WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'ordre public pénal et les pouvoirs privés économiques

( Télécharger le fichier original )
par Joseph KAMGA
Université de Nice Sophia Antipolis - Master 2 recherche en droit économique 2008
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Faculté de Droit, des Sciences Politiques, des sciences économiques et de gestion

MASTER «DROIT-ECONOMIE-GESTION»

Mention : Droit Economique et des Affaires

Spécialité Recherche

DROIT ÉCONOMIQUE ANNÉE ACADÉMIQUE 2008-2009

SUJET : L'ORDRE PUBLIC PÉNAL ET LES POUVOIRS PRIVÉS
ÉCONOMIQUES

Présenté le 03 Juillet 2009 par

KAMGA Joseph
PRÉSIDENT DU JURY : Mr Jean Baptiste RACINE

3tRIIWWFut 1C'8 (iMetWilp di N11116RSKIII$ (liSRCiW

DIRECTEUR DE RECHERCHE : Mr Marc DALLOZ

Maître de FR(Epti(ceW à C'8 (iMItWilp de NTE116RSK111$ (liSRCiW

A la mémoire de mes grands parents

KAMGA Joseph et KOUKA Yvonne,

REMERCIEMENTS

Tous ceux qui m'ont fait profiter de leurs expériences et de leurs suggestions, j'exprime ici ma profonde gratitude.

À dire vrai, tant de gens ont participé à mon apprentissage au cours des années, qu'il me serait difficile de préciser ce que je dois à chacun d'entre eux. Je ne peux les nommer tous.

Je ne saurais pourtant passer sous silence ce que je dois aux enseignants du Master 2 Recherche en droit économique et particulièrement Monsieur Marc DALLOZ. M'ayant inspiré ce sujet, ses critiques bienveillantes et toujours constructives m'ont permis d'aboutir à ce travail.

Merci à mes parents et aux membres de ma famille pour avoir su m'apporter leur soutien constant.

Que soient aussi remerciés mes amis qui ont lu ce travail aux différents stades de sa composition.

Enfin, je tiens à remercier Monsieur le Professeur Jean Baptiste RACINE pour avoir accepté de présider le jury de soutenance et, plus généralement pour ses conseils pédagogiques au cours de cette année de Master.

Principales abréviations

AFDI : Annuaire français du droit international

AJDA : Actualités juridiques-droit administratif

AMF : Autorité des Marchés Financiers

Art : Article

Bull. civ. : Bulletin civil

Bull. crim. : Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de

cassation

CE : Arrr~t du Conseil d'État Cf : Confère

CNIL : Commission nationale de l'informatique et des libertés

COB : Commission des opérations de bourses

Cons. Cont : Conseil constitutionnel

C. p : Code pénal

Crim . : Chambre criminelle de la Cour de cassation

CSA : Conseil supérieur de l'audiovisuel

DC : Décision du Conseil constitutionnel

Éd : Édition

Gaz. Pal. : Gazette du palais JO : Journal officiel

L. : Loi

LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence

: Numéro

Obs. : Observations

OCDE : Organisation pour la coopération et le développement économique ONG : Organisation non gouvernementale

Op. cit. : Opere citato (ouvrage précité)

P. : Page

P.A. : Petites affiches

PUF : Presses universitaires de France

Rev. Sc. Crim. : Revue de sciences criminelles et de droit comparé Rev. Sociétés : Revue des sociétés

RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil

RTD com : Revue trimestrielle de droit commercial

s. : Et suivant

Somm. Sommaire

T.G.I. : Tribunal de grande instance

SOMMAIRE

Introduction 1

Première Partie : L'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques 7

Titre I : Les enjeux de l'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques 8

Chapitre 1 : t 1- IiRNFV O'NÇ1- P 1-Vll1-N(1- SIRt1-FtVRÇ E1- lE IigNFtNr1- dN P EUFKp«««««««10
Chapitre 2 : La régulItVRÇ rpSI1-IiIiVY1- d1-Ii TFt1-NLIi dN P lrFKp«««««««««««««18

Titre 2 : Une régulation pénale déficiente des pouvoirs privés économiques 30

Chapitre 1 I t IRTEE1- SNElVF SpÇTl IiNEIit/ÇtV1-E d1- 1p4NlatVRÇ (1-Ii SRNYRVrIi SIVYpIi
pFRÇRP VIN1-Ii««««««««««««««««««««««««««««««MMM 31

Chapitre 2 1 8 Ç 1-ÇFEG1-P 1-Çt SpÇIl IRIP 1-l VÇ1-fI1-F\V/ ('1-ÇdrRVt G1-Ii SRNYRV1Ii SrVYpIi

pFRÇRP VIN1-Ii««««««««««««««««««««««««««««««« 45

Conclusion de la Première partie 55

Deuxième Partie : Le nécessaire redéploiement du droit pénal économique.

Titre I : Le redéploiement du contenu .56

Chapitre I : t lVÇtp4IDVRÇ E1- lIRSSRrtNÇVtp pFRÇRP VIN1- SEE l1- GERVt SpÇD«««MMM.. 57

Chapitre II : Le recentrage du droit pénal économique face aux pouvoirs privés

pFRÇRP VIN1-Ii«««««««««««««««««««««««««««««MMMMMM 69

Titre II : Le redéploiement de la mise en oeuvre du droit pénal à l'encontre des pouvoirs privés économiques 83

Chapitre I : t 1- r1-FIEra41- d1- lIRIIVF1- 1pSI1-IiIiV1 11-Ii aNtRrVtpIi d1- 1p4NlatVRÇ«««««««M 84

Chapitre II : t lVÇt1-lÇatVRÇUEVIiIIVRÇ dN URVt SpÇIlM ««««««««««««««««.92

Conclusion de la deuxième partie««««««««««««««««««««««1Di
Conclusion générale«««««««««««««««««««««««««««MMIDI

INTRODUCTION.

Au contact des affaires, les interdits de nature répressive ont été généralement ressentis par les acteurs du jeu économique comme une agression des pouvoirs publics. Destinés à renforcer les règles ordinaires applicables au jeu économique, ils sont cependant fortement influencés par l'ordre public économique autour duquel est construit le droit économique et dont on doit la systématisation à M. Gérard FARJAT1. L'ordre public économique est la manifestation même de la place du droit en économie de marché, fondée sur l'auto ajustement de l'offre et de la demande par les prix. Pour assurer le respect effectif des dispositions de cet ordre public économique, le législateur a fait recours aux dispositions de nature pénale. C'est la raison d'être du droit pénal économique. On en est arrivé à la coexistence de deux ordres publics en droit économique : l'ordre public économique et l'ordre public pénal. Ces deux catégories sont destinées en économie de marché à l'encadrement d'une catégorie particulière d'acteurs économiques : les pouvoirs privés économiques. Ces derniers constituent l'un des pôles les plus actifs de l'économie mondialisée.

L'ordre public économique est considéré comme le siège des valeurs qui, en raison de leur caractère fondamental, sont soustraites aux initiatives individuelles des acteurs du marché2. C'est le moyen par lequel l'Etat intervient dans l'économie en réprimant les conventions qui portent atteinte à ses intérêts essentiels et à ceux du marché, tout en faisant prévaloir l'intérJt général économique sur les intérr~ts particuliers des différents acteurs économiques. Il convient de noter que l'ordre public économique revr~t le caractère d'une règle d'exception en économie de marché. Le principe étant toujours la liberté du commerce et de l'industrie consacrée par le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791 qui dispose qu' « il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouvera bon ». #172;~ l'intérieur de cet ordre public, on distingue l'ordre public économique de direction et l'ordre public économique de protection. Le premier a pour objet l'orientation de l'activité économique dans le sens qui paraît conforme à l'utilité sociale3 et le second a pour finalité la protection du contractant faible. L'ordre public économique consiste en somme surtout à interdire l'organisation de l'économ ie par les acteurs privés.

1 G. FARJAT, L'ordre public économique, Paris, LGDJ. 1963

2 M. M. MOHAMED SALAH, Les transformations de l'ordre public économique : vers un ordre public régulatoire ?, in Mélanges FARJAT, Paris, éd. Frison-Roche, 1999, p.261

3 F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, spéc. n° 358, cité par M.M. MOHAMED SALAH, op. cit., p.262

L'ordre public pénal quant à lui, est considéré en droit économique comme le garant de l'effectivité de l'ordre public économique. Il représente l'ensemble des mesures prises par le législateur pour le maintien de cet ordre public. C'est ainsi qu'il s'attache aux conséquences du non respect des prescriptions de l'ordre public économique en sanctionnant les écarts et les manquements préjudiciables à l'économie. L'ordre public pénal se manifeste principalement à travers le droit pénal économique dont il est donc difficile de donner une définition synthétique. On le considère comme la branche répressive du droit économique. Le droit pénal serait donc un outil, un instrument du droit économique. Mais le droit pénal est une branche autonome du droit. Il faudrait que le droit économique renvoie lui même à quelque chose de précis, à une prescription impérative, pour que le droit pénal sanctionne les manquements y relatifs.

Quant aux pouvoirs privés économiques, expression qui n'est pas consacrée en droit positif et dont on attribue la paternité à M. Gérard FARJAT, il s'agit en fait de simples personnes privées disposant d'un pouvoir de décision unilatéral, analogue au plan substantiel à celui de la puissance publique4. Cette expression renvoie à l'ensemble des acteurs du marché qui, par le truchement de l'outil contractuel et à la faveur de la concentration du capital, organisent l'économie à leur guise. Ce sont des acteurs organisateurs de l'économie de marché, de l'économie mondialisée. On les reconnaît par les instruments juridiques qu'ils utilisent pour encadrer leurs relations avec leurs partenaires, professionnels ou non : les contrats d'adhésion ou contrats dirigés5. Leur existence bouleverse, selon M. Gérard FARJAT, les représentations juridiques traditionnelles, notamment le statut juridique des personnes privées. Mais, actuellement, c'est sur la scène internationale qu'ils paraissent sous le jour le plus cru6. C'est ici que leur influence est irrésistible dans la mesure où ils orientent le sens de la mondialisation et effritent la souveraineté des États7. Le procès de Pretoria en est la saillante illustration8. L'expression « pouvoirs privés économiques » renvoie donc dans le

4 G. FARJAT, Droit économique, 1ère éd., Paris, PUF Thémis, 1971, p. 119

5 L. JOSSERAND, « Le contrat dirigé », D.H. 1933.89

6 G. FARJAT, « Les pouvoirs privés économiques » in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle, Mélanges Ph. Kahn, Litec, 2001, p. 613

7 Nul ne peut nier aujourd'hui le fait que les entreprises orientent le sens et le contenu des normes juridiques, surtout les grands traités internationaux dont on pourra prendre les accords ADPIC comme l'exemple le plus saisissant.

8 On se souvient, le 19 Avril 2001, 39 compagnies pharmaceutiques avaient abandonné le procès intenté trois ans plutôt au gouvernement sud-africain avec la volonté de faire annuler la loi sud- africaine destinée à diminuer le prix des médicaments afin de favoriser l'accès aux antirétroviraux destinés à soigner la maladie du sida.

cadre de cette étude, aux entreprises multinationales, aux entreprises transnationales et aux grands opérateurs économiques disposant des capacités d'organisation et de contrôle de l'économie. On pourra citer comme exemples, les groupes pétroliers, les groupes de communication et d'information et plus généralement les groupes de sociétés.

De mrme, il est constaté un déplacement de la production, de l'émission des normes et de leur interprétation vers cette catégorie d'acteurs. Les Codes de conduite privés, les contrats de souveraineté ou contrat d'État et le recours généralisé à la juridiction des arbitres en matière de commerce international en sont une parfaite illustration. Les pouvoirs privés économiques, en dépit du fait qu'il ne leur est pas reconnu une personnalité internationale, se présentent donc sur la scène internationale comme des partenaires directs des États souverains. Le droit a été obligé de trouver une catégorie particulière de contrat pour régir leur relation avec les personnes publiques : le contrat d'État. Généralement utilisé dans le cadre d'un investissement international, c'est une convention entre un État et une personne privée étrangère qui se caractérise par la soustraction totale ou partielle à l'ordre juridique de l'État contractant.9 C'est l'influence de ces nouveaux pouvoirs qui aurait poussé M. Gérard F ARJAT à s'interroger sur leur caractère hérétique10 .

En dépit de la robustesse et du statut de pouvoir des acteurs économiques, il se trouve qu'ils sont des sujets de droit et devraient en toute logique être assujettis à des interdits sociaux, incarnés par le droit pénal dont il a été précisé l'utilité en droit économique. Les pouvoirs privés économiques sont donc des sujets de droit pénal, d'où l'intitulé de ce sujet : « l'ordre public pénal et les pouvoirs privés économiques ». Il a été démontré que l'ordre public pénal est en fait l'ensemble des dispositions de nature répressive qui s'applique en réaction à la méconnaissance des prescriptions de l'ordre public économique par un acteur du marché. Etant donné que les pouvoirs privés économiques sont les acteurs du marché les plus en vue, ils devront faire l'objet d'une attention particulière, surtout en cette période de déterritorialisation des activités de production et de mondialisation de l'économie. Confrontés donc au droit pénal, les pouvoirs privés économiques redeviennent des sujets de droit comme les personnes physiques et sont par principe susceptibles d'rtre sanctionnés pénalement. La règle étant la responsabilité pénale générale des personnes morales.

9 J.-B. RACINE et F. SIIRIAINEN, Droit du commerce international, Dalloz-Sirey, 2007, p. 138, n° 212

10 G. FARJAT, « Les pouvoirs privés économiques » in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle, Mélanges Ph. Kahn, Litec, 2001, p. 615. L'auteur poursuit en disant qu'ils sont hérétiques dans le système politique (la démocratie), dans le système économique (le marché) et dans le système juridique (l'autonomie de la volonté).

Toutefois, les faits ne révèlent pas une application ordinaire des dispositions du droit pénal aux manquements de ces acteurs particuliers aux impératifs posés par l'ordre public économique. Il paraît que le droit pénal ne s'applique à eux qu'exceptionnellement. La jurisprudence n'offre que quelques cas définitivement jugés. Il semble que l'application du droit pénal soit concurrencée par un autre mode de règlement des différends beaucoup plus consensuel : la transaction. La transaction serait le mode approprié d'évitement de la voie pénale, ce qui permet de dire que l'action publique, à l'encontre des acteurs de l'économie mondialisée n'a pas la mrme vigueur qui la caractérise lorsqu'elle est à l'épreuve des personnes physiques. Le problème est donc celui de la vigueur du droit pénal à l'encontre des pouvoirs privés économiques. Le droit pénal s'applique t-il aux pouvoirs privés économiques de la mrme manière qu'elle se déploie à l'encontre des personnes physiques ? Le droit pénal saisit-il les agissements des entreprises opérant hors du cadre territorial de leur siège social avec la même efficacité que celle qui caractérise la répression des manquements aux dispositions du droit interne ? Il se pose un problème : celui de l'efficacité du droit pénal à l'endroit des agents privés de l'économie mondialisée.

La juxtaposition des expressions « ordre public pénal » et « pouvoirs privés économiques » peut donc sembler paradoxale au vu du climat de défiance et d'hostilité des acteurs du marché par rapport à la répression, mais aussi au vu de leur aspiration à accéder au statut de véritable pouvoir. Cette association se révèle cependant indispensable au regard du rôle primordial du droit pénal dans la régulation des comportements des sujets de droit. Le rôle du droit pénal dans la construction de l'État de droit n'étant plus à démontrer, il serait mal venu que le droit pénal cède le pas à « la raison du marché » corollaire contemporain de ce qui fut « la raison d'État ». Les efforts ont déjà été faits dans ce sens. La consécration de la responsabilité pénale générale des personnes morales constitue une avancée en droit interne, mais elle n'est pas encore la panacée11. Les mr mes efforts doivent rtre faits à l'échelle internationale. Certes, divers instruments internationaux ont été adoptés pour réguler par la voie répressive les pouvoirs privés économiques. Il en est ainsi de la Convention internationale sur la criminalité transnationale organisée, négociée et signée sous l'égide des Nations-Unies le 15 novembre 2000, ouverte à signature et signée par la France à Palerme le

11 Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité

Voir aussi, J. PRADEL, Droit pénal comparé, Dalloz, 2ème éd. 2002, p.357, n°242, E. MATHIAS, La responsabilité pénale, Gualino éds, 2005, p.194

12 décembre 2000 et réprimant plusieurs infractions à l'instar du blanchiment d'argent12. Il en est de même de la Convention de l'OCDE sur la corruption d'agents publics étrangers signée à Paris le 17 décembre 1997 et la Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption adoptée lors la conférence de l'Union à Maputo, le 11 juillet 200313.

On constate donc en l'apparence, un foisonnement de dispositifs répressifs destinés aux acteurs économiques, pôle actif de l'économie mondialisée. Mais le défaut d'existence d'une juridiction internationale, voire mondiale, chargée de mettre en oeuvre les prescriptions de l'ordre public économique et donc de sanctionner ou de faire sanctionner son inobservation affaiblit l'ordre public pénal et le désarme de sa capacité à construire une économie de droit. En plus, la globalisation de l'espace économique et la progressive dilution des frontières revigorent l'enjeu mrme d'un ordre public économique ordonné et donc d'une sanction répressive coordonnée des inconduites des acteurs du marché telles que les pratiques anticoncurrentielles, la corruption transnationale et les infractions de droit commun telle les atteintes graves à l'intégrité et à la santé des populations. Ces dernières infractions, généralement commises à l'occasion de la délocalisation des activités à risque dans les pays à systèmes institutionnels et juridiques faibles, semblent être un terrain privilégié sur lequel le droit pénal pourrait réguler les pouvoirs privés économiques. L'atomicité des acteurs et l'unification de l'espace économique appelle donc à l'harmonisation des approches et la coordination des sanctions. #172;~ défaut d'une sanction coordonnée, le risque de développement de la délinquance transnationale des acteurs économiques pourrait se multiplier. Les régulations nationales semblent donc insuffisantes et ne pourraient, pas par elles-mêmes, réguler l'espace économique qui, progressivement, s'unifie. En ce sens, on aurait pu penser à la compétence de la Cour pénale internationale, comme compétence subsidiaire à défaut d'une compétence nationale particulière. On se rend vite compte que cette juridiction ne peut pas, en l'état actuel du droit, rtre d'un secours salutaire à la régulation répressive des acteurs du marché globalisé. Le repli sur des solutions de droit interne semble donc rtre l'unique piste réaliste et praticable en l'état actuel du droit. Mais pour que le droit pénal interne soit d'une efficacité réelle, il faudrait qu'il intègre les réalités du phénomène qu'il servira à réprimer. Le droit pénal devra donc s'adapter pour affronter et réguler les pouvoirs privés économiques.

12 Voir Rapport du Sénat pour la session ordinaire de 2001-2002, annexé au procès verbal de la séance du 31 janvier 2002, consultable sur http://www.senat.fr/rap/l01-200/l01-2001.pdf 13 http://www.africaunion.org/Official_documents/Treaties_Conventions_fr/Convention%20sur%20la %20lutte%20contre%20la%20corruption.pdf

Pour la régulation des pouvoirs privés économiques, le droit pénal, discipline réaliste, discipline des valeurs, paraît d'une importance particulière. Le respect des valeurs en droit économique dépend donc de sa capacité à sanctionner les écarts et les manquements des acteurs du nouvel espace économique qu'offre la mondialisation. Le droit pénal international économique14 semble plutôt défaillant actuellement face à la réitération constante des comportements économiques répréhensibles, mais surtout avec le dévoiement de l'action pour l'application des peines par la généralisation du règlement transactionnel des préjudices qui trouvent leur siège dans les incriminations pénales. Le présent travail a donc pour objet de révéler les déficiences de l'ordre public pénal en droit économique en général, mais surtout son inadaptation à la répression des pouvoirs privés économiques.

Ainsi, il convient de dévoiler les insuffisances du droit pénal lorsqu'il est mis à l'épreuve des pouvoirs privés économiques tout en essayant de démonter qu'il y a cependant des satisfactions à certains points, même si elles restent à parfaire. Cependant, le statut des acteurs qu'il doit réguler et les implications de la mondialisation semblent obliger le droit pénal à faire sa mue et à s'adapter, au risque d'rtre inefficace. Il convient donc d'ébaucher les différentes pistes de repositionnement de l'ordre public pénal dans le même contexte que les pouvoirs privés économiques.

Il convient donc de faire un examen de l'état de l'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques (Partie I) avant celui de l'opportunité d'un redéploiement du droit pénal en réponse au statut de cette nouvelle catégorie de délinquants (Partie II).

14 G. GIUDICELLI-DELAGE, Droit pénal des affaires en Europe, PUF Thémis Droit, 2006.

Première Partie : L'encadrement répressif

des pouvoirs privés économiques.

La mondialisation et la concentration favorise l'accroissement de la taille des entreprises et la diminution corrélative de leur nombre ou la concentration des pouvoirs de décision au sein des centres de décision. On assiste à l'émergence des pouvoirs privés économiques, disposant des prérogatives similaire à celles jusque là reconnues aux seules personnes publiques. En dépit de cet émergence, le principe reste le même : l'État seul est irresponsable pénalement. Même ses démembrements sont responsables à certaines conditions au regard du plan pénal. La conséquence en est que toutes les personnes de droit privés sont responsables au regard du droit pénal : les pouvoirs privés sont eux aussi responsables au regard du droit pénal et le sont pour toutes les infractions depuis la généralisation de la responsabilité des personnes morales depuis la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite loi PERBEN II. Les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement (en tant qu'auteurs ou complices) toutes les infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

Les pouvoirs privés économiques entrent dans le champ d'application de cette loi en ce sens qu'outre les fait qu'ils ont dans un grands nombre la personnalité juridique, donc une existence juridique, condition de la responsabilité pénale, ils pourraient être mis en cause par l'établissement de la complicité de commission d'une infraction. Dès lors, même sans personnalité juridique, le droit offre des possibilités au juge répressif d'établir la responsabilité pénale des pouvoirs privés économiques.

Cette généralisation de la responsalité pénale des groupements traduit donc une certaine méfiance du législateur à l'endroit de cette catégorie d'acteurs. Il convient alors, de montrer les enjeux liés à l'encadrement répressif des pouvoirs privés économique (Titre I). Ces enjeux permettront de mesurer l'ampleur du déploiement du droit pénal à l'encontre des personnes morales en général et des pouvoirs privés économiques en particulier. Ce qui permettra de cerner le cadre, le domaine de l'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques (Titre II).

Titre I : Les enjeux de l'encadrement répressif des pouvoirs
privés économiques.

Le développement exponentiel de la délinquance économique, favorisé par la dérèglementation du système économique et la mondialisation des échanges commerciaux, porte gravement atteinte au système économique et financier tel qu'il fonctionne dans l'économie libérale, caractérisée par la toute puissance du marché. L'économie de marché est alors un système économique dans lequel les mécanismes naturels du marché assurent une auto ajustement de l'offre et de la demande par les prix. Les économistes l'opposent à l'économie planifiée. Le rôle ou l'intervention de l'Etat doit rtre la plus réduite possible. Le droit doit se limiter à veiller au respect des conditions nécessaires au bon fonctionnement du marché. Les principaux acteurs du marché sont alors des agents économiques privés avec une prédominance des personnes morales sur les personnes physiques.

Le développement de ces acteurs leur a permis de s'octroyer la quasi-totalité des prérogatives de puissance publique, tel le commandement, l'unilatéralisme et les pouvoirs d'organisation de l'économie. Ce qui a permis à un auteur de les qualifier de pouvoirs privés économiques15. A l'image des pouvoirs publics, ces acteurs constituent aujourd'hui le pôle le plus attractif de l'économie mondialisée. Avec les concentrations de ces dernières décennies, les entreprises sont devenues transnationales alors que les régulations restent principalement nationales. Leur puissance économique leur ont permis de s'affranchir de la conception traditionnelle de certaines catégories juridiques telle la libre concurrence, l'autonomie de la volonté16. C'est pourquoi une branche particulière du droit, le droit de la concurrence, s'est, selon M. Gérard FARJAT, développé contre eux17.

Ainsi, avec le retrait de l'Etat de la sphère économique et le rayonnement de la loi du marché, il devenait alors indispensable que les règles du marché soient strictement appliquées et que toutes les violations soient fermement sanctionnées et au besoin par les moyens

15 G. FARJAT, Pour un droit économique, PUF, 2004, p. 25

16 M.-A. FRISON-ROCHE, Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats : RTDCiv., 1995, pp. 573 et s.

17 G. FARJAT, op. cit., p. 68

répressifs. La délinquance économique est devenue un fléau et le législateur a opté pour les moyens répressifs comme garantie d'effectivité des règles ordinaires.

Présentée comme un mal qui aurait pour effet de décourager l'esprit d'entreprise et de faire perdre le goût du risque, moteurs du développement économique et financier pour les entreprises18, la pénalisation du droit des activités économiques n'a jamais autant été dénoncée19. Pourtant son principe même ne semble pas remis en cause en ce sens que le droit pénal est le seul gage d'effectivité et d'efficacité20 de l'ordre public économique face à la recherche illicite du profit : motif fondamental de la délinquance économique de certains grands groupes. De par sa fonction dissuasive, l'ordre public pénal participe à l'affirmation des valeurs en droit économique. Valeurs qui sont par hypothèse subjectivement extérieures aux acteurs21 mus par leurs intérêts égoïstes. C'est en incriminant les atteintes et les manquements caractérisés à l'honnr~teté, à la transparence, à l'intégrité, à la probité et à la loyauté (valeurs fondamentales de l'économie de marché) que l'ordre public économique sera mieux garanti. Vecteur de valeur éthiques, l'ordre public pénal participe d'une meilleure protection du marché (chapitre 1) et de la moralisation des acteurs du marché (chapitre 2) bien que d'aucuns le considèrent d'ailleurs aujourd'hui comme anormalement envahissant22 .

18 J.-P. DINTILHAC, La pénalisation de l'activité économique et financière, In « la justice pénale face à la délinquance économique et financière », Dalloz, 2001, p. 3

19 Voir la littérature abondante favorable à la dépénalisation du droit des affaires et le discours du chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, du 06 septembre 2007 à l'occasion du bicentenaire du Code de commerce au tribunal de commerce de Paris. Ce discours peut être consulté sur www.elysee.fr/documents

20 M.-A. FRISON-ROCHE, Avant propos de « Les enjeux de la pénalisation de la vie économique », Dalloz, 1997, p.2, « Le droit pénal est la plus formidable des portes et il ne faut pas craindre de l'ouvrir à deux battants. Elle débouche sur l'ensemble du système juridique, sur ses dysfonctionnements profonds, sur les cassures du droit des sociétés, sur les faiblesses de l'institutions judiciaire civile »

21 C'est A. SMITH qui à travers sa théorie de la « main invisible » caractérise les acteurs économiques en ces termes : « Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intériJts. Nous ne nous adressons pas à leur humanisme, mais à leur égoïsme... »

22 Y. GUYON, « De l'inefficacité du droit pénal des affaires », Revue Pouvoirs, 1990, N°55, P.41

Chapitre 1 : Le souci d'une meilleure protection de la

structure du marché.

Le droit de la répression des comportements économiques néfastes tire sa légitimité des failles de l'encadrement de la structure concurrentielle du marché par les prescriptions du droit du marché. La répression est donc un instrument de réalisation des fins que le législateur assigne au marché. En effet, le principe de non ingérence de l'Etat dans les affaires, lui-même imposé par l'Union européenne dès le milieu des années 1970 l'empr che d'intervenir a priori. Ne pouvant plus intervenir de manière préventive, l'Etat est en droit de se rabattre sur la sanction pénale a posteriori pour imposer aux échanges commerciaux un minimum de moralité.

Garant de la pérennité de l'économie de marché, l'Etat, émetteur exclusif des normes pénales et détenteur exclusif du monopole de la contrainte et de la violence23 est en devoir de sanctionner, et ce, au moyen du droit pénal, les comportements déviants des opérateurs du marché dont les pouvoirs et la taille ne cessent de croître du fait de la concentration. Ceux d'entre eux qui abusent de la liberté du commerce et de l'industrie en enfreignant les règles de jeu de l'économie de marché (l'auto-ajustement de l'offre et de la demande). La nécessité de la dissuasion pénale est d'autant plus actuelle que le pouvoir des opérateurs économiques est devenu suspect et échappe à l'emprise juridique d'un Etat pris isolément. Disposant de techniques sophistiquées pour organiser l'économie, certains grands acteurs économiques se dissimulent derrière la façade de la personnalité juridique des différentes entités du groupe et des techniques d'intégration économique pour échapper à la répression. Le droit pénal protège les pouvoirs privés économiques en ce que les infractions commises à leurs endroits sont sanctionnées au même titre que celles commises au détriment d'une personne physique. Mais, il s'attache aussi aux infractions commises à leur bénéfice ou commanditées par eux. C'est ainsi que pour protéger la concurrence, le droit pénal réprime les pratiques restrictives de la concurrence et encore plus sévèrement les pratiques anticoncurrentielles. Le déclin de la Loi, et le respect spontané que chacun doit en avoir, est sans doute la cause première d'un recours

23 M. WEBER définit l'État moderne par le monopole de la violence physique légitime. Cela signifie qu'en interdisant l'usage privé de la violence, l'État se réserve l'exclusivité du recours à la violence, ou à la contrainte justifiée, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières, Le Savant et le Politique, 1919, trad. Freund, « 10/18 », 1963, p. 124-126.]

au droit pénal pour protéger la structure du marché. Le marché devient ainsi une valeur sociale protégée au mrme titre que la vie, l'intégrité physique des personnes et des biens. Le droit pénal est donc un moyen, plus efficace que d'autres, pour obtenir des acteurs économiques, rationnels et maximisateurs, le respect de l'ordre public économique et partant les règles du jeu de la libre concurrence.

L'ordre public pénal apparaît donc comme un ordre public subsidiaire à l'ordre public économique en ce qu'il permet de lutter contre les dérives de la macro-spéculation (sect. 1) et les fraudes de toute sorte au détriment de la collectivité publique (sect. 2).

Section I-- La lutte contre la macro-spéculation.

Il est un principe en économie de marché que les prix sont le fruit du rapport entre l'offre et la demande, donc fixés librement. Affirmée solennellement par l'ordonnance du 1 er décembre 198624 en son article 1er , la liberté des prix n'a de sens que dans un marché à structure concurrentielle. Or, le marché est de nos jours contrôlé par les ensembles économiques disséminés en multiples entités juridiquement autonomes, mais obéissant à une même orientation industrielle et économique : celle du centre de décision. Celui-ci peut être la société mère pour ce qui est des filiales dans le cadre des groupes de sociétés ou le pôle intégrateur, pour ce qui est des réseaux commerciaux et de sous-traitance. Autant dire qu'au lieu d'avoir face à face plusieurs concurrents, le marché se caractérise de nos jours par la concentration et la diminution substantielle du nombre des acteurs économiques, ce qui favorise les risques d'ententes délictueuses et d'abus de marchés (abus de position dominante et de dépendance économique). Dépourvus de personnalité juridique nationale et internationale, les pouvoirs privés économiques dont les sociétés transnationales sont l'emblème, jouissent d'une capacité économique leur permettant de contrôler les prix, voire de les imposer tout comme il a été démontré à travers la théorie de la filière inversée que ce sont les entreprises qui imposent les produits aux consommateurs et non l'inverse25 .

24 L'Ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

25 J. K. Galbraith, Le Nouvel État industriel, essai sur le système économique américain, Gallimard, 1967, cité par L. BOY, Droit économique, Lyon, L'Hermès, 2002, p.26, n° 35

Pour remédier aux dérives et excès de certains de ces acteurs économiques, le droit doit, et en particulier le droit pénal, sévir contre la pratique des prix illicites (§ 1) et des prix faussés (§ 2).

§1- La répression des prix illicites.

Les prix illicites, objet de l'incrimination de l'article L. 420-1 du Code du commerce, sont à l'ère contemporaine, l'apanage des pouvoirs privés économiques. Par leur capacité à contrôler le marché de la production, des investissements en passant par les débouchés et les sources d'approvisionnement, les pouvoirs privés économiques sont une menace potentielle pour le consommateur et pour les concurrents moins lotis. Les prix illicites sont des prix obtenus par des procédés étrangers au jeu de l'offre et de la demande. Pour anéantir au mieux le concurrent en effet, tous les moyens ou presque sont utilisés. Le législateur ne pouvait évidemment pas rester insensible : le « laisser-faire » étant la pire des politiques. Les entreprises les plus puissantes ayant réussi à éliminer tous les concurrents vont finir par soumettre le marché à leurs diktats. Ce qui met en péril non seulement l'équilibre économique, mais fragilise aussi l'indépendance du pouvoir politique et institutionnel. Afin de parer tout risque d'abus, l'arme pénale serait la meilleure dissuasion possible.

Toutefois, dans un système à dominante libérale, le champ des interdits doit être sérieusement dosé et mesuré. C'est ainsi que le droit répressif français, dans une optique de protection de la libre concurrence au profit des consommateurs, a incriminé la pratique des prix imposés. C'est par l'article 34 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 intégré au Code de commerce sous l'article 442-5 que le législateur punit cette pratique d'une amende de 15 000 € toute personne qui impose, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien, au prix d'une prestation de service ou à une marge commerciale. Cette infraction est d'une utilité importante dans un marché à structure de plus en plus oligopolistique, voire monopolistique. Ceci se comprend si on se souvient de l'origine et du fondement de l'incrimination. A la fin de la 2ème Guerre mondiale, de nombreux fabricants ou grossistes imposaient aux détaillants les prix de revente de leurs produits. De ce fait, la concurrence était muselée dans sa détermination des prix, sans compter un frein à toute baisse de ceux-ci.

Malgré la précision de cette incrimination, les pouvoirs privés économiques, centrales d'achats et autres grands distributeurs ont trouvé une autre parade pour imposer les prix aux détaillants. C'est par la pratique des « prix conseillés », non incriminé formellement, que les opérateurs dominants du marché maintiennent artificiellement les prix à un niveau leur assurant une rentabilité maximale. En fait, les prix dits conseillés sont généralement un masque des prix imposés et peuvent dans certaines circonstances constituer de véritables stratégies d'ententes prohibées26.

Les manoeuvres artificielles de maintien de prix sont substantiellement constitutives d'atteintes au bien-être des consommateurs. Le législateur se doit d'r~tre attentif et réactif d'autant plus que le nombre de concurrents a tendance à dégringoler et le marché se concentre à un rythme irréversible27.

Si le droit pénal n'appréhende que les prix imposés sous l'empire des prix illicites, il se déploie beaucoup plus contre les prix faussés.

§2 - La répression des prix faussés.

Toujours dans la logique de protéger le consommateur, maillon terminal de l'échange économique, et de méfiance à l'endroit des opérateurs dominants du marché, le droit pénal est tout aussi sévère quant aux altérations artificielles et spéculatives relatives aux prix. C'est ainsi que toute manoeuvre spéculative destinée à troubler la détermination des prix par le jeu d'un rapport normal entre l'offre et la demande tombe sous le coup de la loi pénale. A cet effet, l'article 52-1 de l'ordonnance de 1986 érige en délit l'altération des prix ou l'action illicite sur le marché

Ainsi qu'il a été démontré à la lumière de la théorie de la filière inversée de l'économiste John Kenneth Galbraith, le résultat du jeu des prix échappe substantiellement au consommateur. Les hausses ou baisses artificielles des prix sont l'apanage exclusif du distributeur, procédant d'une altération des prix intervenant au-dessus ou au-dessous des prix qu'aurait déterminé le résultat du jeu naturel de l'offre et de la demande. De telles manoeuvres constituent des comportements économiques frauduleux et blâmables dont s'est saisi le droit pénal.

26 V. ainsi Crim. 25 nov. 1991, G.P. 1992, 1, somm. 166, obs. Doucet, à propos des prix conseillés sous peine de rétorsions commerciales.

27 Par exemple, dans le secteur des conserves de légumes en France, 185 entreprises se partageaient le marché en 1985 ; cinq ans plus tard elles n'étaient plus que huit.

C'est pour cela que l'article 52- 1 de l'ordonnance de 1986 précitée incrimine quatre types de comportements. Il en va des informations mensongères ou calomnieuses, des offres jetées sur le marché destinées à troubler les cours et ce dans un but spéculatif, des suroffres faites aux prix demandés par les vendeurs. C'est ainsi qu'il avait été jugé que constitue des suroffres punissables le fait pour un laitier d'avoir offert aux producteurs de lait cinq centimes par litre de plus que le prix pratiqué dans sa région et d'avoir ainsi déterminé une hausse nullement demandée par les producteurs28.

Toutefois, les prix peuvent être faussés aussi et surtout par des procédés tels les ententes abusives et les positions dominantes abusives, manoeuvres contre lesquelles le droit pénal se déploie de manière très énergique29. C'est pourquoi l'analyse des enjeux de l'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques tenant aux atteintes aux intérêts de la collectivité publique sera utile.

28 Crim. 17 dec.1931, G.P. 1932, 1, 430.

29 Cf. infra

Section 2- Le souci de préserver le financement public.

« La manière la plus simple de gagner de l'argent est de ne point en perdre30». Ce propos est largement vérifié et semble être le maître-mot des pouvoirs privés économiques. Obnubilées par la recherche effrénée du profit et de la croissance, les grandes entreprises ont une tentation généralisée à enfreindre les règles du marché. En procédant à des externalisations des activités du groupe tout en intégrant les sous-traitants et aux délocalisations, les pouvoirs privés économiques manifestent leur désir d'échapper aux charges. Il arrive généralement que des infractions soient commises au cours de ces opérations d'évitement des charges.

C'est ainsi que les fraudes tant fiscales (§1) que douanières (§2) sont commises par les grandes entreprises au quotidien.

§1 : Les fraudes fiscales.

Disposant de nombreuses entités liées économiquement à leur centre de décision, mais juridiquement autonomes et disséminées dans des systèmes juridiques différents, les grands groupes multiplient les procédés d'évitement fiscal. C'est ainsi qu'en conférant à certaine de leurs entités la nationalité d'un pays à fiscalité complaisante voire inexistante, les grands groupes participent d'une véritable opération d'évasion fiscale qui n'est en soi pas interdite. Le fait pour chaque pays d'évaluer en permanence ses régimes fiscaux et ses dépenses publiques en vue de procéder, si nécessaire, à des ajustements pour améliorer l'investissement incite les pouvoirs privés économiques à des délocalisations d'activités. Lorsqu'elles ne sont pas faites dans les pays où le droit social est largement attrayant, les délocalisations sont faites dans les pays à fiscalité avantageuses communément désignés « paradis fiscaux ». Dans la pratique, les activités de production sont localisées dans les pays à « mains d'oeuvre bon marché » et les activités financières dans les pays dits « paradis fiscaux ». Ainsi, dans les transactions du groupe, les procédés répréhensibles tels que ceux énoncés par l'article 1741 du Code général des impôts peuvent être réalisés. Il s'agit d'omettre sciemment de souscrire la déclaration fiscale dans les délais prescrits, de dissimuler volontairement une partie du

30 W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, Dalloz, 4ème éd, 2005, p. 189

chiffre d'affaires ou des bénéfices réalisés et passibles de l'impôt , d'organiser son insolvabilité ou faire obstacle par d'autres procédés au recouvrement de l'impôt, d' achats et ventes sans factures, de délivrer ou présenter des factures se rapportant à des opérations fictives et tenter d'obtenir de l'Etat des remboursements injustifiés.

Toutefois, lorsque les éléments d'appréciation d'une fraude fiscale sont avérés, la responsabilité pénale du groupe devrait être engagée en ce sens que l'entité coupable, juridiquement autonome, mais substantiellement subordonnée par son obligation de répondre à la politique du groupe, n'a agi que dans le cadre d'une action concertée. Le fait de se soustraire ou de tenter de se soustraire à l'impôt, dans un but exclusivement fiscal ou avec l'intention de frauder, peut être sévèrement sanctionné dans le cadre du groupe, il suffit juste de procéder par une analyse des faits en fonction des suggestions du groupe. La répression des fraudes fiscales des groupes de sociétés est d'autant plus actuelle dans le contexte de la mondialisation de l'économie que les échanges transfrontaliers entre filiales d'entreprises multinationales, souvent désignés sous le nom d'échanges « intra-groupe » ou « entre sociétés apparentées », représentent une part importante des échanges internationaux de marchandises, encore que des données globales ne soient disponibles que pour un petit nombre de pays, notamment les États-Unis et le Japon. Les échanges intra-groupes représentent près d'un tiers des exportations de marchandises du Japon et des États-Unis, et une proportion similaire des importations de marchandises des États-Unis et un quart de celles du Japon.31

Les manquements devraient donc être réprimés dans le cadre du groupe et non par la prise en compte de l'entité autonome juridiquement sur la tête de laquelle les éléments de la fraude sont réunis. C'est ce qui a certainement motivé l'ouverture des enquêtes préliminaires contre les groupes Total, Adidas et Michelin par la justice française pour fraude fiscale32.

Le fait est que l'économie mondiale a embrassé un cycle irréversible de dilution des espaces et le droit pénal fiscal devrait en tenir compte tout comme le droit pénal douanier.

31 Source OCDE 2002

32 Le quotidien Le Point du 01 Avril 2009, édition électronique consultée le 01 avril 2009 sur http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2009-04-01/elf-michelin-adidas-ouverture-d-une-enquetepreliminaire/9 16/0/330959

§ 2- Les fraudes douanières.

Se situant dans le prolongement de la lutte contre la fraude fiscale, la lutte contre la fraude douanière a ceci de particulier qu'elle protège aussi les intérrts financiers de l'Union européenne. C'est ainsi que L'article 280 du Traité CE prévoit que les États membres sont tenus, pour combattre la fraude au budget communautaire, de prendre les mêmes mesures que celles prises pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers. Dans ce contexte, l'enjeu économique lié à la lutte contre la fraude se décline dans plusieurs domaines : un enjeu en termes de contrôle de la réglementation économique communautaire, un enjeu fiscal, un enjeu en matière de lutte contre la criminalité organisée qui prend de nos jours diverses facettes, en termes de protection du consommateur et en matière d'économie souterraine.

Dans un contexte d'économie dirigée par les grands groupes et les centres d'intérrts économiques, la lutte contre la criminalité organisée par voie douanière revêt des grands enjeux. Tout d'abord, en tant qu'administration spécialisée, la douane dispose des moyens d'investigations dont ne dispose pas le juge répressif, ce qui milite en faveur d'une coopération fructueuse entre les deux institutions. C'est ainsi que, conscient des enjeux d'un encadrement répressif des échanges et respectueux des principes du droit pénal pour pallier cette carence, le législateur, par la loi du 6 août 1975, a confié les affaires de cette nature à des juges spécialement formés regroupés au sein de juridictions spécialisées en matière économique et financière. Les difficultés de mise en oeuvre de cette loi ont entraîné à la fin des années 1990 le recours à des assistants spécialisés. Ce qui fait de l'institution de la douane un acteur privilégié de la justice pénale. Cela est justifié par le soutien que la douane apporte au juge répressif dans le contrôle de la loyauté des flux commerciaux des pouvoirs privés économiques. Notamment en luttant contre les contrebandes, importations et exportations sans déclaration, les services de douanes contribuent à lutter contre les blanchiments de capitaux.

Toutefois, pour que les infractions puissent rtre constituées, l'intention délictuelle, c'est-à-dire la mauvaise foi, doit être caractérisée. Cela relève d'une loi du 8 juillet 1987 qui est venue modifier l'article 369 du Code des douanes (Le régime ancien énoncé à l'ancien article 369 du Code des douanes n'exigeait aucune faute particulière, c'est-à-dire aucune intention délictuelle. Les infractions étaient alors « matérielles » : la matérialité des faits suffisait à caractériser l'infraction. Désormais, la mauvaise foi est nécessaire à la constitution

de l'infraction. La bonne foi pourra ainsi rtre prouvée en cas d'erreur sur la matérialité des faits (par exemple le conducteur d'un véhicule ignore qu'il transporte des marchandises devant être déclarées) ou bien sur la licéité des faits (erreur de droit).

En cas d'infraction douanière, la mauvaise foi de l'auteur est alors présumée, c'est-à-dire que l'autorité de poursuite n'aura pas à la démontrer (à l'inverse des infractions de droit commun). Cela est justifié par les nécessités de la répression bien que remis en cause par l'article 6 § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mais cela reste une présomption simple et le prévenu pourra ainsi prouver sa bonne foi.

Selon l'article 439 du Code des douanes, lorsqu'un même fait constitue plusieurs infractions douanières, seule la plus haute qualification pénale doit être prise en compte. Ceci en application du principe de la plus haute expression pénale. Cependant, lorsqu'un même fait constitue une infraction douanière et une infraction de droit commun, une infraction fiscale ou cambiaire, il y a alors cumul de qualifications et donc cumul de sanctions.

Le droit pénal douanier pourra donc constituer un important levier de contrôle des pouvoirs privés économiques en ce sens que les tendances sont plutôt à la faveur d'une intensification des échanges entre les entités d'un mrme groupe situé dans les espaces juridiques différents. L'encadrement répressif de la structure du marché ne pourra rtre efficace que si les acteurs eux-mêmes sont régulés

Chapitre 2 : La régulation répressive des acteurs du marché.

La question de la régulation répressive des acteurs du marché renvoie à l'épineuse question de la responsabilité pénale des acteurs du marché. Il a été signalé le jeu auquel se prêtent ces acteurs. Rationnels et maximisateurs selon l'expression de Gary Becker, les agents économiques excellent dans l'exploitation abusive des failles des législations pour faire du profit, ce au mépris des considérations éthiques et morales33. Lorsque le rapport coût-avantage est en leur faveur, ils n'hésitent pas à violer les textes, voire à commettre des infractions.

Moins compliquée lorsqu'il s'agit des personnes physiques, la responsabilité pénale des personnes morales est plus que jamais une question d'actualité. D'autant plus qu'elle est consacrée en France et est générale, les mutations de l'économie semblent orienter vers l'élargissement de son champ. Les pouvoirs privés économiques, nouveaux acteurs réels de la sphère économique, semblent être diversement encadrés par le droit pénal. Il faut d'entrée de jeu préciser que nulle part les incriminations pénales ne les visent expressément. Toutefois, les éléments utilisés par le législateur pour renforcer la nécessité de la répression permettent de conclure que le droit pénal s'intéresse, certes imparfaitement, à eux.

Cela est perceptible lorsque le législateur répressif entend moraliser les acteurs- décideurs du marché (section 1) et protéger d'acteurs faibles (section 2).

Section 1- La moralisation des décideurs du marché par le droit pénal.

Il s'agit non seulement des acteurs personnes morales (§1), mais aussi des acteurs personnes physiques (§2).

33G.-S. BECKER, « Crime and punishment : An Economic Approach », Journal of political Economy, vol. 76, 1968, pp. 169-217, cite par T. KIRAT, F. MARTY, Économie du Droit et de la Réglementation, Gualino Eds, 2007, p. 25

§ 1- Les personnes morales.

Véritables instruments de commission de nombreux délits, l'admission de la responsabilité pénale des personnes morales est encore loin d'rtre universelle34. C'est ainsi que dans un grand nombre de pays, cette responsabilité est exclue à titre de règle générale35. Il convient tout de même de signaler que partout les personnes morales sont civilement responsables des dommages causés par leur fonctionnement mrme. Mais cela n'intéresse pas le droit pénal.

Longtemps en Europe, seule l'Angleterre a connu ce type de régulation des entreprises36. Aujourd'hui, ce principe connaît un regain de vitalité37. Même si la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales ne résout que partiellement le problème de la responsabilité pénale des pouvoirs privés économiques, il s'agit tout de mrme d'une avancée dont la société se satisfait et sur laquelle elle devrait s'appuyer pour combler les lacunes au regard des mutations économiques.

Dépassant le vieux débat de la réalité ou de la fiction des personnes morales avec lesquelles Gaston JÈZE est réputé n'avoir jamais déjeuné, le législateur pénal a entendu responsabiliser les acteurs économiques par la dissuasion répressive. Sur divers fondements, les législations consacrant la responsabilité pénale des personnes morales les encadrent soit directement soit indirectement38. Dans les systèmes procéduraux opportunistes (à poursuites facultatives), les choses semblent moins satisfaisantes pour la répression dans la mesure où le poursuivant peut soit choisir de ne poursuivre que les personnes physiques surtout s'il s'agit d'une infraction intentionnelle soit de ne poursuivre que la personne morale. C'est ce qui ressort de l'article 121-2 du Code pénal français qui consacre la responsabilité pénale des personnes morales pour les « infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou

34 J. PRADEL, Droit pénal comparé, Dalloz, 3ème éd. 2008, p. 164

35 C'est ainsi que sur des fondements divers, les législations des pays comme l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Russie, voy, J. PRADEL, op. cit, p. 165

36 partir d'un arrrt important de 1842, Rv. Birmingham and Gloucester Railway Co. 3 KB 223, arrêt ne concernant que les infractions règlementaires (regulatory offences).

37 C'est le cas de la France en 1994 (art. 121-2 CP), de la Hollande en 1953 (art.51 CP), Norvège en 1991 (art. 48-a et 48-b CP), Finlande en 1995 (chapitre 9 CP), Estonie en 1998, Belgique en 1999 et Suisse en 2002 et dans beaucoup de pays de l'espace OHADA tel le Cameroun.

38 La thèse du ricochet soutient que la personne morale est responsable pénalement, mais indirectement de la faute pénale commise par une personne physique, « pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

La thèse de la faute autonome, quant à elle voudrait que les personnes morales soient responsables pénalement et directement sur la seule base de leurs vices d'organisation et de fonctionnement, mrme si nulle personne physique n'a préalablement été reconnu responsable ou tout simplement identifiée.

représentants »39. Ici, les personnes physiques sont une alternative de la répression. Ce qui n'est pas le cas dans le système de la responsabilité directe où l'accent est mis sur la seule personne morale, responsable indépendamment de tout individu. L'article 51 du Code pénal néerlandais rappelle que la poursuite peut viser soit la personne morale, soit ceux qui ont ordonné ou laissé commettre l'infraction soit les deux à la fois.

Dans toutes les hypothèses de responsabilité pénale, l'objectif du législateur est d'éviter que les entrepreneurs puissent évaluer le risque pénal a priori. C'est ce qui justifie que le cumul de responsabilité entre personne physique et personne morale soit présent dans les deux systèmes de responsabilité pénale des groupements. Toutefois, le législateur ne procède que par touches ponctuelles. Il ne vise pas directement les groupes.

Faire abstraction de la responsabilité pénale des groupes de sociétés auxquels la loi ne confère aucune personnalité juridique est justifié dans la forme, mais au fond cette démarche est de nature à dénuer le principe même de la responsabilité pénale des personnes morales de toute efficacité. Ainsi qu'il a été démontré, les pouvoirs privés économiques sont en général des groupes de sociétés et des centres d'intérrts économiques dont l'emblème est le défaut de personnalité juridique40. A la lecture du droit répressif français, les pouvoirs privés économiques ne sont pénalement responsables que s'ils jouissent d'une personnalité juridique. C'est le cas des grandes sociétés qui comme des sociétés de taille moyenne sont responsables pénalement.

Les pouvoirs privés économiques sont mieux encadrés par les droits répressifs néerlandais41 et anglais42 en ce sens qu'en plus de rechercher la faute dans les agissements des organes (l'assemblée générale, le conseil d'administration, le directoire, le conseil de surveillance) ou des représentants (ce sont des individus comme le directeur général de l'rtre moral ou son gérant), le juge répressif pourra remonter au point central de décision. Il a été démontré que dans les groupements, les dirigeants, bien que juridiquement autonomes, sont substantiellement subordonnés au centre de décision du groupe. Au nom du réalisme du droit pénal, la responsabilité pénale du centre de décision devrait être engagée, en ce sens que la capacité réelle d'engager les entités du groupement, de définir la politique du groupe,

39 Voir Loi n° 2000-647 du 10 Juillet 2000 : « la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3. »

40 G. FARJAT, Pour un droit économique, op. cit., p.77

41 L'article 51 § 3 CP décide que sont sur le même pied la personne morale et « la société qui n'a pas la personnalité juridique »

42 L'IÇerpretation Act de 1978 décide que le mot groupement désigne non seulement les personnes morales, mais aussi tout unincorporated association (groupement n'ayant pas la personnalité morale).

appartient aux responsables qui occupent les postes les plus élevés en général, au détenteur du pouvoir de contrôle du groupement. Celui là même qui définit la politique du groupe. Cette démarche est déjà celle adoptée par le droit pénal administratif à l'instar du droit de la concurrence43. En prenant l'exemple de la participation d'une filiale dÇn groupe à une entente économique, il est normal que ce soit le groupe auquel appartient l'entité qui paye les amendes sur son chiffre d'affaire annuel mondial.

La prise en compte des centres de décision des pouvoirs privés économiques permettrait de faire la jonction entre les vrais décideurs et les acteurs immédiats d'une infraction pénale portant atteinte aux valeurs du marché44. Cela participe d'une logique à la fois dissuasive et rétributive.

Toutefois, la moralisation des pouvoirs économiques n'est réellement efficace que si les personnes physiques sont pénalement visées.

§ 2- Les personnes physiques.

Les personnes physiques sont des agents qui animent et agissent dans l'intérr~t et pour le compte des êtres moraux que sont les personnes morales. Ces personnes physiques sont donc une catégorie particulière de délinquants au regard des délinquants ordinaires. Ce qui leur vaut la qualification de « délinquants à col blanc ». C'est l'américain Edwin Hardin SUTHERLAND qui a le premier employé l'expression « White-collar crimes »45. Le langage savant utilise l'expression « crime en col blanc » pour le distinguer du crime ordinaire appelé « crime en col bleu » par référence aux infractions commises par les travailleurs subalternes. Il s'agit d'infractions subtiles commises par des personnes que leur statut social éminent place a priori au dessus de tout soupçon. Elles devraient être réprimées avec la plus grande rigueur, dès lors qu'elles sont le fait de personnes ayant abusé de leur situation privilégiée. Elles sont en général des personnes d'un niveau social assez élevé mettant à profit leurs connaissances théoriques et professionnelles pour commettre des infractions d'astuce. C'est surtout contre

43C'est ainsi que pour réprimer les atteintes aux règles de la concurrence, les autorités de la concurrence prennent en compte le chiffre d'affaire non de l'entité incriminée, mais celui du groupe tout entier.

44 G. Farjat, op cit. p. 68

45Ed.H. SUTHERLAND, White Collar Crime, 2007, New York, Holt-Rinehart-Winston

eux que le droit pénal économique se déploie. Profitant de leur connaissance de la législation et de l'ignorance des victimes, les délinquants à col blanc profitent des défaillances de la législation pour commettre des infractions et organiser leur impunité. Malins par hypothèse, les délinquants d'affaires ne se dressent pas ouvertement contre l'ordre public ; ils l'utilisent insidieusement.

Ainsi dans le cadre des personnes morales dont elles ont en charge la gestion quotidienne, les personnes physiques sont portées à commettre des infractions, qui, comme celles commises par les délinquants classiques, doivent être réprimées pénalement. C'est ce qui fait dire que leur responsabilité pénale est la rançon de leur puissance économique46. La responsabilité pénale des personnes physiques pour des infractions commises dans le cadre économique est justifiée par le souci d'efficacité de la sanction pénale. C'est pour cela que le législateur concentre tout l'arsenal de la sanction pénale sur la personne du chef d'entreprise en sa qualité de mandataire de la personne morale.

C'est contre le chef d'entreprise et toute personne ayant un pouvoir dans la gestion de l'entreprise que le livre quatrième du Code de commerce se dresse. C'est par la menace des peines d'emprisonnement et d'amende que le législateur entend moraliser et rendre vertueux les personnes physiques qui font profession d'agents économiques. Il le fait en incriminant les vices de création, de fonctionnement et de dissolution des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés anonymes, des sociétés en commandite, par actions simplifiées, des sociétés européennes et aux valeurs mobilières émises par les sociétés par actions. Mais il est tout aussi important de relever que la responsabilité pénale des personnes physiques a été atténuée par la loi Fauchon en date du 20 juillet 2000, qui a restreint la responsabilité pénale en cas de délits involontaires en modifiant l'article 121-3 alinéa 3 et 4 du nouveau Code pénal concernant les délits d'imprudence.

Toutefois, fidèle à sa logique de répression, le législateur a par le biais de l'article 245- 16 du Code de commerce, manifesté son voeu de ne pas favoriser l'impunité dans la vie économique47.

Pour ce qui est de l'appréhension répressive des personnes physiques dans leur rôle de pouvoirs privés économiques, le législateur ne vise que leur participation frauduleuse,

46 W. JEANDIDIER, op cit.

47 Art. 245-16 du Code de commerce : « les dispositions du présent chapitre visant le président, les administrateurs, les directeurs généraux et les gérants de sociétés par actions sont applicables à toute personne qui, directement ou par personne interposée, aura, en fait, exercé la direction, l'administration ou la gestion desdites sociétés sous le couvert ou au lieu et à la place de leurs représentants légaux ».

déterminante et personnelle dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre des infractions48. C'est ainsi qu'un dirigeant49 ou un simple salarié50 qui a fait montre d'un comportement frauduleux actif tombe sous le coup de l'incrimination. Les sanctions pénales sont, comparées aux sanctions administratives, plus dissuasives. Ceci vaut particulièrement pour les peines privatives de liberté, peu de directeurs ou d'employées étant enclin à courir un risque d'emprisonnement pour leurs entreprises. Par une interprétation substantielle et constructive du texte précité de l'article 245-1 6 du Code de commerce, le juge répressif pourra remonter au centre de décision du groupe auquel appartient l'entité incriminée et engager la responsabilité pénale des vrais décideurs fondée sur la complicité. Cette démarche permettra de mieux protéger la vie économique de la délinquance économique. C'est en cela que le droit pénal est protecteur des consommateurs et des petits investisseurs.

48 Voir Art. 420-6 du Code de commerce : « est puni d'un emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 75 000 € le fait, pour toute personne physique, de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et 420-2... »

49 Crim. 9 Nov. 1 995, à propos d'une entente tendant à une soumission concertée à une offre de marché public.

50 TGI Albertville, 23 oct. 2000, cité par Claudel : RTD com. 2003. 80

Section 2- La protection d'acteurs faibles.

Les pouvoirs privés économiques s'adressent aux divers acteurs de taille et d'importances variées. Ils s'adressent en premiers aux destinataires de leurs prestations : les consommateurs (§1). Ils s'adressent en second lieu aux divers investisseurs (§2).

§1- La protection des consommateurs.

Les consommateurs sont pour les pouvoirs privés économiques ce que sont les contribuables pour les pouvoirs publics. Le postulat économique est celui de la « souveraineté du consommateur », ce qui en substance n'est que de l'affichage51. Mais ne disposant pas formellement de prérogatives de prélèvement autoritaire que l'on attache aux caractères de l'impôt, les pouvoirs privés économiques vont avoir recours aux mécanismes d'incitation à la consommation. C'est ainsi que l'essentiel de leur budget est consacré à la publicité et au marketing en tout genre destinés à susciter l'adhésion des consommateurs à leurs produits. En un mot, ils créent des besoins de consommation.

Mais ces procédés sont régulés pour éviter toute dérive, tout abus. Car les abus ne manquent pas. Le consommateur étant un acteur fragile et faible du droit économique, il n'est pas excessif de le comparer à un enfant émerveillé par tout ce qui lui est proposé, étourdi par la multitude des produits et la rutilance de leur présentation, anesthésié par l'envie de posséder tout ce qui lui est offert52. Mal ou non informé, le consommateur se procurera des denrées ou des services inadéquats, voire complètement inutiles. Le meilleur moyen de lui faire garder raison est de l'informer correctement : il n'y a de vrai consentement que parfaitement éclairé. À cet effet, le droit pénal vient au secours du Code de la consommation en sanctionnant les abus portant atteinte à l'obligation positive d'informer et surtout l'obligation négative de ne pas mal informer.

Cette obligation d'informer est d'autant plus importante que le cadre contractuel tel que le voulaient les rédacteurs du Code civil n'est plus substantiellement le mrme. Les contrats de consommation ont de nos jours tous les caractères d'un règlement administratif. Véritables contrats d'adhésion, les consommateurs ne font qu'adhérer aux conditions préfixées par les prestataires sans aucun pouvoir de renégociation des clauses. C'est pour

52 W. JEANDIDIER, op. cit., p 471.

prévenir tout abus que le droit pénal punit d'amendes dissuasives les pratiques de nature à vicier le consentement du consommateur53. C'est le mrme souci qui anime le législateur quand il sanctionne l'inobservation de l'obligation de ne pas mal informer. Car ce n'est pas tout d'informer le consommateur, il faut en outre le faire correctement et surtout ne pas lui nuire.

C'est par une loi du 3 janvier 2008 « pour le développement de la concurrence au service des consommateurs», dite loi Chatel, transposant la directive 2005/29/ CE du 11 mai 2005, modifiant ainsi les articles L 121-1 et suivants du Code de la consommation que le législateur a sévi pour assainir les pratiques publicitaires des pouvoirs privés économiques. Aussi dans la même logique, la loi du 4 Août 2008 dite « loi LME » vient de créer une série de pratiques commerciales trompeuses. Ces deux textes ont pour conséquence d'élargir le champ de la répression pénale et constitue une protection accrue pour le consommateur contre les pratiques abusives.

Le résultat de ces deux textes en est que le délit de publicité mensongère disparaît au profit d'une incrimination plus vaste. L'expression « publicité fausse ou de nature à induire en erreur » disparaît pour une incrimination plus vaste : les « pratiques commerciales trompeuses». La loi nouvelle opère une distinction entre deux manières de tromper : celle résultant d'une action (article L121-1, I) et celle consécutive à une omission (article L121-1, II).

Dans la première catégorie on retrouve trois types d'infractions trompeuses : celles qui créent une confusion avec un autre bien ou service, celles qui reposent sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et celles où la personne pour le compte de laquelle elle est mise en oeuvre n'est pas clairement identifiable. La seconde est constituée par l'omission ou la dissimulation d'informations essentielles. Autrement dit, aujourd'hui comme par le passé, l'acte incriminé continue de pouvoir être constitué, au premier chef, par une publicité, même si, en outre, l'incrimination peut s'étendre à d'autres pratiques. Le délit de pratiques commerciales trompeuses reste une infraction non intentionnelle, constituée par une imprudence ou négligence, sans qu'une volonté de tromper soit requise. À la suite de l'article L. 121-1 du Code de la consommation qui définit les pratiques commerciales trompeuses, la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie a créé un article L. 121-1-1 du Code de la consommation décrivant vingt-deux situations constituant des présomptions de telles pratiques. Sont visés, notamment, le fait

53 Art. L.214-2, al.1 du Code de consommation

d'afficher un certificat, un label de qualité ou un équivalent sans avoir obtenu l'autorisation nécessaire, le fait de déclarer faussement qu'un produit ou un service ne sera disponible que pendant une période très limitée ou qu'il ne sera disponible que sous des conditions particulières pendant une période très limitée afin d'obtenir une décision immédiate et priver les consommateurs d'une possibilité ou d'un délai suffisant pour opérer un choix en connaissance de cause, le fait d'affirmer d'un produit ou d'un service qu'il augmente les chances de gagner aux jeux de hasard ou encore le fait d'affirmer, dans le cadre d'une pratique commerciale, qu'un concours est organisé ou qu'un prix peut être gagné sans attribuer les prix décrits ou un équivalent raisonnable. Toutes ces interdictions visent à restaurer la morale et le sens de la responsabilité dans l'activité spéculative en tant que celle-ci a comme levier le consommateur.

Dans la même logique protectrice du consommateur, l'incrimination de l'abus de faiblesse a pour objectif de protéger le consommateur des abus des pouvoirs privés économiques. Ainsi, s'appropriant l'incrimination de l'article 223-15-2 du Code pénal54, le code de la consommation punit sévèrement l'abus de faiblesse : « Quiconque aura abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit sera puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 9 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement , lorsque les circonstances montrent que cette personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire, ou font apparaître qu'elle a été soumise à une contrainte »55.

On constate que la répression pénale par des peines d'emprisonnement est à la mesure de l'ampleur des abus dont se rendent régulièrement coupables certains pouvoirs privés économiques. La répression pénale de ces abus est l'expression, à n'en point douter, d'un

54Cf., (Loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 art. 20 Journal Officiel du 13 juin 2001)

Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. Lorsque l'infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 750000 euros d'amende..

55 Pour une application jurisprudentielle, Crim., 1er Fév. 2000, Gaz. Pal. N° 217, pp. 18-19

encadrement répressif des pouvoirs privés économiques. Même si la portée territoriale de l'incrimination est un signe de l'essoufflement du droit pénal dans une économie de plus en plus mondialisée. Mais la loi pénale reste le dernier rempart contre les atteintes à la confiance, plate-forme sur laquelle repose le marché et en particulier l'investissement.

§ 2- La protection des investisseurs.

Les personnes morales sont des instruments privilégiés de l'économie en ce sens qu'elles mobilisent l'épargne et l'investissement. L'importance du phénomène de mobilisation du capital, qui semble irréversible au regard de la concentration croissante des entreprises, est l'emblème même des pouvoirs privés économiques. En effet, la liberté de constitution et de fonctionnement des sociétés a permis de mobiliser l'épargne des particuliers au service de la grande entreprise56. L'épargne ainsi mobilisée a permis la croissance des entreprises et provoqué des changements tant qualitatifs que quantitatifs dans la gestion des entreprises. C'est ainsi que certains actionnaires, contrôlaires, ont accaparés la gestion de l'entreprise disposant de toutes les prérogatives de propriétaire. C'est pour cela qu'on a pu parler de véritables pouvoirs privés économiques disposant d'un pouvoir de décision unilatéral comparable à celui de la puissance publique.

Gestionnaires attitrés du patrimoine d'autrui, les pouvoirs privés économiques représentent un risque réel pour les épargnants. C'est pour cela que le droit pénal s'est intéressé à eux, notamment en réprimant les abus de marché. En effet, la prolifération des entreprises sous forme de réseau et la propension des sociétés autonomes à s'intégrer dans les groupes de sociétés ne facilitent pas la protection des épargnants par le droit commun du marché. C'est à cette fin que le législateur a entendu doter de sanctions répressives les règles de formation, de fonctionnement, de financement et de dissolution du droit des sociétés, mais surtout la diffusion de fausses informations aux investisseurs et la manipulation des cours boursiers par les initiés. Bien que décrié par une doctrine dominante et les milieux d'affaires, il ne faudrait pas perdre de vue l'objectif de ces incriminations. Le législateur a entendu parer par la dissuasion pénale toute tentative de fraude préjudiciable aux épargnants, ici apporteurs en sociétés ou obligataires.

56 L. Boy, Droit économique, 1ère éd.2002. L'Hermès, p. 101

Le législateur américain a eu recourir pendant longtemps à la sanction pénale pour répondre à la tromperie des investisseurs57. De même, en 2002, afin de restaurer la confiance des investisseurs après la débkcle d'Enron, le Congrès des Etats-Unis a adopté la loi Sarbanex-Oxley (SOX) qui s'applique à toutes les sociétés cotées en bourse aux États-Unis. Cette loi punit de lourdes peines de prison la présentation de comptes frauduleux en prévoyant jusqu'à 20 ans d'emprisonnement dans certains cas.

C'est ainsi qu'en garantissant la transparence dans la constitution, le fonctionnement, le financement et même la dissolution des entreprises, le droit pénal se présente comme le gage de la confiance58 et l'instrument ultime dont disposent les pouvoirs publics pour faire en sorte que le marché ne soit pas une jungle. Au cours des dernières années, de nombreux crimes à col blanc ont eu lieu dans le monde des affaires et les montants des fraudes se sont avérés très importants, se chiffrant en termes de milliards de dollars. Tous ces crimes nuisent à l'efficacité des marchés financiers et rendent les investisseurs plus craintifs. À un certain moment, on croyait que les fraudes dans le cadre des entreprises d'envergure internationale étaient limitées à l'Amérique du Nord, avec d'énormes scandales tels qu'Enron, Worldcom et Nortel. Certains dirigeants obnubilés par le pouvoir et la richesse manipulent les chiffres comptables pour embellir les états financiers de leurs entreprises, sans penser aux conséquences désastreuses à long terme pour les investisseurs. Sans une dissuasion répressive, les épargnants ne seraient jamais à l'abri de tels scandales dont le plus récent est celui du financier Bernard MADOFF59.

Ces développements attestent que les pouvoirs privés économiques, quelles que soient leurs formes, groupes de sociétés ou entreprises multinationales représentent des risques potentiels pour les investisseurs. La preuve en est donnée par le comportement de certains dirigeants qui se rendent coupables des délits d'initié en utilisant les informations privilégiées

57 C'est ainsi qu'en réponse au crash boursier de 1929 et à la grande crise qui s'ensuivait, le congrès américain a adopté la première loi relative aux titres immobiliers : le securities act de 1935

58C. FRIED, Libéralisme et droit pénal, In « Les enjeux de la pénalisation de la vie économique » sous la direction d'A.-M. FRISON-ROCHE, Dalloz 1997, p. 101. Pour le professeur de la Harvard Law school, la confiance est le sol fertile sur lequel le marché prospère, permet l'accumulation de la richesse et assure la promotion des conditions de son échange. La loi garantit la confiance parce qu'elle est la plate-forme sur laquelle repose le marché. Et l'utilisation de la coercition, afin d'assurer les conditions de la liberté ne contrevient pas à la liberté, mais le sert en mrme temps qu'elle est requise par elle.

59 L'escroquerie dont le financier Bernard MADOFF est accusé aurait coûté entre 25 et 50 milliards de dollars à ses clients. Des investisseurs parmi les plus riches et puissants de la planète auraient été dupés, pendant des années parfois, par le gérant financier le plus en vue de New York, est accusé d'avoir mis en place une gigantesque fraude pyramidale. Il a été condamné à 150 ans d'emprisonnement ferme en instance le 29 juin 2009. Il a écopé de la peine maximale.

pour faire prévaloir leurs intérêts personnels sur ceux des épargnants60. L'article L. 465-3 du Code monétaire et financier stipule que les personnes morales peuvent être aussi déclarées responsables pénalement de délit d'initié dans les conditions prévues par l'article 12 1-2 du Code pénal. Les affaires en cours tout comme celles définitivement jugées témoignent de l'importance de la protection pénale des épargnants61. Le droit pénal est une fois de plus l'ultime voire l'unique gage de la transparence et de la confiance dans les marchés financiers et de OE mobilisation de l'épargne populaire au service de la grande entreprise.

Ces enjeux justifient à suffisance que le domaine d'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques soit judicieusement défini.

60 Voir art. L. 465-1 du Code monétaire et financier « est puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 500 000 € dont le montant peut rtre porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé sans que l'amende puisse rtre inférieure à ce mrme profit pour les dirigeants d'une société mentionnée à l'article L 225-109 du Code de commerce, et pour les autres personnes disposant à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations... »

61 Un exemple d'affaire en cours, celle dans laquelle certains dirigeants de AEDS sont poursuivis pour « délit d'initié recel de délit d'initié et diffusion d'informations fausses trompeuses au marchés financiers ». Il convient aussi de citer l'affaire Péchiney pour illustrer ce risque pour les investisseurs.

Titre 2 : Une régulation pénale déficiente des pouvoirs privés économiques.

Le droit pénal des affaires, création relativement récente, s'est développé à partir de la fin des années 1960 sous l'influence conjuguée d'un certain nombre de facteurs qui ont abouti à la situation actuelle. La tradition colbertiste et interventionniste de l'Etat français a conduit le législateur à pénaliser un certain nombre de pratiques et comportements économiques inadmissibles. C'est reconnaissant in fine les pouvoirs privés économiques sous l'appellation « d'acteurs transnationaux », que les Etats ont par divers techniques régulé sur le plan répressif leur nouveau cadre d'activité : le marché mondial.

Soucieux de doter d'un minimum d'efficacité les interdictions qui ont été imposées à ces acteurs nouveaux de ce cadre nouveau, les Etats ont choisi la voie pénale pour réprimer toute inobservation. Mais la tâche et les résultats ne s'annoncent toujours pas satisfaisants, l'analyse révèle des insuffisances dans la régulation répressive de ces nouveaux acteurs.

Quoiqu'il en soit, ces insuffisances se manifestent moins sur le plan matériel (chapitre 1) que formel (chapitre 2).

Chapitre 1 : L'ordre public pénal substantiel de régulation des pouvoirs
privés économiques.

Au point de vue matériel, le droit pénal encadre les pouvoirs privés économiques sous l'angle des atteintes à la libre concurrence, qui sont des pratiques nuisibles aux valeurs du marché (section 1), mais aussi réprime les atteintes aux valeurs non marchandes commises par les acteurs du marché (section 2).

Section 1 : Une répression perfectible des atteintes à la libre concurrence.

Ici plus qu'ailleurs, le droit pénal se montre très méfiant à l'endroit des pouvoirs privés économiques dans ce qu'ils ont de dangereux pour leurs principaux destinataires : les consommateurs et les contribuables. Les enjeux d'un encadrement accru sont réels et vitaux pour la communauté62. Plus que la répression des manquements relatifs au droit des sociétés ou du travail, le droit pénal saisi et révèle les pouvoirs privés économiques en réprimant les pratiques anticoncurrentielles (§1) et la corruption internationale63 (§2).

§1- Une répression effective des pratiques anticoncurrentielles.

Le droit de la concurrence est révélateur même des pouvoirs privés économiques. De l'avis du Professeur Gérard FARJAT, il a été inventé contre eux. Pour le démontrer, il convient d'étudier la position du droit pénal au regard des pratiques anticoncurrentielles. Le but visé par la répression ici est d'augmenter l'efficacité du droit de la concurrence.

Le choix de la voie pénale est motivé par les arguments contredisant ceux avancés en faveur de la sanction par voie administrative, jugée peu efficace. Comparées à celle-ci, les sanctions pénales sont plus dissuasives. Ceci vaut particulièrement pour les peines privatives de liberté, peu de directeurs ou d'employés étant enclins à courir un risque d'emprisonnement pour leur entreprise. Cette dissuasion peut-être mise en évidence tant droit anglo-saxon qu'en

62 Voir supra, chap. 1 du titre 1

63 F. Jenny, Corruption et pratiques anticoncurrentielles, in Pratiques et contrôle de la corruption, Association d'économie financière, J. Cartier Bresson, p. 195 et s.

droit français. C'est ainsi que la UK Enterprise Act de 2002 a introduit des sanctions pénales pour les personnes physiques seulement-et non pour les personnes morales-qui ont convenu des pratiques anticoncurrentielles avec d'autres personnes physiques. De même, par le Sherman Anti-trust Act du 2 juillet 1890, le législateur américain a tenté de limiter les comportements anticoncurrentiels des entreprises. La première section du Sherman Act prohibe les ententes illicites qui restreignent les échanges et le commerce, la seconde section sanctionne les monopoles et les tentatives de monopoliser plus connues sous l'expression d'abus de position dominante64.

Les contraventions aux dispositions du Sherman Act donnent lieu à des poursuites pénales et les coupables sont passibles d'une amende de 5 000 dollars américains et/ou d'une peine de un an d'emprisonnement. Mais, les peines prévues par le Sherman Act ont été progressivement augmentées pour atteindre 100 millions de dollars d'amende pour une entreprise et à dix ans d'emprisonnement pour une personne physique, notamment les dirigeants, ce qui est de nature à renforcer l'efficacité du droit de la concurrence. Le Sherman Act est codifié à l'article 15 (§ 1 à § 7) de l'United States Code (U.S.C.)65. C'est ainsi qu'à partir de 1982, IBM fit l'objet d'une instruction sur le fondement du Sherman Act, mais les poursuites furent abandonnées. Microsoft fut également poursuivie pour infraction au Sherman Act à partir de 1991. Les poursuites furent aussi abandonnées après une transaction en 1994 sous la présidence de George Hebert Walker Bush.

Pendant longtemps, la Cour suprême a considéré que le Sherman Act ne prohibait pas toute restriction de la concurrence, mais seulement celles qui s'avèrent déraisonnables, car tout partenariat peut être perçu comme étant une restriction à la concurrence, ce qui peut conduire à une atteinte à la liberté des commerçants. Par ailleurs, certains actes sont systématiquement considérés comme étant nuisibles à la concurrence. Il peut s'agir des ententes, qui ne peuvent, lorsqu'elles sont établies, échapper à la sanction. Toutefois, les poursuites pénales sont en général limitées aux violations intentionnelles et

64 La loi américaine porte le nom du Sénateur John Sherman de l'Ohio qui s'éleva contre le pouvoir émergent de certaines entreprises constituées en quasi-monopoles : « Si nous refusons qu'un Roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu'un Roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos produits. » L'expression d'"anti-trust" vient du fait que la proposition de loi visait à contrer les agissements d'un groupe pétrolier, la Standard Oil, qui était constitué en "trust" et non sous la forme d'une société dont les droits étaient, à l'époque, limités. Ironiquement, lorsque la Standard Oil fut démantelée, elle avait pris déjà la forme d'une société et le Sherman Antitrust Act ne s'appliqua plus guère aux trusts. Il est complété par le Clayton Antitrust Act de 1914.

65 U.S. Department of Justice: Division Antitrust - Texte du SHERMAN ANTITRUST ACT, 15 U.S.C. §§ 1-7

flagrantes notamment lorsque les concurrents fixent les prix en commun accord. C'est dans la même visée que les États-Unis, tout comme le Japon par l' « Anti-monopoly act », sanctionne pénalement la personne morale pour infraction anticoncurrentielle. La France quant à elle punit par l'article L. 420-6 du Code de commerce les pratiques anticoncurrentielles. Les personnes physiques ayant pris frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre de telles pratiques encourent 4 ans d'emprisonnement et une amende de 75 000 €. Mais à l'observation, cette incrimination n'a pas reçu une application abondante comme en atteste l'affaire des ententes illicites des opérateurs de réseaux mobiles66. Ce texte n'a reçu que de rares applications. C'est assurément pour enrayer ces divergences dans la mise en oeuvre des mesures destinées à débusquer les ententes injustifiables que l'OCDE estime que les pays devraient chercher des moyens d'accroître encore les amendes imposées aux entreprises, et envisager d'introduire des sanctions contre les individus y compris des sanctions pénales. C'est sans doute l'un des fondements sur lequel les États-Unis font pression depuis longtemps pour obtenir l'harmonisation des lois antitrust, particulièrement avec les pays qui partagent leurs objectifs antitrust et qui sont dotés de tribunaux connaissant bien ce domaine du droit. Le Royaume- Uni, l'Union européenne et les pays du Commonwealth (notamment l'Australie et le Canada) collaborent dans le cadre d'initiatives visant à coordonner les poursuites visant les cartels internationaux.

Cette démarche a pour objectif de rendre plus vertueux les opérateurs du commerce international et de préserver une saine concurrence entre acteurs de taille et d'importance inégales. Un effort en vue d'assainir le commerce transfrontalier et de faire de la loyauté le socle de la compétition commerciale débarrassée de toute corruption.

66 Décision 05-D-65 du 30/11/2005

Le Conseil de la concurrence a sanctionné les trois opérateurs mobiles, Orange France, SFR et Bouygues Télécom pour avoir mis en oeuvre deux types de pratiques d'entente ayant restreint le jeu de la concurrence sur le marché, révélées par une enquête réalisée à la suite d'une auto saisine du Conseil du 28 août 2001 et d'une saisine de l'UFC-Que Choisir du 22 février 2002. Le montant total des sanctions prononcées est de 534 millions d'euros : Orange France 256 millions d'euros, SFR : 220 millions d'euros, Bouygues Télécom : 58 millions d'euros.

§ 2-Une répression de la corruption transnationale en devenir.

Tout comme les pratiques anticoncurrentielles, la corruption est constitutive de fraude à la saine concurrence, elle porte atteinte aux règles du jeu du marché. Elle est chargée de beaucoup d'autres vices au regard du droit pénal. Portant gravement atteinte à la libre et égale compétition entre opérateurs dans le commerce international, la corruption apparaît de nos jours comme le plus grand fléau du commerce international : « il apparaît désormais que les besoins du commerce international demandent davantage d'égalité entre les concurrents »67. Ce phénomène n'est plus exclusivement national, il trouve un écho dans les relations économiques tant nationales que transnationales.

La multiplication des échanges, fruit de l'internationalisation de la vie des affaires, donne lieu à une véritable guerre économique. Les arguments de vente ne correspondent plus qu'en partie aux règles du marché : échange des contrats contre la protection militaire et diplomatique, corruption des dirigeants d'entreprise, de l'administration et de l'élite politique. Les opérateurs du commerce international en avaient fait un véritable mode de gestion des relations commerciales internationales, les pots-de-vin à l'étranger étant même déductibles fiscalement dans certains pays exportateurs. Le contexte juridique jusqu'ici n'était que national puisque ce n'était que par le biais des législations nationales que la corruption pouvait être réprimée.

Trouvant un terrain d'élection favorable dans la compétition commerciale internationale, caractérisée par l'importance des gains pour lesquels bataillent les grandes entreprises entre elles, la corruption nuit gravement au jeu concurrentiel censé départager les acteurs. Et James Wolfensohn de déclarer : « la corruption détourne l'argent vers les plus riches, accroît le coût de toutes les activités, provoque de graves distorsions dans l'utilisation des ressources collectives et fait fuir les investissements »68. Ce propos est fondé sur le fait que dans les rapports entre les investisseurs et les responsables des pays d'accueil des investissements, les entrepreneurs ne sont plus en situation de concurrence permettant à chacun de donner le meilleur de lui-même afin de remporter le marché, ce dernier étant tronqué par un intermédiaire, des pots-de-vin, des versements sur un compte à l'étranger.

67 M. Delmas-Marty, "Les figures de l'internationalisation en droit pénal des affaires : aplanir le terrain de jeu", in : Rev. sc. crim., octobre-décembre 2005, n° 4, doctrine, p.735-738.

68 http://www.rfi.fr/Kiosque/Mfi/Economie/Developpement

C'est certainement parce qu'elle entrave gravement le développement du commerce international, en faussant la concurrence, en majorant les coûts de transactions et en sapant les fondements des marchés libres et ouverts, que ce fléau constitue l'un des axes dans lequel le droit pénal a révélé les pouvoirs privés économiques. En effet, la corruption a fait peur aux Etats, en termes de coût, notamment aux États-Unis. Suite aux scandales, parmi lesquels l'affaire Lockheed, les américains ont mis en place une législation relative à la corruption dans les affaires internationale s69. La prise de conscience initiale fut donc américaine avec en 1977 l'adoption du « Foreign Corrupt Pratice act »70.

Des progrès ont été récemment faits au sein de l'organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE) avec la signature le 17 Décembre 1997 d'une convention réprimant la corruption d'agents publics étrangers entrée en vigueur le 15 février 1999. En effet, étant dans une situation délicate, les Etats-Unis ont de ce fait à plusieurs reprises fait pression sur l'Europe à agir dans le domaine de la corruption. Ce n'est qu'au niveau de l'OCDE que les mesures ont pu voir le jour. Sans doute, l'OCDE a constaté que dans leurs relations avec les pays du Sud ; les entreprises se battant pour obtenir des contrats importants ne s'interdisent rien71.

A l'évidence, les conséquences de la corruption sont donc graves pour la société internationale en ce que les entreprises vertueuses seraient évincées de la compétition si rien n'est fait. C'est pourquoi, les autorités de différents pays ont réaffirmé leur volonté d'enrayer ce fléau. Et comme pour tout ce qui touche au commerce international, les mesures énergiques ont été prises sous la pression des États-Unis. C'est ainsi que l'OCDE s'est donnée pour cheval de bataille la lutte contre une forme particulière de corruption : la corruption d'agents publics étrangers en vue d'obtenir ou de conserver un marché. Elle s'adresse à tous les partenaires commerciaux en ce sens que désormais toute corruption en vue d'obtenir un marché à l'étranger sera un délit passible des mrmes types de peines que la corruption d'agents publics nationaux. Et l'originalité de la convention réside mrme au niveau de la

69 En 1975, il a été révélé que la société américaine Northrop a versé 45 millions $ de commissions à Adnan Kashoggi pour obtenir des contrats d'armements en Arabie Saoudite. Suite à cette affaire, le patron de Lockheed avait reconnu avoir versé 100 millions de $ de commissions dont les principaux bénéficiaires étaient des agents publics saoudiens.

70 Motivé par l'idée selon laquelle la corruption est un frein au développement du commerce américain, qu'elle est un frein au développement du tiers monde, mais surtout qu'elle est un obstacle à l'appropriation par les entreprises américaines des marchés à l'étranger. Une estimation évaluait à 65 milliards de $ le total des commissions versées sur 169 contrats internationaux. Trente six de ces contrats auraient échappé aux entreprises américaines pour une valeur de 11 Milliards de $ à cause des commissions qui auraient versées par leurs concurrents et les auraient rendu « hors course ».

71 L'OCDE s'attaque à la corruption, in l'Observateur de l'OCDE, n° 216, Mars 1999, p51-52.

définition large d'agents publics étrangers : ce pourra être une personne investie de l'autorité publique au sens strict et au sens large. C'est ainsi que sont assimilés aux agents publics étrangers, les dirigeants d'entreprises publiques ou d'un monopole désigné par une autorité publique, mais aussi les responsables de toute entreprise dans laquelle une autorité publique exerce une influence dominante.

La spécificité de cette convention est le fait qu'elle soit la seule à disposer de nos jours d'un mécanisme de suivi chargé expressément du respect de sa mise en oeuvre72. Un mécanisme de suivi qui s'est donné tous les moyens pour remplir les objectifs d'efficacité73 . Rapidement transposée en droit positif français, l'incrimination de la corruption d'agents publics étrangers fait l'objet de l'article 435-4 du Code pénal qui réprime de 10 ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende « le fait de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour obtenir d'un magistrat, d'un juré ou de toute autre personne siégeant dans une fonction juridictionnelle, ou d'un arbitre ou d'un expert nommé soit par une juridiction, soit par les parties, ou d'une personne chargée par l'autorité au sein d'une organisation internationale publique, qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction de sa mission ou de son mandat, en vue d'obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu du commerce international... Toutefois, pour éviter que cette disposition ne soit instrumentalisée pour déstabiliser les concurrents et servir de fondement aux constitutions de parties civiles abusives, les poursuites ne peuvent rtre exercées qu'à la requête du ministère public. C'est ce qui ressort de l'article 435-6 du Code pénal (issu de la loi n°1598-2007 du 13 novembre 2007 en matière de corruption d'agents publics nationaux et internationaux) qui prévoit que « la poursuite des délits mentionnés aux articles 435-1 à 435-4 ne peut être engagée qu'à la requête du ministère public, sauf lorsque les offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques sont soit proposés ou accordés à une personne qui

72 P. Cavalerie, La Convention OCDE du 17 décembre 1997 sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, in AFDI 1997, p. 609-625

73 epuis l'entrée en vig ect et de l'application de la
Convention par les Parties, ainsi que la formulation de recommandations d'action spécifiques destinées à faire avancer les travaux de lutte contre la corruption transnationale des Parties se sont déroulées en deux phases. La première phase de ce processus a été la législation des Parties sur la lutte contre la corruption : à savoir les lois d'application afin de déterminer si elle satisfaisait aux normes définies dans la Convention. La deuxième phase du suivi, ouverte en 2001, rend compte des structures mises en place pour faire respecter cette législation et évalue leur efficacité. La Phase 2 a également élargi le champ du suivi afin de tenir compte plus pleinement des aspects de la lutte contre la corruption transnationale qui ne relèvent pas du droit pénal, notamment les exigences en matière de comptabilité et de vérification des comptes et la non-déductibilité fiscale des pots-de-vin.

exerce ses fonctions dans un des Etats membres de l'Union européenne ou au sein ou auprès des Communautés européennes ou d'un organisme créé en application du traité sur l'Union européenne, soit sollicités ou agréés par une telle personne en vue de faire obtenir une décision favorable, ou d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction ou facilité par ses fonctions ». Le point faible de cette incrimination est le fait qu'elle ne vise pas le fonctionnaire étranger d'un Etat non membre de l'Union européenne. Par conséquent, le législateur a exclu que des poursuites soient engagées contre des fonctionnaires par exemple des pays africains, parfois coupables de faits de corruption préjudiciables pour l'économie et le bien-être des populations locales74. La convention de l'OCDE ne se déploie que contre la corruption passive.

Pour ce qui est de la mise en oeuvre de cette interdiction de corruption d'agents publics, la jurisprudence française n'a pas encore d'affaire définitivement jugée. Néanmoins, une retentissante affaire est en cours, encore au niveau de l'information judiciaire et concerne le géant pétrolier Total75. L'entreprise est mise en cause dans plusieurs affaires de corruption d'agents publics étrangers dans l'obtention des contrats d'exploitation de gisements pétroliers en Irak, en Iran et au Cameroun76.

Le droit pénal n'est pas en reste à l'endroit des pouvoirs privés économiques sur d'autres terrains à l'instar de l'écologie et des droits de l'homme. Cette fois le droit pénal vient au secours de valeurs non marchandes.

74 Voir W. Bourdo, Entreprises multinationales, lois extraterritoriales et droit international des droits de l'Homme, Rev. Sc. Crim. n° 4, 2005, p. 747-752

75 Selon l'édition électronique du journal L'expansion, l' Expansion.com du 17 Janvier 2007

76 www.rfi.fr/actufr/articles/087/article_50475.asp, www.rfi.fr/actufr/articles/086/article_49645.asp, selon un article signé par Myriam Berber et publié sur ce dernier lien, en octobre 2006, Christophe de Margerie a été mis en examen pour «complicité d'abus de biens sociaux et de corruption d'agents publics étrangers». Total doit également affronter une enqur~te sur des faits «d'abus de biens sociaux» dans le cadre de ses activités au Cameroun. S'y ajoutent une autre affaire concernant ses activités en Iran, plus d'éventuels soupçons de corruption intervenus lors de la conclusion d'un contrat gazier, en 1997, avec la société pétrolière nationale iranienne NIOC.

Section 2 : La répression pénale insatisfaisante des atteintes par les
pouvoirs privés économiques aux valeurs non marchandes.

Le droit pénal constitue également une véritable arme dissuasive à l'égard des entreprises multinationales et grands groupes de sociétés au sujet de la protection de l'environnement (§1) et des droits de l'homme (§2). Il s'agit ici de l'ordre public pénal de direction.

§1 : Une sanction pénale encore mitigée des atteintes transnationales à
l'environnement.

C'est particulièrement sur le terrain de la pollution que la responsabilité pénale des pouvoirs privés économiques est retenue. Dans leur jeu d'instrumentalisation des systèmes juridiques, les grands acteurs privés, familiers des paradis fiscaux, sont passés maître de la consommation du droit a minima. C'est alors qu'ils tentent d'exploiter les failles et les faiblesses de ses différentes branches du droit qui protègent l'environnement pour optimiser leurs résultats comptables tout en minorant les coûts de leurs activités. Le résultat en est que la criminalité environnementale est toute aussi rentable que la criminalité concurrentielle (fraudes sur les prix) faute de cadre dissuasif efficace.

C'est la raison pour laquelle des mesures ont été prises par des Etats pour criminaliser les atteintes graves au droit de l'environnement. Toutefois, parmi plus de 500 traités et autres accords internationaux relatifs à l'environnement, dont 300 environ ont un caractère régional, seuls ceux concernant les thèmes tels les déchets et substances dangereuses et la pollution marine ont une répercussion pénale pertinente à l'endroit des pouvoirs privés économiques. C'est ainsi que les différents systèmes juridiques reconnaissent leur compétence pour connaître au pénal des affaires dans lesquelles il a été porté atteinte à l'environnement et présentant un lien avec leur for.

Le procès Erika en est une illustration française. Le groupe Total et trois autres personnes physiques et morales ont été condamnés à des amendes et un total de 192 millions d'euros de réparations pour "pollution maritime" aux victimes, Total SA, comme les autres condamnés, a été condamné à l'amende maximale, soit 375 000 euros pour les personnes

morales Total SA et Rina, la société de classification, une première dans le droit français77. Dans cette affaire, la 11ème chambre du tribunal correctionnel de Paris a dans sa sentence en date du 16 janvier 2008, reconnu un préjudice écologique. L'originalité de ce verdict se trouve dans la reconnaissance du préjudice écologique qui est en fait un avertissement très sévère, une mise en garde dissuasive, qui est donné aux transporteurs inconséquents, aux bateaux-poubelles qui sillonnent les mers pour le compte des grands acteurs économiques souvent en totale impunité. Reste que le groupe Total a fait appel et que la décision définitive n'est pas encore intervenue.

Autre affaire à travers laquelle le droit pénal participe de la régulation des acteurs, est le scandale écologique survenu en République de Cote d'Ivoire impliquant la société néerlandais Trafigura78. Les faits de cette espèce non encore définitivement jugée sont saisissants : il s'agit d'un cas de transport de déchets hautement toxiques d'Europe vers la Côte d'Ivoire. La décision de transporter ces déchets est prise par la branche anglaise de la société hollandaise, le navire russe battant pavillon panaméen, « probo Koala », veut décharger sa cargaison à Amsterdam, ce que lui refusent les autorités portuaires, si des mesures de précaution ne sont pas préalablement prises. Le navire repart sans avoir pris aucune mesure de précaution et décharge sa cargaison à Abidjan, dans une décharge sauvage à l'air libre et à proximité des maisons d'habitation. Bilan : contamination causant 16 morts et plus de 100 000 victimes doublée de dommage environnemental et à la santé par le déversement de déchets hautement toxiques79.

77 C'est le verdict du tribunal correctionnel de Paris en date du 16 janvier 2008.

78 www.trafigura.com : extrait de la page de présentation du site officiel du groupe : « Trafigura est aujourd'hui l'une des plus grandes sociétés indépendantes de négoce international de matières premières. Trafigura gère l'ensemble des étapes de l'achat à la livraison de pétrole brut, de produits pétroliers, d'énergies renouvelables, de métaux, de minerais et de concentrés métalliques pour nos clients et fournisseurs du secteur industriel. Nos 1 900 employés travaillent dans 37 pays à travers le monde afin de nous apporter l'expertise locale nécessaire pour anticiper et réagir aux fluctuations de l'offre et de la demande à l'échelle mondiale ».

79 Selon un article de COULIBALY, Moussa, « Pollution : affaires des déchets toxiques : le scandale a-t-il coûté 4 milliards de francs ? », Le Patriote, n° 2080 du 5 septembre 2006. Les faits : le 2 juillet 2006, le Probo Koala, un cargo affrété par la société britannique Trafigura, spécialisée dans le courtage de matières premières et notamment, de pétrole, qui pèse 28 milliards de dollars, battant pavillon de complaisance panaméen, arrive dans le port d'Amsterdam. Le cargo est vide. Dans ses soutes, il ne lui reste que des déchets, déchets dont il aurait dû se débarrasser, selon les Conventions internationales, avant de pouvoir repartir. Mais avant de commencer la vidange des cuves, les agents maritimes constatent que les déchets, appelés slops, contiennent des éléments hautement chimiques (de l'hydrogène sulfuré responsable de l'odeur, de la soude et des mercaptans). Or dans ce cas, la procédure de déchargement et de traitement de ces déchets toxiques s'avère plus complexe et surtout plus coûteuse. La société Amsterdam Port Services (APS), en charge des opérations, exige alors 1000€ par tonne collectée au lieu des 30€ prévus dans le contrat. Le montant de la facture s'élève alors à un demi-million de dollars. Trafigura refuse, fait remonter les déchets qui avaient déjà été débarqués, et

En réaction à cette tragédie reprochée au groupe Trafigura, les enquêtes ont été ouvertes en côte d'Ivoire débouchant sur une procédure. Mais à la stupéfaction générale, la procédure pénale ivoirienne est close depuis le 22 octobre 2008 par le verdict de la cour d'assise d'Abidjan innocentant la Société Trafigura. Il faudrait rappeler que pour assurer son impunité, la multinationale a déboursé 100 milliards de FCFA (152 millions d'euros) en février 2007 pour indemniser l'Etat de Côte d'Ivoire dans le cadre d'un accord amiable. Accord par lequel les autorités ivoiriennes ont renoncé à toute poursuite contre Trafigura et qui a permis que les trois cadres de la multinationale incarcérés à Abidjan soient libérés le lendemain de l'accord80. Toutefois, les autres procédures de nature pénale ont été ouvertes en France, en Grande Bretagne et en Hollande contre la société Trafigura. Ces trois procédures sont encore pendantes81. Cette affaire démontre à suffire comment les multinationales sont invulnérables pénalement dans les pays à faible système juridique. Achetant leur honorabilité et impunité à coup de millions d'Euros. Or ces déchets en question tombent sous la convention de Bkle qui interdit les transferts des déchets des pays de l'OCDE vers les pays non membres de l'OCDE. Cette dernière hypothèse pose le problème du trafic des déchets du Nord vers le Sud qui risque de s'intensifier dans les années à venir compte tenu de l'augmentation exponentielle des déchets électroniques, chimiques et autres déchets dangereux générés en grande partie par les activités et les modes de vie des pays du Nord. Les pays du Sud sont-ils destinés à devenir les « poubelles à déchets des pays riches ?82 »

Reste que ces grands acteurs économiques ne sont toujours pas à l'abri de toute poursuite, surtout lorsqu'il leur est reproché les atteintes aux droits de l'Homme.

repart. Le PDG de Trafigura, Eric de Turckheim, prétendra après le scandale, que le prix était exorbitant et que la société APS n'offrait pas toutes les garanties certifiant qu'elle était capable de traiter effectivement les déchets. Le cargo se dirige ensuite vers l'Estonie puis rejoint les côtes du Golfe de Guinée où il a des livraisons à effectuer. Que ce soit en Guinée, au Libéria, en Sierra Leone ou au Nigeria, le navire ne peut pas débarquer ses déchets du fait de leur nature toxique. Le 18 août, il entre dans le port d'Abidjan, où il va enfin pouvoir se débarrasser de ses slops, malgré les informations que le Nigeria avait fait parvenir aux autorités maritimes abidjanaises.

80 LEXPRESS.fr, publié le 23/10/2008

81 La procédure française est fondée sur la corruption, homicide involontaire blessures ayant entraîné la mort tandis que celle hollandaise, ouverte par le ministère public, est fondée sur le non respect des engagements internationaux sur le transport des déchets toxiques. La procédure anglaise est fondée sur la class action.

82 Hoda Saliby, « Afrique et Asie, poubelles à déchets des pays riches », Courrier International, 10 mars 2007

§ 2 : La responsabilité pénale des pouvoirs privés économiques pour
atteinte aux droits de l'Homme à construire.

Le caractère sacré des droits de l'homme est l'un des fondements des actions répressives contre les puissants acteurs du marché. En fait comme tout droit subjectif justiciable, les victimes des atteintes aux droits de l'homme ont le droit de recourir à un « tiers impartial et désintéressé » selon l'expression consacrée par Alexandre Kojève pour obtenir réparation ou la sanction. Ce tiers est en principe un juge de l'État dans lequel la violation a eu lieu.

En principe donc, lorsqu'une entreprise multinationale viole les droits de l'homme, l'Etat ayant sous sa juridiction les victimes des violations aura l'obligation de la sanctionner et d'ordonner une réparation. Le droit international établit fermement que les États ont le devoir de protéger leurs ressortissants contre les violations des droits de l'Homme par des acteurs non-étatiques dans leurs juridictions, et que ce devoir s'étend à la protection contre des violations commises par des entreprises. En pratique, une entreprise multinationale sera sanctionnée pour les graves atteintes à l'environnement, la violation des normes sociales les plus fondamentales ou la violation des droits de l'homme en général lorsqu'elles sont commises sur le territoire de l'Etat du siège ou à l'égard de personnes relevant de la juridiction de l'Etat du siège. Toutefois, on observe que lorsqu'elles exercent leurs activités commerciales sur le territoire d'un Etat faible ou autoritaire ou dont l'appareil juridictionnel est aux ordres du pouvoir politique, les entreprises multinationales bénéficient généralement d'une impunité de fait pour les violations des droits de l'homme qu'elles commettent ou dont elles se rendent complices. Cette impunité de fait est le résultat d'une combinaison de deux phénomènes. D'une part, en principe, la territorialité du droit pénal exclut juridiquement la compétence de l'Etat du siège pour condamner ce type de fait83. D'autre part, l'Etat d'accueil #177; c'est-à-dire l'Etat sur le territoire duquel se déroulent les activités commerciales dans le cadre desquelles les violations ont été commises #177; ne pourra pas ou ne voudra pas sanctionner ces violations s'il est faible ou autoritaire. C'est ainsi qu'il est fréquent que les États commettent des abus et violations caractérisées de droits de l'Homme, tel le recours aux travaux forcés ; souvent avec la complicité des entreprises multinationales, ou tout au moins à leur bénéfice. La complicité de violations des droits de l'homme est invoquée lorsque l'État d'accueil des investissements bénéficie des recettes générées grkce à l'opération économique

83 Pour plus de précision, voir infra, chapitre 2 Titre 2

de l'entreprise multinationale pour commettre les exactions. C'est généralement le cas des contrats liant une société étrangère à un pays dont la destination n'est pas recommandée pour les investissements au motif de graves violations de droits de l'Homme.

C'est ainsi que, faute de demander réparation devant les juridictions du pays qui viole les droits de l'homme avec la complicité ou au bénéfice des sociétés étrangères, les victimes se tournent souvent vers les fors des autres pays avec lesquels l'entreprise multinationale a des liens économiques et juridiques importants. C'est la solution qui est en train de se dessiner avec plus ou moins de succès en droit pénal contemporain. Les victimes se plaignent généralement aux juridictions des pays d'origine de l'investisseur ou dans un pays où il est coté en bourse et dispose des intérrts économiques importants. C'est dans cette démarche que le 26 août 2002, l'avocat William BOURDON, fondateur de l'association Sherpa, agissant au nom et pour le compte de deux ressortissants birmans alléguant avoir été victimes de travail forcé de la part de l'entreprise Total sur le chantier de construction de son gazoduc Yadana en Birmanie, a déposé auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de Nanterre, une plainte avec constitution de partie civile84. Les victimes invoquent des chefs d'enlèvement et de séquestration, infraction de droit commun, à l'encontre de Thierry Desmarest (de nationalité française, directeur de la division Exploration et Production de la compagnie Total de 1989 à 1995 et Président Directeur général de Total à partir du 31 mai 1995, soit au moment des faits dénoncés), d'Hervé Madeo (de nationalité française, directeur de la filiale de

84 L'association française Sherpa a été créée en 2001 sur l'initiative de l'avocat français William BOURDON. Sherpa a pour objet essentiel de mobiliser des compétences et des savoir-faire afin d'appuyer des procédures civiles ou pénales à l'encontre d'entreprises responsables d'infractions dans les pays du Sud dès lors que la compétence de la juridiction du lieu du siège ou du principal établissement de l'entreprise peut effectivement rtre soutenue. Parmi les principales actions menées par Sherpa depuis sa création, il faut mentionner essentiellement la plainte contre l'entreprise Rougier et celle contre l'entreprise Total.

En mars 2002, l'association a déposé, au nom de sept villageois camerounais, une plainte avec constitution de partie civile à Paris, du chef de destruction de biens appartenant à autrui, faux et usage de faux, escroquerie, recel, corruption de fonctionnaire, à l'encontre des dirigeants de la société SF ID société de droit camerounais d'une part, et à l'encontre de sa maison mère la société française ROUGIE R SA, d'autre part. L'organisation non gouvernementale, les Amis de la Terre- France, s'est constituée partie civile. En août 2002, comme il sera démontré en détail, l'association a déposé une plainte au nom de quatre Birmans, victimes du travail forcé sur le Chantier Yadana, dirigé par la société française TotalFinaElf et sa filiale en Birmanie, pour crime de séquestration. Ces plaintes devant les tribunaux français ont constitué une première en France. Elles visent à démontrer que les activités commerciales des agents privés sur le territoire d'Etats autoritaires ou faibles n'est pas la garantie systématique de l'impunité.

Le site Internet de l'Association Sherpa peut rtre consulté à l'adresse suivante : http://association.sherpa.free.fr. Il offre, outre une présentation générale de l'association et de ses actualités récentes, des dossiers de presse sur les actions judiciaires en cours.

Total en Birmanie, Total Myanmar Exploration Production) et contre X. Six autres birmans se sont ultérieurement constitués parties civiles85.

Les plaignants invoquent l'article 113-6 du Code pénal français dispose que « la loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République. Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis » (principe de la compétence personnelle active). Les plaignants invoquaient cet article pour fonder la compétence des juridictions françaises.

Conscient de l'effet néfaste que la médiatisation de ce procès devait avoir sur son image et partant sur ses cours boursiers, l'entreprise Total a signé, le mardi 29 novembre 2005, une transaction amiable avec les huit Birmans qui se trouvaient à l'origine de l'enquête ouverte, le 9 octobre 2002, à son encontre au tribunal de Nanterre pour crime de « séquestration ». Selon les termes de l'accord, dont certains éléments ont été rendus publics sur le site du groupe, Total s'engage à verser une indemnisation de 10 000 euros par plaignant contre le désistement de leur plainte. Cet accord précise qu'un « guichet » est ouvert pendant six mois afin de répondre à toute demande que formuleraient les victimes des mêmes faits dans treize villages de la région86. L'affaire avait été réglée par une ordonnance de non-lieu. Autre cas de procédure contre les entreprises multinationales pour atteinte aux droits de l'homme est l'affaire qui oppose l'ONG global Witness à la firme britannique Afrimex pour complicité de crime de guerre. En effet, l'entreprise multinationale est accusée d'avoir pratiqué le commerce de minerais dans des conditions qui ont contribuées à perpétuer le conflit en République Démocratique du Congo (RDC). De mrme, il lui est reproché d'avoir clairement enfreint les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales en versant des « impôts » aux partis protagonistes du conflit depuis le début du conflit. Global Witness a pu démontrer comment les pratiques commerciales d'Afrimex ont directement contribué au financement de groupes rebelles armés pendant le conflit et partant aux graves violations des Droits de l'homme dans l'est de la République Démocratique du

85 Les plaignants sont des villageois birmans de la région du Tenasserim que traverse le gazoduc reliant le gisement de Yadana en Birmanie à la Thaïlande. Ils soutiennent avoir été contraints de « travailler sous la menace permanente de violences de la part des bataillons qui les encadraient s'ils n'exécutaient pas les tk~ches qui leur étaient assignées et affirment avoir été témoins de mauvais traitement et de violences commis par ces bataillons à l'égard d'autres travailleurs sur ce mrme chantier ». Or, ce chantier était sous la responsabilité directe de Total, notamment par le biais de sa filiale locale (Total Myanmar Exploration Production) et les militaires, auteurs des violences dénoncées, étaient, selon la plainte, engagés et rémunérés par l'entreprise multinationale Total.

86 http://www.total.com/fr/press/press_releases/pr_2005/051128_myanmar_accord_sherpa_8204.htm.

Congo87. Pour l'instant, l'affaire est encore en cours88. Les exemples des hypothèses où les victimes des exactions des multinationales dans les pays à systèmes répressifs ineffectifs utilisent le droit pénal pour demander que justice soit rendue et que les responsabilités soient établies sont légions89. Une autre affaire dont les faits ne seront développés que plus tard est l'affaire Shell/Royal Dutch à travers sa filiale Shell Petroleum development company of Nigeria. Cette affaire a été éteinte par une transaction au terme de laquelle le groupe Shell s'est engagé à indemniser les victimes des faits dont il est reproché en qualité de complice à hauteur de 15.5 millions €90.

L'insatisfaction ressentie à l'étude de l'encadrement répressif substantiel des pouvoirs privés économiques s'illustre davantage lorsque ceux-ci sont confrontés au droit pénal formel.

87 Global Witness est une Organisation Non Gouvernementale britannique qui fait campagne pour mettre un terme aux liens entre l'exploitation des ressources naturelles, les conflits et la corruption. La plainte déposée par l'ONG affirme que la société Afrimex, qui s'est livrée au commerce du coltan et de la cassitérite (minerai d'étain) pendant toute la durée du conflit en RDC depuis 1996, a versé des impôts au Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma (RCD-Goma), un groupe rebelle armé connu pour ses graves violations des droits de l'homme, responsable de massacres de civils, d'actes de torture et de violences sexuelles. Au cours du conflit, le RCD-Goma contrôlait de grandes parties des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, dans l'est de la RDC, où se trouvent des mines de coltan et de cassitérite.

88 http://www.globalwitness.org/media_library_detail.php/510/fr/global_witness_enjoint_le_gouverne ment_britannique

89 On notera entre autre l'affaire Chevron au Nigeria où un village, dont les habitants étaient hostiles aux activités de la firme, avait été attaqué par l'armée avec du matériel financé par Chevron. Attaque qui avait occasionné plusieurs morts.

90 http://www.jeunesafrique.com consulté le 09/06/09

Chapitre 2 : Un encadrement pénal formel ineffectif à l'endroit des
pouvoirs privés économiques.

Le droit pénal a la réputation d'r~tre une branche délicate, en ce sens que son arme principale est l'atteinte aux libertés. C'est cette influence sur la liberté individuelle qui a conduit le législateur à entourer sa mise en oeuvre de très grandes précautions. C'est qui a justifié le recours aux grands principes pour entourer son application. Elaborés et motivés à un moment où le délinquant était l'individu et enfermé dans un territoire, les grands principes du droit criminel sont aujourd'hui pris au dépourvu lorsqu'ils sont à l'épreuve de l'internationalisation de la délinquance. Et la situation se complique lorsqu'il s'agit de la délinquance d'affaire. Or tous les acteurs du marché sont très attachés à la liberté et à l'honneur, voire à l'image de marque. Ces derniers se sont au quotidien attachés les services des grands stratèges pour exploiter les failles du droit répressif et maîtriser le risque pénal.

Si on assiste à la timide naissance d'un droit pénal de fond à l'adresse des puissants acteurs du marché devenu global, au niveau formel, les choses semblent plutôt se gripper. C'est ce qui sera étudié en confrontant les grands principes du droit répressif aux acteurs centraux de l'économie de marché (section 1) et en les mettant à l'épreuve des critères de compétence du juge répressif (section II)

Section I : L'infléchissement des principes directeurs du droit pénal par les
pouvoirs privés économiques.

L'analyse du principe de légalité (§ 1) sera faite avant celle su principe de la personnalité des peines (§ 2).

§ 1 : L'insuffisance du principe de légalité.

Depuis la Révolution française il est admis que le principe de légalité en droit criminel, tel qu'il est énoncé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme du 26 août 1789 (« nul ne peut rtre puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée »), représente la garantie minimale pour tout citoyen de tout

pays civilisé. Selon la jurisprudence du conseil constitutionnel, « il en résulte la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire »91. La version actuelle du Code pénal français réaffirme l'adhésion du législateur à ce principe : « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement Nul ne peut rtre puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement si l'infraction est une contravention »92. La légalité juridique en matière pénale implique donc que la responsabilité pénale des pouvoirs privés économiques ne soit engagée que si l'infraction qui leur est reprochée est prévue par un texte93.

Quelques observations deviennent alors urgentes. La signification traditionnelle du principe de légalité en droit pénal comme symbole de la civilisation juridique n'est-elle pas une construction tout à fait propre à une civilisation dépassée ? Cette interrogation qui serait mal venue si on la confrontait à la liberté individuelle trouve son fondement devant une autre forme de criminalité : la délinquance transnationale. La légalité des délits et des peines semble essoufflée parce qu'elle n'offre plus une meilleure protection des individus (destinataires des prestations des pouvoirs privés économiques). La délinquance en col blanc est toujours en avance sur le législateur qui ne peut la prévoir d'avance. Dans la plupart des hypothèses, c'est toujours après coup que le législateur agit pour incriminer, il ne peut tout incriminer dans ce domaine au regard de l'importance de l'innovation et des mutations économiques.

Mais en droit pénal économique, ce principe paraît toujours rendre service aux pouvoirs privés économiques. D'autant plus que ce principe s'applique tant aux sanctions pénales qu'aux sanctions administratives94. Justifié par le souci de prévenir l'arbitraire dans le prononcé de la peine, le principe de légalité des délits et des peines implique que les éléments constitutifs de l'infraction soient définis de façon précise et complète. C'est ainsi que ne seront pas punies, les infractions qui ne sont pas prévues par la loi en raison de l'interprétation stricte de la loi pénale95.

91 Décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981, loi sécurité et liberté

92 Article 111-3 du Code pénal

93 Nul ne peut être puni pour un délit dont les éléments ne sont pas prévus par la loi. Crim. 5 Mars 2002 : Bull. crim. N° 56

94 CE, 9 oct. 1996. IR. 237 ; Dr. Adm. 1997, N° 2, note D. P.; Gaz. Pal. 1998. 2. 521 (à propos du pouvoir réglementaire de la COB)

95 C'est sur ce fondement que le procureur de la République avait requis le non-lieu dans le procès Total précité au motif que l'infraction de séquestration ne pouvait rtre étendue aux travaux forcés dont le géant pétrolier était accusé d'avoir fait recours par le biais de sa filiale locale (Total

Cette dernière expression du principe de légalité des délits et des peines est inscrite dans le Code pénal à l'article 111-4 : « la loi pénale effligei.SiPUiRgniiel » et protégée par le Conseil constitutionnel96. Ce principe, expression de la conception hautement formaliste de la légalité des délits et des peines n'offre pas la meilleure protection des individus contre les abus des pouvoirs privés économiques. La preuve en est que les incriminations ne sont pas les mêmes dans tous les espaces économiques dans lesquels opèrent les acteurs économiques déterritorialisés. Aussi, lorsque leurs agissements tombent sous le coup d'une incrimination dans un Etat faible et ne représentent pas une infraction dans le pays d'origine de l'entreprise, l'impunité de fait est assurée. La légalité des délits et des peines interdisant qu'une peine soit prononcée sans avoir été prévue par un texte. Le positivisme sous-tendu à la notion du nullum crimen sine lege emprche la mise en oeuvre efficace d'une meilleure protection des libertés individuelles. Ce qui fait que l'accueil du principe nullum crimen sine lege n'est pas non plus une condition suffisante pour atteindre des garanties efficaces contre les abus des centres d'intérrts économiques dans le domaine pénal.

De même, l'exigence de la non-rétroactivité de la loi pénale empêche que le législateur intervienne a posteriori pour sanctionner certains comportements économiques inadmissibles, mais non incriminés. Ce principe a valeur constitutionnelle97. Ce qui fait dire que les agents économiques de cette trame, disposant d'un véritable appareil de maîtrise du risque pénal, ont toute l'opportunité de commettre des infractions quitte à ce que leurs agissements soient incriminés par la suite. L'infraction aura été déjà commise et l'impunité pénale assurée en raison du principe de légalité.

Cette interprétation formaliste de la légalité des délits et des peines n'est pas partagée par les droits d'inspiration anglo-saxonne. Ici, c'est la conception « réaliste » qui est de mise, et qui appartient à la tradition juridique du common law. Le juge anglais s'accorde donc le pouvoir de « découvrir » de nouvelles infractions criminelles en dehors de tout texte législatif. Et cela se vérifie chaque fois qu'il est question de punir un comportement contraire aux bonnes moeurs ou bien nuisible pour la collectivité. Ceci est lié au fait que le système anglais n'a jamais accepté que toute infraction criminelle soit d'origine légale : en effet, il connaît des infractions d'origine jurisprudentielle (common law crimes), c'est-à-dire des infractions qui ne

Myanmar Exploration Production), avec la complicité du régime Birman, pour la construction de son oléoduc.

96 Décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996

97 Con. Cons., 19 jan. 1980, D., 1980, 249, note Auby, Crim. 17 Juin 2003, B., n°122 ; D., 2004, 92, note Daniel

trouvent pas leur siège dans un texte de loi, mais qui, jadis créées, continuent d'exister et d'r~tre appliquées. La règle du précédent appliquée aux pouvoirs privés économiques, confèrerait au droit pénal un levier important de régulation des organisateurs de l'économie. Reste qu'en pratique c'est toujours la légalité formelle qui est en vigueur dans les systèmes répressifs de droit continental. Quid du principe de la personnalité des peines ?

§ 2 : Le Principe de la personnalité des peines à l'épreuve des centres
d'intérêts économiques.

Les pouvoirs privés économiques sont caractérisés par la diversification des activités, l'autonomisation juridique des entités du groupe en charge de ces diverses activités et la concentration du pouvoir de décision au centre de décision du groupe. Or le droit pénal procède par individualisation. Et on sait le droit positif hautement attaché à la forme. Et en droit pénal en particulier, tout est forme. D'ailleurs, la règle en droit pénal, qui découle des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, est que « nul n'est punissable que de son propre fait »98.

D'évidence donc, le droit pénal de forme rend plutôt service aux centres de décision économiques, véritable firme globale éclatée en une multitude d'entités. Principalement parce que conformément à l'un des principes centraux de la discipline, l'audace n'est pas permise. L'exemple le plus saisissant est l'absorption des sociétés par les autres, les fusions- acquisitions. L'absorption d'une société, personne morale, fait disparaitre de jure sa personnalité juridique et lui fait échapper à la répression, car l'entité absorbée perd du fait de la fusion la personnalité juridique. Or en droit pénal, la perte de la personnalité juridique est une cause d'extinction de l'action publique tant chez la personne physique que chez la personne morale. La reprise de l'entité par une autre personne ne s'accompagne pas de l'héritage des délits commis par les anciens propriétaires. Les faits ne peuvent de droit lui être imputés. C'est pourquoi, le procureur général Pierre Truche parlait déjà d'un « suicide sans risque de personnes morales »99. Le juge ne peut réprimer que les comportements qui ont été préalablement défendus et les imputer à son ou ses auteurs : le principe est celui de la personnalité des peines. Or la complex ification de l'activité économique fait que

98 Con. Cons., décision n°99-411 DC du 16 juin 1999

99 P. TRUCHE, Introduction au colloque sur la responsabilité pénale des personnes morales, Rev. Société 1993, p.231

l'identification des comportements nocifs et leur imputation sont une véritable gageure dans le contexte des groupes de sociétés ou encore des groupes de fait qui procèdent par intégration contractuelle. Pour une efficace répression des excès des pouvoirs privés économiques, le principe de la personnalité des peines mériterait d'rtre revisité. Cette nécessité se sent déjà dans les décisions des juges du fond qui opposent une résistance à l'interprétation stricte de ce principe en cas d'absorption des personnes morale100. Mais reste qu'il est de droit positif. Quoiqu'il en soit, les affaires ayant mis en cause la responsabilité pénale des entreprises globales ont contribué à une prise de conscience plus aiguë de la fragilité, dans un monde ouvert, du caractère inopérationnel de ce principe à l'endroit des entreprises ayant le statut d'acteur mondial et central de l'économie101. Ces derniers ont dans leur portefeuille une multitude d'entités juridiquement autonomes, donc personnellement responsable des crimes et délits dont elles peuvent servir d'instrument de commission.

La personnalité juridique faisant défaut à certains organisateurs de l'économie, un encadrement répressif d'ensemble n'est pas possible à cause de la personnalité des délits et des peines. En effet, les pouvoirs privés économiques dépourvus de personnalité juridique ne seront qu'exceptionnellement sanctionnés pénalement. Ce sera le cas lorsqu'il sera démontré une sorte de confusion de pouvoir dans les rapports économiques du pôle intégrateur et de l'intégré, généralement coupé du marché. Il en sera aussi de même en cas de gestion de fait102. Il est peu commode qu'une entité intégrée, économiquement dépendante, conserve par devers elle le risque pénal. Ne disposant d'aucun pouvoir de décision autonome, réduit à un rôle d'exécutant, la responsabilité pénale du pôle intégrateur devrait rtre retenue si l'infraction est commise dans le cadre normal de ses rapports de dépendance à l'égard de son partenaire dominant. Comme en droit de la responsabilité civile, la responsabilité pénale pour risque- profit devrait être explorée comme piste de moralisation des pouvoirs privés économiques dépourvus de personnalité juridique.

Pour ce qui est des groupes intégrés, la position du droit pénal semble souple soit qu'elle justifie soit qu'elle punit une infraction commis dans le cadre des activités du groupe103. Ici, la jurisprudence prend en compte l'intérrt du groupe pour justifier une

100 Voir I. URBAIN-PARLÉANI, note sous Cour de cassation (crim.), 20 Juin 2000, Rev. Sociétés, oct.-déc. 2001

101 Il convient de citer entre autre les affaires Bhopal en Inde, Shell/Royal Dutch au Nigéria, Chevron au Nigéria

102 Article 245-16 du Code de commerce

103 Arrêt Rozenblum du 4 février 1985. L'existence d'un groupe résulte de la constatation « d'un lien logique minimal, en vue de la réalisation, selon une stratégie bien définie au préalable, d'un objectif économique commun, profitable à l'ensemble et par là-même à chacun de ses éléments mis dans une

infraction complètement constituée. Mais l'intérrt du groupe reste un aléa qui ne permet qu'exceptionnellement de justifier la commission d'une infraction. Ce qui a comme effet que la règle reste la responsabilité pénale de l'entité juridiquement autonome, mrme si elle sera substantiellement dépendante du centre de décision du groupe. La responsabilité pénale du centre de décision, de la maison mère est une responsabilité d'exception, par défaut. Ce n'est pas encore la règle.

Toutefois, sous d'autres fondements, tels les critères de compétence répressive, le juge peut toujours connaître des faits reprochés à une entreprise délinquante.

Section II : L'affaiblissement des critères de compétence répressive par les
pouvoirs privés économiques.

L'examen des critères qualifiés d'autarciques sera fait séparément (§ 1) de celle des apports des autres critères (§ 2).

§ 1 : Les critères autarciques bouleversés.

Ils sont au nombre de deux : la territorialité et la personnalité. La compétence territoriale, compétence générale, sera étudiée en premier lieu. Traditionnellement fondée sur l'article 3, alinéa 1, du Code civil (« les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire »), le principe est aujourd'hui consacré par l'article 113-2 Code pénal : « La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République». L'alinéa suivant précise que l'infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs à eu lieu sur ce territoire. Ce principe est justifié par l'idée de la souveraineté d'un Etat, en ce sens que l'efficacité d'un jugement est d'autant plus grande que l'infraction est jugée au lieu où le trouble social a été le plus durablement ressenti. Aussi les exigences de la bonne administration de la justice militent en faveur de la compétence des tribunaux proches du lieu de commission des faits. Ceux-ci étant les mieux placés pour rechercher les preuves et apprécier l'importance du trouble causé à l'ordre public.

structure juridique, financière et économique suffisamment précise et apparente pour faire ressortir une véritable entité »

D'autres questions plus précises se posent par ailleurs selon la législation pénale française. Les articles 113-6 et 113-12 du Code pénal, qui règlent l'application extra territoriale des lois pénales aux infractions commises à l'étranger, distinguent les crimes et les délits. Selon les cas, lorsque le crime est commis par un Français, la responsabilité pénale se prolonge hors des frontières. La compétence française est alors exclusive et sans condition (Article 113-6 CP). En revanche, si l'auteur français commet un délit, le droit français prévoit la triple condition suivante : que l'infraction soit également prévue dans le droit du pays étranger où a été commis l'acte, qu'il y ait une dénonciation officielle des autorités étrangères ou une plainte de la victime et que le Ministère Public français prenne l'initiative de saisir la juridiction française. C'est alors une compétence subsidiaire de celle des juridictions étrangères. (Article 113-8 CP). La condition de double incrimination est problématique dans la mesure où les pratiques contestées sont souvent conformes au droit local, ou ne sont pas nécessairement bien réprimées par l'Etat hôte.

L'exposé du texte et des motifs de cette compétence générale, confrontés à la réalité même des pouvoirs économiques, permet de relativiser son sens et sa portée. Les pouvoirs privés économiques, favorables à plus de dérégulation et partant à un droit sans Etat, sont plutôt hostiles à l'emprise territoriale d'un système répressif sur le contrôle de leurs activités104. Les règles de compétence répressives leur sont plutôt favorables. C'est ainsi que la délocalisation des activités de production dans les territoires « des Etats faibles », plus porteuses de risque donc de probabilité de commission des fautes répréhensibles pénalement, fait échapper à la loi française sa compétence générale. En fait, la mondialisation et la déterritorialisation de l'économie mondiale affectent foncièrement les critères de compétence répressive en commençant par le critère phare qu'est la territorialité. Le fait est que les entreprises globales, organisées juridiquement en une mosaïque d'entités juridiquement autonomes et disséminées dans les territoires différents, se sont données les moyens d'échapper à l'emprise du juge répressif de l'Etat d'origine au moins sur le plan du principe. Les « infractions commises sur le territoire de la République » en tout ou en partie ne représentant qu'une proportion négligeable des infractions commises dans le cadre des groupes. Qu'il soit de droit ou de fait, on se rend compte que tout est fait dans le cadre du groupe ou des centres d'intérr~ts pour neutraliser la compétence territoriale des Etats à systèmes répressifs efficaces. Confronté à un groupe comme Shell qui est en fait un amalgame de plus de mille sept cents sociétés différentes, actives sur les cinq continents, la compétence

104L. COHEN-TANUGI, Le droit sans l'Etat, PUF, 2007

\MIERLIElD N'EWkil limitée G'pWIG1QFl105. La délocalisation des activités risquées N'EFFRP SEI Qe GI CE GplRFEIiNEtiRQ Ge lE FRP P iNNiRQ GIN EQfIEFYRQN. S IQNi IXK E ptp démontré, certaines entreprises qui, vertueuses au Nord où le système juridique est effectif, deviennent déliQquEQteN lRrNqu'elleN GplRFEliNeQt leurN EFtiWitpN Eu SNG FEEEFtpeiNp en général SEr l'EQHIIFtiWllp Ge son système juridique et de son système répressif en particulier106. En conclusion, il se trouve Tu'j 1'pS111We GeN SROWRirN SUWpN pFRQRP l1ueN, 0 Fritkre de compétence territoriale semble inadapté en dernière analyse.

Pour ce qui est de la compétence personnelle, il convient de dire qu'elle eNt eQFRIF lE
P EQiIINtEtERQ Ge 1E NR0WeEEiQeip G'uQ EtEa NOr NeN rINNRLIINNEQtN. Cette compétence est dite
personne@D EFtiWI lRrNIXH3e GpFRule Ge lE QEtiRQElitp frEQçEiN1 G} 1Euteur Ge l'iQfIEFtERQ e-
SENNiWe lRTNIMHON INt ERQGp1 Nur lE QEtIRQElitp TIEQçEiNI Ge NE WIFtiP If Manifestation
extraterritoriale de la compétence répressive de la loi française, ce chef de compétence
FRQNEFrp SEU l'ErtiFO 1M-6 Code pénal E SR01 Dt G'pW1311 De lDN ptrEQg11N Qi NRilQt
victimes de déni de justice ElRrN qDIFEeN RQt NRXIIIII GIN FRP SR1IMP 1QtN iQEGP iNNiFIDN Ge lE
part des ressortissants français. Sur ce point, la loi française du 24 juillet 1966 (article 3 alinéa
1er) prévoit que « les sociétés dont le siège social est situé sur le territoire français sont de
nationalité française
». Celles-ci sont donc soumises aux exigences des articles 113-6 et 113-
12 du Code pénal sus-évoqués. Le siège social correspond au « lieu où se produisent, par
pGIERI GWIN UTEMY 1310 ETIMERQN SIKFLSDIDN GI NRQ lq IIMITIMIIIGEDE107

» . En conséquence, cela signifie que seules les Sociétés transnationales qui entrent dans ces critkreN NerRQt NRuP iNeN j fiE lRI frEQçEiN1 1Q FEN G'eq EFtiRQN FRP P iNeN j l'ptrEQE-1

La responsabilité pénale des personnes morales étant générale depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, les pouvoirs privés économiques, du moins ceux qui ont la personnalité morale, peuvent être poursuivis au pénal sur le fondement de ce critère de compétence. A IEnalyse, il ressort 1)1j l1pSIeuWe GeN SRuWRELN SUWpN pFRQRP ETXeN, Fe FIEkre NeP ECe SluN efficace que celui de la territorialité lQ Fl NeQN qDIil FNt GpEELIENNp GiN exigences de mise en ° uWre GF lE FRP Sp\MQFe IMMRrEElD. Ce critère gEIQIIEit eQ eIITFEFitp N'il allait plus loin dans NRQ GRP EiQe et N'iQtpreNNEit j l'entreprise qui déploie même une partie de ses activités sur le

105 J. ZIGLER, /ElKErglilell'oeerilelt, Albin Michel, 2008, p. 168

106 La

preuve en est que la grande partie des procès au pénal intentée contre les multinationales dans ON SE) N Gu NRrG, SE) N G'Rllalne ou un pays ou le défendeur a des intérêts économiques conséquents, NRQt fRQGpN NuI GeN IEitN P EtprIHN FRP P IN GEQN leN SE) N Gu S uG. 841Nt EiQNi lue l'lQtUSIiNe :7RtEl E été poursuivie au pénal en France pour les faits matériels commis en Birmanie par sa filiale locale. / 1Ef1E1LI N'plEQt ptliQte SEE uQ QRQ-lieu ayant suivi une transaction entre Total et ses présumées victimes.

107 Com. 16 décembre 1958 Bull. civ. III, n°438

territoire français108. Reste que son application est encore rendue difficile par l'article du 113- 8 du Code pénal qui prévoit que la poursuite des délits commis par les français à l'étranger ne peut rtre exercée qu'à la requ te du ministère public. Cette disposition apparaît à l'aune de la globalisation et de la déterritorialisation des activités économiques comme un anachronisme quand on sait que le principe d'opportunité permet au Parquet de poursuivre ou non des délits commis à l'étranger.

En effet, la majorité des procès intentés au pénal contre les multinationales l'ont été devant le juge répressif du pays d'origine de la maison mère qui exerce le contrôle économique et substantiel sur la filiale délinquante. L'observation révèle que la compétence générale sur le plan répressif dans le contexte d'une économie de plus en plus mondialisée est en passe de devenir la compétence personnelle, à condition qu'il y ait réciprocité d'incrimination lorsque les faits reprochés sont constitutifs de délit.

Quid des autres critères de compétence ?

§ 2 : L'apport des autres critères de compétence à systématiser.

Les autres critères dont il s'agit sont le critère de la compétence universelle et le critère de la compétence réelle. Ce dernier système de compétence est celui selon lequel un Etat confie à ses tribunaux la poursuite des atteintes portées à l'étranger à ses intérr~ts supérieurs, car lui seul a le pouvoir de déterminer et de défendre lesdits intérêts109. Ce critère de compétence est sapé par l'émergence d'un droit conventionnel préoccupé de solidarité internationale et de développement dÇn droit pénal international plus soucieux d'efficacité répressive. Ce critère ne semble pas d'un grand secours pour ce qui est de l'encadrement répressif des puissants acteurs économiques par le droit pénal.

Alors que contient le critère de compétence universelle ? Le critère de l`universalité du droit de punir donne compétence aux tribunaux de l'Etat sur le territoire duquel se trouve, même passagèrement, le suspect. Il n'est pas un critère nouveau du droit de punir, ce fondement fut défendu avec ferveur par Hugo GROTIUS : « les rois et ceux qui ont un pouvoir égal à celui des rois, ont le droit d'infliger des peines non seulement pour les injures commises contre eux ou leurs sujets, mais encore pour celles qui ne le touchent pas

108 M. HENZELIN, Le principe de l'universalité en droit pénal international. Droit et obligation pour les États de poursuivre et juger selon le principe de l'universalité, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 185

109 A. HUET et R. KOERING-JOULIN, Droit pénal international, PUF, 2005, p. 233

particulièrement et qui violent à l'excès le droit de la nature ou des gens à l'égard de qui que ce soit »110. Admise originellement pour des infractions très graves « lésant la communauté internationale », il s'agit d'une compétence exceptionnelle dont la mise en oeuvre est difficile111, surtout lorsque l'Etat de l'infraction se trouve éloigné de l'Etat de jugement. Trouvant son fondement en matière de protection des droits de l'homme, ce critère est aujourd'hui en pleine expansion, mais soulève aussi des controverses en matière de politique internationale. Certains Etats y voyant l'expression d'un impérialisme judiciaire et partant d'atteinte à leur souveraineté.

Mise à l'épreuve des centres d'intérr~ts économiques, la compétence universelle serait une puissante arme entre les mains du juge répressif, surtout avec la généralisation de responsabilité pénale des personnes morales. D'abord le fait que la loi Perben II généralise la responsabilité des personnes morales permettant que toutes les infractions de droit commun comme de droit économique leur soient reprochées fait des pouvoirs privés économiques ayant une personnalité juridique des cibles potentielles de procès. Ainsi, un groupe dont la filiale située dans un autre pays a commis une infraction, pourra se voir poursuivre devant un juge répressif d'un Etat avec lequel il ne dispose d'aucun lien juridique voire économique. C'est ainsi que dans l'affaire Total précitée, une plainte a été déposée par quatre birmans en Belgique sur la base de la loi de la compétence universelle contre X, Total et ses dirigeants pour complicité de crimes contre l'humanité. Mais les hésitations juridiques des magistrats quand à la portée mr me de cette loi de compétence universelle n'ont pas permis de donner une suite procédurale favorable à cette saisine.

Toutefois, la simple menace d'une inculpation des acteurs économiques personnes morales comme personnes physiques sur le fondement de la compétence universelle est de nature à rendre vertueux les pouvoirs privés économiques. Or ces derniers sont très attachés à leur image de marque et ont tout intérêt à éviter les préjudices économiques que peut leur valoir une médiatisation d'une procédure pénale intentée contre eux au fond.

Le bilan de la régulation répressive des pouvoirs privés économiques est celui d'un résultat contrasté. Sous le bénéfice de ces constats insatisfaisants, il semble logique de rallier la thèse qui soutient un redéploiement du droit pénal économique.

110 H. GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix (De jure belli ac paces, 1625), L. II, Ch. XX, XL, PUF, 1999 cité par M. DEMAS-MARTY In « le droit pénal comme éthique de la mondialisation », Rev. Sc. Crim., 2004, p. 7

111G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz, 19e éd., 2004, n° 524

Conclusion de la Première partie.

Manifestement, la généralisation de la responsabilité des personnes morales est apparue comme montrant ses limites. Cela a pour conséquence l'exposition des consommateurs et des investisseurs aux risques d'abus des pouvoirs privés économiques. Si la personne morale est pénalement responsable, l'application en principe territoriale et personnelle du droit pénal ne permet pas un encadrement adéquat de ces acteurs qui, à la faveur de la mondialisation, se caractérisent substantiellement par l'apatridie et la déterritorialisation de leurs activités. De même, la déconnection entre le lieu de commission des infractions et celui de la prise de décision de la commettre renforce encore plus les difficultés du droit pénal positif à réguler les pouvoirs privés économiques.

La répression et les régulations nationales ne sont guère adaptées à la protection du marché et des acteurs qui, à cause de l'asymétrie informationnelle qui caractérise la vie économique, ne sont pas toujours armés pour faire face aux stratégies des puissants acteurs du marché. De mrme, les nouveaux défis et les formes nouvelles de commission d'infractions ont montré les limites du droit pénal positif, taillé à la mesure du délinquant ordinaire, personnes physique. De plus les condamnations aux amendes ne sauraient permettre à la répression des délits économiques d'atteindre son but. Les délinquants économiques auront toujours les moyens financiers pour s'acquitter du paiement de leur condamnation. Leur surface financière le leur permet, surtout que les montants d'amendes sont toujours inférieurs à leur possibilité financière. Seule leur honorabilité en est affectée.

Une protection efficace des acteurs présumés faibles et peu renseignés, tels les consommateurs et les investisseurs, exige la prise en compte de la dimension transnationale dans la sanction des abus commis par les pouvoirs privés économiques. Une dissuasion efficace des abus des organisateurs et décideurs du marché semble devoir dépendre de la capacité du droit pénal à se redéployer afin d'éviter la paralysie de la sanction répressive par les stratégies et les moyens des pouvoirs privés économiques.

Deuxième Partie : Le nécessaire

redéploiement du droit pénal économique.

Assailli de critiques en droit interne, le droit pénal économique est sur la sellette. Accablé de tous les maux par les thèses avant-gardistes de l'impuissance des Etats et de l'hyper puissance du marché, l'ordre public pénal a plus besoin d'un redéploiement que d'un repli. Pour faire face à la globalisation de l'économie et partant de la délinquance économique, le droit pénal économique doit aussi s'adapter. Réponse sociale à une délinquance qui perturbe l'ordre public économique tant interne que transnationale, le droit pénal économique est consubstantiel à l'ordre public économique dont M. Gérard FARJAT a montré la dualité en distinguant l'ordre public de protection et l'ordre public de OEection112. L'en chassé du marché contribuerait à affaiblir le rôle du droit dans l'espace marchand. Garant et gage de l'effectivité et de l'efficacité de l'ordre public économique, l'ordre public pénal a pour objet les conduites considérées comme répréhensibles et devant être évitées par un opérateur respectueux des règles.

Extérieur aux manifestations des pouvoirs qu'il saisit, le droit pénal économique a donc besoin de s'adapter aux exigences de l'environnement dans lequel il se déploie. Face à la concurrence sans cesse croissante des autres systèmes de sanction, le droit de la répression des comportements économiques inadmissibles devra sa survie et son efficacité à un nécessaire redéploiement de son contenu (titre I) et de sa mise en oeuvre (titre II).

Titre I : Le redéploiement du contenu.

Ce redéploiement passe nécessairement par la reconsidération du rôle, mais surtout des manières du droit pénal. Le contexte ayant changé tant dans le fond que dans la forme, les relations et les frontières du droit pénal et des autres modes de sanctions en ont été affectées. Le redéploiement du contenu de l'ordre public pénal devrait donc privilégier l'intégration de l'opportunité économique par le droit pénal (chapitre I) et partant favoriser une incrimination qualitative, donc recentrée des abus des pouvoirs privés économiques (chapitre II).

112 G. FARJAT, Droit économique, PUF, 2e éd., 1982, p. 49 et s

Chapitre I : L'intégration de l'opportunité économique par le droit pénal.

L'émergence du marché et surtout l'importance des responsabilités de ses acteurs majeurs ont rendu désuètes les motivations de certaines incriminations. Autrefois motivé par l'intérr~t général alors incarné par la personne publique, certaines incriminations justifiées en elles- mêmes perdent de plus en plus leurs fondements dans le contexte de l'économie de marché113 . Aussi, le contexte économique oblige à bien des égards les entreprises à prendre des risques pour assurer leur survie. Lesquels ne sont pas toujours autorisés par le droit pénal. Le droit pénal positif ne s'attachant encore qu'à la société pris isolément, l'intérr~t immédiat de l'entité économique qu'est la société, personne morale sujet direct du droit pénal, est plus que jamais lié à celui du groupe qui symbolise l'intérr~t commun de l'entreprise. Ces mutations de l'économie s'accompagnent aussi de la mutation dans le mode de gestion des entreprises. Or on se rend compte que les nouvelles visions de l'entreprise ne sont pas toujours en adéquation avec le droit et le droit pénal en particulier. Certaines branches du droit se sont déjà adaptées aux mutations économiques. C'est ainsi que le droit fiscal saisit l'entreprise dans sa vision globale à travers le « compte consolidé », le droit du travail à travers « le comité de groupe » et le droit de la concurrence à travers « le chiffre d'affaires consolidé ». Cette prise en compte des mutations du cadre économique devraient avoie écho en droit répressif en favorisant un repositionnement du droit pénal économique.

Pour combler ce vide législatif occasionné par l'évolution de la structure du marché et la concentration des acteurs, les juridictions ont crée un droit prétorien permettant d'adapter certains délit aux groupes de sociétés. L'existence des pouvoirs privés économiques est donc un fait justificatif de l'infraction économique, mais il faut relever que cette exonération n'est pas en droit positif un principe général, mais un aléa. C'est la raison pour laquelle, les milieux d'affaires, hautement soucieux de la sécurité juridique, et une frange dominante de la doctrine appellent de tous leurs voeux à une dépénalisation du droit économique. Toutefois, au vue de l'efficacité des mesures de substitution de la sanction pénale telles les sanctions alternatives (section II), il semble plutôt opportun de reconfigurer le champ pénal (section I).

113 La jurisprudence Rozenblum le démontre suffisamment, certaines infractions qui hier étaient réprimées en soi, se justifie de nos jours dès lors qu'elles ont été commises dans le cadre du groupe.

Section I : La prise en compte de la logique économique par le droit pénal.

Les pouvoirs privés économiques ont pour l'accroissement de leur taille besoin d'un droit flexible. Le droit pénal économique en l'état actuel ne leur rend pas service dans ce sens. C'est la raison pour laquelle des voix s'élèvent de toute part pour réclamer une importante dépénalisation de l'activité économique. Le législateur reste vigilant et prudent au regard de telles réclamations, car agir pour satisfaire sans précautions des acteurs aussi mouvants que les pouvoirs privés économiques n'est pas sans risque. L'intérrt social est de droit positif apprécié en prenant en compte l'entité juridiquement autonome qu'est la société. L'intérrt du groupe n'est qu'une exception. Mrme d'exception, l'intérrt du groupe démontre à quel point les pouvoirs privés économiques bouleversent les catégories fondamentales du droit pénal. Les rapports de forces sont tels que c'est plutôt le droit qui est forcé de s'adapter.

C'est particulièrement autour de la fameuse incrimination de l'abus des biens sociaux que l'intérrt de groupe présente tout son intérêt juridique. L'intérrt social devant rtre apprécié au regard de l'intérrt du groupe, l'infraction « phare » du droit économique, l'abus de biens sociaux devrait intégrer l'opportunité économique (§ 1), même si cette intégration doit être limitée (§ 2).

§ I : Le paradigme de l'abus des biens sociaux.

Le droit pénal est connu comme un instrument de contrôle des pouvoirs privés économiques, mais sert aussi de gage d'effectivité de l'ordre public économique. Les mutations internes du droit économique devraient en toute logique déteindre sur le droit pénal économique. Celui-ci doit rtre sensible aux exigences, aux défis de l'environnement qu'il encadre de l'extérieur. Aussi, les incriminations et les sanctions doivent être le résultat de la confrontation des fins du droit pénal et de l'intérrt des acteurs économiques.

Sans passer en revue toutes les infractions de droit économique, une attention particulière sera attachée à l'abus des biens sociaux dont il convient de rappeler que sa rédaction était faite à une époque où la notion même de groupe de sociétés ou de pouvoirs privés économiques était largement ignorée. A l'épreuve des pouvoirs privés économiques donc, l'infraction « phare » du droit pénal des sociétés commerciales prévue et réprimée par l'article 341-3 (4°) du Code de commerce nécessite une reconsidération, mieux une

adaptation. La généralisation de l'adhésion aux groupes de sociétés, de fait ou de droit, est un phénomène décisif du droit économique ainsi qu'en atteste les prises de contrôle et de participation. En faire abstraction serait défavoriser certaines entreprises au profit des autres qui n'ont pas les mrmes contraintes dans un contexte économique marqué par la concurrence même des législations. Certaines législations étant jugées plus favorables à la croissance plus que d'autres114 .

Pour faire en sorte que l'application du droit pénal économique ne soit pas un « désavantage compétitif », le législateur devrait s'assurer de l'actualité et de l'application homogène de l'infraction d'abus de biens sociaux par les législations pénales des autres Etats en matière économique. Ainsi, en prenant l'exemple de l'Allemagne où le droit des groupes de sociétés a été consacré depuis la loi du 6 septembre 1965, on constate, que le traitement pénal des infractions commises dans le cadre du groupe n'est pas le même en Allemagne qu'en France. L'intérrt du groupe n'est pas ici un fait justificatif de l'infraction reconnu par le législateur. Toutefois, face au silence du droit positif, la jurisprudence s'est efforcée à dégager des circonstances permettant de justifier a priori, les actes de gestion accomplis dans un groupe de sociétés donné. L'acte de gestion est donc apprécié en vertu d'une certaine jurisprudence, par la combinaison de l'intérrt du groupe et de l'intérrt social de l'entité économique considérée.

C'est ainsi que plutôt que de dépénaliser l'abus de bien sociaux il semble plus loisible de l'adapter dans le cadre des pouvoirs privés économiques. La présence de cette infraction est de nature à dissuader la commission des abus de gestion qui prendraient une proportion non négligeable dans le cadre des groupes de sociétés. L'existence de cette incrimination aurait certainement un effet préventif dans le cadre des groupes, qu'il soit de fait ou de droit, mais à condition qu'elle soit adaptée à la réalité qu'elle entendrait saisir.

Les concours financiers accordés au sein du groupe seraient systématiquement soupçonnés d'abus de biens sociaux sans une prise en compte de la spécificité des relations entretenues par les sociétés qui le composent en application stricte de l'article 341-3 (4°) du Code pénal. Le droit pénal étant en principe d'interprétation stricte, l'intérrt social protégé par l'incrimination de l'abus de biens sociaux, les pouvoirs privés économiques seraient constamment sous le coup des poursuites pénales alors qu'ils ont agit dans l'intérrt du groupe. De même, la possibilité de financement interne résultant de la désintermédiation financière

114 Voir Le Rapport Doing Business 2009, Doing Business est un rapport annuel sur les réglementations qui facilitent la pratique des affaires et celles qui la compliquent. Ce rapport est établi par les services du groupe de la banque mondiale.

des années 1980 et l'accélération de la mondialisation de l'économie justifient que les entités du groupe se financent entre elles115. Le droit pénal devrait se saisir de ces mutations économiques et s'adapter à la réalité économique du groupe par la consécration législative de l'intérr~t du groupe. La Chambre criminelle de la Cour de cassation, jouant le rôle de « législateur de réserve »1 16 , a élaboré une théorie pénale du groupe depuis l'arrit Rozenblum du 4 février 1985 en vertu de laquelle l'existence d'un groupe est de nature à justifier un concours financier entre deux sociétés s'il répond à certaines conditions tenant à l'existence d'une contrepartie, à l'absence de rupture d'équilibre entre les engagements et au non- dépassement des possibilités financières de la société sollicitée.

On constate que la haute juridiction procède par touches prudentes et entoure la prise en compte de l'intérêt du groupe de conditions restrictives et sévères. Le verrouillage des conditions d'admission de l'excuse du groupe n'est pas toujours favorable à la prise de risque par les entrepreneurs, une évaluation fiable du risque pénal n'est pas possible. Une telle menace risque d'entraver l'esprit d'initiative et paralyser la prise de certaines décisions nécessaires au développement du groupe. La prévisibilité du risque pénal dépend du caractère plus ou moins compréhensif des incriminations et surtout de la bienveillance du juge à l'apprécier souverainement. Une telle situation marquée par le manque de prévisibilité et de visibilité constitue un obstacle à la gestion satisfaisante du risque pénal pesant sur les dirigeants sociaux du groupe.

Il serait opportun au législateur de repositionner l'abus de biens sociaux dans le cadre des entreprises liées en utilisant l'incrimination comme un instrument de protection de l'intériJt social immédiat de l'entité dominée ou contrôlée pour empêcher que les entités sollicitées ne supportent les sacrifices énormes dépassant leurs capacités financières au profit des entités soeurs.

L'abus de biens sociaux pourrait aussi servir comme un important levier de contrôle des pouvoirs privés économiques en matière de répression de la corruption transnationale. Les actes de gestion des différentes entités pris globalement permettraient de détecter et de mieux prévenir la corruption ou mieux les actes illicites117. Cela permettrait d'imputer par exemple à

115 Le financement intra-groupe est développé de nos jours au point où certains d'entre eux ont une banque du groupe destinée à financer les entités du groupe. On a par exemple le Toyota Financial Services consultable sur www.toyotafinancial.com et la General Motors Financial Services consultable sur www.gmacfs.fr

116 K. J. HOPT, Le droit des groupes de sociétés, expérience allemandes, perspectives européennes, Rev. Sociétés, 1987, p.371-390

117 Arrêt Carpaye du 24 Avril 1992 et arrêt Carignon du 27 Octobre 1997

la société mère les actes anormaux de sa filiale qui tombent sous le coup d'une incrimination pénale.

Si l'on prend en compte l'objectif l'incrimination de l'article 341-3 (4°), on se rend compte que le patrimoine social, que le délit d'abus de biens sociaux est censé protéger, est dans le cadre des pouvoirs privés économiques intégré au patrimoine du groupe. Ici, l'intérrt du groupe prime sur l'intérrt immédiat de l'entité prise isolément. Logiquement l'abus de biens sociaux entre les filiales d'un mrme groupe ne sera pas caractérisé si les conditions posées par la jurisprudence Rozenblum sont réunies. Cela est perceptible en droit fiscal qui reconnaît l'intérêt du groupe par la reconnaissance aux groupes intégrés d'un statut fiscal intégré118. Pour cela, le préalable serait de consacrer un droit des groupes de sociétés. Cela permettrait au juge de ne plus avoir à discerner selon les critères qui ne sont pas toujours objectifs, les groupes non artificiellement structurés ayant une politique clairement élaborée pour l'ensemble du groupe de ceux qui ne profitent que de la séparation juridique des entités pour limiter leur responsabilité. Les premiers seraient traités favorablement par rapport aux seconds, à l'exemple des groupes de droit et de fait consacrés par le législateur allemand.

Sur un plan technique, l'admission de l'intérrt du groupe permettrait d'assouplir le régime de l'infraction d'abus de biens sociaux. D'abord, le caractère non intentionnel de l'incrimination en sera affecté, car l'existence d'un groupe confère aux incriminations en cause un particularisme modifiant l'élément moral de l'infraction119 et partant la présomption de mauvaise foi du dirigeant serait assouplie. De même sa répression se fera dans le cadre du groupe et la responsabilité des dirigeants sociaux du groupe en sera affectée.

La reconfiguration de l'incrimination de l'abus de biens sociaux, bien que nécessaire pour l'encadrement du groupe, devrait toutefois rtre encadrée.

118 S'agissant notamment de l'abandon de créances et de déductibilité des aides apportées à une filiale en difficulté. De même, dans son Rapport sur le projet de loi de finances pour 2006, M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission de finances du Sénat, considérait ainsi que le nouveau régime de lutte contre la sous-capitalisation tendait « à privilégier opportunément la logique de groupe intégré par rapport à celle de l'individualisation des situations de sous-capitalisation », et représentait « un pas important vers l'émergence d'un véritable droit des groupes ».

119 B. Bouloc, Droit pénal et groupes d'entreprises, Rev. Sociétés. 1988, p. 181 et s.

§ 2 : les limites de la flexibilité de l'incrimination d'abus de biens sociaux au
regard des pouvoirs privés économiques.

Parler des limites de la flexibilité de l'abus de biens sociaux au regard des pouvoirs privés économiques c'est se poser la question de savoir jusqu'à quel point la prise en compte de ces nouveaux acteurs de l'économie pourra influencer la reconsidération de certaines infractions de droit économique. La question n'est pas aisée, mais il est permis de dire qu'une définition claire et précise des conditions d'admission de l'excuse de groupe constituera un principe général permettant de ne pas aller au-delà de certaines limites.

En considérant l'incrimination d'abus de biens sociaux, la jurisprudence a posé des conditions sévères en l'absence desquelles les agissements en cause tombent sous le coup de la loi pénale. L'objectif poursuivi par cette jurisprudence est sans doute le souci d'éviter que l'excuse de groupe puisse profiter aux groupes clandestins qui ne sont pas structurellement liés et n'ont pas un intérêt économique commun apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble du groupe. Le droit pénal devrait toujours avoir en priorité ses fins et servir comme instrument de dissuasion et de prévention de la commission des délits, surtout en ces temps de crise imputée aux « comportements gravement inconséquents » de certains chefs d'entreprise120. La Chambre criminelle de la Cour de cassation n'admet le fait justificatif de groupe que s'il n'entre pas en conflit avec le but poursuivi par le droit pénal. La révélation du fait justificatif tend à restituer la logique de l'incrimination, c'est-à-dire à déterminer quelle est la valeur protégée par l'incrimination et à éluder son application lorsque la valeur protégée n'existe plus ou qu'une valeur supérieure s'impose. Dans le cadre du groupe cette protection n'a plus de raison d'r~tre car l'intérr~ t social est transcendé par l'intérr~t commun du groupe auquel la société appartient. L'intérr~t commun devient la contre-valeur protégée par le fait justificatif. Cette démarche permet de restituer au droit pénal son but, ce qui est d'autant plus important en la matière, que l'incrimination pénale doit rtre strictement nécessaire et justifiée au titre du principe de légalité pénale et plus largement de la théorie de l'incrimination121 .

Ainsi qu'il a été démontré, l'excuse de groupe devrait plutôt profiter au groupe structuré contractuellement pour ce qui est de l'appréciation de l'incrimination d'abus de biens sociaux. En outre, elle pourra servir comme instrument de contrôle des groupes de fait en permettant de sanctionner les déviations suspectes de la société dominante qui, sans

120 D. Rebut, Où en est le rapport Coulon, In les Echos, 24 octobre 2008, p.12

121M.-E. Boursier, « Le fait justificatif de groupe dans l'abus de biens sociaux, entre efficacité et clandestinité (analyse de 20 ans de jurisprudence criminelle) », Rev. Sociétés. 2005, p.273 et s.

contrat, commanderait dans son propre intérêt les délibérations ou les actes de la société dominée. On pourra appliquer cela dans les relations entre entreprises intégrées et le pôle intégrateur, les premiers sont coupés du marché par le second et ne sont pas matériellement autonomes. Leur pratique commerciale est dictée par le pôle intégrateur et il pourra arriver que des actes de gestion leur soient imposés par celui-ci à leur détriment. Cela permettrait que la société dominante respecte l'intérrt social de la société dominée à défaut de contrat d'affiliation. De même, la sévérité de la sanction pénale des abus de biens sociaux commis dans le cadre des groupes de fait au bénéfice du pôle intégrateur et au préjudice de l'entité dominée est un facteur d'encouragement des pouvoirs privés économiques à se structurer et à s'intégrer pour bénéficier de la bienveillance du juge dans l'interprétation de l'incrimination de l'article 241-3 (4°) du Code du commerce.

Une telle démarche pourra être utilisée pour reconfigurer et réadapter certaines incriminations qui s'illustrent mieux dans le cadre du groupe. C'est ainsi que le droit de la consommation pourra être reconfiguré en prenant en compte le cadre du groupe pour mieux ajuster les sanctions pénales aux pratiques commerciales trompeuses ou agressives.

Quel que soit le mode de réadaptation choisi par le législateur, il va sans doute s'avérer que certaines sanctions pénales ne soient plus adaptées et par conséquent devraient rtre remplacées par les sanctions d'une autre nature.

Section II : L'opportunité des mesures de substitution à la sanction pénale.

Face à l'inadéquation de certaines sanctions pénales en matière de groupes, notamment en droit de la consommation, il serait loisible d'opter pour les autres types de sanction, civile ou administrative. La responsabilité civile pourrait être substituée à la responsabilité pénale, à l'égard des actes qui constituent plus des erreurs de gestion que des actes délibérément malhonnêtes et des fautes non intentionnelles. Le droit pénal serait recentré sur des actes malhonnêtes et graves. Les fautes non frauduleuses pourraient relever de la responsabilité civile.

C'est ainsi que l'action de groupe pourrait convenir à sanctionner certaines inobservations du droit de la consommation (§ 1) et que certaines sanctions de natures administratives pourraient être revigorées (§ 2).

§ 1 : L'introduction de l'action de groupe au profit du consommateur.

La particularité de l'action publique, action pour la mise en oeuvre du droit pénal, est qu'elle a pour objet de rétablir le trouble qu'a souffert la société, les victimes directes de l'infraction ne sont prises en compte par la procédure pénale qu'à titre subsidiaire. Or, il a été démontré que les agissements inadmissibles des pouvoirs privés économiques contre lesquels se déploie le droit pénal portent gravement atteinte au bien-être individuel et collectif des consommateurs, destinataires directs des prestations des acteurs économiques. De même, les sanctions pénales, bien que dissuasives et exemplaires à l'endroit des opérateurs économiques, ne sont pas toujours à la mesure des préjudices soufferts par les consommateurs. C'est le problème de l'efficacité mrme de la sanction pénale qui ne remplit pas la fonction expiatoire du droit pénal lorsqu'elle s'attache aux délits économiques.

L'introduction des recours de nature civile, mais de nature expiatoire, serait plus efficace pour la répression de certains types de comportements inadmissibles et la réparation des préjudices sanitaires du fait des produits délictueux préjudiciables aux consommateurs. Les recours de nature civile seraient même plus appropriés pour la sanction des infractions non intentionnelles. Le droit pourrait céder le terrain à ce niveau à ces types de sanctions ou réguler concurremment avec elles, pour ne pas laisser en marge de la réprobation pénale certains comportements dont le caractère frauduleux peut être avéré. Il a été démontré que la décision des agents économiques, rationnels et maximisateurs, de recourir aux comportements injustifiables et inadmissibles pour faire du profit repose sur une analyse coût-avantage entre le coût certain de la condamnation et l'espérance de gain liée à une non-condamnation122. Or si les consommateurs avaient une action leur permettant de rétablir par voie contentieuse l'équilibre entre eux et les professionnels rompu par les contrats d'adhésion, la dissuasion serait accrue. C'est ainsi que l'introduction de l'action de groupe en droit français constituerait l'aboutissement nécessaire et logique de la législation favorable au consommateur entamée par la Loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 dite « loi Scrivener ».

L'action de groupe ou « class action » dans la terminologie américaine, est une voie de droit ouverte par la procédure civile, permettant à un ou plusieurs personnes d'exercer, au nom d'une catégorie de personnes (classe) une action en justice. Il a pour but d'organiser le rééquilibrage par la voie judiciaire, des rapports entre le faible et le fort. A ce titre, elle

122 T. KIRAT et F. MARTY, Economie du droit et de la règlementation, Gualino Eds, 2007, p. 90

constitue un nouvel instrument de régulation des puissants acteurs économique, qu'il convient de placer parfois devant leurs responsabilités. De nombreux pays européens comme l'Angleterre, le Portugal, le Pays de Galles ou la Suède disposent déjà d'une action de groupe qui a fait ses preuves.

L'action de groupe permet ainsi à un ensemble de victimes de comportements fautifs, illégaux ou contraires aux contrats conclus, d'obtenir la juste réparation du préjudice subi. Le formalisme du droit pénal ne permet pas au juge répressif de prendre en considération le préjudice subi par tous les consommateurs ou une partie importante d'entre eux. Il est limité dans son action par les principes de proportionnalité, de légalité, de personnalité de la peine. Il ne peut pas s'autoriser l'audace nécessaire de réparer les préjudices subis par les milliers, voire les millions de consommateurs, victimes de comportements fautifs des professionnels, ce qui a pour effet de laisser entre leurs mains le bénéfice des comportements illégaux. Cela est justifié par l'objet mrme de l'action publique. De mrme, l'absence d'accès gratuit à la justice, la complexité de la procédure, le coût de la justice et la technicité des règles juridiques conduisent généralement le consommateur isolé à renoncer à toute action, abandonnant ainsi au professionnel le bénéfice de son infraction. Ce qui constitue une atteinte inacceptable à l'état de droit.

L'exemple de l'entente anticoncurrentielle et illégale entre les opérateurs de téléphonie mobile est éclairant. Cette entente a été sévèrement condamnée par voie d'amende par le Conseil de la concurrence puisque près de 20 millions de personnes ont été déclarées victimes par cette Autorité administrative indépendante. L'association de consommateurs UFC-Que Choisir a engagé une action au nom de l'intérrt collectif des consommateurs et a proposé aux victimes de se joindre à sa procédure. Elle a affecté un personnel spécifique pour aider les consommateurs à constituer leurs demandes de réparation. 300.000 personnes se sont inscrites sur le site Internet créé à cet effet ; après 10 mois de travail, et 500.000 euros de frais de gestion, seulement 12.521 dossiers ont pu rtre finalisés et acheminés par camion jusqu'au tribunal chargé de trancher l'affaire. 12.521 demandeurs sur près de 20 millions de victimes, c'est 0,06 % des victimes qui seront peut-rtre indemnisées. C'est une rente inacceptable accordée aux opérateurs économiques ne respectant pas volontairement l'état de droit123.

Mis à part les effets pervers que cette action seraient susceptible d'engendrer et son impact négatif sur la compétitivité des firmes et l'incitation à l'innovation, elle présente

123 Voir exposé des motifs de la proposition de Loi N° 324 enregistrée à la présidence de l'Assemblée Nationale le 24 Octobre 2007 et relatif à l'introduction en France de l'action de groupe, présenté par le député Arnaud Montebourg et le groupe socialiste.

l'avantage d'inciter les consommateurs s'estimant victimes d'un comportement fautif de la part d'un professionnel et inefficacement réprimé par le droit pénal, d'ester en justice et de faire condamner le professionnel. L'action de groupe serait une voie ouverte aux consommateurs pour rééquilibrer leurs rapports avec les professionnels, déséquilibrés du fait de nombreux contrats d'adhésion qui ne sont en substance pas des contrats, mais des « règlements privés ». L'équilibre mis à mal pourrait rtre rétabli grkce aux larges pouvoirs qu'offre cette action au juge. Il exerce généralement un contrôle étroit sur la procédure et dispose d'une importante marge de manoeuvre sur la recevabilité de l'action et exerce un contrôle sur les transactions qui peuvent être conclues, le plus souvent par une procédure d'homologation. Le droit pénal devrait prendre en considération ces expériences pour se repositionner et céder certains terrains aux procédures plus efficaces, surtout que cette procédure contraint les pouvoirs privés économiques à respecter la loi mrme en l'absence d'incrimination pénale.

De même, face à la lenteur de la justice pénale et l'absence d'incrimination suffisante en d'autre matière importante comme le droit de l'environnement, les sanctions de nature administratives devraient être utilisées pour faire cesser certains agissements condamnables que n'appréhende pas le droit pénal.

§ 2 : L'opportunité du recours aux sanctions administratives régulatoires.

Les sanctions administratives ont la particularité de revêtir les véritables caractères d'une sanction répressive, mais administrées par une autorité non judiciaire. Elles se sont développées ces dernières années avec la multiplication des autorités administratives indépendantes et la sectorisation de l'économie. C'est le souci d'efficacité et de célérité dans la réaction sociale qui semble avoir motivé les autorités à développer l'empire des sanctions administratives. De même, le Conseil constitutionnel a admis « qu'aucun principe ou valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre des prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction »124.

Une sanction administrative est une mesure répressive. Dans le cadre de leur application aux pouvoirs privés économiques, les sanctions administratives seraient adaptées aux infractions dont les sanctions prévues par les textes ne sont pas assorties de mesures

124 Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989

privatives de liberté. Elle intervient pour « punir » un comportement et en éviter la réitération125. Ainsi qu'il a été démontré, une finalité essentiellement répressive caractérise la sanction126. Le fait qu'elles soient infligées sans saisine préalable, immédiatement exécutoires, sans délai et selon une procédure plus facile à mettre en oeuvre que la procédure pénale rend la sanction administrative plus respectueuse des intérêts des professionnels en ce sens qu'elle est discrète, facilement acceptée et moins traumatisante que la sanction pénale.

On découvre aussi peu à peu que plus l'application des sanctions administratives se judiciarise, conformément aux principes constitutionnels et européens, plus les voies parallèles se développent au détriment de la voie strictement pénale qui connaît aujourd'hui un nombre limité de délits économiques. Depuis trente ans, le domaine des sanctions administratives s'est considérablement développé, occasionnant le repli du droit pénal strict, car les autorités en charge des secteurs particuliers de l'économie jouent tantôt le rôle d'autorité administrative, tantôt, par la sanction par voie d'amende pénale des acteurs fautifs des secteurs dont elles ont la charge, celui d'une quasi-juridiction répressive127. Cela a marqué l'émergence d'un véritable droit pénal administratif.

Le redéploiement du droit pénal ne voudrait pas dire repli du droit pénal, mais appropriation par le droit pénal des autres modes de sanctions adaptées à l'environnement qu'il entend réguler. Il ne fait pas de doute que seule la menace pénale parvient, en fait, à faire renoncer à certaines tentations les pouvoirs privés économiques. Le grand avantage des sanctions de nature administrative apparaît dans le fait qu'elles se situent entre la prévention et la répression, qu'elles se déploient plus efficacement contre les infractions d'une technicité excessive. De mrme, l'autre avantage des sanctions administratives réside dans le fait que son régime est plus souple que celui des sanctions pénales stricto sensu en ce sens qu'une définition précise de l'infraction sanctionnée n'est pas imposée, tout comme la part réduite de l'élément moral, essentiel en matière pénale. Les sanctions administratives peuvent donc constituer une alternative répressive pour combler et compenser les lacunes du droit pénal économique trop dépendant du principe de la légalité. Elles se développent dans les missions assignées aux autorités administratives indépendantes en charge des secteurs important de l'économie128 .

125 CE Avis, 27 Septembre 1999, Rouxel, Rec., p. 280

126 CE, 20 Décembre 2000, Sté A conseil finance

127 Cette qualification de quasi-juridiction est due au fait que les droits de la défense sont respectés, voir CE, S., 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier, Rec. Lebon p. 133

128 Voir Infra, Titre II, Chapitre I

/ IrYp1EFDpreIrl'efIIFIFllprGes autres modes de sanctions développés plus haut pose le SIRECP erP r P erGiXrGRP 11QerGiXrGrRitrSpQaIreQrGIRBrpFRQRP lliXe.r/ 'RE rYDERQrSHP HrGe r plaider en faveulrG'iXQrIIFeQtragerGiXrGURIIrSpQTl économique autour des infractions intentionnelles et frauduleuses et dans le domaine où \arQpF1M13prQ'EstrS11r1 rr1P InirlQ r question.

Chapitre II : Le recentrage du droit pénal économique face aux pouvoirs
privés économiques.

Les développements ci-dessus ont révélé l'affaiblissement de l'ordre public pénal dû à sa capture par les pouvoirs privés économiques et son inadaptation à réguler le marché au moyen de ses mécanismes traditionnels. Le droit pénal à l'état actuel est d'une utilité limitée pour dissuader les acteurs délinquants du marché. #172;~ l'épreuve des agents privés de la mondialisation, il est un outil, parmi tant d'autres, de dissuasion et de prévention contre le développement de la délinquance transnationale, mais son efficacité est grippée par ses contradictions internes. L'inadaptation de certains de ses principes directeurs et la concurrence des autres systèmes de sanction jugés plus efficaces sont autant d'éléments militant en faveur de son recentrage. L'efficacité affichée des autres modes de sanction (dommages et intérêts punitifs et amendes pénales) est à relativiser dans la mesure où, ce sont les détenteurs d'actions ou les consommateurs qui assument les frais des condamnations records auxquelles sont condamnées les grandes entreprises. La dissuasion pénale demeure donc utile, mais pour être efficace, le droit pénal devrait se recentrer.

Afin de faire face aux nouveaux défis que sont la lutte contre l'impunité organisée des pouvoirs privés économiques à l'échelle transnationale et la rééquilibrage des rapports entre les valeurs marchandes et celles qui ne le sont pas, le droit pénal pourrait tirer avantage des engagements et des failles de la soft Law, des techniques d'organisation du marché pour se refaire un nouveau visage et renforcer son efficacité sans trop bouleverser ses fondements. Puisque l'intériJt que le droit pénal protège dépasse les frontières, la norme pénale devrait aussi en tenir compte. Les agissements inadmissibles des acteurs du marché obligent le droit pénal à renoncer à l'approche auto-centrée qui limite son champ d'application à la seule protection des intérêts protégés nationaux. La preuve en est que la répression pénale effective des agents privés économiques par l'application des règles nationales aboutit rarement au prononcé d'une sanction pénale. S'il est admis que l'incrimination et la sanction remplissent une fonction d'intimidation en ce sens qu'elles assurent la prévention de certains comportements, la rareté des poursuites tend, avec d'autres facteurs, à ruiner l'effet dissuasif escompté et à dévaloriser le droit pénal comme outil de régulation des acteurs du marché global.

Ainsi qu'il a été démontré, à l'épreuve des pouvoirs économiques, le droit pénal se revigorerait en s'accentuant sur la répression des infractions graves, révélatrices de fraudes,

qui mettent en cause la pérennité du marché et les valeurs auxquelles le marché doit se soumettre. C'est en revigorant donc les catégories telles la complicité, le recel que l'ordre public pénal pourrait avec ses moyens actuels réprimer efficacement les fraudes imputables aux pouvoirs privés économiques. Il en sera ainsi en matière de répression effective de toutes les infractions graves (section I) et d'atteintes aux intérêts publics (section II).

Section I : Le recentrage autour des infractions graves.

Il s'agira ici de systématiser les conditions dans lesquelles les puissants agents économiques peuvent être mieux régulés pénalement dans le contexte aussi mouvant de la mondialisation. Dans sa définition générale, « le droit pénal est l'ensemble des normes juridiques qui règlementent le recours de l'État à la sanction pénale »129. On perçoit à travers leurs manifestations que les pouvoirs privés économiques sont des formes de pouvoirs « dangereuses » qu'il faut canaliser et placer sous la tutelle pénale des infractions tant de droit commun (§ 1) qu'économique (§ 2) , afin d'obtenir d'eux un comportement vertueux en tout lieu.

§ 1 : Le recentrage autour des infractions de droit commun.

Il ne s'agira pas de reprendre ou de faire un inventaire des infractions portant atteinte à l'intériJt des destinataires directs ou indirects des acteurs économiques de la mondialisation et susceptibles de leur être imputées. Il sera question ici de s'interroger sur les conditions d'une efficacité réelle du droit pénal contre les abus des entreprises en réseau, notamment les moyens dont dispose le juge répressif pour lutter contre l'impunité des acteurs transnationaux. La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales est la marque de la prise en compte par le législateur du fait que les activités des entreprises mettent en jeu le bien-être de millions de personnes. C'est ainsi que toutes les infractions peuvent leur être reprochées et imputées. Mais à l'analyse, le droit pénal ne s'impose pas à cette catégorie de délinquants comme il s'impose aux infracteurs de droit commun, malgré le fameux principe de l'égalité des tous devant la loi. A dire vrai, le caractère sophistiqué des faits qui leur sont généralement

129 J.-H. ROBERT, Droit pénal général, 5e éd., PUF 2001, p. 50

reprochés désarme le droit pénal, qui est d'après l'article 111-4 du Code pénal, « d'interprétation stricte ». Le fait que tout soit de droit étroit en matière pénale empêche aussi au juge d'avoir une audace qui lui permettrait d'assurer une répression efficace des atteintes graves aux valeurs sociales protégées130. De même, le droit pénal est dévoyé par le fait que ces acteurs ont trouvé une nouvelle parade pour mettre fin aux actions tant publiques que civiles intentées contre eux devant le juge répressif131.

Pour mettre un terme à ces stratégies d'évitement du droit pénal, le juge répressif devrait pouvoir donner un contenu matériel adapté aux infractions reprochées aux pouvoirs économiques dont ils ne sont généralement pas les auteurs directs, mais en sont généralement bénéficiaires. Il en est ainsi de la mise en oeuvre de la complicité définie par l'article 121-7 du Code pénal comme le fait de la personne qui sciemment, par aide ou assistance, a facilité la préparation ou la consommation d'un crime ou d'un délit. Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre.

La lettre de cette disposition du droit pénal positif est dénuée de toute ambigüité. De portée générale, ce texte s'applique à toutes les infractions à moins qu'un texte spécial n'en ait ordonné autrement132. Or il a été rapporté dans les développements précédents que les multinationales sont généralement accusées de complicité de commission d'infraction de droit commun par leurs partenaires, personnes publiques ou privés133. La lecture de la jurisprudence relative à la répression des faits reprochés à ces acteurs déçoit et donne l'impression d'une justice de classe. La raison peut aussi être trouvée dans le fait que le juge

130 Le juge doit se soumettre aux principes directeurs et doit veiller à leur respect par les autorités de poursuite. Il est le gardien des libertés.

131 Les acteurs transnationaux, sujet de droit pénal selon le principe de la responsabilité des personnes morales, échappent à la répression en transigeant avec les parties poursuivantes, présumés victimes de leurs agissements. L'exemple en a été donné avec l'affaire des présumés travailleurs forcés contre la multinationale Total. Cette dernière a d€~ débourser 5 millions € pour obtenir de ses présumés victimes, la renonciation aux poursuites. L'affaire a été réglée par une ordonnance de non-lieu. Dans une autre espèce aux faits similaires mettant en cause le géant pétrolier Shell, la firme a déboursé 15.5 millions $ pour obtenir de ses accusateurs la renonciation aux poursuites. Voir infra

132 Crim. 24 nov. 1980, Bull. Crim . n° 314

133 Affaire Total précitée et surtout l'affaire Afrimex, accusé de complicité de crimes de Guerre en République Démocratique du Congo. Cette firme est accusée par l'ONG Global Witness de verser des « impôts » aux différents protagonistes du conflit armé qui déstabilise ce pays pour assurer l'exploitation des minerais dont elle est concessionnaire. Les « impôts » qui servent au financement du conflit.

De même, dans l'affaire de la firme anglo-hollandaise Shell, accusée de complicité dans l'élimination par pendaison d'un écrivain et leader écologiste nigérian et le massacre des villageois de l'ethnie Ogoni par le régime du dictateur Sani Abacha en 1995, les exactions ayant abouti au massacre auraient été perpétrées avec le soutien logistique de la filiale nigériane du groupe selon Global Witness.

répressif ne se saisit pas lui-même, il est saisi selon les cas soit concurremment par la ou les victimes et le ministère public soit exclusivement par le ministère public. Celui-ci a le monopôle de poursuites des infractions commises hors du territoire de la République : « dans les cas prévus aux articles 113-6 et 113-7, la poursuite ne peut rtre exercée qu'à la requrte du ministère public Elle doit rtre précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis »134. Ce texte confronté à la réalité des faits reprochés aux pouvoirs privés économiques, a tout d'un véritable anachronisme judiciaire en ce sens que le sort du droit dépendrait de la volonté du pouvoir politique auquel le ministère public est hautement subordonné. Le Parquet garde la haute main sur les conditions d'une réelle et efficace répression des délits susceptibles d'r~tre imputés aux acteurs privés de la mondialisation dans la mesure où même une constitution de partie civile ne pourra pas obliger le juge à statuer et dire le droit135. Aussi, le fait que les victimes sont souvent des citoyens anonymes et généralement sans ressources combiné avec l'impossibilité matérielle dans de nombreux cas de dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis, rend encore plus illusoire la poursuite des faits répréhensibles dont les pouvoirs privés économiques peuvent être auteurs ou complices.

La solution idéale serait de donner la qualité aux Organisations Non Gouvernementales spécialisées de pouvoir mettre en mouvement des actions devant le juge répressif contre les acteurs économiques transnationaux, surtout en matière de droits de l'Homme. Cela nécessite un assouplissement des conditions de recevabilité des actions répressives fondées sur des dispositions à caractère extraterritorial comme les articles 113-6 et 113-7 du Code pénal. Si ces obstacles de procédures pourraient être transcendés, la responsabilité de construire un droit international pénal des multinationales reviendrait au juge de fond. Celui-ci devrait, comme il l'a fait en matière d'encadrement du pouvoir politique, encadrer le pouvoir économique par sa jurisprudence. Il devrait oeuvrer manifestement pour la construction d'une économie de droit comme il a oeuvré en matière de construction de l'Etat de droit. La « raison du marché », tout comme la raison politique autrefois, ne devrait pas prospérer face à la mise en oeuvre sereine et dynamique des dispositions actuelles du Code pénal.

Le droit serait respecté par les multinationales partout de la même manière, dans les pays d'origine ou de siège de la maison-mère comme dans les pays d'accueil des investissements destinés à leurs activités de production plus porteuses de risque et donc de

134 Article 113-8 du Code pénal

135 Crim. 7 avril 1967: Bull. crim. N° 107

commission d'infractions. L'infraction reprochée à la filiale pourrait rtre reprochée directement à la maison mère si le système judiciaire du pays d'accueil des investissements est laxiste et inefficace, mais à condition que la personnalité juridique du groupe soit consacrée. Cette dernière question est le défi auquel est confronté le législateur répressif. Le sort de la répression des atteintes de dimension transnationale aux droits fondamentaux dépend de la volonté et de la capacité du législateur à saisir le phénomène de délocalisation de la criminalité transnationale.

§ 2 : Le recentrage autour des infractions d'affaires.

Il a été démontré dans la première partie les déficiences du droit pénal économique, dues au caractère si changeant du monde des affaires et à l'apparition des nouveaux acteurs et des nouveaux territoires de délinquance économique. Ainsi, les acteurs privés économiques qui méconnaîtraient les exigences légales et règlementaires favorables à la protection de la santé des populations ou au bien-être du consommateur devraient en payer le prix devant le juge répressif. Mrme s'il est admis que le droit pénal n'a qu'une vocation subsidiaire, il est souhaitable que pour assurer l'égalité de tous devant la peine, le droit pénal commun s'applique chaque fois qu'un régime spécifique ne paraît pas justifier l'efficacité de la répression. Or le régime spécifique de droit pénal économique ne semble pas efficace face à la délinquance des pouvoirs privés économiques.

Il a été démontré que les règles formelles, en l'occurrence la personnalité de la peine, ne permettaient pas la répression effective des pouvoirs privés économiques, véritables mosaïques de sociétés disposant chacune de la personnalité juridique. On est donc ici en face d'un être économique qui a plusieurs visages juridiques, ce qui lui permet de maitriser son « risque pénal » tout en tirant une plus-value de l'activité criminelle de son entité juridique délinquante.

Les pistes d'une adaptation pouvant permettre de pallier cette déficience sont nombreuses. Au-delà de la complicité qui peut toujours être établie pour passer outre le principe de la personnalité de la peine et remonter au centre de décision en retenant la responsabilité pénale du groupe, le juge répressif dispose d'autres techniques. C'est ainsi, peut-il faire recours à la mise en oeuvre du recel pour punir les vrais responsables de la délinquance économique. Par exemple dans le cas des infractions commises par des filiales, la

responsabilité du centre de décision, la maison-mère qui contrôle la filiale, pourrait être retenue sur le fondement de recel de produit d'XQeIiQIIrFtERQ. ,CrifeléP RQtréaXe les rJeQte économiques sont des êtres rationnels et P ri IP IsrMXIV,ITO Q'rJBM-QtMXFIXIDWJriQs SERIL sont supérieurs au cRMXQeTFRQGrP Qr11RQ.12 UESrrRDMIKIrOWIlM JrRXSIVS1XCeQt, après une analyse économique du coût et des gains de leurs actions ou omissions, commettre des délits ou des crimes tout en exposant pénalement la filiale, mais en tirant un avantage plus grand dans le cadre du groupe. 2 Q SRXrrrLSIIQPRegi IP Sall'XQ JIRXS11qXESrr XQe1110rlD située sur un marché dominé par un concurrent, choisit de porter atteinte à la structure du marché en procédant à des pratiques de prix non conformes aux usages de commerce et constituant des P R\1Qs d'rttrrFtiRQ et de SIgrtERQ.E,CEI'rJ Dilà 3- la pratique des prix abusivement bas SIRsFIEMSrMrLIFlD11. 420-5 du Code de commerce: « sont prohibées les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres

RXE SrDtiqXIsERntE SRXrERbjItERXE SIXYIntEDYRirE SRXrEIffItEO'pliminer O'XnE P DEFNpERX E OUI P Sr PNILEOfDccpOI1E1 EX(E P DUNpEX(IEIQrI SLisIERXElIX(EOIEIIiE STROXli* ». On se rend compte que par une filiale, un groupe peut par des pratiques peu orthodoxes évincer son concurrent du marché et y régner en position de monopole. Le droit de la concurrence saisit mieux cette stratégie des pouvoirs privés économiques que le juge pénal à travers la répression de la revente à perte136. Le droit pénal quant à lui réprime également de tels agissements qui tombent sous le coup des dispositions pénales, mais ne tient pas compte de la destination des profits de cette pratique délictueuse. Les profits tirés de telles activités sont constitutifs de bénéfice de la société qui est redistribué par la suite aux actionnaires en terme de dividendes. La maison-mère qui, en pratique, donne les ordres et définit la politique économique du groupe, donc de ses entités, recueille donc sous forme de dividende le fruit C'XQPrFUllieliliFtXEXsIU

Au lieu de poursuivre la filiale délinquante, on se rend compte que la mise en cause du centre de décision pour recel est possible, prr XQe11QtIISIItrtERQ d QrP iqXe de l'article 321-1 du Code pénal qui dispose : « le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre XnIEFNRII,ERXEOIEfDirIERfficIEO11ntI1 P pOlaire afin de la transmettre, en sachant que cette

136 $ IQsi, eMrSXQi3srEOBr reNFQt14 SIDI dHSIRdXit SrE XQe FIQtrrlW31rFKrt à NINIUrlOEs, F11st ce qui a été retenu par la Chambre criminelle de la CRXr 11Frs4r11RQ,:3rQs l'rFIrRI Drrty dX 21 jXin 1993, où elle a approuvé la CRXMrSSHX113rIB qXIrvrit rFjefé l'rrJXP eQtrtlRQ d'XQeIFeQerlDEIrFKrt qXi IMP rBMXMIQtlKiF\iRQ 1111rMlQt14 S1131 Qe11Xi erit Srs rSSaFrE0111s lRUeqXegileffllQ3r13Y une autre société du même groupe. Crim., 23 juin 1993, Bull., n° 219 (2) (cassation partielle)

chose provient d'un crime ou d'un délit Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit Le recel est puni de cinq ans et de 375 000 euros d'amende ». La mise en oeuvre stricte de cette incrimination dans les groupes de sociétés aura pour effet de remonter aisément au centre de décision et engager la responsabilité pénale du groupe. L'expression « en connaissance de cause » ne ferait aucun obstacle dans l'administration de la preuve dans la mesure où, par hypothèse, la politique du groupe est élaborée par le centre de décision du groupe. Une fois encore l'exemple des multinationales est saisissant. Prenant l'exemple de l'affaire Shell dont la filiale nigériane était poursuivie devant le juge répressif nigérian pour complicité de graves violations de droit de l'Homme avec l'Etat nigérian (la firme avait été innocentée par la justice nigériane), on se rend compte que les profits générés par cette activité fortement contestée servant de base à des violations de droits de l'Homme reviennent à la maison-mère sous forme de dividende. Une analyse et application stricte du texte sur le recel permettrait de mettre en cause le centre de décision pénalement.

On se rend compte qu'avec les moyens de droit pénal général, le juge répressif pourrait aisément réguler les pouvoirs privés économiques, mais à conditions que les obstacles tenant à la forme s'estompent un peu et que le ministère public s'y implique comme c'est le cas en matière de fraude aux financements public.

Section II : Le recentrage autour des fraudes aux intérêts publics.

On approuve tout à fait l'importante croissance des acteurs économiques privés dans le sens d'une croissance économique, mais à condition que les intérêts publics ne soient pas sacrifiés à des intérêts privés et particuliers, et que les intérêts publics ne soient non plus dépendants de la puissance désormais réelle des pouvoirs privés économiques. C'est désormais une évidence que pour ces derniers, le droit pénal est avant tout un risque qu'il faudrait contourner, car ils n'apprécient pas la rigidité du droit pénal et souhaitent être libérés de toute entrave. Reste que les finalités du droit pénal ne permettent pas que les intérêts de la communauté cèdent devant ceux d'une catégorie d'acteurs.

C'est dans son rôle de répression des fraudes aux intérêts de la communauté que le droit pénal s'attachera à sévir contre les atteintes à la transparence et au libre accès aux marchés publics (§ 1) et à loyauté dans la pratique des affaires (§ 2).

§ 1 : La répression effective des atteintes à la liberté d'accès aux marchés
publics.

Les marchés publics « sont les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et les opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ». Telle est la définition qui ressort de l'article 1 du Code des marchés publics dans sa version de 2006. On se rend compte qu'il s'agit d'une opération dans laquelle la personne publique renonce à son pouvoir unilatéral et se situe sur le champ contractuel face à un opérateur économique public ou privé en vue de conclure un contrat répondant à ses besoins de travaux, de fournitures ou de services. Malgré la précision de la qualité publique ou privée de l'opérateur économique, dans les faits, les soumissionnaires aux marchés publics sont généralement des opérateurs privés, des entreprises. L'opération de marché public requiert une attention particulière de la part de la communauté des citoyens tant il est vrai que c'est elle qui la finance à travers l'impôt. C'est la raison pour laquelle, toute atteinte aux exigences de concurrence et de libre accès ou de transparence doit être réprimée.

Les marchés publics mettent en jeu les deniers publics, le montant global de la commande publique dans la Communauté européenne représentait 720 milliards d'euros en

137biens et service dans l'Europe des quinze, soit 11.5% du PIB des quinze pays réunis, et attirent les convoitises. Certaines entreprises peu scrupuleuses sollicitent les acheteurs publics pour obtenir des marchés et faussent les règles du jeu en la matière. De mrme, l'accès aux marchés publics est un enjeu majeur dans la mesure où les opérateurs économiques dominants tels les pouvoirs privés économiques auraient tendance à en priver les petites et moyennes entreprises par des pratiques contestables. Pourtant, l'une des vocations des marchés publics est de contribuer à la satisfaction de l'intérrt général pour lequel le droit pénal est utilisé afin de sanctionner les atteintes. Ceci passe généralement par une mise en concurrence des candidats potentiels. Or les grandes entreprises sont suspectées par les petites et moyennes entreprises de les écarter de l'attribution des marchés en recourant aux pratiques contestables qui tombent sous le coup des délits de favoritisme et de corruption. Celles-ci seraient fortement intéressées par l'obtention des marchés publics dans la mesure où elles procèdent généralement à la sous-traitance toujours dans le cadre du groupe, à la faveur de la diversification de leurs activités.

La pénalisation des marchés publics est donc un moyen d'encadrer les pouvoirs privés économiques et d'emprcher qu'ils ne spéculent au détriment des contribuables et n'utilisent leur puissance financière pour constituer des « barrières à l'entrée » pour la soumission aux marchés publics. Les manquements au devoir d'impartialité et de transparence dans la dévolution des marchés publics a une conséquence grave dans la mesure où le seul perdant est en fait le contribuable, car c'est lui qui finance les marchés et paie les « pots-de-vin » dans les prix des adjudications faussées ou dans la diminution de la qualité des travaux ou prestation attendus l'opérateur. C'est la raison pour laquelle le champ de la répression est large et atteint à la fois la personne privée économique par l'incrimination de la corruption et le fonctionnaire par l'incrimination du favoritisme. Cette répression ne concerne pas seulement l'auteur ou le coauteur de l'infraction, mais également toutes les personnes qui, à des degrés divers (complice ou recel), ont commis les faits constitutifs des délits de favoritisme, de prise illégale d'intérrts ou de corruption138.

137 F. GESCAUD, Livre vert de la Commission : les marchés publics doivent jouer l'ouverture, MOCI 19/26 décembre 1996, p. 15, cité par P. REIS, La concurrence et les marchés publics, Thèse Nice, 1999, p. 9

138 Voir article 432-14 du Code pénal réprimant le favoritisme: « Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d'économie mixte d'intérêt national chargées d'une mission de service public et des sociétés d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte

ans le cadre d'un marché globalisé, où un opérateur peut approvisionner plusieurs personnes publiques sur des espaces territoriaux différents, les risques sont encore plus grands et les probabilités de commissions des infractions aux règles de passation des marchés publics s'accroissent. C'est ainsi que dans le cadre de l'OCDE, les Etats membres ont décidé d'incriminer la corruption d'agents publics étrangers. Or les marchés publics étrangers constituent l'essentiel des parts de marché des grandes entreprises et l'enjeu majeur du commerce international. Mais il semble que la convention de Paris du 17 décembre 1997 sur la répression de la corruption d'agents publics étrangers ne résolve pas tout le problème dans la mesure où elle n'incrimine que la corruption active et ne vise pas la corruption passive du fonctionnaire étranger. Le fonctionnaire étranger est jouit d'une certaine impunité dès lors que l'acte se produit en dehors de la communauté européenne. Ce qui peut faire dire que les risque pour les entreprises de se faire prendre sont minces et que la convention n'est pas suffisante, mais les conséquences pour l'entreprise qui se fait prendre sont énormes.

Il paraît opportun que la compétence du juge répressif soit renforcée dans le domaine du contrôle des actes de l'achat public afin de mieux encadrer les grandes entreprises par la répression de leurs abus et favoriser l'accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique. Les marchés publics peuvent donc être un domaine dans lequel le droit pénal pourrait se focaliser à l'encontre des pouvoirs privés économiques dans la mesure où les infractions qui y sont commises ne requièrent pas généralement l'appréciation concurrente d'une autre autorité : elles sont constituées dès lors que l'acte matériel est caractérisé. Investies d'une plénitude de compétence renforcée par l'article 111-5 du Code pénal, les juridictions répressives ne sont pas tenues de renvoyer les questions préjudicielles au juge administratif et ont, par conséquent, le pouvoir de qualifier les marchés publics à l'origine des poursuites.

Toutefois, pour que la répression pénale frappe véritablement les personnes à l'origine des comportements fautifs, le juge pénal, face aux pouvoirs privés économiques devrait procéder par touches techniques, en puisant dans le droit pénal les mécanismes pouvant lui permettre de désigner le vrai responsable. Ainsi en sera-t-il lorsque le juge pénal fera recours à la caractérisation de la complicité pour sanctionner les centres de décision, généralement la maison-mère du groupe. Dans ce domaine, la justice américaine est en avance sur celle du

de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ». Voir aussi l'article 432-11 du Code pénal sur la corruption passive et l'article 432-12 du même Code sur la prise illégale d'intérêts.

reste des pays de l'OCDE dans la mesure où elle réprime efficacement les entreprises américaines pour des faits commis par leurs filiales à l'étranger alors, que dans d'autres pays de l'espace OCDE, l'efficacité du droit pénal tarde à se dévoiler. La pauvreté du contentieux dans le domaine des marchés publics internationaux est le signe mrme de l'inadaptation du droit des marchés publics à l'espace économique transnational. Le renforcement de la compétence du juge répressif en la matière viendrait remédier à la défaillance ou à la carence des contrôles administratifs dans les marchés de cette dimension. La pénalisation est donc un instrument de dissuasion et de moralisation du processus de dévolution des marchés publics. Il ressort donc de ce qui suit que le droit pénal peut avoir pour champ de prédilection les marchés publics et pourrait utiliser les qualifications de recel et de complicité pour réprimer les pouvoirs privés économiques. Mais le juge pénal pourrait aussi recourir à d'autres procédés pour réguler les pouvoirs privés économiques dans les domaines où les principes du droit pénal ne facilitent pas la répression automatique des comportements illicites : il pourra s'approprier les Codes de conduite privés.

§ 2 : L'appropriation pénale des manquements graves aux Codes de
conduite privés des pouvoirs privés économiques.

Il s'agit de la réponse du droit pénal à la soft Law. L'intervention pénale dans ce domaine vise à sanctionner les manquements les plus graves aux obligations souscrites dans les Codes de conduites destinés aux partenaires de l'entreprise et à préserver l'éthique minimale au sein d'un système qui s'auto-régule et dont les Codes de conduite constituent une des manifestations du pouvoir. Il est d'actualité que la majorité des pouvoirs privés économiques, du moins celles qui disposent d'une personnalité juridique ou présentent une structure intégrée, ont élaboré un Code de conduite destiné à encadrer les activités de leurs différentes entités dans les différents espaces et contiennent des prescriptions de comportements positifs139. Par exemple, la firme Royal Dutch Shell rend obligatoires les

139 C'est ainsi que l'on trouve des Codes de conduite ou chartes éthique, selon la terminologie employée par l'entreprise, qui ont vocation à réguler les comportements de l'entreprise en tout lieu et à s'appliquer à l'ensemble de ses activités. Voir, M. BRAC, « Codes de bonne conduite : Quand les sociétés jouent à l'apprenti législateur », dans E. CLAUDEL et B. THULLIER (dir.), Le droit mou : une concurrence faite à la loi, Paris, Travaux du CEDCACE, 2004. Disponible à : http://www.glose.org/cedcace.htm, voir aussi, G. FARJAT, « Nouvelles réflexions sur les Codes de conduite privée », dans J. CLAM et G. MARTIN (dir.), Les transformations de la régulation juridique, Paris, L. G. D. J., 1998, p. 15 1-164,

prescriptions énoncées dans son Code de conduite à toutes ses entités140. Les Codes de conduites privés à travers lesquels les entreprises proclament leurs prédispositions à respecter la législation et à mieux faire, en respectant par exemple les droits de l'Homme et l'environnement, pourraient inspirer le juge répressif à prendre les pouvoirs privés économiques aux mots pour réprimer certains manquements graves à leurs engagements et ce, nonobstant le lieu où le délit est commis.

L'appropriation pénale des Codes de conduites des grandes entreprises a pour avantage qu'elle permettrait d'appréhender pénalement les agissements qui échappent à la répression par la stricte application ordinaire des principes directeurs du droit pénal. Par exemple, l'application du principe de la personnalité de la peine ne permet pas de réprimer pénalement le groupe pour les activités de sa filiale située dans un autre pays, à moins qu'il soit prouvé une gestion de fait de la part de la maison-mère. Or, dans les Codes de conduite, les groupes s'engagent à tout faire pour respecter au minimum la règlementation et au mieux promettent de mieux faire. En s'intéressant aux entreprises dont l'activité se déploie ordinairement hors du territoire d'un Etat, les banques par exemple, on se rend compte que certaines ne respectent pas à la lettre leurs engagements. Prenant l'exemple de l'incrimination du blanchiment d'argent, il paraît difficile de contrôler l'origine des fonds déposés dans certaines filiales des banques de grandes renommées situées dans les pays à faible système juridique ou dans certains paradis fiscaux.

S'il est avéré que les groupes respectent la législation dans les pays à systèmes économique et juridique intégrés, les doutes sont permis lorsque les mêmes activités se déploient dans les pays à faibles systèmes juridiques. D'ailleurs, c'est dans ces pays que la plupart des délits environnementaux et de corruption transnationale sont reprochés aux pouvoirs privés économiques. L'appropriation pénale des Codes de conduite aura pour effet de tenir pour pénalement responsable le groupe pour les activités délictueuses commises par ses filiales ou ses sous-traitants intégrés dans la mesure où le Code de conduite, émanation de

140 On peut y lire : « Nos valeurs fondamentales d'honnrteté d'éthique et de respect d'autrui s'appliquent à toutes nos activités et sont le fondement mrme des Principes de conduite de Shell. Toutes les sociétés Shell doivent mener leurs activités dans le respect de ces principes. Nous sommes jugés d'après nos actes et notre réputation sera confirmée si chacun d'entre nous agit dans le respect de la législation et des principes éthiques énoncés dans nos Principes de conduite. Chacun chez Shell doit respecter ces exigences qui s'appliqueront bien str à différentes personnes à différents moments en fonction de leur travail. La violation du Code peut conduire à des mesures disciplinaires. Nous nous engageons à faire tout notre possible pour vous aider à observer le Code ».

la volonté de l'entreprise de se comporter en entreprise responsable interdisent de telles pratiques. Au civil, on se souvient de l'affaire Nike où la multinationale s'était fait condamnée pour non respect de la législation sur le travail des enfants du fait de ses sous-traitants intégrés en Asie du sud-est.

Le juge répressif pourrait s'inspirer de cette jurisprudence civile pour réguler pénalement les grandes entreprises qui manquent à leur promesse de se comporter de manière responsable. Il pourra se fonder sur l'article L.121-1 du Code de la consommation tel que modifié par la Loi n°2008-776 du 4 août 2008 portant modernisation de l'économie. Les articles 121-2 à 121-7 de ce même Code instituent une série de mesures visant à réprimer et sanctionner les pratiques commerciales trompeuses. La cessation de la pratique commerciale trompeuse peut être ordonnée par le juge d'instruction ou par le tribunal saisi des poursuites, soit sur réquisition du ministère public, soit d'office. La pratique commerciale trompeuse est punie d'un emprisonnement de deux ans au plus et d'une amende de 37 500 euros au plus, cette amende pouvant être portée à 50 % des dépenses de la publicité ou de la pratique constituant le délit.

Il est clair que si le juge répressif venait à faire application de ce dispositif pour réprimer les manquements aux prescriptions d'un Code de conduite d'une grande entreprise, les chefs d'entreprise seraient à l'avenir plus respectueux des engagements qui y sont contenus. Par exemple dans les affaires mettant en cause les entreprises ayant souscrit de tels engagements, le fondement de la condamnation à une peine pourrait être l'interprétation combinée de la pratique commerciale trompeuse et de la volonté affichée du défendeur à respecter certaines prescriptions et publiée dans un document qui tient lieu de loi à son encontre. Par exemple, l'article L. 121-1-1 (n° 3) du Code de la consommation réprime le fait « d'affirmer qu'un Code de conduite a reçu l'approbation d'un organisme public ou privé alors que ce n'est pas le cas ». Il s'agit d'une infraction formelle, qui ne suppose aucun résultat. Une telle démarche pourrait être utile en matière de répression de la délinquance environnementale transnationale ou même de corruption d'agents publics étrangers par une filiale d'un groupe.

De même, le juge répressif pourrait utiliser les Codes de conduite comme un instrument pour rechercher les vrais décideurs auxquels il faudrait imputer la responsabilité de l'infraction. Dans le cadre des infractions trouvant leur source dans les activités d'une grande complexité, l'exploitation des Codes de conduite des différents associés de l'entreprise présumée délinquante pourrait permettre de désigner le véritable responsable ; l'entreprise au

profit de laquelle l'infraction est consommée ou à la charge de laquelle elle sera imputée. Par exemple, dans le Code de conduite l'entreprise Royal Dutch Shell, il est écrit à propos des personnes qui doivent appliquer le Code : « Chaque salarié, directeur ou responsable de chaque société détenue entièrement par Shell et de chaque joint-venture contrôlée par Shell doit appliquer le Code de Conduite. Le personnel contractuel doit aussi observer le Code. Les sous-traitants ou les consultants qui nous représentent ou qui travaillent pour notre compte ou en notre nom, par I' externalisation de services, de processus ou de toute activité commerciale, doivent se conformer au Code lorsqu'ils agissent pour notre compte. Les sous- traitants et les consultants indépendants doivent prendre connaissance du Code, puisqu'il s'applique aux relations que notre personnel entretient avec eux Nous appliquons le Code dans toutes les joint-ventures contrôlées par Shell. Lorsque nous participons à une joint- venture qui n'est pas contrôlée par Shell, nous encourageons la coentreprise à adopter des principes et des normes similaires».

Les Codes de conduites s'avèrent donc comme un véritable document pouvant rendre service au juge répressif pour une répression efficace en droit économique caractérisé par l'émergence des nouveaux pouvoirs qui bouleversent la mise en oeuvre des règles pénales en matière économique. L'émission d'un Code de conduite devrait tenir lieu de loi à l'égard de son auteur et permettre au juge de déterminer le contenu de l'obligation à laquelle s'est engagé son souscripteur. Tout manquement à ce contenu et qui heurterait une valeur sociale protégée pourrait inspirer le juge répressif à réguler les pouvoirs privés économiques. Le redéploiement efficace de la mise en oeuvre du droit pénal à l'encontre des pouvoirs privés économiques est dépend aussi de l'appropriation de ces normes d'origine privée.

Titre II : Le redéploiement de la mise en oeuvre du droit pénal à l'encontre
des pouvoirs privés économiques.

La recomposition du champ pénal imposée par les impératifs d'adaptation des dispositions du droit pénal à la qualité des acteurs et à leur territoire d'activité appelle aussi une recomposition du champ de l'administration de la justice répressive. Les insuffisances révélées de l'administration traditionnelle de la justice pénale par l'émergence des nouveaux pouvoirs, pouvoirs privés économiques, appellent une reconsidération de l'application du droit pénal économique. La qualité, mais surtout le statut des nouveaux acteurs du droit pénal économique ne permettent plus à un ordre juridique national donné de prétendre les réguler, même aux moyens des règles pénales extraterritoriales.

En outre, il a été constaté que des nouveaux systèmes de sanctions concurrencent de plus en plus la vocation naturelle du juge répressif à appliquer la peine. Les garanties de procédure qui autrefois n'étaient assurées que par le juge répressif ont été progressivement imposées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme à ces nouveaux modes de sanctions para-pénales. Aujourd'hui, le droit pénal économique s'est enrichi d'une nouvelle notion : « la matière pénale »141. Les exigences du droit à un procès équitable ont judiciarisé les autres modes de sanctions au point où on en est arrivé à une dilution de l'intervention du juge répressif en matière de répression de la délinquance économique des acteurs privés économiques.

On constate donc que le droit pénal au sens strict ne suffit plus pour la régulation des acteurs aussi mouvants que sont les pouvoirs privés économiques. Les juridictions pénales n'ont plus le monopole de la répression et maints organismes spécifiques ont éclos, participant à l'oeuvre de justice répressive : Conseil de la concurrence, AMF, CSA. Une meilleure régulation répressive des agents privés du droit économique passerait donc par le renforcement de l'office répressif des autorités indépendantes de régulation (chapitre I) et par une nécessaire internationalisation du droit pénal (chapitre II).

141 Sur cette notion, voir. S. VAN DROOGHENBROECK, la Convention européenne des droits de l'Homme- Trois années de jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme (2002-2005) vol. 1, Les dossiers du Journal des Tribunaux.,n° 57, Bruxelles, Larcier, 2006, pp 96-99.

Chapitre I : Le recadrage de l'office répressif des autorités de régulation.

IO s'agit là d'une nécessité contemporaine déjà ressentie dès 1978 avec la création et l'autonomisation mrme de ces autorités de régulation communément désignées « autorités administratives indépendantes »142. Ayant pour origine les « agences » anglo-saxonnes, elles ont de nos jours la gestion des secteurs sensibles de l'économie et sont une fois de plus l'expression de la mondialisation mrme du droit. De statut mixte, elles ont pour fonction la régulation de l'économie de marché et ont été créées en réaction à la toute puissance des pouvoirs privés économiques. C'est ainsi que l'AMF s'occupe de la régulation des marchés financiers, l'Autorité de la concurrence pour la régulation du marché concurrentiel, la Commission des clauses abusives, la Commission bancaire, le CSA et la CNIL.

Ces autorités régulatrices fonctionnent comme l'administration fiscale, dotées de larges compétences répressives et ne respectent pas la distinction des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement. Elles ont en commun la confusion des pouvoirs, dès lors que l'infraction est constatée, la poursuite, l'instruction et le prononcé de la sanction ne sont pas séparées. C'est ce qui à motivé certains auteurs à parler de « punir sans juger » en ce sens que l'administration « punit » sans qu'iOy ait eu « jugement » au sens traditionnel du terme143. Ces instances exercent une sorte de répression para-pénale. Toutefois, l'influence et le rayonnement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ont eu pour effet la juridictionnalisation du contentieux devant ces autorités régulatrices. Les exigences du procès équitable posées par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme imposent le respect des garanties procédurales et des droits de la défense. Ces autorités sont donc devenues des véritables instances de justice répressive, voire des instances spécialisées de justice pénale en ce sens que chacune d'elle est dotée d'une compétence spéciale dans un domaine précis et que les griefs portés contre leurs décisions sont adressés à une juridiction de second degré. Leur spécificité institutionnelle répond mieux aux exigences de la mission régulatrice qui leur est confiée. Mission qui consiste à réaliser un arbitrage entre intérêts en présence, préciser les règles de jeu, s'assurer de leur respect, tout cela dans le but de protéger les libertés. Les destinataires de ce type de répression dans

142 Elles sont apparues pour la première fois dans la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978 instituant la CNIL, confère L. BOY, Droit économique, Hermès, 2002, p. 79, n° 141

143 M. DELMAS-MARTY et C.TEITGEN-COLLY, Punir sans juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal, Economica, 1992, p. 9

l'économie de marché sont en principe les pouvoirs privés économiques en ce sens que ces autorités qualifient leurs abus et y attachent des conséquences de droit qui s'imposent.

Toutefois il semble qu'à l'épreuve des pouvoirs privés économiques et dans un contexte d'économie mondialisée, les pouvoirs traditionnels de ces autorités de régulations ne permettent pas d'assurer une répression efficace de ces acteurs mouvants de l'économie. De même, il semble que l'atomicité des organes de régulation à caractère économique et la forte concentration des acteurs économiques rende insuffisante la répression en ce sens que certaines pratiques sont réprimées par certaines autorités et tolérées par d'autres alors qu'une coopération aurait permis une répression effective et efficace. Par exemple, en matière d'atteinte à la libre concurrence, il a été constaté une grande divergence d'approche du traitement répressif des infracteurs144.

Fort de ce constat, il est souhaitable pour un meilleur encadrement des pouvoirs privés économiques par les instances de régulation, que d'aucun qualifie de « magistrature particulière », que soit recadré leur domaine de compétence (section I) et qu'il y ait une redéfinition des rapports entre elles et la justice pénale (section II).

Section I : Le recadrage du domaine de compétence des instances de
régulation.

Le souci du recadrage du champ de compétence des autorités de régulation face aux acteurs privés économiques naît du constat de « colonisation » du champ pénal traditionnel par l'activité progressivement envahissante de ces « nouveaux magistrats ». De même, la généralisation des pratiques transactionnelles a pour effet de dévoyer le principal caractère de l'action publique : il est admis qu'on ne transige pas sur l'action publique. Or, on constate que peu de dossiers sont transmis à la justice répressive par ces autorités régulatrices. Par exemple, les statistiques de transmission de dossiers au Parquet par l'Autorité de la concurrence sont peu reluisants par rapport au nombre d'affaires que connaît cette autorité et au nombre de condamnation qu'elle prononce. La conclusion qui se dégage est que ces autorités sont devenues pour ce qui est de la mise en oeuvre du droit pénal économique, les

144Dans la majorité des Etats à économie de marché, la répression des comportements anticoncurrentiels révèle une différence par rapport à la manière dont le même comportement est traité dans d'autres pays. Ainsi en Allemagne par exemple, on constate une prédominance de la répression adm issions pour l'obtention des marchés publics sont réprimées pénalement alors qu'en Grande Bretagne, on allie répression administrative et répression pénale.

véritables « juge de la poursuite », dans la mesure où ils ont le pouvoir de décider du sort à donner aux faits qu'ils ont le privilège de connaitre prioritairement en qualité d'expert. Ce qui contribue à affaiblir le droit pénal. Cette tendance est particulièrement observée en droit de la concurrence (§ 1) et en droit des marchés financiers (§ 2).

§ 1 : Le recadrage de l'office de l'autorité de la concurrence.

L'Autorité de la concurrence est l'instance qui a succédé au Conseil de la concurrence. D'après l'article L.461-1 du Code du commerce dans sa dernière version issue de la loi de modernisation de l'économie du 4 aoEt 2008, elle est une autorité administrative indépendante. Elle veille au libre jeu de la concurrence. Elle apporte son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés aux échelons européen et international. Sa vocation principale n'est donc pas d'appliquer le droit pénal, mais d'assurer et de veiller au fonctionnement harmonieux du marché. Toutefois, elle a recours aux procédés du droit pénal pour rendre effectives ses décisions. De même, elle a compétence pour caractériser les infractions commises en matière de concurrence, ce qui a comme effet que le juge répressif ne connait de contentieux en la matière que lorsqu'elle l'estime opportun. L'autorité de la concurrence est donc un juge d'opportunité de la répression pénale des comportements anticoncurrentiels. C'est pourquoi certains auteurs en sont venus à parler d'un « droit administratif pénal »145. « C'est aux autorités de la concurrence qu'il revient de faire le départ entre les comportements qui sont légitimes parce qu'ils peuvent renforcer la concurrence et ceux qui lui nuisent »146.

On se rend compte qu'à l'épreuve des pouvoirs privés économiques, ce mécanisme affaiblit plutôt l'ordre public pénal en ce sens que la préoccupation de l'autorité de la concurrence semble être plutôt le chiffre : la condamnation au payement des amendes record en est l'ex pression147. Ce qui fait croire que le droit de la concurrence s'affranchit de certains principes du droit pénal économique. On se rend compte que le législateur a voulu dessaisir le

145M. DELMAS-MARTY et C.TEITGEN-COLLY, Punir sans juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal, op. cit, p. 29

146 C. BABUSIAUX, la répression et le contrôle administratif de la régulation concurrentielle, « In Les enjeux de la pénalisation du droit économique », op. cit, p. 116

147 Par exemple, dans l'affaire des escalators et ascenseurs, le montant de l'amende a frôlé le milliard d'euro : 992.312.200 Euros. De même, le 13 mai dernier, la Commission européenne a infligé une amende record de 1,06 milliard d'euros au géant américain de microprocesseurs Intel, reconnu coupable d'abus de position dominante.

juge pénal de l'important contentieux des comportements anticoncurrentiels, contrairement d'autres pays qui, comme le Canada, les États-Unis, le Japon et l'Autriche, ont opté pour la sanction pénale pure. Le juge répressif n'est compétent en cette matière que de manière exceptionnelle et pourtant une disposition de droit positif, l'article 40 du Code de procédure pénale fait obligation à toute autorité de révéler sans délai au procureur de la République les faits délictueux dont il a connaissance dans le cadre de sa fonction, de transmettre à ce magistrat tous renseignements, procès verbaux et actes qui y sont relatifs. Les autorités de la concurrence se seraient impunément affranchies de cette disposition hautement d'ordre public alors que l'Autorité des marchés financiers a l'obligation selon l'article L.621-20-1 alinéa 1er du Code monétaire et financier d'informer le Parquet tant en cas de délit pénal simple qu'en cas de délit boursier.

Il est souhaitable, pour plus de dissuasion à l'endroit des acteurs économiques, que soient reconsidérées les compétences de l'Autorité de la concurrence en matière de qualification de l'infraction susceptible d'r~tre poursuivie devant le juge pénal. Le législateur pourrait incriminer des comportements répréhensibles qui portent gravement atteinte à la libre concurrence et ne laisser à l'Autorité de la concurrence que le soin de les constater à l'occasion de sa saisine et de transmettre sans appréciation d'opportunité le dossier aux autorités de poursuite pour la mise en oeuvre de l'action publique. Ce déficit d'incrimination précise ne permet pas une juste répression de la délinquance économique orchestrée par les pouvoirs privés économiques. Par exemple, dans l'affaire des ententes de la téléphonie mobile, le fait que les auteurs n'aient été condamnés qu'au payement des amendes sans qu'aucune mesure punitive de nature pénale ne soit prononcée contre ses initiateurs comme le veut l'article 420-6 du Code du commerce, donne un sentiment d'impunité des pouvoirs privés économiques favorisée par l'état du droit pénal de la concurrence français. A titre de droit comparé, on rappellera que si cette affaire avait été réglée au moyen du droit américain ou anglais, les personnes physiques qui y étaient impliquées auraient écopé de très lourdes peines d'emprisonnement et des condamnations aux amendes et les personnes morales devraient aussi payer plus cher que la somme à laquelle elles ont été condamnées.

Aussi, l'article L.420-6 du Code du commerce qui réprime en matière de concurrence toute personnes physique qui, frauduleusement, aura pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre des pratiques visées aux articles 7 et 8 de l'ordonnance de 1986 semble plutôt sanctionner un comportement délictueux, extérieur à l'ordre public économique que l'ordre public pénal viendrait renforcer.

Cela semble vrai parce que parmi les éléments constitutifs de l'infraction figurent, outre les pratiques anticoncurrentielles, l'exigence que la personne incriminée ait participé à l'entente en usant des moyens ou des procédés frauduleux.

Quoiqu'il en soit, un heureux dosage des dispositions existantes et des nouvelles incriminations qu'il serait souhaitable d'adopter permettrait de mieux saisir les grandes entreprises et toutes les entreprises ayant les moyens de neutraliser la loi et d'instrumentaliser les dispositions juridiques. Il en sera de même en droit des marchés financiers.

§ 2 : Le recentrage de l'office du régulateur des marchés financiers.

Le droit des marchés financiers ou droit boursier est l'un des points où la cohabitation, voire la collaboration entre la répression administrative et la répression pénale s'illustre pleinement. Suscitant moins de controverses quant à son opportunité et son efficacité, le bilan de cette harmonie entre les deux systèmes de répression est moins reluisant pour la répression pénale et plutôt favorable à la répression administrative. Bien que les deux systèmes de sanction soient déployés pour contrer les appétits de certains pouvoirs privés économiques par la sanction des « abus de marché », il semble que lorsque les procédures distinctes sont engagées parallèlement, l'office du juge répressif se trouve habituellement diminué148. L'observation du contentieux du droit boursier permet de conclure qu'ici le pénal ne tient pas en l'état la répression administrative. La décision rendue par l'autorité de marché est en pratique exécutoire alors même que le juge pénal n'a pas encore rendu sa décision ou n'a pas encore achevé son instruction149.

Le rôle de l'Autorité des marchés financiers est en principe la prévention des abus de marché tels que les manquements d'initiés, les manquements de manipulation de cours et les manquements de diffusion de fausse nouvelles150. Elle protège les épargnants dans le cadre des entreprises faisant appel public à l'épargne ou dans le cadre d'une introduction d'un

148 V. pour une opinion plus nuancée, J.-H. ROBERT, Unions et désunions des sanctions du droit pénal et de celles du droit administratif, AJDA, n° spécial annuel, 20 juin 1995, p. 76

149 F.-L. SIMON, Le juge et les autorités du marché boursier, LGDJ, 2004, 240, n°430

150 Selon l'article L.621-1 du Code monétaire et financier, modifié par l'Ordonnance n° 2008-1271 du 5 décembre 2008, l'Autorité des marchés financiers, autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, veille à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant lieu à appel public à l'épargne, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers. Elle apporte son concours à la régulation de ces marchés aux échelons européen et international. Elle veille également à ce que les entreprises soumises à son contrôle mettent en oeuvre les moyens adaptés pour se conformer aux Codes de conduite homologués mentionnés à l'article L. 61 1-3-1du même Code.

instrument financier sur les marchés financiers. Toutefois, compte tenu des impératifs de protection de l'investissement, de l'épargne, mais aussi de l'investisseur, les autorités administratives en charge du marché boursier ont été dotées d'importants pouvoirs de sanction qui empiètent sur le terrain de compétence du juge répressif. Ce qui a comme conséquence l'effritement des pouvoirs du juge pénal en la matière. Toutefois, il faut se réjouir de l'état actuel du droit de répression des abus de marché, car à la lumière du droit comparé, la France fait une très grande place à la justice pénale dans ce genre de contentieux réputé technique. Par exemple, en Grande Bretagne, le régulateur cherche et poursuit lui- même les infractions, à charge pour lui de saisir le Parquet et de se constituer partie civile quand il estime que les faits sont d'une gravité exceptionnelle et que la réponse par la sanction administrative qu'il est susceptible de prononcer est insuffisante. En d'autres termes, le régulateur de la place de Londres est le juge de l'opportunité de poursuite en matière d'infraction relevant des abus de marché.

Le droit français des marchés financiers est donc l'un des outils répressif les mieux adaptés de régulation des pouvoirs privés économiques en ce sens que la cohabitation entre les deux instances chargés de l'appliquer et de le mettre en oeuvre se passe dans l'harmonie. Toutefois, le fait que tout dépende des autorités du marché financier n'est pas tout aussi satisfaisant pour les autorités judiciaires. Il serait souhaitable que dès le moment où les autorités du marché financier détectent un fait susceptible de recevoir une qualification pénale, elles en informent sans délai le Parquet pour que les enquêtes soient menées soit conjointement, soit séparément, mais au même moment. Le Parquet mènerait ses enquêtes sur les délits boursiers et l'autorité de régulation du marché financier sur les manquements. De même, pour les cas d'abus de marché les plus graves, la voie pénale devrait être privilégiée.

La collaboration entre le juge répressif et les autorités du marché ont pour résultat l'efficacité de la répression des infractions boursières. Cette collaboration fructueuse devrait inspirer les autres instances de régulation et le législateur afin que l'ordre public pénal en droit économique ait des effets attendus, surtout en temps de crise.

Section II : La nécessaire redéfinition des rapports entre les autorités de
régulation et la justice répressive.

Les relations entre les autorités de régulation et la justice pénale ne sont toujours pas cohérentes en matière de régulation répressive des pouvoirs privés économiques. Tantôt on constate des rapports de défiance, comme en droit de la concurrence, tantôt des rapports de complémentarité comme en droit des marchés financiers. Il a été démontré que la dissuasion pénale mise en oeuvre par la justice pénale était le meilleur instrument de contrôle des acteurs- organisateurs du marché que sont les pouvoirs privés économiques. Or le droit de la concurrence est considéré comme le coeur mrme du droit économique151 , la « constitution du marché », mais on constate que dans un bon nombre de pays dont la France, la répression des atteintes à la libre concurrence échappe à l'empire du droit pénal contrairement aux pays de l'espace anglo-saxon. La marge de manoeuvre qui est attribuée au juge pénal dans cet important contentieux à travers lequel les pouvoirs privés économiques sont mieux encadrés est insignifiante relativement à l'importance des enjeux en la matière. En plus, le fait que les autorités de la concurrence ne transmettent que rarement les dossiers au juge pénal est à déplorer.

Il serait judicieux, comme en matière de contentieux d'abus de marché, que les autorités de la concurrence aient la même obligation de communication de dossier et de révélation des faits délictueux au Parquet que le régulateur des marchés financiers. Cela permettrait à la justice pénale de mieux cerner les pouvoirs privés économiques et de diminuer la marge d'impunité dont ils bénéficient à cet effet, car, ce sont les consommateurs et les actionnaires qui supportent en réalité les frais des condamnations au payement des amendes prononcées par les autorités de la concurrence. La place du droit pénal devrait être revalorisée dans le contentieux des pratiques anticoncurrentielles en ce sens qu'il est un outil adéquat de moralisation des décideurs. Une collaboration entre les autorités de la concurrence viendrait gommer une telle marginalisation voulue par le législateur. On se souvient que le Code de commerce ne contient aucune disposition visant directement les pratiques anticoncurrentielles. L'article 420-6 de ce Code ne vise que les cas de fraude imputables aux personnes physiques. Les pratiques anticoncurrentielles en elles-mêmes ne sont pas appréhendées pénalement en droit français

151 G. FARJAT, Droit économique, PUF Thémis 1982, p. 468 et s.

Il serait convenable que le législateur fasse obligation à l'Autorité de la concurrence de collaborer avec les autorités judiciaires pour permettre une meilleure répression pénale des infractions à la libre concurrence, mais il faudra auparavant définir les infractions à la libre concurrence. Il a été révélé précédemment le rôle congru que joue le droit pénal en matière d'infraction à la libre concurrence en France. Les pouvoirs privés économiques ne devraient pas être invulnérables sur le terrain concurrentiel. Quoiqu'il en soit, une collaboration étroite est nécessaire entre les autorités de régulation et les autorités judiciaires pour mieux encadrer les pouvoirs privés économiques.

Les autorités de régulation pourraient dans une perspective de répression efficace des pouvoirs privés économiques, opérer comme une autorité d'enqur~te et d'instruction pour ce qui est des infractions graves et complexes, chacun dans son domaine. Pour cela, le juge pénal ou le Parquet pourraient leur confier des missions spéciales afin d'avoir des informations claires et précises pouvant lui permettre de mettre en mouvement l'action publique. On se rend directement compte qu'il s'agit dans ce cas d'une coopération internationale entre les autorités de régulation et les autorités de justice répressive. Ainsi, un juge d'instruction français pourrait demander aux autorités des marchés financiers de la place de Shanghai de lui donner les informations précises sur une cotation et les modalité d'acquisition des actions en questions si cela est nécessaire pour le sort de la procédure ouverte devant lui.

On peut aussi concevoir l'hypothèse où le juge pénal pourrait être le contrôleur des autorités de régulation, raison pour laquelle elles doivent communiquer avec lui. La compétence de l'autorité de régulation ne devrait pas priver le juge pénal de la sienne. L'autorité de régulation devrait saisir le juge pour le conforter dans son rôle. Ainsi, on pourrait envisager le régulateur comme le complément du juge, son expert.

On constate les réelles difficultés que pose l'articulation des autorités de régulation entre eux et dans leurs relations avec le juge répressif. On pourrait être modeste et concevoir la possibilité de répondre à tous ces soucis par les moyens du droit interne. Pour cela, la solution de l'internationalisation du droit pourra être explorée.

Chapitre II : L'internationalisation du droit pénal.

Le développement des acteurs économiques au statut désormais global oblige le droit pénal de sortir de son F I I ELIPMEtRU I I lISRM \I I I SSCLUEZ I I u-delà. &RQfIRQtp 1I I I IEM I I LIESH5 aisé des valeurs hautement contradictoires telles le\31RB\ 1-1l1Homme et le marché, le marchand et le non marchand, le droit pénal économique traditionnel se révèle moins adapté poulnpLIuOLUD\ I I FUZ\ELIlRE I I u{ EGEMpFRQRP Te : les pouvoirs privés économiques. Et pourtant, il semble être un puissant instrument de régulation internationale des acteurs pFRQRP LIue\, 1 FRQMIRQ MCIQtgLIIHRI\' I I SSIRSIERe\ rp I I litp\ II l I I LI aRl I I litp I I Ftuelle.

/ 'iQtMQ I I tIRQ I I li\ I I IIRQ dMIR111SpQ I I l I\tIeQ f I I EMQ processus par lequel le droit pénal lQterQe iPQ I( t I I t iRQQp pAlQd \ I I FRP SpteQFe I I u{ II I I it\ qui naturellement lui échappent et qui RQt vRF I I IIRQ S î\MTrpLIi\I\RMS I I rADRIR1INE'uQ I I Ftre I( t I I t, \Rit par le droit international. Cette internationalisation ou mondialisation des juges « conduit à une extension de leur compétence

j 111F1Di is 1 21DyD 1 2 iIDucu 1 2 III 1 2 TIRID i iDclePh 1 2 iFDMFil#2 iD i (1Di is PRPPLi j Gin ifD 1 2I -113Dr

des

étrangers, sur des victimes étrangères)152 . Elle a des fondements divers, soit le souci 011P SrFKELMRDUHP SuQi3p,1\RIIVO \RuFi GFUSIRtpLIILF\I\ II\\RLIi\\ I I Qt\. I( QP I I 31g11 économique, elle peut aussi se fonder sur le souci de moraliser les agents économiques qui ont un lien avec II( t I I OMI I I Qçais ou le marché français. La relative inefficacité du droit pénal pFRQRP lTXFIIQterQ I I tERQ I I lEMDfldpIlFiWCpQeilpLIN I I tERQUpSII\\IMM-\ SRMROE\ SULp\ économiques assurée par un organe international FRQIRDMI I I OKg\HEFIIIQterQ I I tIRQ I I li\ I I tIRQ du droit SpQ I I l1pFRQRP lTXF11QterQe 1l1encontre des acteurs du marché. Dans un contexte de « crimes globalisés » et de « risques globaux »TOLFKRI{ MED'iQterQ I I tIRQ I I li\ I I IIRQ 3MR1W interne pour réguler efficacement les acteurs économiques au statut international peut sembler réducteur153. &WilrKg\HT\HP FOLIRQ:p11d I I Q\ l I I P e\uZHIRE1l'iQtRQ I I tERQ I I E\ I I tERQ13
·DIR1W interne comme solution au désordre et au vide répressif qui semble caractériser les activités transnationales des acteurs économiques est porteuse de risquHi'lP SpLI I I lI\P HjDIICIqDE,ffRire judiFi I I ire de\ I( t I I t\ le\ Slu\ fRrt\ à l'eQdrRit de\ I( t I I t\ f I I ible\. 7 RutefRi\, dev I I Qt l' I I b\eQFe 1'uQ droit international pénal économique et la dilution croissante des frontières entre les différents territoires, le droit nHERit S I I \1tre eQ re\te. &'e\t SR011)Rl le droit pénal économique interne

152 M. DELMAS-MARTY, Le droit pénal comme éthique de la mondialisation », Rev. Sc. Crim., 2004, p. 6

153 M. DELMAS-MARTY, /117orFIF/PDH 1 2D 1 2 ieffliTIRi iMWD iif e i lpi 1 2ivlisel, collection La Couleur des Idées, Editions du Seuil, Paris, 2004, p. 241

devrait se servir des leviers du droit pénal interne pour pacifier l'ordre international, ne serait- ce qu'à défaut. La difficulté que connait le droit pénal international économique des personnes morales obligerait le droit interne à prendre ses responsabilités sous peine de déni de justice. L'ordre public pénal en droit économique ne saurait se satisfaire d'une analyse décontextualisée, les nouveaux sujets du droit pénal économique étant des acteurs mouvants et capables de se défaire aisément des liens qu'ils ont avec un for. #172;~ l'épreuve des mutations économiques, le droit pénal interne doit s'adapter et avoir une réponse à la délinquance économique à l'échelle internationale.

Toutefois, pour rtre efficace à l'endroit des agents privés de la mondialisation, le droit pénal interne devra s'en donner les moyens. C'est la raison pour laquelle les conditions précises doivent être réunies (section I) pour une mise en oeuvre efficace (section II).

Section I : Les conditions d'une internationalisation effective.

Il est question ici de scruter les moyens qui seront utiles au droit pénal interne pour réguler effectivement les pouvoirs privés économiques. Il a été démontré les défaillances du droit pénal traditionnel et ses difficultés à encadrer effectivement les acteurs économiques même sur le plan interne. La spécificité des acteurs à l'endroit desquels il se déploie hors de son cadre naturel devrait avoir une influence sur le contenu même du droit pénal appelé à s'internationaliser. C'est pourquoi les acteurs mrme de l'action publique mettant en cause ces nouveaux sujets du droit pénal devraient rtre redéfinis (§ 1) et le personnel de l'appareil juridictionnel répressif spécialisé (§ 2).

§ 1 : La redéfinition des acteurs de l'action publique.

Traditionnellement, il est admis que le sujet principal de l'action publique est le ministère public, représentant du corps social dont l'ordre a été troublé par les agissements du délinquant. L'action publique est elle-même une action exercée au nom de la société, en principe par les soins d'un corps spécial de magistrats (le ministère public) qui a pour objet l'application de la loi pénale à l'auteur du fait réputé délictueux, et à la réparation du dommage causé à la société154. Il ressort de cette définition que le ministère public a le monopole de l'exercice de l'action pour l'application des peines, mrme s'il est concurrencé

154 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 2003, p. 23

dans sa mise en mouvement par des personnes pouvant justifier d'un intérêt, à l'instar de la victime ou des groupements agréés. Ces acteurs peuvent obliger le ministère public à poursuivre, donc à exercer sous son contrôle une action publique, du moins en droit interne. Le constat ne vaut pas lorsque l'action trouve son fondement dans une cause présentant des éléments d'extranéité. Ici, le ministère public retrouve son monopole de mise en oeuvre155 .

Il se dégage de ce qui précède que le seul sujet actif à même de poursuivre efficacement les pouvoirs privés économiques en droit positif est le ministère public. Or, il est admis que le ministère public n'a pas l'obligation de mettre en mouvement l'action publique. Son activité est gouvernée par le principe de l'opportunité des poursuites et non pas par la légalité de poursuite. Déjà en droit interne, il ne poursuit pas toutes les infractions et les statistiques des poursuites d'office des faits commis à l'étranger sont faibles. La majorité des actions publiques contre les personnes privées économiques pour des faits commis hors du territoire de la République l'ont été à l'initiative des personnes privées (association, victimes). Par exemple, ce sont les associations qui sont à l'origine des rares poursuites qui ont été mises en oeuvre contre les grandes sociétés exerçant à l'étranger, arrêtées dans leur soif de justice par les prérogatives du Parquet156. Dans l'affaire des présumés travailleurs forcés birmans contre Total, on a comme sujet actif de l'action l'association Sherpa ; dans l'affaire de complicité de crime de guerre reproché à la firme anglaise Afrimex, le sujet actif est l'Organisation Non Gouvernementale Global witness.

Il serait souhaitable pour une efficacité dans l'application des incriminations relevant du droit pénal économique international, qu'on reconnaisse aux associations, victimes étrangères, Organisation Non Gouvernementale justifiant d'un intérit, la qualité de mettre en oeuvre l'action publique contre les sociétés transnationales. Ainsi, ces nouveaux acteurs pourraient poursuivre une société transnationale au pénal devant un for avec lequel l'entreprise mise en cause présente des liens juridiques ou économiques solides. Que ces nouveaux sujets de l'action publique puissent obliger le ministère public à poursuivre une entreprise dès lors que leurs actions sont recevables, même si pour des raisons d'opportunité, le ministère public pourrait conserver les prérogatives de contrôle de l'exercice de l'action.

155 Article 113-8 du Code pénal : « Dans les cas prévus aux articles 113-6 et 113-7, la poursuite ne peut ttre exercée qu'à la requr~te du ministère public. Elle doit rtre précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis».

156 W. BOURDON, Entreprises multinationales, lois extraterritoriales et droit international des droits de l'homme, Rev. Sc. Crim., 2005; (4), l'auteur rapporte ici les propos du représentant du Parquet qui justifie le refus de poursuivre par le fait que « les dommages subis par les villageois camerounais ne justifient pas d'encombrer un juge français lui-même déjà saturé, de tâches et de missions ».

Cette consécration aura comme un effet bénéfique sur la lutte contre l'impunité transnationale des entreprises. Il a été démontré les difficultés qu'ont les victimes de la délinquance transnationale à traduire leurs bourreaux devant les juridictions des États dans lesquels les faits reprochés ont été commis. Par exemple, dans l'affaire des paysans camerounais contre l'entreprise Rougier, l'association Sherpa qui représentait les victimes avait soutenu son action par l'impossibilité matérielle de poursuivre une multinationale devant la justice camerounaise réputée corrompue et non autonome157. Cette action avait été rejetée pour défaut de production d'une décision étrangère définitive sur le même fait condamnant l'auteur principal158. On se rend compte que les textes regorgent des obstacles de droit empêchant une poursuite effective des délits transnationaux reprochés aux entreprises transnationales. De mrme, dans l'affaire des travailleurs forcés birmans contre Total, le ministère public avait multiplié des obstacles de procédure pour emprcher que l'action n'aboutisse. Il serait souhaitable qu'une réforme soit faite pour adapter les actions publiques de source transnationale intentées devant le juge pénal aux caractéristiques de l'ordre économique international et éviter que « les frontières passées soient autant de protection pour les délinquants »159. Par exemple, il ressort de la convention de l'OCDE que la corruption d'agents publics étrangers est réprimée, mais seul la corruption active l'est lorsque le fait est commis en dehors des pays de la communauté européenne. Or, la non incrimination de la corruption passive lorsqu'elle implique un fonctionnaire hors communauté européenne a pour effet de diminuer les efforts de répression de ce fléau. Les associations locales qui détiendraient les preuves qu'un fonctionnaire a été corrompu par une entreprise transnationale n'auraient pas légalement intérêt de faire poursuivre devant le for du pays d'origine de l'entreprise à l'origine de la corruption.

De mrme, lorsque l'action trouve sa source dans le droit économique international, il faudrait que les magistrats qui connaîtront des actions répressives contre les pouvoirs privés économiques aient la compétence nécessaire pour bien juger les faits et parer ainsi la dérive des expertises qui mine l'efficacité mrme du droit pénal.

157 Le Cameroun est reconnu par l'ONG Transparency International comme l'un des Etats le plus corrompus du Monde et sa Justice vient en tête des institutions publiques les plus corrompues

158 W. BOURDON, op. cit., « Il s'agissait là d'un véritable obstacle de droit si tant est le climat de corruption généralisée au Cameroun rend impossible que soit engagée une quelconque poursuite à l'encontre de l'un des principaux opérateurs du marché du bois »

159 M-A. FRISON-ROCHE, Le droit des deux mondialisations, Archives et philosophie de droit n° 47, 2003, p. 17-23

§ 2 : La nécessaire spécialisation des magistrats.

Le repli du droit pénal économique et la montée en puissance de la justice pénale des experts est imputable à la non spécialisation des magistrats en charge d'appliquer le droit pénal en général et le droit pénal économique en particulier. Les pouvoirs privés économiques sont une catégorie de délinquants particuliers dans la mesure où les infractions qui leur sont reprochées portent généralement sur les inobservations des règles spécifiques, des prescriptions relevant de l'ordre public économique, mise en oeuvre par des autorités spécifiques : les autorités administratives indépendantes. Le déficit de la justice répressive en matière de droit pénal économique pourrait être aisément comblé par la spécialisation des magistrats en matière économique. Les efforts sont déjà en vue dans ce sens. Par exemple le Parquet de Paris dispose d'un pôle économique et financier avec des magistrats compétents en matière économique. Ce pôle financier s'est illustré dans la poursuite des infractions constitutives d'abus de marché telles le délit d'initié et aussi dans la poursuite des cas de corruption internationale à l'exemple de la corruption d'agents publics étrangers160. Cette spécialisation est d'autant plus importante aujourd'hui que les infractions économiques sont généralement commises à la faveur de la dérèglementation et de la mondialisation, mais surtout de la concentration des activités de production, de distribution et de service entre les mains des groupes. Une capacité d'appréciation souveraine des faits reprochés aux acteurs économiques dépend de la compétence des magistrats à pouvoir oeuvrer utilement à la manifestation de la vérité et à avoir une bonne connaissance du monde de l'entreprise et du droit économique, de mieux cibler les axes de répression et de limiter les non-lieu à cause des transaction conclues entre les victimes et les acteurs économiques mis en cause. Cette spécialisation permettrait au juge répressif de reprendre son rôle dans le contentieux répressif impliquant les pouvoirs privés économiques et de veiller à l'application des principes mrme du droit pénal et des caractères de l'action publique. Une action menée effectivement et sous le contrôle des magistrats spécialisés et compétents permettrait de remédier au dévoiement des caractères de l'action publique comme en attestent les différentes affaires évoquées au

160 On peut citer parmi les différentes affaires connues par les magistrats de ce Parquet, l'affaire de délit d'initié des cadres d'AEDS qui a connu son premier règlement avec la condamnation de M. Imad LAHOUD. On peut aussi évoquer la tonitruante affaire Clearstream qui est actuellement en phase d'instruction et implique certaines personnalités politiques. En matière de corruption, on peut évoquer le cas du géant pétrolier Total dont le patron avait même été gardé à vue dans les locaux dudit Parquet pour les besoins d'enqurte au sujet des pots-de-vin versés à l'étranger.

cours de ce travail : l'action publique est éteinte pratiquement par la transaction et le Parquet y renonce parfois, ce qui est dommageable.

La spécialisation des magistrats chargés d'appliquer le droit pénal aux pouvoirs privés économiques n'est qu'un alignement de la France à un mouvement qui a gagné tous les pays industrialisés. C'est ainsi qu'aux Pays-Bas, le ministère public dispose d'un Parquet spécialisé à compétence nationale pour les affaires économiques et financières, composé de cinquante procureurs spécialisés et deux cent cinquante collaborateurs. Les juridictions de jugement sont également différentes des juridictions de droit commun. En Espagne, une division spécialisée du Parquet de Madrid a également une compétence nationale pour certaines infractions économiques ou lorsque l'affaire présente une grande complexité. En Allemagne, les procureurs bénéficient de formations spécifiques dans le domaine comptable et économique. Au Royaume-Uni, enfin, le service des poursuites de la Couronne (Office of Public Prosecution) dispose d'une branche indépendante et spécialisée, le bureau des fraudes graves (Serious Fraud Office)161. Cette spécialisation devrait rtre mise en oeuvre pour toute la chaine pénale, du Parquet qui initie les poursuites au juge de jugement en passant par le juge d'instruction. C'est une condition sine qua non d'une mise en oeuvre efficace de l'action publique à l'encontre des pouvoirs privés économiques.

Section II : Les moyens d'une mise en oeuvre efficace du droit pénal.

C'est de la mise en oeuvre efficace du droit pénal économique à l'encontre des acteurs économiques de l'espace global que dépendra l'équilibre recherché entre le marché et les droits de l'Homme. Le juge devra montrer son indépendance à l'égard des pouvoirs économiques et politiques pour réussir sa mission de régulateur effectif et parer à toute velléité d'instrumentalisation du droit par les acteurs les plus puissants économiquement ainsi qu'en attestent les transactions qui éteignent de facto l'action publique, qui par nature et par définition est d'ordre public. Les efforts déployés par les différents droits nationaux pour mettre un terme à l'impunité des politiques doivent inspirer le juge répressif sollicité pour connaître d'une action contre les acteurs économiques. Toutefois, il semble que la condition d'une mise en oeuvre efficace du droit pénal à l'encontre des agents économiques de la mondialisation est l'harmonisation des règles de fond et le renforcement des entraides judiciaires (§ 1), mais aussi la reconsidération des caractères de l'action publique (§ 2).

161 Voir Rapport Coulon sur la dépénalisation du droit des affaires

§ 1 : La nécessité de l'harmonisation efficiente des règles de fond et le
développement des entraides judiciaires.

Il s'agit d'une nécessité imposée par la globalisation mrme de l'espace économique mondial. Les acteurs économiques de statut mondial, potentiels sujets de droit pénal sont considérés différemment par les droits nationaux, ce qui attenue l'efficacité des actions hardies menées par certains fors pour lutter contre l'impunité. De mrme, la diversité des statuts juridiques des acteurs au regard du droit pénal est un obstacle à une répression efficiente des pouvoirs privés économiques. Certains pays n'admettent toujours pas le principe de la responsabilité pénale pour les personnes morales. Les tendances sont toutefois favorables à la généralisation de cette responsabilité pénale des entreprises comme en attestent les instruments internationaux portant sur les délits réprimés à l'échelle internationale. Cette harmonisation est d'autant plus nécessaire pour le droit pénal économique que les efforts de répression de la délinquance transnationale des entreprises sont mises à mal et brouillés par « l'opacité des liens financiers qui unissent et/ou capitalistiques qui unissent la filiale, opérateur agissant sur place, et la maison-mère, lieu où s'orchestrent les grandes décisions »162.

Des efforts notables ont été déjà faits à cet effet au niveau international par la définition des infractions communes. C'est ainsi que dans le domaine économique et financier, deux formes particulières de criminalité ont été appréhendées : le blanchiment et la corruption163. Mais le domaine des pratiques anticoncurrentielles est toujours à l'appréciation souveraine des différents droits nationaux et pourtant il constitue l'un des points majeurs sur lequel la régulation répressive des pouvoirs privés économiques aurait produit des effets notables. Cela pourrait rtre expliqué par les difficultés qu'éprouvent les États mrme à s'accorder sur un droit mondial ou international de la concurrence. En attendant, les mêmes pratiques continuent de recevoir des traitements différenciés selon qu'on est dans un marché régulé par un droit d'inspiration anglo-saxon ou d'inspiration germano-romaniste164.

162 W . BOURDON, Entreprises multinationales, lois extraterritoriales et droit international des droits de l'homme, op. cit. p. 748

163 Par exemple la Convention des Nations-Unies de 2000 sur la criminalité organisée condamne avec force les deux pratiques

164 Les anglo-saxons privilégient la voie pénale pour réprimer les comportements anticoncurrentiels alors que les pays d'Europe continentale privilégient la voie administrative, para-pénale pour réprimer les mêmes faits.

Un autre domaine sur lequel l'harmonisation devrait être privilégiée est le terrain de la responsabilité pénale de droit commun. Il serait nécessaire que la communauté internationale, sous l'égide des Nations-Unies élabore un instrument dans lequel serait définies les infractions graves pouvant être imputables aux centres de décisions économiques lorsqu'il peut rtre rapporté la preuve qu'elles ont été commises par l'une de ses filiales ou de ses sous- traitants intégrés et coupés du marché. Une telle stigmatisation internationale aurait pour effet de mieux responsabiliser les centres de décisions des groupes. Par exemple, les infractions à la santé et à l'intégrité des populations commis dans le cadre des groupes de sociétés sont généralement réprimées sur la tête des sous-traitants ou des filiales165. Lorsqu'elles ne sont pas réprimées, elles servent de fonds de commerce entre les mains des États du sud pour faire chanter les multinationales et obtenir de l'argent qui ne servira généralement pas à l'amélioration du sort des victimes166. Une harmonisation des règles pénales de fond protégeant la santé, l'intégrité des populations et l'environnement, et en général les Droits de l'Homme même aura à coup sûr pour effet de limiter l'instrumentalisation du droit pénal par les protagonistes du contentieux répressif mettant en cause les pouvoirs privés économiques.

De mrme, l'accent devrait aussi rtre mis sur la coopération et l'entraide judiciaire entre les différents systèmes judiciaires pour une poursuite efficiente des infractions reprochées aux pouvoirs privés économiques. L'existence d'un droit pénal harmonisé ne suffit pas, la difficulté majeure semble se trouver sur le terrain du recueil des preuves dans le contexte des infractions mettant en relation plusieurs fors. L'entraide judiciaire pourrait donc se développer à cet effet tant au niveau international que régional. Mais à l'épreuve de la

165 Par exemple, dans l'affaire Trafigura précité, c'est le sous-traitant local de la firme qui a finalement été condamné à 20 ans d'emprisonnement ferme alors que la maison-mère du groupe Trafigura a acheté son honorabilité à coup de centaines de millions d'euros et a obtenu la libération des cadres incarcérés de sa filiale ivoirienne, Puma, tout juste au lendemain du versement de la rondelette somme et ce, sans aucune autre forme de procès.

166 Par exemple, dans l'affaire des enfants cobayes de Kano, au Nigéria dont les faits sont les suivants : en 1996 ; une épidémie de méningite avait frappé le Nigeria et 10.000 personnes avaient contracté la maladie. Pfizer, une firme pharmaceutique américaine, en aurait profité pour tester sur des enfants, un nouveau médicament, pas encore autorisé. Une dizaine d'enfants ayant participé à cette étude sont morts, d'autres sont devenus sourds, aveugles ou handicapés, mentaux. En 1997, L'État du Nigéria porta plainte contre la firme pharmaceutique comportant 29 chefs d'accusation allant d' « abus de pouvoir », « escroquerie » au « meurtre ». Dans la foulée, l'État fédéré de Kano dans lequel le groupe pharmaceutique a fait des tests meurtriers a aussi porté plainte. Réclamant 2.75 millions de $ selon le quotidien en ligne l' expansion.com (consulté le 05/06/2007), et selon un article publié sur le site de la Radio France Internationale et consultable à l'adresse suivante, http://www.rfi.fr/actufr/articles/112/article_79828.asp, le groupe Pfizer a accepté de verser 75 millions $ à cet État pour clore la procédure pénale qui y était intentée contre elle. Mais l'État fédéral du Nigéria réclame pour sa part 6.5 milliards $ de dommages pour les mêmes faits et l'action publique qu'il a intenté contre le groupe devant le juge répressif nigérian est toujours pendante.

réalité cela risque d'rtre une tk~che ardue. Pourtant, le renforcement des caractères de l'action pour l'application des peines en dépend.

§ 2 : La nécessaire reconsidération des caractères de l'action publique face
aux pouvoirs privés économiques.

Il est réputé que l'action publique ne peut faire l'objet d'une transaction excepté les cas où la loi le prévoit expressément. Le développement de la transaction entre les pouvoirs privés économiques et leurs victimes est révélateur de la crise que connait l'action pour l'application des peines. L'action publique se révèle à l'épreuve des pouvoirs privés économiques comme une action intentée devant un juge répressif cantonné dans le rôle dÇn arbitre et dont les parties conservent la maîtrise de son déroulement, mais surtout celle de son sort. Les affaires qui ont été examinées dans le cadre du présent travail et impliquant ces acteurs ont été réglées par la même voie : la transaction. Ce qui emprche l'émergence d'une jurisprudence répressive propre à cette catégorie de délinquants et par conséquent, la construction d'une économie de droit.

En principe, en dehors de certains cas exceptionnels limitativement prévus par la loi où la poursuite revêt un caractère mixte (moitié répression, moitié réparation), les affaires pénales ne sont pas susceptibles de transaction. Elles doivent être obligatoirement jugées167. L'article 2046 du Code civil ajoute qu'il est possible de transiger sur les intérrts civils qui résultent d'un délit, mais cette transaction si elle intervient entre le délinquant et la victime n'emprche pas la poursuite du ministère public168. La transaction sur l'action publique est donc impossible à l'exception des cas où la mise en oeuvre de cette action dépend de l'attitude de certaines administrations169. Or il apparaît que les restrictions qui atteignent mrme l'action du ministère public sont mises à l'épreuve par les pouvoirs privés économiques. Par exemple, dans l'un des exemples évoqués ici, en l'occurrence l'affaire des enfants cobayes de Kano au Nigéria, on voit comment les grands groupes échappent à la responsabilité pénale pour des infractions graves de droit commun moyennant de l'argent170. Cette situation est moralement

167 Le ministère public ne peut renoncer à une action lorsqu'il est demandeur au procès pénal, il n'est pas propriétaire de l'action publique. Sous réserve des cas prévus par la loi, il ne peut prendre l'engagement de ne pas poursuivre le délinquant, ni transiger avec celui-ci.

168 Crim. 4 juin 1998, Bull. n° 183

169 B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz, 21 ème éd. 2007, p.1 67, n° 198

170 Courrier international - n° 891 - 29 nov. 2007

choquante en ce sens qu'il suffit d'avoir une bonne surface financière pour commettre des crimes en toute impunité.

Il serait souhaitable que le législateur ou les juges lorsqu'ils sont saisis des affaires impliquant cette catégorie de sujet de droit, reconsidèrent les caractères mrme de l'action publique et définissent exactement la portée des transactions intervenues entre la victime et le délinquant au regard de l'action pour l'application des peines qui ne devrait pas être à la disposition des personnes privées. Elle appartient à la société et ne saurait faire l'objet d'une quelconque transaction entre personnes privées. L'habileté de quelques agents économiques et leur surface financière ne doivent en aucun cas désarmer la puissance publique face à une forme de délinquance qui met à l'épreuve les instruments traditionnels de répression de l'État. L'application de la justice pénale aux acteurs économiques de la mondialisation doit être faite dans le respect d'un principe sacré : celui de l'égalité entre les citoyens et son corollaire de l'égalité devant la loi pénale. Les sujets de droit pénal ne devraient pas être traités différemment de façon flagrante. L'objectif mrme de l'action publique étant le bien de la Justice

Conclusion de la deuxième partie.

Il a été démontré que l'efficacité du droit pénal économique international dépend de l'ampleur de son redéploiement. Les acteurs deviennent de plus en plus ancrés dans le processus irréversible qu'est la mondialisation. Ils sont désormais présents sur plusieurs territoires étatiques et deviennent de plus en plus sophistiqués, grâce aux moyens que leur offre leur nouvel espace d'activité économique.

La sanction des abus de dimension transnationale témoigne du souci de protection des consommateurs et des populations vulnérables. La relative inefficacité des sanctions purement nationale par le juge répressif a conduit le législateur à opter pour l'extra-territorialisation de loi pénale nationale, devant permettre au juge national d'appréhender afin de réprimer les infractions commises par les sociétés multinationales ou dans le cadre des groupes de sociétés. Cette solution est la meilleure qui puisse exister, en l'état actuel du droit, pour réguler les pouvoirs privés économiques dont le caractère extrêmement mouvant a été démontré. Le recours au juge répressif pour la sanction des abus relevant du droit pénal commun est une voie idoine, car il est réputé être le garant des libertés, donc il est le mieux placé pour la répression des abus qui y sont portés.

Seulement, face aux défaillances institutionnelles et juridictionnelles de certaines « États faibles », le juge répressif devrait s'appuyer sur l'internationalisation du droit pénal pour renforcer son office. De même, face à la technicité des infractions reprochées aux pouvoirs privés économiques, le juge répressif devrait être secondé, mais pas concurrencé, dans sa mission par les instances spéciales, constituées des personnes choisies pour leur compétence. Celles-ci devront collaborer avec le juge répressif pour déboucher sur une répression efficace des infractions transnationale.

A cet effet, les sanctions devraient s'adapter à la nature et à la dimension des infractions commises par les décideurs du marché. Aussi devrait-on étudier l'opportunité de la substitution de certaines sanctions punitives, mais de nature civile ou administrative, aux condamnations aux peines d'amendes, réputées inefficaces faces à cette catégorie de délinquants aux moyens impressionnants.

Reste que l'urgence est de reconsidérer les caractères de l'action pour l'application des peines, qui est, lorsqu'il est à l'épreuve des pouvoirs privés économiques, dévoyée par la pratique devenue générale d'extinction de l'action publique par la conclusion d'une transaction entre les firmes transnationales et leurs présumées victimes.

Conclusion Générale

La répression efficace des abus imputables aux pouvoirs privés économiques que symbolisent les sociétés multinationales et les groupes de sociétés sur le plan international et les grandes entreprises sur le plan interne ne peut être garantie sans, d'une part, la mise en place des critères effectifs de responsabilité pénale des acteurs transnationaux et des donneurs d'ordre et sans, d'autre part, le renforcement de la répression des abus portant atteinte aux principes de libre concurrence et de l'obligation d'information des destinataires des pouvoirs privés économiques.

La répression ne doit pas, en effet, être cantonnée, comme c'est aujourd'hui le cas, sur les seuls abus portant atteintes aux intérêts du commerce international. Le droit pénal véhicule des valeurs qui sont supérieures aux seuls intérêts marchands. Le droit pénal protège la santé, l'intégrité et le bien-être des populations. Sa mise en oeuvre ne doit pas ttre à géométrie variable. Elle ne doit pas rtre efficace à l'encontre des délinquants ordinaires, personnes physiques, et excessivement clémente à l'endroit des délinquants d'affaires, personnes physiques et personnes morales. Le droit pénal dans sa mise en oeuvre à l'encontre des pouvoirs privés économiques ne doit pas s'affranchir d'un des principes supérieurs du monde civilisé : l'égalité de tous devant la loi.

Ceci implique que la sanction des abus reprochés aux pouvoirs privés économiques et portant gravement atteinte aux intérêts moraux de la communauté internationale soit renforcée. Cependant, les sanctions ne visant que les auteurs directs et immédiats sont insuffisantes. Une sanction spécifique telle l'engagement de la responsabilité pénale des donneurs d'ordre dans le cadre des sous-traitances se justifiera par l'exemplarité de la sanction. De même, pour ce qui est des abus commis par des groupes faisant appels publics à l'épargne, il pourrait rtre envisagé l'opportunité de l'interdiction de faire recours à l'épargne des tiers pour financer leurs activités. Cette sanction pourrait rtre mise en oeuvre pour réprimer les graves atteintes à l'environnement et aux droits humains imputables aux entreprises multinationales.

La répression efficace par la voie pénale exige, pourtant, une meilleure prise en compte des caractères de l'action pour l'application des peines, qui en règle générale, n'appartient qu'à la société et non aux partie mises en cause. La reconsidération des caractères de l'action publique est urgente et semble rtre l'un des impératifs du redéploiement du droit pénal appelé à internationaliser et à se mondialiser.

Bibliographie

I-OUVRAGES, MANUELS, THESES ET MEMOIRES

BOULOC (B.), Procédure pénale, Dalloz, 21ème éd. 2007

BOY (L.), Droit économique, Hermès, 2002

CHILSTEIN (D.), Droit pénal international et lois de police : essai sur l'application dans l'espace du droit pénal accessoire, Dalloz, 2003

COHEN-TANUGI (L.), Le droit sans l'Etat, PUF, 2007

CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 2003

COURT DE FONTMICHEL (A.), L'arbitre, le juge et les pratiques illicites du commerce international, Paris : Éd. Panthéon-Assas, 2004

DELMAS-MARTY (M.) et TEITGEN-COLLY (C.), Punir sans juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal, Économica, 1992

DELMAS-MARTY (M.) et GIUDICELLI-DELAGE (G.), Droit pénal des affaires, PUF, 4ème éd. 2000

DELMAS-MARTY (M.), Les forces imaginantes du droit, le relatif et l'universel, éd. du Seuil, 2004

DELMAS-MARTY (M.), Les forces imaginantes du droit : Tome 2, Le pluralisme ordonné, éd. Seuil, 2006

DEVUN (L.), La corruption dans les relations commerciales internationales, Mémoire de DEA, Nice 2000

DONNEDIEU DE VABRES (H.), Les principes modernes du droit pénal international, LGDJ, 2004

FRISON-ROCHE (M.-A.) et BONFILS (S.), Les grandes questions du droit économique, PUF, 2005

FARJAT (G.), L'ordre public économique, LGDJ, 1963

FARJAT (G.), Droit économique, PUF, Thémis, 1982

FARJAT (G.), Pour un droit économique, PUF, 2004

FORTIER (V.), Le Juge, Gardien Des Valeurs ?, éd. Cnrs, 2007

GIUDICELLI-DELAGE (G.), Droit pénal des affaires en Europe, PUF Thémis Droit, 2006

GALBRAITH (J. K.), Le Nouvel État industriel, essai sur le système économique américain, Gallimard, 1967

GOLDSMITH (E.) et MENDER (J.), Les procès de la mondialisation, Fayard 2001

HASCHKE-DOURNAUX (M.), Réflexion critique sur la répression pénale en droit des sociétés, LGDJ, 2005

HUET (A.) et KOERING-JOULIN (R.), Droit pénal international, PUF, 2005

HENZELIN (M.), Le principe de l'universalité en droit pénal international. Droit et obligation pour les États de poursuivre et juger selon le principe de l'universalité, Bruylant, Bruxelles, 2000

JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, Précis Dalloz, 5èmeéd. 2003

KIRAT (T.) et MARTY (F.), Economie du droit et de la règlementation, Gualino, 2007 MATHIAS (E.), La responsabilité pénale, Gualino, 2005

MOHAMED SALAH (M. M.), Les contradictions du droit mondialisé, PUF, 2002

PRADEL (J.), Droit pénal comparé, Dalloz, 3ème éd. 2008

PREBISSY-SCHNALL (C.), La pénalisation du droit des Marchés Publics, LGDJ, 2002 RACINE (J.-B.) et SIIRIAINEN (F.), Droit du commerce international, Dalloz-Sirey, 2007 REIS (P), La concurrence et les marchés publics, thèse Nice, 1999

ROBERT (J.-H.), Droit pénal général, PUF 5ème éd.2001

SIMON (F.-L.), Le juge et les autorités du marché boursier, LGDJ, 2004

STÉFANI (G.), LEVAS SEUR (G.) et BOULOC (B.), Procédure pénale, Dalloz, 19ème éd., 2004

ZIGLER (J.), La haine de l'occident, Albin Michel, 2008

I-ARTICLES, CHRONIQUES ET RAPPORTS

BABUSIAUX (C.), La répression et le contrôle administratif de la régulation concurrentielle, In «Les enjeux de la pénalisation du droit économique », Dalloz, 1997, p. 113

BOULOC (B.), Droit pénal et groupes d'entreprises, Rev. Sociétés, 1988, p. 181

BOULOC (B.), La sanction judiciaire des pratiques anticoncurrentielles par la voie pénale, Petites affiches, 20 janv. 2005, p. 11

BOURDON (W.), Entreprises multinationales, lois extraterritoriales et droit international des droits de l'homme, Rev. Sc. Crim., 2005, p. 747

BOURSIER (M.-E.), Le fait justificatif de groupe dans l'abus de biens sociaux, entre efficacité et clandestinité (analyse de 20 ans de jurisprudence criminelle), Rev. Sociétés. 2005, p. 273

BOY (L.), Les « utilités » du contrat, Petites affiches, 10 sept. 1997, p. 3

CAVALERIE (P.), La convention OCDE du 17 décembre 1997 sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, In AFDI 1997, p. 609

DEMAS-MARTY (M.), Les figures de l'internationalisation en droit pénal des affaires : aplanir le terrain de jeu, in : Rev. sc. crim., 2005, p. 735

DINTILHAC (J.-P.), La pénalisation de l'activité économique et financière, In « la justice pénale face à la délinquance économique et financière », Dalloz, 2001, p. 3

FARJAT (G.), Les pouvoirs privés économiques in « Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle », Mélanges Ph. Kahn, Litec, 2001, p. 661

FARJAT (G.), Entre les personnes et les choses, les centres d'intérr~ts : prolégomènes pour une recherche, RTDCiv. 2002, p. 221

FRIED (C.), Libéralisme et droit pénal, In « Les enjeux de la pénalisation de la vie économique », Dalloz, 1997, p. 101

FRISON-ROCHE (M.-A.), Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats : RTDCiv. 1995, p. 573

FRISON-ROCHE (M-A.), Le droit des deux mondialisations, Archives et philosophie de droit n° 47, 2003, p. 17

GUYON (Y.), De l'inefficacité du droit pénal des affaires, Revue Pouvoirs, 1990, N°55, p. 41

HOPT (K. J.), Le droit des groupes de sociétés, expérience allemandes, perspectives européennes, Rev. Sociétés, 1987, p. 367

JENNY (F.), Corruption et pratiques anticoncurrentielles, in « Pratiques et contrôle de la corruption », Association d'économie financière, J. Cartier Bresson 1997, p. 195

MATSOPOULOU (H.), Les propositions sur la "dépénalisation de la vie des affaires", Rev. Sociétés, janvier - mars 2008, p. 1

MOHAMED SALAH (M. M.), Les transformations de l'ordre public économique : vers un ordre public régulatoire ?, in Mélanges FARJAT, Paris, éd. Frison-Roche, 1999, p. 261

RAPPORT COULON sur la dépénalisation du droit des affaires, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000090/index.shtml

RAPPORT DOING BUSINESS édition 2009, http://www.doingbusiness.org/documents/Press_Releases_08/DB_08_Overview_French.pdf

RAPPORT sur le projet de loi de finances pour 2006, M. Philippe Marini. http://www.senat.fr/rap/l05-099-1/l05-099-1.html

RÉBUT (D.), Où en est le rapport Coulon, Les Echos, 24 octobre 2008, p. 12

RÉMICHE (B.), Droit économique, marché et intérêt général, Mélanges Gérard Farjat, éd. Frison-Roche, 1999, p. 253

TRUCHE (P.), Introduction au colloque sur la responsabilité pénale des personnes morales, Rev. Société 1993, p. 231

VAN DROOGHENBROECK (S.), La Convention européenne des droits de l'Homme- Trois années de jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme (2002-2005) vol.1, Les dossiers du Journal des Tribunaux.,n° 57, Bruxelles, Larcier, 2006.

VÉRON (M.), L'interprétation stricte de la loi pénale, in « La Loi » (sous la direction de C. Puigelier) Économica, 2005, p. 149

REGLEMENTATION

Convention sur la protection des intérêts financiers des Communautés européennes faite à Bruxelles le 26 juillet 1995, Publiée au Journal Officiel du 28 mai 1999

La Convention de l'OCDE sur la corruption d'agents publics étrangers du 17 décembre 1997 signée à paris, disponible sur :

http://www.oecd.org/document/20/0,3343,fr_2649_34859_2649236_1_1_1_1,00.html

La Convention internationale sur la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 à Palerme, disponible sur le site des Nations-Unies.

La Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption du 11 juillet 2003 signée à Maputo, disponible sur le site de l'Union africaine

Code du Commerce 2009.

Code pénal 2009.

Code général des Impôts 2009.

Code monétaire et financier 2009.

Code des douanes 2009.

L'Ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité dite loi PERBEN II.

Loi n° 2008-3 du 03 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs.

Loi n° 2008-776 du 4 aoIt 2008 portant modernisation de l'économique.

écret d'ALLARDE des 2 et 17 mars 1791 sur la liberté de commerce et de l'industrie.

NOTES ET OBSERVATIONS DE JURISPRUDENCE

Cour de cassation

Crim. 17 dec.1931, G.P. 1932, 1, 430

Com. 16 décembre 1958, Bull. civ. III, n°438 Crim. 7 avril 1967, Bull. Crim. n° 107

Crim. 24 nov. 1980, Bull. Crim. n° 314

Crim. 25 nov. 1991, Gaz. Pal.. 1992, 1, somm. 166, obs. Doucet,

Crim. 22 Avril 1992 (Arrêt Carpaye), D.1995, p.59, note H. MATSOPOULO

Crim. 23 juin 1993, Bull. Crim. n° 219 Crim. 1er Fév. 2000, Gaz. Pal. 2000 n° 217

Crim. 20 Juin 2000, Rev. Sociétés, oct.-déc. 2001, p. 851, note I.URBAIN-PARLÉANI. Crim. 5 Mars 2002, Bull. Crim. n° 56

Crim. 17 Juin 2003, Bull. Crim. n°122, D. 2004, 92, note O. Daniel Crim. 9 mars 2005, Rev. Société 2005, p.886 note B BOULOC Crim. 6 juin 2007, Rev. Société, 2008, p. 151 note B. BOULOC

Conseil Constitutionnel

Cons. Const., Décision n° 79-109 DC du 09 janvier 1980, D. 1980, 249, note J.-M. AUBY, R D P, 1980, p. 1631, L. FAVOREU

Cons. Const., Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, Recueil, p. 71

Cons. Const., Décision n°99-411 DC du 16 juin 1999, JO 19 juin 1999

Conseil d'État

CE, 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier, Rec. Lebon p. 133 CE Avis, 27 Septembre 1999, Rouxel, Rec. Lebon, p. 280

Tribunaux

TGI Albertville, 23 oct. 2000, cité par Claudel : RTD com. 2003. 80

TABLE DE MATIERES
Introduction
1

Première Partie : L'encadrement répressif des pouvoirs privés
économiques.

Titre I : Les enjeux de l'encadrement répressif des pouvoirs privés
économiques
..............................................................................8

Chapitre 1 : Le souci d'une meilleure protection de la structure du marché...............10

Section I-- La lutte contre la macro-spéculation.................................11 §1- La répression des prix illicites..................................................................1 2 §2 - La répression des prix faussés................................................................13

Section 2- Le souci de préserver le financement public.......................................15 §1 : Les fraudes fiscales.............................................................................15 § 2- Les fraudes douanières........................................................................17 Chapitre 2 : La régulation répressive des acteurs du marché..............................19

Section 1- La moralisation des décideurs du marché par le droit pénal..................19

§ 1- Les personnes mor al es........................................................................20

§ 2- Les personnes physiques......................................................................22

Section 2- La protection d'acteurs faibles......................................................25
§1- La protection des consommateurs
...........................................................25
§ 2- La protection des investisseur
s..............................................................28

Titre 2 : Une régulation pénale déficiente des pouvoirs privés économiques...............31
Chapitre 1 : L'ordre public pénal substantiel de régulation des pouvoirs privés
économiques
.............................................................................................32

Section 1 : Une répression perfectible des atteintes à la libre concurrence...............32
§1- Une répression effective des pratiques anticoncur rentielles
.............................32
§ 2-Une répression de la corruption transnationale en devenir
..............................35

Section 2 : La répression pénale insatisfaisante des atteintes par les pouvoirs privés
économiques aux valeurs non mar chandes
.......................................................39
§1 : Une sanction pénale encore mitigée des atteintes transnationales à
l'environnement
.......................................................................................39
§ 2 : La responsabilité pénale des pouvoirs privés économiques pour atteinte aux droits
del'Homme à construire
.............................................................................42

Chapitre 2 : Un encadrement pénal formel ineffectif à l'endroit des pouvoirs privés
économiques
..............................................................................................46
Section I : L'infléchissement des principes directeurs du droit pénal par les pouvoirs
privéséconomiques
.....................................................................................46
§ 1: L'insuffisance du principe de légalité
.........................................................46
§ 2 : Le Principe de la personnalité des peines à l'épreuve des centres d'intérêts
économiques
..............................................................................................49
Section II : L'affaiblissement des critères de compétence répressive par les pouvoirs
privéséconomiques
.....................................................................................51

§ 1 : Les critères autarciques boulever sés.........................................................51

§ 2 : L'apport des autres critères de compétence à systématiser.............................54

Conclusion de la Première partie....................................................................56

Deuxième Partie : Le nécessaire redéploiement du droit pénal

économique.
Titre I : Le redéploiement du contenu 57

Chapitre I : L'intégration de l'opportunité économique par le droit pénal 58

Section I : La prise en compte de la logique économique par le droit pénal...............59 § I : Le paradigme de l'abus des biens sociaux...................................................59 § 2 : les limites de la flexibilité de l'incrimination d'abus de biens sociaux au regard des pouvoirs privés économ iques........................................................................63

Section II : L'opportunité des mesures de substitution à la sanction pénale. «.............64
§ 1 : L'introduction de l'action de groupe au profit du consommateur
65

§ 2 : L'opportunité du recours aux sanctions administratives régulatoires................67

Chapitre II : Le recentrage du droit pénal économique face aux pouvoirs privés
économiques
.............................................................................................70

Section I : Le recentrage autour des infractions gr aves.......................................71

§ 1 : Le recentrage autour des infractions de droit commun.................................71

§ 2 : Le recentrage autour des infractions d'affaires..........................................74

Section II : Le recentrage autour des fraudes aux intérêts pu bl ics........................77

§ 1 : La répression effective des atteintes à la liberté d'accès aux marchés publics....77

§ 2 : L'appropriation pénale des manquements graves aux Codes de conduite privés des
pouvoirs privés économ iques
..................................................................... .80

Titre II : Le redéploiement de la mise en oeuvre du droit pénal à l'encontre
des pouvoirs privés économiques
84

Chapitre I : Le recadrage de l'office répressif des autorités de régulation .85

Section I : Le recadrage du domaine de compétence des instances de régulation

86

§ 1 : Le recadrage de l'office de l'autorité de la concurrence

.87

§ 2 : Le recentrage de l'office du régulateur des marchés financiers

89

Section II : La nécessaire redéfinition des rapports entre les autorités de régulation et la

justice répressive

.91

Chapitre II : L'internationalisation du droit pénal.

.93

Section I : Les conditions d'une internationalisation effective

.94

§ 1 : La redéfinition des acteurs de l'action publique

94

§ 2 : La nécessaire spécialisation des magistrats

97

Section II : Les moyens d'une mise en oeuvre efficace du droit pénal.

98

§ 1 : La nécessité de l'harmonisation efficiente des règles de fond et le développement
des entraides judiciaires
..99

§ 2 : La nécessaire reconsidération des caractères de l'action publique face aux pouvoirs
privés économiques
101

Conclusion de la deuxième partie 103

Conclusion Générale 104

Bibliographie 105






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein