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Le pardon et la justice post conflits en Afrique. Etude comparative des dynamiques des acteurs et des institutions du dedans et du dehors (Afrique du Sud, Rwanda)

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par Alain-Roger Edou Mvelle
Université de Yaoundé 2 - DEA 2008
  

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Section 2 : Le refus d'oublier comme limite de la portée du pardon et de la justice : de la centralité du facteur temps

Malgré toutes les initiatives prises, il peut toujours arriver que les victimes ne parviennent pas à oublier. Ceci peut être le produit d'un travail des acteurs, ou alors tout simplement l'expression de la fatalité, le signe des limites intrinsèques du pardon et de la justice en période post conflits.

Paragraphe 1 : Les mécanismes de consolidation de la mémoire victimaire

Deux éléments peuvent illustrer cette pratique : il s'agit de l'instrumentalisation et des mémoriaux.

A. L'instrumentalisation de la mémoire : une difficile parlementarisation de la coexistence entre d'anciens ennemis

La mémoire d'une violence de grande ampleur est un puissant moteur de bellicosité. En d'autres termes, nonobstant l'ensemble des mesures qui ont été prises par les catégories dirigeantes pour réconcilier, il existe toujours des `'têtes brûlées''237(*) qui rament à contre courant. Les `'têtes brûlées'' n'ont très souvent rien à perdre dans la manipulation en vue de la routinisation de la haine238(*). Elles relèvent de l'affirmation extrémiste d'une cause. Dans le cas du Rwanda comme celui de l'Afrique du Sud, les autorités gouvernementales ont prôné des stratégies différentes dans le rapport à la mémoire.

Au Rwanda, tout en travaillant de manière sérieuse sur l'acceptation mutuelle entre tutsi et hutu au plan interne, les dirigeants sortis de la guerre civile de 1994 ont stratégiquement mis sur pied une version de l'histoire à présenter au monde extérieur. En interne, il s'agit de cultiver une mémoire positive239(*) tandis qu'à l'externe, l'élite politique est plus préoccupée par la négativation de la mémoire. Le but est de présenter les événements de 1994 comme le point culminant d'une politique irresponsable et immorale : celle de la France. En soutien à cette politique publique de la mémoire, la création d'une Commission dite indépendante, spécialement chargée d'enquêter sur la responsabilité de la France dans le génocide. Il y a de notre point de vue instrumentalisation de la mémoire à des fins de légitimation d'un pouvoir dans cet acte. Ce qui aura pour conséquence le fait que, du côté de la France, des Commissions parlementaires tablent sur la question, et que la version hexagonale de l'histoire du génocide soit écrite240(*). Une conflictualité mémorielle s'installe par le haut, au grand dam des souffrances dont l'ampleur est relevée par le bas241(*).

En Afrique du Sud, les vertus de la tolérance entre blancs et noirs ont pris corps, à telle enseigne que tout discours visant à décrédibiliser le projet de réconciliation est délégitimé de facto. Ici, l'instrumentalisation de la mémoire de l'apartheid va dans le sens de rallier la majorité noire. La mise en scène du rapprochement entre De Klerck et Mandela, les appels à l'unité nationale, sont autant de signes soigneusement préparés pour éviter que les dominés d'hier n'aient l'idée de se venger. Et qui d'autre que celui qui est la conscience morale de la lutte contre l'apartheid pouvait incarner et porter ce discours fédérateur ? En acceptant d'abord de pardonner à tous ceux qui lui ont fait du mal, Mandela donne un signe fort à l'ensemble de sa communauté raciale. Ses prises de parole et actions permettent de construire un rapport positif à la mémoire chez les noirs. Au plan international, la `'nobélisation'' collective des deux hommes cités traduit l'acceptation par la communauté internationale du symbolisme sud africain notamment caractérisé par le consensus interne autour de l'unité nationale et la réconciliation.

L'instrumentalisation négative de la mémoire est le foyer de l'intolérance et du rejet perpétuel de l'autre. Or « la tolérance rend possible l'existence des différences ; les différences rendent nécessaires l'exercice de la tolérance »242(*). Si cela avait été fait en Afrique du Sud, il n'est pas exclu que l'élimination totale de la race blanche dans ce pays en eût été la résultante. Ainsi, la perspective de la réconciliation devrait être questionnée dans le long terme. C'est pourquoi une justice sévère n'est pas la solution appropriée. Comme le dit Botcharova, « Passé les premiers instants de triomphe, [la victime] prend soudainement conscience que, si la justice est accomplie, la souffrance est toujours là, que la hantise qui l'étouffe face à la perte qu'elle a subie n'a pas disparu et que la colère qui brûle au fonds d'elle-même n'est pas éteinte. Après un sentiment immédiat de soulagement vient souvent la déception et une impression de vide ; la vie paraît encore plus dépourvue de sens une fois la vengeance accomplie et l'ennemi abattu »243(*). La dimension instrumentale de la mémoire s'applique en outre aux édifices.

* 237 Voir supra

* 238 Voir Marie-Claire Lavabre, « Usage et mésusage de la notion de mémoire », Critique internationale, n°1, avril 2000.

* 239 L'un des leviers de cette politique est la consécration d'une journée nationale pour se souvenir du génocide.

* 240 Malgré le fait que l'an 2009 ne rentre pas dans le cadre de notre délimitation temporelle, notons néanmoins qu'en Août de cette année, des officiers Français ayant servi au Rwanda entre 1990 et 1994 ont particulièrement reçu des promotions. C'est un signe fort à l'endroit des autorités rwandaises, notamment sur la mémoire française des mois terribles au Rwanda.

* 241 L'on peut avoir un autre aperçu du processus victimaire à travers Pascal Bruckner, « L'innocence du bourreau. L'identité victimaire dans la propagande Serbe », Esprit, n° 204, Août-Septembre 1994, pp. 150-172. Cité par V Rosoux, op. cit ; p.735.

* 242 Michel Walzer, Traité sur la tolérance, Paris, Nouveaux Horizons, Gallimard, 1998, p. 10.

* 243 Woodstock Colloquim, Forgiveness in Conflicts resolution, op. cit ; p. 44

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