WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Rapports interethniques et différenciation identitaire en milieu rural : Cas d'Aboudé-Mandéké dans le département d'Agboville.

( Télécharger le fichier original )
par Karamoko KONE
Université Cocody-Abidjan - DEA 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Conclusion partielle

Le positionnement des entités ethniques d'Aboudé Mandéké dans l'espace social est opéré sur fond de différenciation identitaire. Sur la base de marqueurs identitaires comme la nationalité la religion, la langue et bien d'autres caractéristiques culturelles, les groupes sociaux se sont reconstruits et ont configuré un système d'agir collectif spécifique en utilisant ces marqueurs comme ressources. Cependant des actions d'homogénéisation président à ce processus de démarcation des entités collectives. Ainsi, la religion et la politique constituent les fondements idéologiques de ces processus sociaux.

Cependant comment fonctionne ce processus de co-construction de l'agir collectif à Aboudé Mandéké et quelles sont les ressources symboliques qui alimentent son fonctionnement ?

DEUXIEME PARTIE: MARQUAGE SOCIAL ET PRODUCTION DE LA DOMINATION SYMBOLIQUE

La séquence précédente nous a permis de comprendre que la formation des entités villageoises est un processus stratégique de démarcation spatiale de la part non seulement des groupes autochtones (Krobou) mais aussi des migrants en fonction du contexte.

Cependant l'entretien d'une vie communautaire à l'échelle villageoise exige l'existence des valeurs collectivement partagées. La présente séquence met l'accent sur la dimension instrumentale de la différenciation. Elle nous permet de montrer que les valeurs collectives qui apparaissent comme des fibres permettant de raccorder le tissu social sont des instruments de marquage et de contrôle des autochtones Aboudé. Elle comprend deux (02) chapitres :

Le premier chapitre permet de saisir les motifs de la production par les Aboudé des institutions sociales de contrôle.

Dans le second chapitre, il s'agit d'appréhender la fonction subjective de certains comportements manifestes des autochtones Aboudé.

Chapitre III. La reproduction des institutions

DE CONTRÔLE

La population d'Aboudé-Mandéké croît à un rythme accéléré. Chaque année le village enregistre de nouveaux membres venant s'établir soit pour la poursuite de l'économie de plantation, soit pour des activités économiques telles que le commerce ou encore la production vivrière ou maraîchère. Pour ce faire, il convient d'avoir un regard sur l'ensemble des groupes. Certaines institutions assurent cette fonction.

III.1. La redéfinition du rôle du tutorat

L'analyse du tutorat va nous conduire à déceler la dynamique de transformation de cette institution et son adaptation au contexte sociopolitique.

Le tutorat est un ensemble de règles, normes acceptées et intériorisées par les acteurs qui reposent avant tout sur un contrat d'hospitalité. L'accueil des migrants participe et contribue au développement et à l'agrandissement du village, permet de maintenir les limites du territoire villageois contre l'agression des villages voisins, un paravent contre les animaux sauvages.47(*)

Ces fonctions du tutorat sont dynamiques. La "subordination rituelle (BABO A.), et les "obligations d'assistance" de la part du migrant n'existent plus.

Cela est dû au fait que les premières générations de tuteurs et de migrants sont pour la plupart décédés et ce sont leurs enfants ou petits enfants qui sont présents.

Ensuite les nouveaux migrants qui s'établissent sont directement absorbés par leur communauté fortement structurée qui permet leur intégration. La relation du tutorat reste donc une relation fictive. Les enfants et petits enfants des migrants considèrent les enfants des hôtes de leur père comme leur tuteur. De même le nouveau migrant reconnaît comme tuteur le tuteur de son tuteur ou le propriétaire du bien qu'il occupe (location de maison ou occupation provisoire d'un lot). Ce qui contraste avec la thèse de KONE M. qui dit que celui qui loue uniquement une portion ou des parcelles ne parlera pas de tuteur. Cette affiliation fictive des migrants aux membres de la communauté autochtone permet aux autochtones de rappeler à tous les migrants leur devoir de subordination et leur statut d'infériorité par rapport aux autochtones.

« Chaque migrant doit participer au développement du village à travers son tuteur (...). Une fois que tu passes une nuit ici, tu as un tuteur. C'est lui fait les démarches quand tu veux épouser une fille Krobou. Et quand tu as un problème, c'est lui qu'on appelle. Chaque tuteur est responsable de son étranger. Il doit lui apprendre les interdits, qu'on n'élève pas du cabri chez nous, qu'on ne vole pas et qu'on ne commet pas d'adultère.»

On le voit, ces propos visent à affirmer une subordination du migrant qui est une forme symbolique de le dominer. Cependant, ce caractère fictif de la domination est matérialisé à travers une autre institution à savoir la chefferie traditionnelle.

III.2. La restructuration de la chefferie traditionnelle

La chefferie de village est une instance reconnue depuis l'administration indigène et renforcée après les indépendances par le ministère de l'intérieur et de la direction de l'administration territoriale. Ainsi, la circulaire N°20/INT/DGAT du 03 Juin 1976 adressée aux préfets et aux sous-préfets atteste que « le chef de village est le premier maillon de l'organisation administrative est le seul représentant de l'autorité de l'Etat. Il ne doit pas être imposé aux communautés villageoises intéressées ». Mais avant, l'arrêté portant constitution de l'administration indigène en Côte d'Ivoire précise en son article 3 du titre 1er que « Tout indigène fait obligatoirement partie du village où il réside habituellement et se trouve de ce fait soumis à l'autorité du chef de village. Il précise les attributions du Chef du village en article 6 du même titre qui sont entre autres « le garant de la police générale » (maintien de l'ordre), et rural (protection des cultures), « le garant de la voirie », de « l'hygiène » et de la « perception des impôts ». Ces différentes fonctions du chef de village depuis la période coloniale montrent l'importance de celui-ci et les prestiges sociaux liés à son exercice.

S'inspirant de ces dispositions antérieures, les autorités traditionnelles d'Aboudé-Mandéké ont institué une chefferie dont les aspirations politiques débordent le cadre villageois. Pour être chef de village précise le Secrétariat,

« il faut être né de père Krobou originaire d'Aboudé-Mandéké, savoir lire et écrire, avoir un logement décent et être élu par tous les villageois »

Ces nouvelles prescriptions de l'autorité politique villageoise émanent de plusieurs sources.

D'abord ces décisions ont été prises à la suite d'un séminaire regroupant tous les ressortissants d'Aboudé-Mandéké à l'initiative des élites intellectuelles regroupés au sein d'une association dénommée la « diaspora ». Parmi ces derniers, on compte des anciens cadres de l'administration (un député et un préfet à la retraite, tous originaires d'Aboudé-Mandéké ».

Ensuite cette institution qui date de 2002 s'inscrit dans un contexte de crise politique au plan national où on assiste à une manipulation des appartenances identitaires en occurrence des identités ethniques pour régir les relations intergroupes (BABO A).

Ainsi ces nouvelles modalités d'accès à la chefferie du village qui contrastent avec les dispositions traditionnelles bien qu'elles incluent tous les autochtones sont doublement discriminatoires. D'abord à l'égard des autochtones, le fait de dire que le chef doit savoir « lire et écrire, avoir une maison décente » ne permet pas à certains autochtones Krobou « héritiers légitimes » du trône de s'y installer. Ce qui explique les vives réactions de protestations de certains autochtones lors de l'intronisation du chef actuel qui est un adjudant à la retraite, relativement fortuné comme l'atteste l'introduction du code de conduite.

Quant aux migrants, même si les dispositions sont discriminatoires, ils y sont indifférents car la gestion de la chefferie villageoise est traditionnellement du ressort des autochtones. Ce qui importe, c'est le nouveau mode de conduite des affaires villageoises.

Désormais, la chefferie fonctionne dans un climat de politique nationale d'exclusion et de marginalisation ethnique orchestrée par la presse et par les autorités politiques qui stimulent dans la conscience collective des nationaux la peur de l'étranger à travers la fabrique de son image d'envahisseur48(*).

Ainsi le pari de l'intimidation des migrants par les autochtones est gagné par le fait que les migrants qui sont pour la plupart analphabètes considèrent le chef actuel comme une «autorité militaire'' dont les ordres ne sauraient être discutés. Cet avis est partagé autant par les autochtones : « de toute façon ils font toujours ce qu'on leur demande, ils ne peuvent rien refuser », que par les migrants : « le chef d'ici, chef ABONDO, c'est en tout cas un bon chef, il est beaucoup instruit, il donne des conseils, il nous guide sur les meilleurs chemins, même pour cette histoire d'identification (2008) des ivoiriens, il nous a fait appel et il a dit que ça ne concerne que les ivoiriens, et que si un burkinabé ment pour se faire enrôler qu'il sera pris et conduit à la justice. Il nous a sérieusement mis en garde en tant que conseiller (...) »

C'est la personne du chef ici qui influence les migrants. Comme on peut le constater le charisme constitue un moyen de domination. Et les autochtones Aboudé ayant perçu cela utilisent la chefferie d'Aboudé-Mandéké comme un moyen de contrôle en combinant à dessein les règles traditionnelles et coutumières avec les modes modernes de gestion : c'est la position qui est utilisée comme ressources pour produire les inégalités interethniques d'accès aux ressources socio-foncières. C'est dans ce contexte de revendication identitaire qu'après son intronisation un code de conduite de la population fut adopté à travers les statuts et règlement intérieur et des documents annexes.

III.3.La normalisation formelle comme style de domination

Cette analyse vise à savoir l'impact de la formalisation des réglementations villageoises sur les rapports interethniques. Pour cela, une analyse de forme et de fond s'impose.

III.3.1. Le statut et règlement intérieur d'Aboudé comme style de communication

Dès l'intronisation du nouveau chef de village, la formalisation des règles coutumières devient le nouveau style de communication de la chefferie.

Ce style est pour elle un moyen de démarcation de rupture avec la forme traditionnelle de la gestion villageoise. Ce qui est perçu comme une marche vers la modernité. Le nouveau style a pour effet majeur de renforcer l'image charismatique et d'autorité du chef aux yeux des villageois. Ce qui crée chez les autochtones un sentiment de fierté et de supériorité à l'égard des communautés non Aboudé.

«  Ce document, c'est comme notre constitution, et chaque ménage l'a en sa possession lettré ou non lettré, chacun doit connaître le contenu ».

Ces propos attestent du caractère d'universalité des prescriptions à l'échelle villageoise. Au-delà des communautés, l'évocation des ménages et des individus est une manière pour la chefferie de supplanter l'autorité des chefs de communautés migrants à travers la constitution d'un canal d'accès direct aux membres. Sachant que les migrants sont en majorité analphabètes. Les autochtones jouent ici en s'appuyant sur le statut intellectuel. C'est l'intellectualisation du jeu interactionnel.

Et le pari semble gagné car pour les migrants : « (...) eux, ce sont les autochtones, ils connaissent beaucoup de choses, ils sont beaucoup instruits. Quand ils veulent interdire quelque chose, ils l'écrivent et informent nos chefs (...) Nous on ne peut que les suivre, c'est pour eux leur village. »

Comme on le voit, on assiste à travers cette forme de communication à une construction instrumentale du pouvoir et de la domination de la chefferie locale. Comment cela se traduit dans le fond ?

III.3.2 Les fondements du caractère discriminatoire des règles formelles

L'analyse de fond porte ici sur l'intentionnalité des actions. L'image de dominant déjà construite est ici forgée et cristallisée à travers un processus d'élaboration de barrières sociales.

En effet, certains articles des statuts et règlement intérieur redéfinissent l'accès des communautés aux ressources sociales sur une base inégalitaire :

On a ainsi dans le règlement intérieur :

« Article 2 : Tout candidat pour être nommé chef du village ; doit être de père Krobou originaire d'Aboudé-Mandéké, (...). Avoir un logement décent »

Le règlement intérieur est accompagné d'un autre document dénommé Commission d'Appui Technique de la Chefferie. Il y a trois commissions d'appui technique à la chefferie à savoir la CAE, la CAS et la CJCS dont chacune subdivisée en sous commissions. Ces instances de gestion sont entre autres régies par les articles suivants :

« Article 11 : la CAS est chargée du recensement de tous les allogènes et étrangers vivant sur le sol d'Aboudé-Mandéké...

Article 12 : les tuteurs des allogènes ou étrangers ont le devoir de les faire identifier et de les amener à avoir un domicile fixe au village ;

Article 17 : le vote dans les différentes organisations traditionnelles du village est autorisé à tout ivoirien assimilé aux autochtones du village ;

Article 18 : n'est éligible au poste de président ou de trésorier d'institution traditionnelle que tout autochtone d'Aboudé-Mandéké ;

Article 19 : l'appellation de tout village ou campement satellite de Mandéké doit se terminer par le suffixe « dé » signifiant village... ;

Article 20 : les premiers responsables des gros campements sont des "délégués" du chef de village ;

Article 35 : le montant de la dote dans un délai de trois (03) ans s'établit comme suit :

· Femme de Mandéké : 35 000 F ;

· Femme de Mandéké mariée à Kouassidé : 35 000 F ;

· Femme de Mandéké mariée à Oress-Krobou : 35 000 F ;

· Femme de Mandéké mariée en dehors des villages ci-dessus : 100 000 F variable selon les régions en présence. ».

L'analyse de fond de ces articles est révélatrice d'un processus de différenciation sociale. Les acteurs utilisent le capital culturel dont ils disposent comme ressources pour construire la légitimité du statut d'autochtone. Ainsi les acteurs jouent sur deux registres :

Le registre identitaire permet aux autochtones de se distinguer des communautés migrantes en prenant comme prétexte l'appartenance ethnique, notamment l'appartenance à la communauté autochtone Aboudé, d'Aboudé-Mandéké sur la base des liens de parenté biologique ou fictive. On est face à une manipulation de l'identité ethnique qui permet de gérer les relations intergroupes (BABO A. P.14). Dans ce registre le jeu est plus objectif et l'intention des acteurs est de bénéficier du droit d'autochtonie en produisant une inégalité d'accès aux ressources entre les identités.

Dans le registre nationaliste, il s'agit d'une recomposition identitaire dont le but est de construire une communauté nationale fictive ayant pour repère local les autochtones Aboudé. Pour BABO A., le concept de nation constitue aujourd'hui une entité abstraite, une communauté imaginaire qui repose sur un processus historique s'exprimant dans un ensemble de pratiques ou de gestes de la vie quotidienne partagés par un groupe social. Or comme le dit Michel LALLEMENT P. 201, « la sélection d'une séquence d'action par un acteur dans son interaction avec les autres acteurs est rationnelle. » on peut s'interroger sur le bénéfice que tirent les autochtones dans la construction de barrières sociales vis-à-vis de certains migrants.

A l'analyse, il s'agit du nationalisme "le nouveau registre identitaire" depuis la crise politique et notamment depuis la guerre du 19 sept qui guide les comportements, les discours et les représentations des acteurs dans la réorganisation ou la redéfinition des rapports interethniques.

On le voit, pour parvenir à un même but (production de l'inégalité et la différenciation sociale), les communautés utilisent des registres différents selon leur dotation en ressources (capital culturel notamment).

CHAPITRE IV : DETERMINANTS SOCIO-CULTURELS DE LA DOMINATION SYMBOLIQUE

Deux idées majeures ont été développées dans le présent chapitre :

· Le degré de relation à l'espace territorial comme critère de disqualification sociale ;

· Le marquage spatial fondé sur les interdits culturels.

Pour certains tenants des théories intégrationnistes, la dynamique de l'intégration des communautés migrantes à la société d'origine s'inscrit dans un processus d'assimilation qui part des particularismes communautaires à la fusion totale des groupes.

Ainsi PARK (cité par Michel L. PP 72) parle de « cycle des relations sociales » dont la première étape est le contact entre les populations installées et les nouveaux venus, puis les relations de compétitions, conflits, ensuite l'établissement de l'adaptation et enfin l'assimilation.

S'inscrivant dans la logique de PARK l'analyse du « Ghetto » de WIRTH cité par Michel L PP 76) permet de comprendre l'intégration des communautés selon le style d'habitation qui varie d'une génération de migrant à l'autre. Par conséquent, s'ensuit pour Jean Luc RICHARD (P.208) une ségrégation spatiale des populations et certaines zones d'habitation sont des motifs de stigmatisation qui entraînent des discriminations (cité par Michel L. PP 72).

Partant de ces analyses, l'intention de ce chapitre est de comprendre d'une part comment la relation à l'habitat fonctionne comme un élément structurant des rapports intergroupes et notamment les relations autochtones - migrants, d'autres parts comment les valeurs culturelles et les normes de la société d'accueil contribuent à la fabrique de l'autochtonie dans le champ de ces relations sociales ?

IV.1. Style d'occupation spatiale et processus d'étiquetage social

Les communautés migrantes reproduisent dans les zones d'accueil la société d'origine dès leur installation. En raison de leur faible dotation en ressources économiques, ces groupes optent premièrement pour des abris de fortunes avant l'intégration finale. Cependant de nos jours la forme de l'habitat est utilisée par les autochtones Krobou comme marqueur pour produire la différenciation sociale.

Selon certains autochtones: « (...) les Baoulé et Agni, eux, ils n'aiment pas construire, mais je pense que pour qu'ils construisent, il va falloir leur attribuer des lots sinon ils occupent des établissements éparpillés, parsemés au milieu de tout le monde. Ils construisent des maisons mais, ce ne sont pas des maisons décentes. Et ce sont surtout les Baoulé et les Agni qui font cela. Ils sont là dans les bas-fonds derrière nous. Quant aux Burkinabé c'est propre parce qu'il y a longtemps qu'ils sont nos frères, ils occupent le site du village et ils ne peuvent pas s'amuser à construire en « Papo ». Mais les Baoulé et les Agni avancent qu'ils n'ont pas les moyens pour le moment. Alors qu'ils s'en vont construire dans leurs villages respectifs. C'est un peuple gourmand (..). Nous avons avec les Baoulé et les Agni une forte ressemblance de nos valeurs culturelles. On est du même grand groupe AKAN, ce sont les communautés les plus pacifiques du village. »

« Les Baoulé et les Agni sont des travailleurs, ils ne sont pas paresseux, c'est pourquoi ils aiment habiter dans les campements. Ils n'aiment pas la ville comme nous autres. Mais ils ne construisent pas en dur ici parce qu'ils sont à une heure ou deux heures de route de chez eux. Ils préfèrent construire chez eux.». Discours allogène.

A travers ces discours, il ressort que les autochtones produisent à la fois une tendance d'inclusion et une tendance d'exclusion des Baoulé et les Agni à leur communauté ; inclusion par un discours sur le partage d'une expérience historique commune, le sentiment d'appartenance au grand groupe Akan ainsi que sur la similitude de certaines valeurs culturelles (le langage par exemple). Ce qui justifie le fait que l'interlocuteur qualifie les Baoulé et les Agni de groupes les plus « Pacifiques ».

En revanche, le stigmate de l'habitat précaire des Baoulé et Agni suscite la production d'un discours d'exclusion à l'égard de ces groupes « ils aiment trop campement (...) Ce sont des gourmands ». Ce modèle d'habitat (habitat en "papo") étant perçu comme non conforme au style moderne, les autochtones n'autorisent leur construction que dans des endroits périphériques le plus souvent marginalisés. Les termes « bas-fonds », « campements », « collines » sont le plus souvent employés pour désigner les sites habités par les migrants, c'est d'ailleurs ce prétexte « d'habitat non moderne » qui a été évoqué pour "déloger"les Burkinabé anciennement installé aux abords du centre-ville pour leur attribuer un nouveau site sur les "collines" (actuel Dioulabougou).

« Nous, avant notre arrivée sur ce site, on abattait les anciens pieds de caféiers et de colatiers pour construire nos maisons, personne ne savait qu'on serait un jour au milieu du village (...) mais à ce moment, Jules KOFFI était au pouvoir, c'est lui qui nous a dit d'aller sur le site que nous occupons, il a envoyé des machines et a démoli nos maisons. Mais ce n'étaient pas de bonnes maisons ».

Ainsi la construction d'un motif pour justifier la disqualification des migrants passe par la production d'une image négative de l'espace habité. Et cette image négative est captée par les migrants et restituée à travers un processus de redéfinition de leur statut social. Les migrants fonctionnent dès lors au point de vue individuelle et collectif comme des personnes ou entités à statut inférieur par rapport aux autochtones. Ici l'enjeu porte sur la domination symbolique par une fabrique d'inégalité interethnique qui se consolide à travers les processus d'interdiction d'accès aux ressources disponibles. Le jeu interactionnel étant déterminé par des conditions structurelles telles que les relations de classe et la répartition des statuts sociaux et du pouvoir.

IV.2. Les interdits comme style symbolique de production de l'autochtonie.

L'aspect le plus apparent du processus de production de la domination symbolique est l'institution traditionnelle qui vise à interdire l'élevage du cabri et sa consommation sur les terres Krobou.

« Nous avons un seul interdit ici c'est le cabri. Je ne me suis pas fait expliquer le pourquoi. Mais lorsqu'on était enfant, le cabri ne passait même pas dans le village. Si un chauffeur s'entêtait et qu'il traversait le village, on le huait et après la traversée, le cabri mourrait et une pluie venait immédiatement effacer les traces. (...). Mais avec la religion (le christianisme), certains estiment qu'il s'agit d'une croyance animiste, contraire à la foi chrétienne. Mais ils en ont souvent pour leur compte et même nous sommes en train de tabler sur le cas d'un proviseur à la retraite qui est décédé cette année (2008) après avoir consommé le cabri. »

Il ressort de ce discours que les individus adhèrent à cette institution sans chercher à comprendre les raisons de son existence.

Le récit de l'interdiction de consommer le cabri fonctionne comme un mythe dont la fonction est de forger par consensus une acceptation sociale commune de la réalité présente. L'interdit ici apparaît comme un élément sacré doté d'une valeur emblématique au double sens d'attribut substantiel et de possession (Schwartz, cité par Poutignat et Al).

Le discours sur les sanctions liées à sa profanation joue un rôle de production d'attitude communautaire d'affirmation d'une identité collective puisque l'individu qui s'en soustrait encourt une peine allant jusqu'à la mort. Ce rôle unificateur des interdits communautaires, DURKHEIM, l'avait déjà souligné dans les formes élémentaires de la vie religieuse sous le vocable du totémisme. Pour lui «  l'origine première du totémisme est la reconnaissance du sacré. C'est une force impersonnelle, anonyme, diffuse, immanente et transcendante qui guide les croyances. ». (DURKHEIM cité par Raymond ARON P 352).

Comme on le voit, l'interdiction du cabri est un élément symbolique qui consolide la pérennisation de la communauté Krobou en tant qu'entité ethnique différente des entités migrantes. Elle est productrice de sentiment communautaire et son caractère coercitif joue une fonction de mobilisation de membres.

Cependant, si elle permet la reproduction de la phratrie ou du clan des Krobou, l'interdiction du cabri a également une fonction instrumentale dans la fabrique de l'autochtonie. En effet, la migration des allochtones et des allogènes a donné lieu à l'implantation de campements divers. Certaines de ces localités sont distantes de plus de vingt (20) Km du village central, "le village noyau" c'est à dire Aboudé-Mandéké.

Ainsi pour exercer leur droit d'autochtonie sur ces localités, on assiste à la production d'un processus de légitimation à partir d'un discours sur l'interdiction d'élever le cabri sur le "sol Krobou". Ce processus apparaît comme une forme symbolique de marquage spatial. Puisque le récit mythique de l'interdiction du cabri est restitué par les Aboudé et approprié par les migrants qui observent cette prescription. Ce processus de transmission aux communautés migrantes de l'héritage sacré des Aboudé s'effectue avec la production d'un autre discours sur l'origine céleste des Krobou qui cimente l'ensemble du processus de construction sociale de l'autochtonie comme entité ethnique distincte et supérieur aux entités migrantes dans tourtes leurs composantes.

Aussi, face aux enjeux politiques qui prévalent les individus utilisent-ils d'abord des traits culturels empiriquement observables comme des symboles d'inclusion et d'exclusion. Ils se saisissement des liens matériels historiquement perceptibles à la fois comme moyens d'assignation ou d'identification des "in-group" et comme producteurs de valeurs contrastives par rapport aux "Out-group".

* 47 Koné M, op, cit.

* 48 Koné G, op, cit.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery