deux niveaux d'analyse : linguistique et conceptuel.

Selon la Théorie de la Métaphore Conceptuelle élaborée par les cognitivistes G. Lakoff et M. Johnson, la pensée est par nature métaphorique. C'est justement cet

1 Le Guern, Michel, Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Paris, Larousse, 1973, p.7.

2 Charbonnel, N. et Kleiber, G., La métaphore entre philosophie et rhétorique, Paris, `Linguistique nouvelle', Presses Universitaires de France, 1999, p. 207.

3 Mounin, Georges, Dictionnaire de la Linguistique, Paris, Presse Universitaire de France,1974, 4e édition « Quadrige », 2004, p.213.

4 Laurian, A-M., « Réflexion sur la métaphore dans le discours scientifique de vulgarisation », in Langue française, N°101, Les figure de rhétorique et leur actualité en linguistique, 1994, p. 72.

aspect qui nous permet d'appréhender une réalité abstraite en la soumettant à des correspondances avec des éléments explicites dans notre monde :

« La métaphore n'est pas seulement affaire de langage ou question de mots. [...] Le système conceptuel humain est structuré et défini métaphoriquement. Les métaphores dans le langage sont possibles précisément parce qu'il y a des métaphores dans le système conceptuel de chacun.1 »

Ainsi, cette conceptualisation structurante du monde donne naissance à un nombre infini de métaphores linguistiques. Ces « métaphores linguistiques auxquelles nous avons accès en tant qu'objets d'étude ne sont alors qu'une réalisation possible des métaphores conceptuelles qui sous-tendent notre système de pensée». Dans un cadre cognitif, Denis Jamet2 conçoit la métaphore comme une « mise en relation identificatrice, c'est-à-dire comme une série de correspondances conceptuelles entre deux domaines conceptuels, un domaine conceptuel source et un domaine conceptuel cible». Cependant, cette identification ne couvre pas la totalité des deux domaines conceptuels mais axe plutôt son attention sur des sèmes partagés. Examinons les exemples suivants :

En parlant de l'ami d'une voisine, Doria dit : « D'après ce que tout le monde dit, c'est un toubab, enfin un Blanc, un camembert, c'est une aspirine quoi... » (p.135)

La narratrice rêve de l'homme idéal : «Je me voyais plutôt ave MacGyver (...) un vrai couteau suisse humain » (p41)

1 Lakoff, G., Johnson, M., Les métaphores dans la vie quotidienne, Univesity of Chicago Press, 1980 (1985 pour la trad. fr., Éd. de Minuit), cité par Loredana Amoraritei, « La Métaphore en OEnologie », mars 2002, art.en ligne : http://www.metaphorik.de/03/amoraritei.htm

2 Denet Jamet, « A rose is a rose is (not) a rose : De l'identification métaphorique ? », art.. en ligne : http://revel.unice.fr/cycnos/document.html?id=27#bottom

Au Maroc, des vieilles ont proposé à la mère de Doria de marier sa fille avec Rachid, alors la narratrice toute choquée dit : «Moi je le connais celui-là! Tout le monde l'appelle : «Rachid l'âne bâté». » (p.22)

domaine conceptuel source L'âne

Camembert et aspirine couteau

Sèmes communs:
L'idiotie

Couleur blanche
Efficacité

domaine conceptuel cible Rachid

L'ami de la voisine
MacGyver

La métaphore a, ainsi, mis sur le même plan d'analogie des éléments appartenant à des catégories complètement différentes. Ces correspondances, de premier abord, semblent insensées car elles opèrent selon « une procédure de catégorisation non conventionnelle, dans la proclamation d'appartenance d'une occurrence à, ou d'inclusion d'une classe dans, une catégorie à laquelle elle n'appartient normalement pas1 ». Mais cette combinatoire de signifiés incompatibles génère un sens particulièrement révélateur.

Dans l'exemple « Rachid l'âne bâté », ce sont nos connaissances et nos représentations culturelles de l'âne (domaine source) que nous projetons sur le personnage Rachid (domaine cible) qui nous permettent ainsi d'attribuer des traits sémantiques distinctifs à Rachid. Cette projection est très expressive car elle permet au lecteur de se référer à des modèles cognitifs déjà intériorisés. En effet, le lecteur reconstruit l'image de l'âne en l'opposant à l'image des autres animaux comme lion (courage), gazelle (beauté : dans la culture arabe), renard (ruse) etc. C'est ce sème péjoratif du modèle de l'âne (l'idiotie) qui permet justement au lecteur de comprendre la correspondance latente. Effectivement, la narratrice confirme cette idée : « Son fils, je suis sûre qu'il sera bête, encore plus bête que Rachid le

1 Le Guern, Michel, Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Paris, Larousse, 1973, p.54.

soudeur » (p.23). Notons que cette métaphore est très courante dans le langage familier et employée souvent comme injure.

Ce transfert de propriétés sémantiques d'un topic (domaine conceptuel source) sur un vehicle1 (domaine conceptuel cible) relève des principes de la théorie interactionnelle conçue par Black2 qui a donné par la suite la plate forme de la théorie conceptuelle. Cependant, « la théorie interactionnelle ne s'en tient pas au transfert de propriétés sémantiques, mais de tout un système d'implications associées au topic et vehicle 3»

Dans les deux autres exemples, la narratrice a employé des métaphores très originales. Effectivement, rapprocher l'ami de la voisine (animé) et camembert et aspirine (inanimé) ou encore MacGyver (animé) et couteau (inanimé), provoque un « un sentiment de fusion qui efface les barrières entre le monde animé et le monde inanimé 4». Ainsi, «la distance catégorielle»5entres ces différents éléments n'est pas ressentie.

Les métaphores sont encore foisonnantes dans Kiffe kiffe demain, la narratrice semble avoir une pensée, comme le souligne Lakoff, purement métaphorique :

« Une fois avec Maman on a croisé Nassira la sorcière à coté de l'entrée. C'est une dame qu'on connait depuis longtemps. Maman lui emprunte de l'argent quand on est vraiment en galère. » (p25)

1 « topic » et « vehicle » font partie d' une terminologiee de Richards, I.A., The philosophy of rhetoric, Oxford University Press, London, 1936, cite par : Loredana Amoraritei, « la métaphore en oenologie », mars 2002, art. en ligne : http://www.metaphorik.de/03/amoraritei.htm

2 Black, M., Models and Metaphors, Cornell University Press, New York, 1962, cité par: Loredana Amoraritei, « la métaphore en oenologie », op. cit.

3 Loredana Amoraritei, « La Métaphore en OEnologie », op. cit.

4 Prandi, Grammaire philosophique des tropes, Editions de Minuit, Parigi, 1992, p.1 97.

5 Detienne, C., « Distance catégorielle entre le métaphorisant et le métaphorisé », art. en ligne : http://www.info-metaphore.com/grille/distance-categorielle-entre-metaphorisant-et metaphorise.html

A la sortie du lycée Doria a accepté de monter en voiture avec Hamoudi : « pour que toutes ces tranches de cake au bahut me voient partir avec la doublure d'Antonio Banderas dans Zorro. » (p.75)

Dans l'exemple ci-dessus, le substantif Nassira est mis en relation métaphorique et identifié avec le terme « sorcière » pour ainsi insister sur le caractère de méchanceté. Donc, les deux domaines conceptuels identifiés correspondent à une analogie conceptuelle latente : « Nassira est méchante comme une sorcière ». Cet exemple nous renvoie à la conception d'Aristote de la métaphore qui, selon lui, n'est qu'une comparaison implicite, nommée également abrégée ou elliptique.

« Être en galère » est une métaphore qui signifie être dans une situation particulièrement pénible. « C'est une résurgence d'un emploi métaphorique remontant aux Fourberies de Scapin de Molière (1671). Elle est très en vogue aujourd'hui dans le parler branché des jeunes gens.1»

L'énoncé « toutes ces tranches de cake au bahut» présente une métaphore in absentia car le métaphorisant « tranches de cake » est totalement supprimé et substitué par le métaphorisé « les filles du lycée ». L'énonciateur, par le biais de telles métaphores impose au lecteur de faire des associations que ce dernier pourrait trouver insolites. C'est pourquoi la métaphore interpelle le sens interprétatif du lecteur qui « s'engage sur la vérité non de l'énoncé communiqué, mais de l'ensemble des implications contextuelles qu'il entend communiquer2 ».

Toutefois, cet effet d'insolite que créent certaines métaphores relève, en réalité, d'une volonté de créativité chez les jeunes cherchant à produire des significations originales. La métaphore « apparait ainsi au principe de tous les déplacements créateurs de significations nouvelles dans une langue3»

1 Adel Hassan Ahmed,Rania, Le français des cités d'après le roman Boumkoeur de Rachid Djaidani, op. cit., p.110.

2 Reboul, O., Introduction à la rhétorique, Paris, PUF, 1991, p.92.

3 Passerons, J.-C., « Analogie, connaissance et poésie », In Revue européenne des sciences sociales, T. XXXVIII, n°117, Droz, 2000, p.15.

Nous avons remarqué que les métaphores employées dans Kiffe kiffe demain représentent parfaitement les modes de référence culturels et cognitifs d'une adolescente de la banlieue. Ainsi, le nombre énorme de métaphores dans le roman de Guène confère à son écriture plus d'expressivité et nourrit davantage l'envie de lecture. Donc la métaphore donne à l'esprit un nouvel élan et comme le dit justement Nyckees « apprendre à métaphoriser (...) c'est aussi apprendre à penser, s'ouvrir à une infinité de nouvelles connections, de nouveaux modes de catégorisation de l'expérience. 1»

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand