VIII. Cadre théorique de l'étude
Ce sont les diverses théories qui seront
convoquées pour analyser cette série de crises armées.
Ici, ces théories sont plus complémentaires
qu'irréductiblement opposées. Dans ce sens qu'elles montrent les
diverses facettes d'une seule réalité
faite à la fois, à l'instar de toute
réalité sociale, d'harmonie et de conflit, d'équilibre et
de changement. Étant donné que les acteurs dont il faudra
décrire les comportements sont soit des Etats, soit encore des
entités transnationales ou subétatiques, on fera appel à
la théorie réaliste (1) et à la théorie
transnationaliste (2).
1. Le réalisme
Le réalisme est l'approche traditionnelle des
relations internationales. Elle privilégie l'Etat et en fait l'acteur
essentiel, voire exclusif24. Dans cette perspective ouverte par
l'Etat et ses gouvernants, les relations internationales se définissent
comme des relations entre sociétés politiques organisées
dans le cadre d'un territoire déterminé. Parallèlement,
l'histoire diplomatique est réduite à l'histoire des relations
entre Etats, incarnée par les images de l'ambassadeur et du soldat.
Depuis la fin de la Guerre Froide, la théorie
réaliste est fortement contestée du fait de la perte de
vitalité et de l'unicité de l'Etat sur la scène
internationale vu la montée en puissance des acteurs transnationaux.
Toutefois, s'il ne faut pas remettre en cause cet état de faits, il
convient tout de même de relativiser cette affirmation. Car, la
scène internationale reste encore en bien des points tributaire de la
marque des acteurs étatiques. Ils sont affaiblis certes, mais ils
restent incontournables25.
Le réalisme permettra de comprendre le
déploiement des acteurs étatiques. Toutefois, cette
théorie ne pourra expliquer, seule, tous les paramètres
indispensables à la compréhension du théâtre
congolais. Pour cela, elle sera épaulée par la théorie
transnationaliste.
2. Le transnationalisme
Le transnationalisme professe que la scène internationale
n'est plus une arène spécifique aux Etats. A ces derniers,
s'ajoutent dorénavant des forces
24A. GAZANO, Les Relations internationales :
les données, les acteurs et les règles, les enjeux et
les défis, Paris, Gualino Editeur, 2001, pp : 22-23 ;
également P. BRAILLARD, M.-R, DJALILI, Les Relations
Internationales, Paris, PUF, 1988, p. 51.
25B. JACQHIER, Relations internationale. Les
Acteurs du système international, T. I, Grenoble, PUG, 1993, p.
139.
transnationales et sub-étatiques, dont
l'activité en perpétuel essor tend de plus en plus à
effacer l'action des Etats. Les relations internationales se conçoivent
comme des rapports sociaux qui dépassent le cadre intrinsèque des
sociétés politiques organisées et
déterminées pour mettre en présence des acteurs divers,
relevant des sociétés politiques distinctes. Autrement dit, tout
ce qui s'exerce par-dessus les frontières en dehors de l'action et du
contrôle des Etats26. Le transnationalisme permettra de lire
les logiques qui président au déploiement et à l'action
des acteurs non étatiques dans l'échiquier congolais.
Par ailleurs, les théories réaliste et
transnationaliste ne suffisent pas pour comprendre cette situation complexe que
sont les guerres répétées du Congo de 1990 à 2002.
Pour cela, elles seront complétées par quelques autres
méthodes ou approches chaque fois que les besoins de l'analyse et de
l'interprétation l'exigeront. Essentiellement, nous convoquerons les
méthodes Géopolitique (a) et géostratégique (b).
a. La géopolitique
Selon les mots de F. THUAL, la géopolitique est une
méthode de lecture des situations. Elle permet d'«identifier
les acteurs, analyser leurs motivations, décrire leurs intentions,
repérer les alliances en gestation ou, au contraire, les alliances en
voie de déconstruction, que ce soit au niveau local, régional,
continental ou international»27.
Dans cette étude, la géopolitique nous permettra
de comprendre la volonté des Pays Développés de
maîtriser et de sécuriser les sources et les voies de transit des
approvisionnements en matières premières indispensables à
leurs industries à l'échelle du globe. Elle nous permettra
également de comprendre que la politique étrangère a
cessé d'être la défense des intérêts
politiques uniquement. De plus en plus, elle défend aussi des
intérêts économiques, lesquels sous-tendent les nouvelles
logiques d'affrontements.
26B. JACQHIER, Opus citatum, pp : 130-139.
27 F. THUAL, Géopolitique au
quotidien. Apprendre à déchiffrer
l'actualité, Paris, Dunod, 1993, p. 04.
b. La géostratégie
La géostratégie se comprend ici comme le poids
des données générales de stratégies
(géographie, climat, situation historique et politico-économique,
démographie, etc.) dans la définition et la conduite des affaires
étatiques. Son étude relève de la géopolitique,
bien que son point de vue se réduise aux aspects militaires et leurs
conséquences sur l'enjeu des ressources naturelles, fréquemment
objet de conflits d'intérêt.
Dans notre démarche, la géostratégie a un
double objectif. D'une part, elle permettra de comprendre l'importance des
ressources naturelles dans la militarisation des acteurs et dans la
structuration de leurs alliances. D'autre part, elle aidera à
déterminer le poids de ces mêmes agrégats dans la
conception et dans la conduite des stratégies de guerre des
belligérants.
Toutefois, bien circonscrire le cadre théorique de
cette étude passe aussi par la désignation et par la
définition des concepts clefs.
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