Conclusion générale
A la fin de ce travail, il convient d'évaluer le
résultat de notre démarche en fonction des hypothèses
émises au départ. Au-delà de quelques
considérations générales (acquis historiques et
théoriques) qui, depuis les temps les plus reculés jusqu'à
nos jours, justifient les relations « homme/nature » en
général, ce travail avait comme ultime tâche de mettre en
exergue l'impact de la politique coloniale et post-coloniale de conservation
sur la gestion du territoire et de ses ressources par les
sociétés en Afrique de l'Est. Sur ce, un accent particulier a
été mis sur la gestion des ressources naturelles connues sous
l'appellation actuelle d' « aires protégées terrestres
» c'est-à-dire les parcs nationaux et les réserves
analogues.
Tout au long de ce travail, nous avons donc vu que les pays de
l'Afrique orientale, à l'instar de tous les pays du Sud, avaient
hérité des colonisateurs européens, un mode dit «
moderne » de gestion des ressources naturelles en remplacement au
mode de gestion dit « traditionnel » des populations
indigènes. Sur le terrain, cette innovation en matière de gestion
des ressources naturelles s'est traduit par la création d'un
réseau extraordinaire des parcs nationaux et réserves analogues
à vocation essentiellement de conservation de la faune et de la flore.
Outre la préservation des espèces animales et
végétales qui, selon les autorités coloniales,
étaient menacées par les activités indigènes, ces
espaces ont été créés dans le but de
répondre à des besoins récréatifs (chasse
sportive), esthétiques (photographie animalière,
décoration des maisons coloniales) et scientifiques (recherche
pharmacologique). Bref, il fallait assurer leur protection en vue d'utilisation
durable des ressources qu'ils regorgeaient. Mais au fond, l'objectif
était simple: « créer le jardin d'Eden »
qu'ils ont perdu chez eux suite au développement de
l'industrialisation.
Comme le système de protection qui a été
mis en place était semblable à celui des Américains tel
que formalisé lors de la création de Yellowstone en 1872, puis
répandu, dès le début du 1 9ème
siècle, dans le monde entier à travers la colonisation
européenne, cette création a entraîné
progressivement l'expulsion des populations autochtones qui habitaient «
les zones les plus étrangères aux conceptions occidentales de
gestion de l'espace » 1 comme les pasteurs nomades ou les chasseurs
de forêts (Rodary E., op. cit.). Etaient donc concernés les
pasteurs Maasai du Kenya et de la Tanzanie, les chasseurs-cueilleurs Iks du
Nord-Est de l'Ouganda, les Batwa forestiers du Rwanda et du Burundi, sans
oublier bien sûr les autres acteurs locaux qui exploitaient les
différentes zones mises en défens. Les systèmes
législatifs et juridiques sont alors mis en place pour la protection des
zones protégées.
Dès l'avènement des indépendances, les
autorités des Etats indépendants ont pris les choses en mains en
gardant le système de protection laissé par leurs anciens
maîtres, car la pratique était jugée économiquement
rentable et politiquement efficace suite, d'une part au développement de
l'industrie touristique depuis les années 1960, et d'autre part au
contrôle de toutes les populations du pays. C'est ainsi que tous les pays
(chacun selon les potentialités touristiques dont il dispose) ont
compris que l'aménagement des zones touristiques pouvait être l'un
des piliers de l'économie nationale. L'accent a été mis
sur la création des réserves de chasse (Game reserves) et le
développement de la photographie animalière. Pour y arriver, les
espaces protégés existants ont fait d'abord l'objet d'une
protection assez sévère grâce au renforcement de la
législation en la matière, puis les gouvernements en place ont
procédé à la
création d'autres sanctuaires d'animaux dans leurs pays
respectifs. Ceci a eu comme conséquence la nouvelle expulsion (souvent
musclée) des populations locales. Les aires protégées
avaient ainsi une dimension de plus en plus économique (au profit du
seul acteurEtat) qui laissait peu de place aux considérations
strictement écologiques des conservationnistes classiques.
Sur le côté humain, les apports sociaux
étaient médiocres compte tenu de la situation dans laquelle
vivaient les populations chassées de leurs terres ou celle des
populations qui vivaient aux alentours des espaces protégés
où le problème de manque de terres cultivables devenait de plus
en plus cruel. Cette dépossession territoriale a entraîné
une certaine désarticulation des systèmes
socio-économiques des communautés autochtones ci-haut
mentionnées en les exposant aux problèmes de
vulnérabilité. En signe de mécontentement, ces populations
se livraient de temps en temps aux actes de vengeance (braconnage,
défrichement des forêts, les feux de brousse, etc.) aux
conséquences écologiques énormes. Il faut noter ici que la
période des années 1970-1980 a été
caractérisée par une diminution épouvantable de certaines
espèces animales (éléphants et rhinocéros en
particulier) dans plusieurs parcs est-africains suite à une implication
soutenue des populations locales aux actes de braconnage.
Par ailleurs, depuis les années 1990, sous l'influence
des résultats satisfaisants des programmes CAMPFIRE (Zimbabwe) et ADMADE
(Zambie) en matière de gestion participative de la faune sauvage, les
pays de l'Afrique orientale, le Kenya à la tête, ont
désormais compris qu'une bonne gestion des ressources naturelles ne
pouvait se passer de la participation des communautés vivant aux
alentours des espaces protégés. Soutenue financièrement en
général par les pays riches anglo-saxons, cette nouvelle approche
semble aujourd'hui donner un nouveau souffle à la politique de
conservation dans ces pays en désamorçant des critiques parfois
assez sévères à son encontre.
Cependant, les professionnels de la conservation dans ces pays
affirment que les résultats de la politique en question laissent
à désirer compte tenu de la misère dans laquelle vivent
les populations riveraines des espaces protégés1. De
surcroît, un grand écart existe entre les pays de l'Afrique
orientale ex-anglaise où les efforts d'intégration des
communautés rurales sont en cours depuis plus d'une dizaine
d'années ( avec une légère supériorité de la
politique kenyane sur les politiques tanzaniennes et ougandaises)2
et ceux de l'Afrique orientale ex-belge où la politique
répressive excluant les populations locales à l'accès
à certaines ressources est toujours à l'honneur comme en
témoigne la récente transformation de la Réserve naturelle
de Nyungwe (Rwanda) en parc national.
Quel que soit le résultat au point de vue
socio-économique, il faut reconnaître que l'avènement de la
politique de conservation intégrée en Afrique orientale
ex-anglaise marque le bouleversement d'une organisation spatiale
héritée de plusieurs années d'une politique
répressive des autorités coloniales et post-coloniales, où
la gestion des aires protégées était essentiellement une
affaire entre l'acteur-Etat et les ONG de conservation de la nature alors que
les populations locales ( les Maasai du Kenya et de la Tanzanie ou les Iks de
l'Ouganda en particulier) se mordaient les doigts aux alentours des espaces
protégés. A l'heure actuelle, un compromis semble être
trouvé suite à cette prise en compte des intérêts
des acteurs locaux
1 L'échec de cette politique est lié au
fait que les ONG de protection de la nature pensent d'abord en termes de
conservation avant de songer aux problèmes socio-économiques des
paysans
2 La politique tanzanienne subit encore les
séquelles de la politique « ujamaa » des
années 1970-1980 tandis que la politique ougandaise, quant à
elle, subit les séquelles des guerres interminables de la période
1972-1986.
au travers des différents projets
intégrés de conservation et de développement mais beaucoup
restent à faire pour qu'il ait une meilleure intégration de ces
populations à l'instar de ce qui se passe en Zambie et au Zimbabwe.
Parmi les réformes à faire, il faudra songer à la
responsabilisation de ces communautés afin qu'elles aient une prise de
conscience de la politique de conservation en cours. Pour y arriver, la
politique administrative de décentralisation est la seule solution.
Pour ce qui est de l'Afrique orientale ex-belge, il faut dire
que les efforts de participation locale à la gestion des aires
protégées semblent inexistants au Rwanda tout comme au Burundi
malgré la bonne volonté des nouveaux décideurs politiques
au Rwanda depuis leur arrivée au pouvoir en 1994. A part l'amputation
des 2/3 du Parc national de l'Akagera (y compris l'ancien domaine de chasse du
Mutara)1 en 1995 dans le but de réinstaller les anciens
réfugiés de 1959 venus d'Ouganda, on constate que la recherche
des solutions alternatives aux problèmes des populations riveraines des
aires protégées (les Batwa forestiers en particulier) se heurte
à la rigidité législative nationale en faveur à la
fois des intérêts économiques et écologiques de
l'Etat et des ONG de protection de la nature puisque les aires
protégées sont classées parmi les capteurs de devises
octroyées par les pays occidentaux pour la promotion de la
biodiversité (Mbuzehose J.B., op. cit.).
Dans ce contexte, Il faut rappeler que ce sont les
intérêts des populations locales qui en souffrent puisque les
autorités du pays prennent ces populations comme des braconniers qui
peuvent d'un moment à l'autre freiner l'arrivée massive des
touristes étrangers. C'est ainsi qu'elles procèdent à de
nouvelles expulsions en vue d'éviter qu'il y ait des risques de faillite
de l'industrie touristique du pays alors qu'elle constitue le troisième
secteur pourvoyeur de devises étrangères (après le
café et le thé) malgré son fléchissement actuel
lié aux événements de 1994. Cependant, il est temps que
les nouveaux décideurs du pays mettent les pendules à l'heure en
adoptant de nouvelles approches qui prônent la prise en compte des
intérêts des populations locales. Ce serait une décision
« très amère » pour eux, mais «
très sage » pour l'avenir de la politique de conservation
dans le pays car elle permettrait à la fois de diminuer relativement la
pauvreté des populations vivant aux alentours des aires
protégées mais aussi de diminuer les dangers qui pèsent
actuellement sur ces espaces comme le problème de pression
démographique et les actes de vengeance à l'égard de la
politique de conservation.
En ce qui concerne le Burundi, il faut dire que la politique
en vigueur dans le pays n'est pas du tout favorable au bien-être des
populations chassées de leurs terres lors de la récente
création du Parc national de Ruvubu et les Réserves de Rumonge et
de Vyanda. Comme leurs homologues rwandaises, les autorités burundaises
sont aussi préoccupées en premier lieu par les
intérêts liés au développement du tourisme dans le
pays, sans se soucier aux problèmes auxquels sont confrontées ces
populations. Or, il semble que l'ère de la politique coercitive en
matière de conservation est entrain de prendre fin compte tenu de
nouveaux changements qui s'affichent actuellement en Afrique australe et moins
encore en Afrique orientale ex-anglaise en faveur d'une approche participative.
Ce qui nous pousse à inviter les autorités de ce pays à
faire la même chose afin qu'il y ait une gestion durable de peu de
ressources dont le pays dispose. Une tâche qui sera difficile à
réaliser parce que le pays est aujourd'hui confronté aux
problèmes de conflits qui pourraient entraver toutes initiatives
1 Une décision qui n'a pas plu du tout les ONG
de protection de la nature et certains pays occidentaux
de développement surtout que les aires
protégées constituent les lieux de refuge des assaillants qui
attaquent sporadiquement les zones habitées2 notamment la
ville de Bujumbura.
A la fin de cette conclusion, l'on peut se pose la question de
savoir si la politique de conservation participative est réellement plus
efficace que la politique coercitive longtemps menée par les pouvoirs
publics en Afrique de l'Est. La réponse est certainement oui, mais dans
la mesure où cette participation locale permet aux acteurs locaux
d'être considérés à la fois comme les gestionnaires
et les bénéficiaires des ressources disponibles. Cependant, il
faut reconnaître que seule la gestion participative ne suffit pas pour
résoudre les problèmes liés à la politique de
conservation en Afrique orientale notamment la pauvreté des populations
vivant aux alentours des aires protégées. Elle nécessite,
pour atteindre ses objectifs, un soutien important en provenance des autres
secteurs de l'économie nationale. « Tant que persistera en
effet la pauvreté, la gestion participative ne pourra que difficilement
atteindre ses objectifs qui sont à la fois de préserver les
ressources naturelles des aires protégées et de répondre
aux besoins socio-économiques des populations riveraines. »
(Zakane V., 1998)
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