L' oubli des techniques
L'environnement technique et l'accroissement du nombre des
artefacts qui nous entourent, vont de paire, paradoxalement, avec un
phénomène que nous rapprocherons de celui de l'oubli . Cette
forme d'oubli peut être déclinée suivant trois niveaux
(Guchet, 2005) :
Tout d'abord il convient de rappeler que l' appropriation
réussie d'un objet passe par cette phase d'oubli. Pour pouvoir
travailler avec un outil, il faut que celui ci soit considéré
comme le prolongement de l'organe biologique. Il faut que cet outil devienne
invisible, transparent à l'utilisateur selon Heidegger (1954). Cette
acquisition de la transparence peut permettre de distinguer les utilisateurs
novices des experts. Prenons l'exemple de la conduite automobile, à un
expert, la voiture paraîtra totalement invisible, le levier de vitesse
et l'accélérateur lui permettent de changer de régime
comme si il s'agissait du prolongement de ses propres organes, de ses propres
capacités. Dans le cas d'une utilisation par un novice, le
système automobile peut sembler tout à fait étranger.
Heidegger rappel que c'est lorsqu'il est hors d'usage que le marteau
apparaît comme un objet, lorsque l'on tente de planter un clou, il serait
pour nous comme invisible. Nous avons détaillé plus haut une
partie de ces genèses instrumentales au sens de Rabardel.
Une seconde forme d'oubli découle du système
technique dans lequel est inséré l'objet. Pour poursuivre
l'exemple de l'automobile, l'infrastructure qui découle de cet objet est
totalement oubliée par l'utilisateur. En effet, lorsque je roule, je ne
me représente pas les différents réseaux dans lesquels est
insérée l'auto. Les réseaux routiers ou
d'approvisionnement par exemple, ainsi que les technologies des machines-outils
ayant servie à façonner la voiture, sont parties
intégrantes de l' infrastructure qui lui permet de fonctionner. Si la
technique est efficiente, ces infrastructures sont invisibles à
l'utilisateur, mais lors de problèmes d'utilisations, ces
infrastructures sont interrogées afin de découvrir la panne ou le
mauvais fonctionnement. Comme nous l'avons vu plus haut dans le chapitre
intitulé « Gérer efficacement la politique »,
Castoriadis et Jonas, mettent en avant certaines caractéristiques de ce
système global que crée la technique et qui reste invisible
à l'utilisateur.
Une troisième forme d'oubli semble encore être
attachée à la technique : celle de ses origines. Le passé
des techniques est inatteignable pour les utilisateurs si cette technique a
réussi à s'imposer socialement (Guchet, 2005). L'appropriation
sociale, en plus de rendre l'objet pour ainsi dire transparent, efface sont
passé par la même occasion. La sociologie des sciences et des
techniques nous a appris que l'origine d'une innovation technique doit toujours
être recherchée dans une controverse qui met aux prises plusieurs
acteurs. « Or, et c'est le point important, une fois la controverse
stabilisée et si l'innovation est un succès, un récit
d'allure évolutionniste finit par recouvrir la réalité
conflictuelle; [...] comme si la controverse n'avait pas eu lieu. »
(Guchet, 2005, p15). Cet oubli est vu par l'auteur comme un moment essentiel du
processus d'innovation technique. Le changement technique acquière son
effectivité social au moment où l'objet est la cible de
récits secondaires, souvent éloignés de la
réalité.
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