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Rapports interethniques et différenciation identitaire en milieu rural : Cas d'Aboudé-Mandéké dans le département d'Agboville.

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par Karamoko KONE
Université Cocody-Abidjan - DEA 2007
  

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I - 2 La base idéologique de la différenciation

L'identité nationale de Côte d'Ivoire selon Dozon JP (1997)9(*) s'est largement faite autour de l'économie de plantation. La problématique de la différenciation autochtone migrant est intimement liée à la question récurrente des revendications autochtones à l'égard d'une politique coloniale de construction identitaire sur fond de disqualification de l'autochtone et de valorisation de l'allogène. En effet, pour le colonisateur, la région forestière regorgeait autre fois de nombreuses opportunités naturelles.

Cependant, les habitants de ladite région possédaient des attributs tout à fait contraires à ses yeux. Selon le classement colonial, cette région était occupée par des « peuplades » jugées primitives et parfaitement arriérées, surtout à l'ouest ou le colon considérait que les pratiques « anthropophagiques » sacrificielles et fétichistes n'étaient pas compensées comme au centre et à l'est par des activités commerciales. Pour résoudre ce hiatus entre une région potentiellement riche et des populations réputées primitives le colonisateur eut recours à ces propres préjugés et considérait que les gens du Nord, particulièrement les Malinké ayant une forte tradition commerciale devraient en grand nombre migrer vers le sud. En plus des Malinké, les Sénoufo devraient être aussi amenés à migrer par ce qu'il étaient considérés comme de « solides cultivateurs »  et constituaient une main d'oeuvre agricole. L'Etat colonial organisa d'autant mieux l'implantation des Baoulé, des Sénoufo, des Dioula et des migrants étrangers présents dans ces forêts10(*).

Bref au moment où se constituait la Côte D'Ivoire en tant qu'entité géographique, la région sud fut l'objet d'une disqualification de ses autochtones et d'une valorisation des migrants.

La réaction à cette politique marginalisant de l'Etat colonial suscite dès les années 1930 la création de l'ADIACI qui incarne une sorte de conscience nationale de revendication à l'égard des étrangers et surtout à l'égard des Dioula et des baoulé qui ne se satisfaisaient plus de leurs activités commerciales ou leur rôle de main d'oeuvre, mais s'appropriaient selon l' ADIACI les terres des autochtones.

Comme on le voit l'identité ivoirienne s'est nouée autour du rapport à l'allochtone et à l'étranger11(*). Ce qui présuppose la différenciation entre autochtones et migrants dans les régions forestières, surtout que cette logique coloniale à été reconduite avec l'avènement de l'administration post-coloniale qui à permis et favorisé l'implantation des Baoulé au détriment des autochtones dans les zones d'économie de plantation12(*). Ainsi donc l'idéologie d'une autochtonie spoliée qui prévalait au moment de la mise en oeuvre de l'économie de plantation a généré des méfiances interethniques qui se sont soldées par des pratiques de différenciation et d'exclusion de l'autre.

Outre cette différenciation fondée sur l'idéologie de l'autochtonie, on assiste avec l'ouverture du marché politique à une différenciation fondée sur une recomposition de l'espace sociopolitique pendant l'occupation du territoire ivoirien. On a assisté en effet à la formation de grandes aires culturelles qui ont étaient exploitées depuis l'ouverture politique. Cette ethno- régionalisation qui se fait autour des leaders est le produit d'un travail politique. On assiste alors à la formation de trois ethno-régions à savoir la coalition Akan autour du pouvoir d'Etat pendant le règne du PDCI-RDA, la coalition autochtone qui regroupe les populations d'origine des zones de l'économie de plantation supposé spoliée par l'administration et favorable au FPI et à son président et enfin l'union sacrée du Grand Nord qui a manifesté sa solidarité à Alassane Dramane Ouattara suite à l'entrée de celui-ci en scène politique consacré par la création du RDR13(*) .

Comme on le voit l'idéologie de l'autochtonie se superpose sur une idéologie politique de division ethnique. Ce qui accroît les sentiments d'inégalité de disqualification qui produisent la différenciation sociale en milieu rural comme c'est le cas à Mandéké.

L'idéologie aurait certes créé des sentiments de frustration des autochtones, mais les propos du genre « le krobou, c'est une ethnie à part, la seule qui soit venue du ciel (......), il faut la préserver » attestent d'une logique bien différente. Elle s'apparente à celle d'un désire de construction identitaire fondée sur la supériorité imaginaire des krobou. Et cela est matérialisé dans la structuration des rapports.

Mais quels sont les matériels symboliques de ces idéologies?

I - 3 La base institutionnelle de la différenciation interethnique.

· Le tutorat : institution traditionnelle d'intégration des migrants comme élément de différenciation sociale.

Selon Chauveau14(*) le tutorat correspond à une « convention agraire » caractéristique de l'économie morale des sociétés Ouest-africaines, il est matérialisé par un ensemble de cérémonies (libations et incantation) effectuées par le propriétaire de la terre aux ancêtres aux quels il confie le travail de « son étranger » en lui cédant une portion de terre aux contours flous ; tout en ayant à l'esprit de conserver une certaine maîtrise foncière associée aux autels de la terre mère. Le tutorat a ainsi permis l'installation des premières générations de migrants qui bénéficiaient des surfaces de culture sans contre partie matérielle.

Cependant avec la pression foncière à travers le refus d'aliénation des terres par les autochtones les rapports de tutorat se renouent autour des rapports de reconnaissance manifeste soit par la subordination rituelle soit par la subordination administrative vis-à-vis du village tuteur.

En plus avec la pression foncière également et l'accélération des vagues migratoires après les indépendances, les cessions de terre ralentissent fortement et les autochtones par le biais du tutorat adoptent de nouvelles stratégies d'allocation de terre aux étrangers. Dans ces condition les migrants sont de plus en plus installés loin de la propriété du tuteur qui procède a la mise en oeuvre d'espace virtuellement occupés15(*). Or cette situation de mise à l'écart profitait au migrant qui se voyant isolé recréait un espace sociopolitique semblable à celui de la société d'origine et poussait les défrichements au-delà des limites qui lui avaient été fixées par l'autochtone16(*).

Le tutorat a donc contribué à la mise en oeuvre de la différenciation sociale à travers les modes d'établissement sur fond de méfiance et de distanciation avec les migrants.

En raison de ce climat de suspicions les autochtones se réorganisent en mettant en place des institutions de gestion commune des ressources villageoises.

· Les institutions politiques de la différenciation identitaire.

En plus du tutorat la chefferie traditionnelle joue un rôle primordial dans la gestion des rapports interethniques en milieu rural. Elle incarne l'autorité au sein du village. Autre fois (au début de l'économie de plantation) la lutte pour le contrôle des institutions politiques villageoises n'impliquaient pas les migrants en raison du fait que ces derniers dépendaient moins du chef de village que du tuteur qui les hébergeait. Mais à partir des années 1990 on assiste à une modification des instances d'autorité. D'abord l'institution a vu son rôle renforcé avec l'avènement des nouvelles lois sur le foncier qui semblent redonner le pouvoir à la coutume en plaçant les chefs traditionnels au coeur des débats fonciers.

Ensuite avec l'implication de nouveaux acteurs dans la gestion foncière à savoir les cadres de la région, on assiste à l'apparition de nouvelles stratégies d'investissement dans les arènes politiques locales en s'appuyant sur les demandes jeunes au sein du village. Ils sont aussi élément de participation au pouvoir locaux souvent en compétition pour le contrôle des affaires du village, il sont de plus en plus chefs de village ou canton on parle de la « notabilisation » des cadres17(*).

Cette « notabilisation » des cadres joue un rôle important dans la mise en oeuvre de la différenciation interethnique dans les milieux forestiers ivoiriens.

A Aboudé Mandéké par exemple la chefferie est gérée par un ancien fonctionnaire. Celui-ci a élaboré dès sa prise de pouvoir un document appelé règlement intérieur et code de conduite de la population d'Aboudé-Mandéké ayant pour objectif la formalisation des normes coutumières applicable a tous les individus vivant dans le village. Ce code qui aborde tous les aspects de la vie au sein du village, redéfinit les rapports interethniques en disqualifiant les migrants non seulement de la gestion des affaires villageoises mais aussi en limitant leur accès à certaines ressources locales. Ces mesures de redéfinition identitaire prennent leurs origines dans les crises successives qu'a connues le monde rural depuis l'avènement du multipartisme et l'ouverture du débat politique sur fond de malaise économique.

A Aboudé - Mandéké également la différenciation interethnique est observable au niveau de la répartition spatiale des groupes, dans le mode d'organisation et de structuration au sein de ces espaces sociaux.

Cependant les processus de stigmatisation et d'exclusion semblent assez récents selon les discours des acteurs « Nous avions toujours entretenus de bons rapports jusqu'en 2000 où on a commencé à nous demander de rentrer chez nous (....) »

En outre les Baoulé et Agni qui reviennent s'installer au sein du village entretiennent des rapports distants avec les Aboudé malgré les nombreuses « similitudes culturelles » entre eux et les krobou.

Par ailleurs, la discrimination de l'espace comme motif de différenciation laisse perplexe puisque de nombreux Krobou notamment les jeunes partagent avec les Baoulé, Agni Gouro et maliens, le nouveau quartier où les habitats sont socialement disqualifiés.

La différenciation est-elle donc le produit des institutions sociales ?

Cela supposerait que ces institutions aient un contrôle effectif sur les individus et groupes. Comme le soulignent certains autochtones « nous comptons sur le bon sens de chacun pour l'application de nos règlements. Sinon nous n'avons aucun moyen de coercition. La chefferie et ses textes, c'est de nom qu'ils existent »

I - 4 Les enjeux économiques de la différenciation interethnique en milieu rural.

Au début de l'économie de plantation l'accroissement démographique a travers l'accueil des migrants était un moyen pour les groupes locaux de garantir l'autonomie de leurs cités et une compétition s'instaurait entre les autochtones afin de gagner l'ascendant démographique sur les villages voisins18(*). Mais très tôt ces enjeux démographiques qui opposaient les autochtones se déclinent en enjeux économiques opposant désormais les autochtones aux migrants. En effet avec la pression foncière, un climat de suspicion réciproque s'installe entre autochtones et migrants. Les premiers accusent les Dioulas et Baoulé d'outre passer leurs rôles respectifs de commerçants et de fournisseurs de main d'oeuvre pour s'investir dans la création de plantations et les seconds de reprocher aux autochtones le refus de céder des surfaces non exploitées. Mais parallèlement se développait un marché informel de commerce de terres malgré les mots d'ordre d'interdiction de vente de terre à partir des années 1960. Ainsi dans le département d'Agboville, le prix a l'hectare a évolué de 5000f CFA vers la fin des années 1950à à plus de 150000f CFA dans les années 198019(*).

A Aboudé-Mandéké cette situation a permis l'enrichissement de nombreux chefs de famille Aboudé qui ont ainsi « bradé leurs terre à de vils prix ».

Ensuite avec l'arrivée massive des migrants, les autochtones ressentent une prédominance démographique et procèdent à une reconfiguration spatiale des migrants qui seront regroupés sur un site éloigné du noyau villageois à ce propos certains allogènes affirment  « quand on nous envoyait ici on était comme dans un campement ». En les regroupant sur un site les migrants n'agissent plus individuellement par le canal de leurs tuteur, leur participation aux projets de développement du village est désormais collective et plus important qu'auparavant.

En plus de ce caractère d'intérêt communautaire des enjeux économiques de la différenciation identitaire, ces derniers s'expriment également au niveau interindividuel à travers des antagonismes et des conflits. Mais si les enjeux économiques devraient être tenus comme principaux motifs pour justifier la différenciation Aboudé - migrants ces processus devraient autant concerner les membres d'une même famille Aboudé où les lutes pour le contrôle du patrimoine foncier familiale font souvent objet d'affrontements violents à caractère fratricide. Les enjeux économiques sont donc certes déterminants mais n'expliquent pas à eux seuls les raisons qui poussent les autochtones à entretenir avec les migrants des rapports de distanciation.

Vu l'impertinence de l'ensemble des observations ci-dessus notre étude s'articule autour de la question centrale suivante :

Quelles sont les logiques sociales qui sous-tendent les rapports de différenciation autochtones-migrants à Aboudé Mandéké ?

Cette dernière appelle d'autres interrogations subsidiaires à savoir :

La différenciation entre autochtones et migrants a-t-elle un lien avec les idéologies de l'autochtonie développée à travers le processus historique de construction des groupes ethniques ?

Quelles sont les ressources structurelles et symboliques de la différenciation entre Aboudé et migrants à Aboudé Mandéké et quel est leur impact réel dans le processus de différenciation ?

En quoi le contexte institutionnel d'expression des rapports interethniques reproduit les inégalités d'accès aux ressources et selon quels enjeux spécifiques ?

* 9 Dozon JP. Op cit

* 10 Koné G, Violences politiques à caractères communautaires e inégalités horizontales en Côte d'Ivoire d'octobre 2000 à Mars 2004, Mémoire de DEA, Université de Bouaké, 2003-2004.

* 11 Dozon JP op cit

* 12 Babo A. op cit

* 13 Koné G, op cit

* 14 Babo A op cit

* 15 Chauveau JP, Question foncière et construction nationale en Côte d'Ivoire : les enjeux silencieux d'un coup d'Etat, in Politique africaine, vol 78, pp94-125

* 16 Neveu C, Essai sur l'immigration baoulé en pays Bakwé, Université de paris 10, ORSTOM, paris 1976

* 17 Koné M, Foncier rural, citoyenneté et cohésion sociale en Côte d'Ivoire : Pratique du tutorat dans la sous-préfecture de Gboguhé, in colloque international les frontières de la question foncières - At the frontier of land issues, Montpellier 2006

* 18 Babo A, op cit

* 19 Charléard J-L op cit

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe