WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le droit de ne pas s'autoaccuser dans la jurisprudence de la CEDH

( Télécharger le fichier original )
par Jean-Dominique VOISIN
Université Paris II-Assas - Master 2 droit pénal et sciences pénales 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II. TYPOLOGIE DES AFFAIRES RESSORTISSANT Ë LA MATIéRE PÉNALE

65. Deux grandes espèces illustrent les difficultés soulevées par les procédures mixtes. Toutes deux ressortissent à la matière pénale car les poursuites engagées par le requérant visent à lui infliger une sanction pénale. Toutes deux comportent une phase administrative et une phase pénale mais, dans la première espèce, ces deux phases se confondent alors que, dans la seconde, elles se succèdent.

A] LE MODéLE FUNKE : APPLICABILITÉ DE L'ARTICLE 6 AUX POURSUITES ADMINISTRATIVES
FONDÉES SUR LE MANQUEMENT Ë UNE OBLIGATION FISCALE PÉNALEMENT SANCTIONNÉE

66. La procédure pénale ne doit pas être entendue comme ayant nécessairement pour finalité la sanction d'une infraction pénale. Lorsque le requérant, sommé par l'administration de produire des documents, refuse d'accéder à cette demande, il commet un manquement que l'administration qualifie «d'infraction fiscale»66. A priori, la sanction d'un tel manquement sera une sanction administrative et l'on n'imagine de procédure pénale que dans l'hypothèse oü l'administration engagerait des poursuites devant le tribunal correctionnel du chef de manquement à la législation fiscale, de tels manquements s'avérant cette fois-ci constitutifs d'infractions pénales.

67. Ainsi, dans l'affaire Funke67, le service des douanes, compétent en matière de contributions indirectes, suspectait le requérant d'avoir commis des infractions à la réglementation sur les relations financières avec l'étranger. Les douanes auraient pu engager des poursuites devant le juge correctionnel en raison de ces manquements. Préférant sans doute étoffer le dossier d'accusation, elles firent usage de leur droit de communication 68. Le requérant, sentant bien qu'il n'était pas dans son intérêt de produire de telles pièces

66 Le terme infraction est en principe réservé aux violations de la loi pénale. En matière administrative il est plus approprié de parler de «manquements». Toutefois, la jurisprudence de la CourEDH leur appliquant le même régime, «l'infraction fiscale» devient une notion appropriée au regard de la Convention.

67 CEDH 25 février 1993 Funke c/ France. Cf. également CEDH 04 octobre 2005, Shannon c/ Royaume -Uni pour des faits similaires (refus de compara»tre devant les enquêteurs financiers sanctionné par une amende et une peine légère d'emprisonnement) et une solution identique (sanction qualifiée de pénale bien qu'infligée par l'administration).

68Article L 81 du Livre des procedures fiscales (ci-après LPF).

(susceptibles d'étoffer le dossier d'accusation), refusa d'accéder à cette demande et fut sanctionné de ce chef par l'administration. Pour s'opposer aux arguments du requérant invoquant une violation sur le fond de l'article 6 (non respect de son droit à ne pas s'autoaccuser), le gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité tirée du défaut d'applicabilité de cet article: aucune poursuite pénale n'aurait été engagée contre M. Funke pour infraction à la réglementation sur les relations financières avec l'étranger; le gouvernement francais estime donc que seul cet aspect de la procédure aurait pu ressortir à la «matière pénale» au sens de la Convention.

68. La CourEDH note que Ç les griefs formulés par le requérant sur le terrain de l'article 6 visent une tout autre procédure, relative à la production de documents È, et écarte l'exception. Abordant la question de front, elle estime qu'il convient de décider si la sanction infligée par les douanes au requérant ressortit à la matière pénale. Cependant, sa réponse dans cet arrét est pour le moins abrupte: n'examinant pas plus avant la question de l'applicabilité de l'article 6, elle poursuit avec la constatation du bien-fondé des griefs et mentionne la Ç condamnation pénale du requérant pour refus de produire des documents È. Il faut en déduire que la sanction prévue par le LPF pour manquement à l'obligation administrative de déférer à la demande de communication de pièces est une sanction pénale, au sens de la jurisprudence de la CourEDH.

69. Le raisonnement est implicitement le suivant : le droit francais prévoit que le refus de déférer à une demande de communication de pièces expose le requérant à une amende d'un montant élevé; une telle sanction, en raison de sa nature et de sa gravité, ne tend pas à la réparation pécuniaire d'un préjudice mais a un caractère essentiellement pu nitif et dissuasif; les poursuites exercées par l'administration fiscale exposant le requérant à une condamnation pénale, ce dernier est bien accusé d'une infraction «en matière pénale» au sens de l'article 6; il est donc fondé à invoquer sur le fond une violation de son droit à ne pas s'autoaccuser.

70. Il peut donc y avoir «accusation en matière pénale» dans le cadre d'une procédure engagée par l'administration pour manquement à une obligation administrative. Les exigences de l'article 6 sont également applicables au second modèle de procédure dite «mixte».

B] LE MODéLE SAUNDERS : APPLICABILITÉ DE L'ARTICLE 6 AUX POURSUITES PÉNALES
FONDÉES SUR LES PREUVES RECUEILLIES LORS DE L'ENQUæTE ADMINISTRATIVE PRÉALABLE.

71. L'article 6 est en principe

inapplicable à une enquête administrative69, par conséquent les enquêteurs peuvent recourir impunément au cours de cette enquête, sous réserve des autres dispositions de la ConvEDH, à des méthodes qui, si elles étaient utilisées en matière pénale, seraient constitutives d'une violation du droit de ne pas s'autoaccuser.

Certes, les enquêteurs de l'administration ne peuvent échapper au contrôle de la Cour lorsqu'ils infligent une sanction assimilable à une sanction pénale70, mais il ne faut pas oublier que les enquêtes fiscales permettent de constater des faits constitutifs d'infractions pénales.

72. C'est précisément l'hypothèse de l'affaire Saunders71. L'administration fiscale anglaise, le DTI, avait exercé l'équivalent du droit de communication des administrations francaises à l'encontre du requérant. Ce dernier avait obtempéré et fourni les documents, lesquels furent admis comme preuves à charge lors de son procès pénal ultérieur. Puisque le requérant avait consenti à communiquer les pièces demandées, aucune sanction pénale n'avait été prise contre lui au cours de l'enquête administrative. Celle-ci échappait donc complètement au champ d'application de l'article 6. En revanche, la procédure pénale subséquente ressortit à la matière pénale et se trouve donc soumise au contrôle de la CourEDH.

73. C'est ici l'étendue du contrôle de la Cour qui pose une difficulté. En effet, considérer que les deux phases sont distinctes serait irréaliste et reviendrait à priver le requérant de toute possibilité d'invoquer l'article 6 dans une procédure qui aboutit, in fine, à sa condamnation pénale sur le fondement d'un manquement administratif constaté par des moyens qui auraient été contraires à la Convention s'ils avaient été utilisés pour constater une infraction pénale. D'un autre côté, la CourEDH ne peut examiner la recevabilité dans le cadre de la procédure pénale ultérieure des éléments recueillis au cours de l'enquête administrative, sans s'immiscer

dans des questions d'admissibilité de la preuve qui ressortissent à la compétence exclusive du juge national72.

74. Prenant au mot le gouvernement dans l'affaire Saunders, qui estimait qu'une protection suffisante était offerte au requérant par le pouvoir du juge d'écarter les éléments de preuve irréguliers, la CourEDH décide Çqu'elle se préoccupera donc seulement, en l'espèce, de l'usage qui a été fait dans la procédure pénale des déclarations pertinentes du requérant È. Le repli n'est qu'apparent et l'on verra que la formule employée permet en réalité, à l'occasion de l'examen au fond du respect du droit de ne pas s'autoaccuser, de contrôler les éléments de preuve recueillis lors de la phase administrative de la procédure.

75. La notion de matière pénale est ainsi largement définie et un grand nombre de requérants semble, au vu de cette seule condition, admis à invoquer une violation du droit de ne pas s'autoaccuser. Le critère adopté, la sanction pénale, ressemble beaucoup à celui qui caractérise la seconde condition exigée, l'existence d'une accusation, ce qui ne va pas dans le sens d'une restriction du domaine de l'article 6. Pour déterminer s'il y a eu accusation en matière pénale, la CourEDH s'attache à la notion d'accusé, mais la définition qu'elle en donne n'est pas satisfaisante puisqu'elle la conduit à se montrer étonnamment plus tolérante envers certains participants à la procédure et plus sévère envers d'autres.

SECTION DEUXIéME: LA QUALITÉ D'ACCUSÉ D'UNE INFRACTION

76. La notion d'accusé est connue, qui a été définie par la Cour en tant que condition d'application générale de l'article 6 à une espèce, sans qu'il soit particulièrement question du droit de ne pas s'autoaccuser. Mais précisément, la définition européenne classique de l'accusation n'est pas parfaitement transposable aux affaires dans lesquelles ce droit est mis en cause et elle a dü être réaffirmée dans le contexte particulier d'une requête en violation du droit de ne pas s'autoaccuser (I). En particulier, il a fallu déterminer si ce contexte permettait de faire entrer le témoin dans la catégorie d'accusé (II). En revanche, la question n'ayant

72 Sur ce point, infra n133.

jamais été soulevée devant la Cour, la situation des personnes morales au regard du droit de ne pas s'autoaccuser reste encore inconnue à ce jour (III).

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein