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L'ordre public pénal et les pouvoirs privés économiques

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par Joseph KAMGA
Université de Nice Sophia Antipolis - Master 2 recherche en droit économique 2008
  

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Titre I : Le redéploiement du contenu.

Ce redéploiement passe nécessairement par la reconsidération du rôle, mais surtout des manières du droit pénal. Le contexte ayant changé tant dans le fond que dans la forme, les relations et les frontières du droit pénal et des autres modes de sanctions en ont été affectées. Le redéploiement du contenu de l'ordre public pénal devrait donc privilégier l'intégration de l'opportunité économique par le droit pénal (chapitre I) et partant favoriser une incrimination qualitative, donc recentrée des abus des pouvoirs privés économiques (chapitre II).

112 G. FARJAT, Droit économique, PUF, 2e éd., 1982, p. 49 et s

Chapitre I : L'intégration de l'opportunité économique par le droit pénal.

L'émergence du marché et surtout l'importance des responsabilités de ses acteurs majeurs ont rendu désuètes les motivations de certaines incriminations. Autrefois motivé par l'intérr~t général alors incarné par la personne publique, certaines incriminations justifiées en elles- mêmes perdent de plus en plus leurs fondements dans le contexte de l'économie de marché113 . Aussi, le contexte économique oblige à bien des égards les entreprises à prendre des risques pour assurer leur survie. Lesquels ne sont pas toujours autorisés par le droit pénal. Le droit pénal positif ne s'attachant encore qu'à la société pris isolément, l'intérr~t immédiat de l'entité économique qu'est la société, personne morale sujet direct du droit pénal, est plus que jamais lié à celui du groupe qui symbolise l'intérr~t commun de l'entreprise. Ces mutations de l'économie s'accompagnent aussi de la mutation dans le mode de gestion des entreprises. Or on se rend compte que les nouvelles visions de l'entreprise ne sont pas toujours en adéquation avec le droit et le droit pénal en particulier. Certaines branches du droit se sont déjà adaptées aux mutations économiques. C'est ainsi que le droit fiscal saisit l'entreprise dans sa vision globale à travers le « compte consolidé », le droit du travail à travers « le comité de groupe » et le droit de la concurrence à travers « le chiffre d'affaires consolidé ». Cette prise en compte des mutations du cadre économique devraient avoie écho en droit répressif en favorisant un repositionnement du droit pénal économique.

Pour combler ce vide législatif occasionné par l'évolution de la structure du marché et la concentration des acteurs, les juridictions ont crée un droit prétorien permettant d'adapter certains délit aux groupes de sociétés. L'existence des pouvoirs privés économiques est donc un fait justificatif de l'infraction économique, mais il faut relever que cette exonération n'est pas en droit positif un principe général, mais un aléa. C'est la raison pour laquelle, les milieux d'affaires, hautement soucieux de la sécurité juridique, et une frange dominante de la doctrine appellent de tous leurs voeux à une dépénalisation du droit économique. Toutefois, au vue de l'efficacité des mesures de substitution de la sanction pénale telles les sanctions alternatives (section II), il semble plutôt opportun de reconfigurer le champ pénal (section I).

113 La jurisprudence Rozenblum le démontre suffisamment, certaines infractions qui hier étaient réprimées en soi, se justifie de nos jours dès lors qu'elles ont été commises dans le cadre du groupe.

Section I : La prise en compte de la logique économique par le droit pénal.

Les pouvoirs privés économiques ont pour l'accroissement de leur taille besoin d'un droit flexible. Le droit pénal économique en l'état actuel ne leur rend pas service dans ce sens. C'est la raison pour laquelle des voix s'élèvent de toute part pour réclamer une importante dépénalisation de l'activité économique. Le législateur reste vigilant et prudent au regard de telles réclamations, car agir pour satisfaire sans précautions des acteurs aussi mouvants que les pouvoirs privés économiques n'est pas sans risque. L'intérrt social est de droit positif apprécié en prenant en compte l'entité juridiquement autonome qu'est la société. L'intérrt du groupe n'est qu'une exception. Mrme d'exception, l'intérrt du groupe démontre à quel point les pouvoirs privés économiques bouleversent les catégories fondamentales du droit pénal. Les rapports de forces sont tels que c'est plutôt le droit qui est forcé de s'adapter.

C'est particulièrement autour de la fameuse incrimination de l'abus des biens sociaux que l'intérrt de groupe présente tout son intérêt juridique. L'intérrt social devant rtre apprécié au regard de l'intérrt du groupe, l'infraction « phare » du droit économique, l'abus de biens sociaux devrait intégrer l'opportunité économique (§ 1), même si cette intégration doit être limitée (§ 2).

§ I : Le paradigme de l'abus des biens sociaux.

Le droit pénal est connu comme un instrument de contrôle des pouvoirs privés économiques, mais sert aussi de gage d'effectivité de l'ordre public économique. Les mutations internes du droit économique devraient en toute logique déteindre sur le droit pénal économique. Celui-ci doit rtre sensible aux exigences, aux défis de l'environnement qu'il encadre de l'extérieur. Aussi, les incriminations et les sanctions doivent être le résultat de la confrontation des fins du droit pénal et de l'intérrt des acteurs économiques.

Sans passer en revue toutes les infractions de droit économique, une attention particulière sera attachée à l'abus des biens sociaux dont il convient de rappeler que sa rédaction était faite à une époque où la notion même de groupe de sociétés ou de pouvoirs privés économiques était largement ignorée. A l'épreuve des pouvoirs privés économiques donc, l'infraction « phare » du droit pénal des sociétés commerciales prévue et réprimée par l'article 341-3 (4°) du Code de commerce nécessite une reconsidération, mieux une

adaptation. La généralisation de l'adhésion aux groupes de sociétés, de fait ou de droit, est un phénomène décisif du droit économique ainsi qu'en atteste les prises de contrôle et de participation. En faire abstraction serait défavoriser certaines entreprises au profit des autres qui n'ont pas les mrmes contraintes dans un contexte économique marqué par la concurrence même des législations. Certaines législations étant jugées plus favorables à la croissance plus que d'autres114 .

Pour faire en sorte que l'application du droit pénal économique ne soit pas un « désavantage compétitif », le législateur devrait s'assurer de l'actualité et de l'application homogène de l'infraction d'abus de biens sociaux par les législations pénales des autres Etats en matière économique. Ainsi, en prenant l'exemple de l'Allemagne où le droit des groupes de sociétés a été consacré depuis la loi du 6 septembre 1965, on constate, que le traitement pénal des infractions commises dans le cadre du groupe n'est pas le même en Allemagne qu'en France. L'intérrt du groupe n'est pas ici un fait justificatif de l'infraction reconnu par le législateur. Toutefois, face au silence du droit positif, la jurisprudence s'est efforcée à dégager des circonstances permettant de justifier a priori, les actes de gestion accomplis dans un groupe de sociétés donné. L'acte de gestion est donc apprécié en vertu d'une certaine jurisprudence, par la combinaison de l'intérrt du groupe et de l'intérrt social de l'entité économique considérée.

C'est ainsi que plutôt que de dépénaliser l'abus de bien sociaux il semble plus loisible de l'adapter dans le cadre des pouvoirs privés économiques. La présence de cette infraction est de nature à dissuader la commission des abus de gestion qui prendraient une proportion non négligeable dans le cadre des groupes de sociétés. L'existence de cette incrimination aurait certainement un effet préventif dans le cadre des groupes, qu'il soit de fait ou de droit, mais à condition qu'elle soit adaptée à la réalité qu'elle entendrait saisir.

Les concours financiers accordés au sein du groupe seraient systématiquement soupçonnés d'abus de biens sociaux sans une prise en compte de la spécificité des relations entretenues par les sociétés qui le composent en application stricte de l'article 341-3 (4°) du Code pénal. Le droit pénal étant en principe d'interprétation stricte, l'intérrt social protégé par l'incrimination de l'abus de biens sociaux, les pouvoirs privés économiques seraient constamment sous le coup des poursuites pénales alors qu'ils ont agit dans l'intérrt du groupe. De même, la possibilité de financement interne résultant de la désintermédiation financière

114 Voir Le Rapport Doing Business 2009, Doing Business est un rapport annuel sur les réglementations qui facilitent la pratique des affaires et celles qui la compliquent. Ce rapport est établi par les services du groupe de la banque mondiale.

des années 1980 et l'accélération de la mondialisation de l'économie justifient que les entités du groupe se financent entre elles115. Le droit pénal devrait se saisir de ces mutations économiques et s'adapter à la réalité économique du groupe par la consécration législative de l'intérr~t du groupe. La Chambre criminelle de la Cour de cassation, jouant le rôle de « législateur de réserve »1 16 , a élaboré une théorie pénale du groupe depuis l'arrit Rozenblum du 4 février 1985 en vertu de laquelle l'existence d'un groupe est de nature à justifier un concours financier entre deux sociétés s'il répond à certaines conditions tenant à l'existence d'une contrepartie, à l'absence de rupture d'équilibre entre les engagements et au non- dépassement des possibilités financières de la société sollicitée.

On constate que la haute juridiction procède par touches prudentes et entoure la prise en compte de l'intérêt du groupe de conditions restrictives et sévères. Le verrouillage des conditions d'admission de l'excuse du groupe n'est pas toujours favorable à la prise de risque par les entrepreneurs, une évaluation fiable du risque pénal n'est pas possible. Une telle menace risque d'entraver l'esprit d'initiative et paralyser la prise de certaines décisions nécessaires au développement du groupe. La prévisibilité du risque pénal dépend du caractère plus ou moins compréhensif des incriminations et surtout de la bienveillance du juge à l'apprécier souverainement. Une telle situation marquée par le manque de prévisibilité et de visibilité constitue un obstacle à la gestion satisfaisante du risque pénal pesant sur les dirigeants sociaux du groupe.

Il serait opportun au législateur de repositionner l'abus de biens sociaux dans le cadre des entreprises liées en utilisant l'incrimination comme un instrument de protection de l'intériJt social immédiat de l'entité dominée ou contrôlée pour empêcher que les entités sollicitées ne supportent les sacrifices énormes dépassant leurs capacités financières au profit des entités soeurs.

L'abus de biens sociaux pourrait aussi servir comme un important levier de contrôle des pouvoirs privés économiques en matière de répression de la corruption transnationale. Les actes de gestion des différentes entités pris globalement permettraient de détecter et de mieux prévenir la corruption ou mieux les actes illicites117. Cela permettrait d'imputer par exemple à

115 Le financement intra-groupe est développé de nos jours au point où certains d'entre eux ont une banque du groupe destinée à financer les entités du groupe. On a par exemple le Toyota Financial Services consultable sur www.toyotafinancial.com et la General Motors Financial Services consultable sur www.gmacfs.fr

116 K. J. HOPT, Le droit des groupes de sociétés, expérience allemandes, perspectives européennes, Rev. Sociétés, 1987, p.371-390

117 Arrêt Carpaye du 24 Avril 1992 et arrêt Carignon du 27 Octobre 1997

la société mère les actes anormaux de sa filiale qui tombent sous le coup d'une incrimination pénale.

Si l'on prend en compte l'objectif l'incrimination de l'article 341-3 (4°), on se rend compte que le patrimoine social, que le délit d'abus de biens sociaux est censé protéger, est dans le cadre des pouvoirs privés économiques intégré au patrimoine du groupe. Ici, l'intérrt du groupe prime sur l'intérrt immédiat de l'entité prise isolément. Logiquement l'abus de biens sociaux entre les filiales d'un mrme groupe ne sera pas caractérisé si les conditions posées par la jurisprudence Rozenblum sont réunies. Cela est perceptible en droit fiscal qui reconnaît l'intérêt du groupe par la reconnaissance aux groupes intégrés d'un statut fiscal intégré118. Pour cela, le préalable serait de consacrer un droit des groupes de sociétés. Cela permettrait au juge de ne plus avoir à discerner selon les critères qui ne sont pas toujours objectifs, les groupes non artificiellement structurés ayant une politique clairement élaborée pour l'ensemble du groupe de ceux qui ne profitent que de la séparation juridique des entités pour limiter leur responsabilité. Les premiers seraient traités favorablement par rapport aux seconds, à l'exemple des groupes de droit et de fait consacrés par le législateur allemand.

Sur un plan technique, l'admission de l'intérrt du groupe permettrait d'assouplir le régime de l'infraction d'abus de biens sociaux. D'abord, le caractère non intentionnel de l'incrimination en sera affecté, car l'existence d'un groupe confère aux incriminations en cause un particularisme modifiant l'élément moral de l'infraction119 et partant la présomption de mauvaise foi du dirigeant serait assouplie. De même sa répression se fera dans le cadre du groupe et la responsabilité des dirigeants sociaux du groupe en sera affectée.

La reconfiguration de l'incrimination de l'abus de biens sociaux, bien que nécessaire pour l'encadrement du groupe, devrait toutefois rtre encadrée.

118 S'agissant notamment de l'abandon de créances et de déductibilité des aides apportées à une filiale en difficulté. De même, dans son Rapport sur le projet de loi de finances pour 2006, M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission de finances du Sénat, considérait ainsi que le nouveau régime de lutte contre la sous-capitalisation tendait « à privilégier opportunément la logique de groupe intégré par rapport à celle de l'individualisation des situations de sous-capitalisation », et représentait « un pas important vers l'émergence d'un véritable droit des groupes ».

119 B. Bouloc, Droit pénal et groupes d'entreprises, Rev. Sociétés. 1988, p. 181 et s.

§ 2 : les limites de la flexibilité de l'incrimination d'abus de biens sociaux au
regard des pouvoirs privés économiques.

Parler des limites de la flexibilité de l'abus de biens sociaux au regard des pouvoirs privés économiques c'est se poser la question de savoir jusqu'à quel point la prise en compte de ces nouveaux acteurs de l'économie pourra influencer la reconsidération de certaines infractions de droit économique. La question n'est pas aisée, mais il est permis de dire qu'une définition claire et précise des conditions d'admission de l'excuse de groupe constituera un principe général permettant de ne pas aller au-delà de certaines limites.

En considérant l'incrimination d'abus de biens sociaux, la jurisprudence a posé des conditions sévères en l'absence desquelles les agissements en cause tombent sous le coup de la loi pénale. L'objectif poursuivi par cette jurisprudence est sans doute le souci d'éviter que l'excuse de groupe puisse profiter aux groupes clandestins qui ne sont pas structurellement liés et n'ont pas un intérêt économique commun apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble du groupe. Le droit pénal devrait toujours avoir en priorité ses fins et servir comme instrument de dissuasion et de prévention de la commission des délits, surtout en ces temps de crise imputée aux « comportements gravement inconséquents » de certains chefs d'entreprise120. La Chambre criminelle de la Cour de cassation n'admet le fait justificatif de groupe que s'il n'entre pas en conflit avec le but poursuivi par le droit pénal. La révélation du fait justificatif tend à restituer la logique de l'incrimination, c'est-à-dire à déterminer quelle est la valeur protégée par l'incrimination et à éluder son application lorsque la valeur protégée n'existe plus ou qu'une valeur supérieure s'impose. Dans le cadre du groupe cette protection n'a plus de raison d'r~tre car l'intérr~ t social est transcendé par l'intérr~t commun du groupe auquel la société appartient. L'intérr~t commun devient la contre-valeur protégée par le fait justificatif. Cette démarche permet de restituer au droit pénal son but, ce qui est d'autant plus important en la matière, que l'incrimination pénale doit rtre strictement nécessaire et justifiée au titre du principe de légalité pénale et plus largement de la théorie de l'incrimination121 .

Ainsi qu'il a été démontré, l'excuse de groupe devrait plutôt profiter au groupe structuré contractuellement pour ce qui est de l'appréciation de l'incrimination d'abus de biens sociaux. En outre, elle pourra servir comme instrument de contrôle des groupes de fait en permettant de sanctionner les déviations suspectes de la société dominante qui, sans

120 D. Rebut, Où en est le rapport Coulon, In les Echos, 24 octobre 2008, p.12

121M.-E. Boursier, « Le fait justificatif de groupe dans l'abus de biens sociaux, entre efficacité et clandestinité (analyse de 20 ans de jurisprudence criminelle) », Rev. Sociétés. 2005, p.273 et s.

contrat, commanderait dans son propre intérêt les délibérations ou les actes de la société dominée. On pourra appliquer cela dans les relations entre entreprises intégrées et le pôle intégrateur, les premiers sont coupés du marché par le second et ne sont pas matériellement autonomes. Leur pratique commerciale est dictée par le pôle intégrateur et il pourra arriver que des actes de gestion leur soient imposés par celui-ci à leur détriment. Cela permettrait que la société dominante respecte l'intérrt social de la société dominée à défaut de contrat d'affiliation. De même, la sévérité de la sanction pénale des abus de biens sociaux commis dans le cadre des groupes de fait au bénéfice du pôle intégrateur et au préjudice de l'entité dominée est un facteur d'encouragement des pouvoirs privés économiques à se structurer et à s'intégrer pour bénéficier de la bienveillance du juge dans l'interprétation de l'incrimination de l'article 241-3 (4°) du Code du commerce.

Une telle démarche pourra être utilisée pour reconfigurer et réadapter certaines incriminations qui s'illustrent mieux dans le cadre du groupe. C'est ainsi que le droit de la consommation pourra être reconfiguré en prenant en compte le cadre du groupe pour mieux ajuster les sanctions pénales aux pratiques commerciales trompeuses ou agressives.

Quel que soit le mode de réadaptation choisi par le législateur, il va sans doute s'avérer que certaines sanctions pénales ne soient plus adaptées et par conséquent devraient rtre remplacées par les sanctions d'une autre nature.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery