Une société technico-scientifique
La rationalité croissante de la société
est liée à l'institutionnalisation du progrès scientifique
et technique. La maîtrise de la nature et la productivité toujours
croissante assurent aux individus des conditions d'existences toujours plus
confortables. Désormais, les sciences et techniques ne servent plus
à une critique des légitimations des décisions
étatiques, mais deviennent elles même des principes de
légitimation. Ce sont à leur tour les sciences et les techniques
qui assument aujourd'hui la fonction de donner sa légitimation au
pouvoir. Le progrès technique est vu comme la clé de la
compétitivité économique. En transformant les conditions
de marché, la technologie remet sans cesse en cause les situations
établies, et permet à ceux qui sont en avance de détenir
un avantage compétitif qui justifie les choix de société.
Habermas incrimine la rationalité instrumentale qui modifie le travail
et toute l'organisation sociale, du transport à l'éducation en
passant par l'urbanisme et la communication.
« Il y a dés lors la naissance de
l'infrastructure d'une société contrainte à la
modernisation. Les visions du monde traditionnel perdent leurs puissances et
leur validité 1°/en tant que mythe, religion, croyances et
traditions indiscutables, elles sont transformées en 2°/
éthiques et croyances subjectives qui assurent le caractère
obligatoire privé des orientations modernes par rapport aux valeurs.
Enfin, elles sont remaniées, réinterprétées et
deviennent 3°/ des constructions ayant une double fonction: à la
fois critique de la tradition et réorganisation des contenus de cette
tradition, devenus ainsi disponibles, d'après les principes du droit
formel et de l'échange des équivalents. »
Jurgen Habermas, « La Technique et
la Science comme idéologie » (1963), trad. J.-R. Ladmiral,
Éd. Gallimard, 1973, pp33-34
Dans cette vision, les idéologies remplacent les
légitimations traditionnelles en et s'autos-justifient en se
revendiquant de la science. Cette justification permet, sous couvert
scientifique, de se présenter comme critique de l'idéologie alors
qu'elle en est une elle même. La technique engendre une organisation
sociale, il est maintenant avéré qu'elle favorise la
technicisation de nos modes de sociétés. il reste à savoir
comment l'homme réagit face à de tels objets techniques qu'il n'a
pas toujours contribué à construire et qui lui sont
imposés comme étant les choix les plus rationnels, les plus
scientifique.
Ainsi, pour Herbert Marcuse (1964), les techniques sont une
forme de domination de l'homme rendu possible par l'aliénation à
des besoins superflus où la société industrielle
contemporaine tend au totalitarisme : c'est-à-dire une
uniformisation économique et technique non-terroriste qui fonctionne en
manipulant les besoins au nom d'un faux intérêt
général. Les théories de Heidegger fournissent aussi de
nombreux éléments dans ce cadre : il parle d'arraisonnement
(Gestell) systématique de la nature et de l'homme par la
technique moderne. La technologie impose intrinsèquement une
organisation rationnelle de toute action dans laquelle elle intervient.
« L'homme subit le contrôle, la demande et l'injonction d'une
puissance qui se manifeste dans l'essence de la technique et qu'il ne domine
pas lui-même. » (Heidegger, 1977, p50)
La création de savoir par des institutions d'experts peut
isoler ce savoir du groupe société. Le rapport entre
l'institution scientifique, créatrice de savoir, et la
société apparaît être à la fois
créateur et modificateur de lien social (Lyotard, 1979). La construction
de ces relations relève d'un réel choix politique. Le
présupposé de cette approche de l'auteur est que « tout
atome social peut acquérir la compétence scientifique »
(ibid.). Cette interrogation des changements de société
créés par l'agglomération technique-science s'inscrit dans
un paradigme de recherche en pleine évolution qui tentent de
réduire, ou du moins d'interroger l'espace entre science et
société.
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