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Rapports interethniques et différenciation identitaire en milieu rural : Cas d'Aboudé-Mandéké dans le département d'Agboville.

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par Karamoko KONE
Université Cocody-Abidjan - DEA 2007
  

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II - REVUE DE LITTERATURE

L'analyse de la différenciation interethnique est inscrite dans la problématique générale des phénomènes migratoires en Côte d'Ivoire. La mise en oeuvre des séparatismes identitaires dans les zones d'accueil rurales d'économie de plantation a été examinée par différents spécialistes de la question ethnique en milieu rural selon les hypothèses suivantes : Les données socio-historiques comme origine des rapports de différenciation interethnique , les conceptions idéologiques de ségrégation ethnique , le cadre institutionnel comme structure matérielle de production de la différenciation sociale.

II - 1 L'origine historique des rapports de différenciation interethnique.

· Du « multiculturalisme » séculaire des populations de l'AOF.

Pour Dieudonné O20(*)., l'AOF est un espace de contact et d'échange ou la ségrégation ethnique perdure depuis des siècles. En effet, selon cet auteur à la bipolarisation des peuples de cette zone en éleveurs/agriculteurs, s'ajoute le clivage religieux qui érode l'homogénéité des groupes. Ainsi, on a le nord partagé entre agriculteurs et éleveurs de religion musulmane car venus de l'Afrique du Nord depuis le Xe siècle, ceux-ci ont pu atteindre cette région après avoir traversé le Sahel. Par contre, au Sud on a les agriculteurs forestiers de religion chrétienne dû au fait que le christianisme a été introduit à travers la côte de l'Océan Atlantique à partir du XVe siècle à la faveur du grand commerce maritime et surtout de la colonisation. A travers les analyses de cet auteur nous percevons les fondements historiques de la différenciation opérée entre d'une part les populations venues du Nord et les pays limitrophes au Nord et celles du Sud forestier. En effet, si le peuplement de la Côte d'Ivoire s'est fait à travers l'arrivée de quatre principaux groupes communautaires à savoir les Voltaïques, les Mandé, les Krou et les Akan, les scissions selon les représentations ou les idéologies se font généralement sur les oppositions sudistes, nordistes, gens de forêt/gens de savane ou encore chrétiens/musulmans. A Aboudé Mandéké, cette logique d'opposition qui alimente les débats et les conflits autochtones/migrants. Les autochtones assimilant à« étranger» toute personne de religion musulmane originaire de cette partie septentrionale du pays. Ils justifient cela en affirmant que les communautés sont « identiques », « indifférenciables » ou « indissociable ». Bien qu'intéressante pour notre étude, cette analyse exprime-t-elle la réalité actuelle des processus de différenciation en cours à Aboudé Mandéké ?

En fait, elle n'inscrit pas la différenciation dans un cadre étroit des rapports pouvant conduire à une étude empirique. Or les rapports Aboudé-migrants tels que nous les observons, prennent leur origine dans le développement de l'économie de plantation.

· La différenciation comme produit de l'évolution de l'économie de plantation et du processus d'intégration des groupes.

La mise en oeuvre de l'économie de plantation s'est faite avec la participation de deux formes de migration à savoir, la forme interne qui a vu le déplacement des groupes tels les Senoufo ; Malinké ou Dioula et les Baoulé venus des régions Nord et Centre et la forme externe avec l'arrivée des migrants des pays limitrophes au Nord à savoir le Mali, le Burkina et la Guinée.

Les processus migratoires entamés depuis la période coloniale ont eu pour conséquence une reconfiguration des ethnies des zones rurales du Sud qui a eu pour corollaires la déstructuration et la restructuration des rapports sociaux.

Plusieurs auteurs se sont intéressés à l'analyse des processus d'intégration des migrants dans les zones d'accueil. Ainsi, Chauveau J.P et Richard J21(*) observent une différenciation interethnique liée aux stratégies d'accès aux ressources socio-foncières à travers l'étude de l'Organisation socio-économique Gban et économie de plantation. Pour eux, l'autochtone ou le« propriétaire terrien», du fait de son statut de premier venu dispose au début de vastes réserves forestières contrôlées généralement par des aînés de famille. Ainsi à partir des années 1946, les migrants présents dans les zones d'accueil se différenciaient selon les activités qu'ils exerçaient à savoir, les Dioula pratiquaient le commerce pendant que les Bété et Baoulé s'adonnaient à la culture arbustive. Mais, selon ces auteurs avec l'arrivée massive des migrants d'origine étrangère, une seconde forme de différenciation s'établit sur la base de la nationalité en rapport avec le statut socio-économique. En effet, les Burkinabé qui viennent s'offrir en manoeuvres agricoles sont maintenus dans cette position à la fois par les autochtones et les allochtones à travers de stratégie de restriction d'accès aux ressources foncières.

Cette analyse nous révèle les raisons fondamentales à l'origine de la différenciation fondée sur la nationalité. Par ailleurs, abordant dans le même sens, Schwartz A, Martinet F. et al22(*) examine l'aspect temporel comme facteur de différenciation. A ce propos ils soutiennent que la date d'arrivée des migrants conditionne leurs liens avec les autochtones. Pour eux, les migrants peuvent être divisés en trois générations :

La première qu'ils nomment les véritables pionniers sont en contact direct avec les autochtones Bakwé qui leur ont octroyé par générosité de vastes surfaces de culture.

La deuxième génération de migrants est accueillie par la première qui procède à leur présentation aux autochtones avant de les installer.

Enfin la troisième génération est coupée de tous liens avec les autochtones car cette dernière a pu s'établir grâce à leurs prédécesseurs qui leur ont trouvé des terres à cultiver sans contenter leurs tuteurs.

En outre, ils affirment que cette situation est rendue possible grâce à la reproduction par ces premiers migrants d'une organisation sociopolitique fortement hiérarchisée semblable à celle de la société d'origine. Tout comme les précédentes, cette analyse nous donne les raisons qui sont à l'origine des processus de différenciation interethnique en milieu rural.

Enfin, toujours concernant les modalités d'intégration socio-économique des migrants, Charléard J.L23(*) .observe tout comme ses prédécesseurs une différenciation sociale liée à la période d'arrivée, à la nationalité  ou à l'appartenance ethnique du migrant. En effet, selon lui, les groupes ethniques migrants ont différemment eu accès à la terre au moment de leur établissement et cela détermine leurs relations avec les autochtones.

Les Baoulé arrivés dans les années 1950 ont eu la terre par le biais des pratiques coutumières de générosité de leurs hôtes Abbey. Ils préfèrent pourtant s'établir dans des campements où la terre à déficher est assez disponible.

Par contre, les Dioula sont pour la plupart acheteurs de terre malgré leur présence plus ancienne puisqu'ils étaient pour la majorité commerçants. Ils préfèrent résider au sein du village pour poursuivre leurs activités économiques.

Les burkinabé ont un accès assez limité à la terre parce qu'ils sont maintenus dans une position de fournisseur de main-d'oeuvre salariée.

Comme on le voit les rapports de différenciation interethniques ont une origine liée au processus historique de développement de l'économie de plantation. Les modalités d'établissement des groupes ethniques sont à l'origine de la différenciation interethnique en rapport avec la nationalité et l'origine ethnique.

L'analyse de Charléard, tout en confirmant les précédentes permet de saisir les implications de ces processus notamment au niveau de la « structuration de l'habitat et des activités sociales entièrement distinctes ».

Cependant, bien que restituant l'ensemble du processus de production de la différenciation interethnique à travers le développement historique de l'économie de plantation, des études qui se situent essentiellement dans les décennies 1950 à 1980 ne peuvent rendre compte de l'ensemble du processus évolutif de la question de la différenciation interethnique en milieu rural. En effet, l'actualité des rapports interethniques en milieu rural soulève la question récurrente des conflits interethniques qui auraient pour origine certaines idéologies discriminatoires à l'égard des autochtones.

II - 2 Idéologies et aspects symboliques de la différenciation interethnique

L'aspect historique de la différenciation sociale nous a permis à travers l'analyse de certains auteurs de comprendre l'évolution et l'ampleur du problème à travers le processus historique de l'économie de plantation. Mais au-delà de ces explications liées au mode d'évolution des enjeux économiques entre acteurs, il existe des raisons idéologiques telles la disqualification de l'autochtonie comme élément explicatif des rapports interethniques de différenciation entre autochtones et migrants dans les zones d'accueil rurales.

Selon Dozon J.P.24(*), au moment où se constituait la Côte d'Ivoire en tant qu'entité géopolitique, la région forestière fut l'objet à la fois d'une disqualification de l'autochtone et d'une valorisation de l'allochtone du Nord et de l'auxiliaire africain non ivoirien par le colonisateur. Et il ajoute que c'est en réponse à cette frustration que l'ADIACI vit le jour vers dès les années 1930 pour d'une part corriger l'image globalement négative du peuple de la forêt et d'autre part, forger l'autochtonie afin d'en devenir le porte-parole ou l'avant-garde en éveillant la conscience nationale.

Ainsi l'identité ivoirienne selon lui s'est précisément nouée autour du rapport à l'allochtone et à l'étranger.

Cette étude nous révèle les fondements idéologiques des oppositions entre sudistes et nordistes ou encore entre peuple de la forêt et peuple de la savane. Si dès la période coloniale ,les peuples de la forêt se sont sentis marginalisés par les colons, cette marginalisation fut maintenue et renforcée en sourdine par Houphouët BOIGNY et l'administration poste-coloniale à travers des politiques de discrimination notamment le célèbre adage qui dit « la terre appartient à celui qui la cultive ».On comprend alors les comportements de méfiance manifestés par les autochtones à l'égard des migrants depuis les années1950 qui ont vu une accélération des migrations dans la moitié sud de la Côte d'Ivoire .

Cependant, si cette étude nous éclaire sur l'idéologie principale à l'origine les pratiques de différenciation, elle ne nous permet pas de saisir les traductions symboliques de cette idéologie dans pratiques économiques entre autochtones et migrants dans le cadre de l'économie de plantation. En d'autres termes comment cette idéologie a-t-elle accompagné le processus d'intégration des migrants et les rapports de production entre migrants et autochtones ?

Chauveau J.P. et Richard J25(*)nous fournissent des éléments d'explication sur ce point dans l'Organisation socio-économique Gban et économique de plantation. Pour ces auteurs, l'opposition autochtones/allochtones trouve ses racines dans les rapports que chacun de ces groupes entretient avec la terre. Il y aurait selon eux une différence de rationalité supposée entre ces deux groupes qui les pousse à adopter des pratiques distinctes. Ils estiment que les autochtones sont les plus souvent présentés négativement comme n'étant ni de véritables propriétaires ni de véritables paysans. Il suffirait d'observer la facilité selon laquelle ils aliènent leur patrimoine foncier et la négligence avec laquelle ils entretiennent la source dans leurs revenus.  Cela témoignerait de la faiblesse de leurs liens à la terre et le sens de la valeur qu'elle représente pour eux.

Cette analyse nous permet.de comprendre comment les acteurs interprètent leur propre situation pour bâtir le mur de la différenciation interethnique. En produisant des discours sur l'irrationalité économique des autochtones, ces derniers se sentent marginalisés et adoptent des comportements de méfiance et même de mépris pouvant conduire à des conflits entre ces groupes.

Cependant, peut-on fonder des différences interethniques sur le simple rapport à la terre ?

L'auteur lui-même, en concluant la séquence a estimé que la distinction entre autochtone et allochtone ne saurait être pertinente pour rendre compte de la dynamique de l'économie de plantation puisqu'il y a en réalité une diversité interne à chaque groupe. Et cela se traduit bien à Aboudé Mandéké car les rapports internes sont plus différenciés que ceux que l'ensemble des migrants entretiennent avec les autochtones .Ainsi, les Baoulé, les Agni et les Gouro d'une part et les Malinké d'autre part ont autant de traits culturels divergents qu'ils semblent avoir plus de compatibilité avec les Krobou dont ils ont appris la tradition que les autres migrants. Cela se traduit d'ailleurs dans l'organisation structurelle de ces différents groupes.

Nous nous intéresserons également aux oppositions internes des groupes. En effet, les allochtones dont les principales communautés sont les Malinké, les Agni, les Baoulé et les Sénoufo sont distinctement organisés à Aboudé Mandéké. D'un côté les Baoulé et les Agni, de tradition Akan semblent avoir au niveau des pratiques culturelles de nombreuses similitudes avec les Krobou.

Par contre, les Malinké et les Sénoufo originaires du Nord sont généralement assimilés aux allogènes burkinabés, guinéens et maliens avec qui ils partagent l'héritage historique des «gens de la savane». Cette bipartition idéologique construite sur les rapports historiques se concrétise dans la structuration des relations entre ces groupes.

Comment fonctionne le captage des identités ethniques dans l'arène villageoise ?

En d'autres termes, comment une foi parvenus dans les localités d'accueil les groupes migrants parviennent-ils à produire des identités pluriethniques ? Cela conduit à examiner le processus d'organisation structurelle et les enjeux symboliques de la différenciation.

II - 3 Aspects structurels et symboliques de la différenciation identitaire

Les analyses précédentes ont mis l'accent sur le processus historique et idéologique et de la mobilisation ethnique. Cette séquence sur la structuration symbolique des rapports interethniques met l'accent sur les modalités d'ancrage de ses idéologies et leurs traductions symboliques. Selon Martinet F. et Schwartz A. et al, le fait marquant chez les sociétés «migrantes» est la persistance des structures familiales de production.

Ensuite, en évoquant l'organisation des communautés ils distinguent le dioula du baoulé.

Pour eux, au sein des deux grands groupes Dioula et Baoulé, ils distinguent une hiérarchisation qui contribue à éloigner l'immigrant des véritables maitres de la terre. Ainsi, dans le système baoulé le nouvel arrivant est placé assez loin des précédents afin de réserver l'espace interstitiel qui sera progressivement comblé avec l'arrivée de nouveaux migrants baoulés. La stratégie étant d'occuper le plus d'espace possible. Dans le système dioula par contre, l'implantation se fait en «tache d'huile» autour de campements numériquement très importants. Cette stratégie restreint les marges de manoeuvre du nouvel arrivant et est souvent source de conflits entre migrants.

Cette analyse nous permet de comprendre en quoi la reproduction de la société d'origine participe à la différenciation interethnique. Les stratégies d'occupation de l'espace propres à chaque groupe ethnique leur permettent de s'établir en traçant des frontières géographiques culturellement délimitées ; l'analyse semble cependant faire des groupes ethniques, des entités closes.

A Aboudé Mandéké, par exemple les campements allochtones sont multiethniques. Ce sont généralement des espaces où l'on rencontre à la fois les allochtones, les allogènes et même parfois les autochtones.

Comment se construisent alors les rapports interethniques dans ce nouveau contexte ?

Et comment se maintiennent les rapports de dépendance autochtones-migrants ?

En d'autres termes, comment les autochtones entretiennent ils les relations de tutorat avec les migrants aussi bien au sein des campements allochtones qu'au sein du village noyau ?

A ce sujet, les auteurs du dynamique pionnier évoquent le rôle joué par l'administration. Pour eux, l'administration reconnaît les autochtones Bakwé comme les vrais maîtres de la terre. Ainsi, elle installe dispensaires et écoles dans les villages autochtones et non dans les campements allochtones dix fois plus importants. Ensuite, elle procède à un regroupement des villages Bakwé et « toutes discussions concernant l'avenir de la région ont lieu dans les villages ; les campements étant tenus d'envoyer des représentants ».

Comme on le voit, la différenciation interethnique ne saurait tenir aux seules idéologies transmises à travers l'histoire. Elle est traduite dans des structures qui convertissent les idées en actions concrètes de différenciation.

Par ailleurs, ces analyses ne mettent pas l'accent sur les rapports autochtones-migrants au sein des espaces collectivement partagés puisque certains migrants résident t volontiers au sein des villages autochtones comme l'indiquent Chauveau J.P et Richard J26(*). Selon ces derniers, « planteurs dioula et voltaïques résident volontiers dans le village hôte où ils constituent des quartiers distincts. Mais avec lesquels des relation de voisinage existent alors que les baoulé préfèrent s'installer dans des campements isolés qui deviennent peu à peu de véritables villages autonomes, chose qui ne facilitent pas les contacts avec les autochtones ».

Cette étude toute comme la précédente nous indique que la différenciation autochtones-Baoulé relève de la stratégie d'implantation de ces derniers. Mais contrairement à la précédente, ces auteurs éclairent à la fois sur les logiques internes et externes des processus de différenciation interethnique et leur implantation.

En examinant le mode de structuration des rapports différent selon les groupes, ils estiment que chacun de ces modes détermine un degré de lien particulier avec les autochtones. Ainsi, les Baoulé entretiennent du fait de leur choix de positionnement géographique, des rapports conflictuels et distants avec les autochtones qui se traduisent à travers l'agrégation des campements Baoulé en véritables villages et leur séparation avec les villages hôtes. Ce qui génère de façon permanente des litiges de limite de champs ou de redevance.

A l'opposé, il semble que les voltaïques du fait de leur option bénéficient d'une intégration plus grande dans les sociétés autochtones car lorsqu'ils ne sont pas employés en permanence par un planteur où ils résident dans sa cour ou dans son campement, ils vivent dans un quartier du village qui leur est réservé où résident les travailleurs sans terre et propriétaires de plantations.

Les Dioula occupent une «position intermédiaire» par rapport aux baoulé et voltaïques en cumulant les deux modes de résidence. Cela relèverait de l'hétérogénéité interne de ce groupe.

Comme on le voit, la structuration de l'espace qui relève d'un choix stratégique du migrant, détermine le degré des rapports entre autochtones et migrants.

L'analyse de ces auteurs montre ici une contradiction de ce processus d'intégration des groupes migrants. Si les Baoulé et les Dioula semblent bénéficier d'un accès plus facile à la terre par rapport aux voltaïques tenus volontairement à l'égard par les nationaux comme l'ont montré les analyses précédentes, le processus d'intégration fonctionne dans le sens inverse puisque les voltaïques entretiennent des rapports plus étroits et plus harmonieux avec leur hôte que les allochtones. On pourrait dire alors que plus l'accès des migrants à la terre est facile moins ils sont intégrés au sein de la société d'accueil. Mais cela est-il vraisemblable puisque les rapports autochtones-migrants se tissent autour des valeurs collectivement partagées et les acteurs individuels ou collectivement s'unissent ou se distinguent en fonction de la situation ou des intérêts en jeux.

En somme, si ces analyses font du mode de structuration des rapports autochtones-migrants le point de départ de la différenciation interethnique, elles ne nous disent pas le contexte dans lequel évoluent ces rapports. En effet, ces études font l'état des lieux de la situation des différents groupes migrants par rapport aux autochtones mais elles n'éclairent pas sur le devenir probable des rapports en fonction de l'évolution du cadre institutionnel.

A Aboudé Mandéké par exemple, autochtones, voltaïques et Dioula (Sénoufo et Malinké) se sont établis aux côtés des Krobou au sein du village hôte contrairement aux baoulé et Agni qui étaient installés principalement dans les campements. Mais de nos jours on assiste à un retour de ces derniers au près de leur hôte ainsi qu'à l'implantation des Dioula et voltaïques dans les campements Agni ou Baoulé.

Comment en est on arrivé là et quels types de rapports ces derniers entretiennent-ils avec les autochtones ?

Cette relation a-t-elle un impact sur les relations autochtones- voltaïques ou autochtones-dioula ?

Les analyses suivantes nous fournissent des éléments de réponses à ces questions.

II - 4 Cadre institutionnel et évolution des rapports interethniques

Les analyses précédentes ont mis successivement l'accent sur les dimensions historiques et idéologiques des rapports interethniques ainsi sur le contexte et le cadre institutionnel d'expression et de structuration de ces rapports. Cela nous conduit aux analyses sur l'évolution et les transformations non seulement des systèmes traditionnels de gestion mais aussi des institutions Etatiques de gestion foncière en milieu rural.

Dans ce contexte, l'examen de Koné M27(*). nous éclaire sur l'institution du tutorat et son évolution dans un contexte de crise socio-économique. Pour l'auteur, le tutorat est une institution qui régit des droits et du dynamisme ; c'est un ensemble de règles, normes acceptées et intériorisées par les acteurs qui reposent avant sur un contrat d'hospitalité. Il a un caractère collectif et les éléments qui le structurent sont, le respect de l'obligation rituelle de reconnaissance, comme acte majeur de pérennisation de l'institution, les pratiques de corruption comme moyen d'accès à certaines ressources malgré leur prohibition ou comme moyen de règlement de certains litiges et enfin, la menace de sorcellerie comme frein à l'ardeur des jeunes.

Ainsi, le tutorat depuis l'amorce de l'économie de plantation et du phénomène migratoire a présidé à l'accueil et l'installation des migrants dans les zones d'accueil.

Cependant, en quoi le tutorat participe-t-il à la production de la différenciation identitaire ?

Si les analyses précédentes convergent sur la facilité avec laquelle les premiers migrants ont eu accès à la terre, certains ne tardent pas à dénoncer les «conditions draconiennes» imposées dès les années 1957 dans le centre ouest par ce système traditionnel pour maintenir les migrants à l'écart (Chauveau J.P., Richard J. 1985)28(*). Le tutorat est donc à la fois une institution d'intégration et un moyen de disqualification des migrants. Mais comment évolue cette institution ? Et comment la disqualification des migrants est-elle maintenue ?

Dans son analyse sur l'évolution du tutorat, Koné M. distingue les périodes d'évolution liées au contexte sociopolitique :

- La première est celle de l'établissement des premiers migrants qui part dès le début des années 1950 à la fin des années1960. Cette période est marquée par le contexte d'économie morale de transactions foncières ;

- La deuxième est celle qui a subit de plein fouet les effets conjugués de la crise économique et celle du système éducatif. Pendant cette période, on assiste à la «monétarisation du tutorat» et la «marchandisation des relations sociales» entre autochtones et migrants - La troisième qu'on pourrait qualifier comme la conséquence de la seconde survient avec une modification des instances d'autorité dans les villages et l'émergence de pratiques innovantes au niveau des rapports socio-fonciers.

En somme pour Koné M., les rapports interethniques dans le cadre du tutorat varient en fonction du contexte politique et de l'environnement socioéconomique qui prévaut.

Cette analyse a une portée théorique majeure notamment au niveau de la structuration des rapports internes dans le cadre du tutorat. Cet apport théorique permettra dans le cadre de nos investigations empiriques de guider le processus de recherche selon les perspectives théoriques annoncées.

Malgré cette contribution à la fois théorique et empirique, l'étude de Koné M. n'explore pas tous les aspects du processus de différenciation en milieu rural. En effet, les études antérieurs ont souligné une différence d'intégration des Baoulé qui entretiennent des relations distantes et souvent conflictuelles avec les autochtones et des voltaïques qui sont fréquemment les mieux intégrés du fait de leur rôle de fournisseur de main d'oeuvre.

Cependant, les conflits interethniques en milieu rural pendant cette dernière décennie opposent le plus souvent les autochtones aux voltaïques comme ce fut le cas à Aboudé Mandéké en juin 2005 (enquête exploratoire).

Comment en est-on arrivé à cette conversion de sentiments affectifs en rapports conflictuels ?

Et comment cette réversibilité des sentiments affectifs se traduit- elle au niveau des échanges sociaux ?

Pour répondre à ces interrogations, Babo A29(*) dénonce le rôle « pernicieux » des instrumentalisations politiques des acteurs en milieu rural.

Selon cet auteur, «  dans les villages kroumen les burkinabés, les maliens et ghanéens cohabitent paisiblement avec les autochtones kroumen grâce à l'économie morale » du tutorat où de nombreux migrants ont établit des relations de parenté rituelle avec ces autochtones, à l'exception des Baoulé qui se sont maintenus à l'écart du mécanisme d'intégration locale non seulement grâce à l'appui du PDCI-RDA et de l'administration dans les années 1970 mais grâce aussi à leur organisation politique « fortement hiérarchisée »différente de celle des sociétés d'accueil.

Cependant, avec la démocratisation du champ politique la stratégie de l'opposition concourait à «réveiller» les frustrations des autochtones. Cette instrumentalisation politique conduisit d'abord à l'émergence de nombreux conflits entre autochtones et Baoulés (registre ethnique) avant de tourner aux oppositions autochtones-burkinabés (registre national).

Avant de conclure son analyse, l'auteur affirme que cette situation a engendré la mise en oeuvre de nouvelles stratégies migratoires baoulé qui consistent à retourner au sein des villages hôtes ou la pratique de la «mobilité inverse» qui consiste à revenir s'établir dans les villages d'origine.

L'analyse de cet auteur est fort contributive dans la mesure out elle permet trois éclairages majeurs dans la compréhension du processus de différenciation interethnique en milieu rural.

D'abord, confirmant les analyses précédentes sur la logique distinctive de l'établissement des Baoulés par rapport aux migrants burkinabés mieux intégrés, l'auteur contrairement à ses prédécesseurs examine les facteurs institutionnels ayant favorisés cette situation.

Ensuite, l'analyse des instrumentalisations politiques permet d'établir un rapport entre les mutations institutionnels et politiques et la production de l'ethnicité comme ressources par les acteurs pour l'action sociale. En plus, ce cadre analytique permet dans le cadre de notre étude de comprendre la réversibilité des rapports de différenciation et le contexte institutionnel de conversion de sentiments affectifs en rapports conflictueux.

Cependant, la dynamique des rapports interethniques doit elle exclusivement s'expliquer par les manoeuvres politiciennes ? En outre, l'insécurité foncière qui prédomine de nos jours à Mandéké et qui se manifeste à travers les exclusions, les disqualifications et les violences à caractère communautaire a-t-elle une origine exclusivement politique ?

Si les observations de l'auteur nous permettent de comprendre les raisons du retour des baoulé et Agni au sein d'Aboudé, elles ne nous éclairent pas sur la nature des rapports qui s'établissent entre ces nouveaux venus et les autochtones.

Quels, sont les enjeux de ces rapports de type nouveaux ?

En outre, en quittant le campement, comment se restructurent les rapports au sein de celui-ci ? Dans les campements allochtones d'Aboudé Mandéké on a constaté une forte présence allogène notamment burkinabé et malienne.

Comment allochtones et allogènes communiquent ou interagissent face aux enjeux multiples au sein des campements ?

Pour de nombreux auteurs, le politique n'a fait qu'exploiter une situation plus ancienne qui est celle de l'absence ou des ambiguïtés des modes de régulation foncière en Côte d'Ivoire depuis la période coloniale et postcoloniale.

Selon, Lavigne Delville Ph, la complexité des rapports fonciers et des conflits est due à l'existence de plusieurs systèmes dont aucun ne semble prédominant. D'une part le système coutumier est régi par une pluralité de normes non formelles à la fois flexibles et évolutives conformément à la situation qui prévaut. La gestion des ressources serait le fait des réseaux sociaux qui puisent leur légitimité dans l'antériorité d'occupation. D'autre part, le système Etatique dont les normes prennent leurs sources dans les législations coloniales. En effet, l'auteur estime que le colonisateur était motivé par un désir de domination et d'exploitation des matières premières des métropoles. Leur action a donc été de balayer du revers le système local de gestion des ressources foncières. De même, l'Etat post colonial qui a retenu l'essentiel des dispositions de cette politique coloniale les ont souvent renforcé en déclarant après les indépendances la nationalisation des terres agricoles.

A cela s'ajoute l'inexistence de véritables réglementations foncières étatiques, notamment dans les zones forestières où l'écart entre logiques coutumières et modernisme semble grand. Et pour l'auteur, « slogan such as «the land belongs to those who cultivate it'' speed up the rate of clearance both by migrants seeking to appropriate virgin fallow land and also by customary land holder using evidence of tillage to protect their right », ,30(*)

Ce qui implique comme l'ont souligné certaines études, la méfiance des autochtones envers les migrants dont l'installation leur aurait été imposée par l'administration (Babo A.). Ainsi, dans les zones d'immigration, la différenciation interethnique n'est pas uniquement le fruit des effets conjugués d'idéologies et de données historiques. Il y a une part moins négligeable du cadre institutionnel qui, lorsqu'il est flou permet aux acteurs la mise en oeuvre de stratégies en fonction de leur position sociale et de leurs intérêts. C'est pourquoi Lavigne Delville Ph., en parlant des consequences de cette situation estime que : « (...) the uncertainty about rights encourages people to take advantage of the dichotomy between the rules(...).The real problems arise not from the coexistence of different systems, but from the multiplicity of arbitration authorities whose links are unclear(...).While it facilitates change and thus plays relatively functional role rapidly evolving contexts, the confusion surrounding land rights favours powerful player particularly the political-administrative class and some local elite who are the only ones able to master the legal and administrative complexity ».31(*)

L'analyse de cet auteur nous permet de comprendre plusieurs aspects de la différenciation sociale en cours à Aboudé Mandéké. D'abord, elle nous fournit un cadre théorique supplémentaire d'étude de la différenciation interethnique en mettant celle-ci en rapport avec les antagonismes entre modernisme tradition.

Ensuite, son étude nous permet d'effectuer une analyse profonde des conflits interethniques entre Aboudé et migrants dans leurs interactions.

Enfin, grâce aux éclairages fournis par cette analyse nous examinons les législations foncières ivoiriennes en rapport avec les interprétations qu'en font les acteurs à Aboudé Mandéké.

Cependant, même quand les rapports interethniques en milieu rural semblent prédominés par les rapports fonciers, les pratiques de différenciation ne sont pas uniquement déterminées par les enjeux fonciers. Ainsi, la confusion et les conflits interethniques peuvent subsister même s'il ya adéquation entre pratiques coutumières et règles étatiques. Le problème de l'insécurité foncière ne couvre pas à lui seul le champ des rapports interethniques qui se redéfinissent selon le cadre de référence et la situation des acteurs.

Pour clore ce chapitre sur la revue documentaire, il convient de retenir que plusieurs tendances explicatives des rapports de différenciation sociale et des conflits interethniques se dégagent :

Il y a d'abord la tendance historiciste pour laquelle les rapports de différenciation sont des données historiques car liés à l'histoire du peuplement des zones forestières et savanicoles ainsi que celle des processus migratoires dans le cadre de l'économie de plantation. Cela à travers l'analyse de certains auteurs tels que Dieudonné O. et Schwartz A. al et J.L. Charléard.

Ensuite, il y a la tendance idéologique qui s'inspirant de la précédente se focalise sur les idéaux qui ont contribué à accroître la distance entre les entités ethniques. L'analyse de ces auteurs se résume au fait que les différenciations interethniques sont dues aux représentations que chacun se fait de l'autre car, selon cette idéologie lorsque les représentations que les entités se font les unes des autres sont fondées sur les suspicions réciproques, elles conduisent à l'évitement de l'autre et à l'entretien des rapports distants32(*).

En outre, une autre tendance évoque le mode de structuration des groupes. Pour elle, l'organisation structurelle des groupes détermine les rapports de différenciation car cette dernière dérive de la nature des rapports de production et de la structure intrinsèque de ces rapports.

Enfin, selon la dernière tendance, les systèmes institutionnels déterminent les rapports de différenciation interethniques dans la mesure où ils complexifient les cadres d'interprétation de ces rapports.

A travers ces analyses, nous avons ainsi perçu les différents angles sous lesquels le problème de la différenciation interethnique a été abordé par les spécialistes.

Ces analyses sur la construction de la différenciation entre autochtones et migrants en milieu rural ont certes étés pertinentes, mais elles ne rendent pas compte des logiques sociales qui sous-tendent les rapports de différenciation que les Aboudé entretiennent avec les migrants installés sur «leur territoire''. En effet si ces études ont montré les différentes tendances explicatives des rapports de différenciation entre autochtones et migrants, elles ne disent pas comment ces tendances peuvent varier dans le temps et l'espace.

A Aboudé Mandéké on constate que les rapports de différenciation évoluent avec l'évolution du cadre institutionnel dans lequel s'expriment ces rapports. On assiste également à la réversibilité des sentiments d'exclusion dans le temps, où des inclus d'une époque deviennent les exclus d'une autre époque. La compréhension de cet état de fait à Aboudé Mandéké, nécessite la mise en oeuvre d'enquête selon les objectifs clairement définis.

* 20 Ouédraogo D, Migrations circulaires et enjeux identitaires en Afrique de l'Ouest, www.google.fr

* 21 Chauveau J.P et Richard J L'Organisation socio-économique Gban et économie de plantation

* 22 Schwartz A, Martinet F et al op cit

* 23Charléard J.L op cit

* 24Dozon J.P op cit

* 25 Chauveau J.P. et Richard J, op. cit.

* 26 Chauveau JP et Richard J op. Cit.

* 27 Koné M op cit

* 28 Chauveau J.P., Richard J. 1985

* 29 Babo A op cit

* 30 Lavigne Delville Ph, La décentralisation administrative face à la question foncière (Afrique de l'Ouest Francophone rurale), in Working paper on Afican societies n°39 Instut Fuert Ethnologie und Afrikaanders (Mainz University)/Das Arabische, 18p.

* 31 Lvigne Delville Ph.op cit

* 32 Chauveau J.P, op. cit

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry