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Patrimoine hanséatique et emergence d'une région baltique : Brème, Gdańsk et Riga

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par Nicolas Escach
Ecole Normale Supérieure - Master STADE 2001
  

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2.2 L'histoire de la reconstruction de la Hanse aux XIXe et XXe siècle

Sur ce passé hanséatique, se construit à Brème, Gdansk et Riga un véritable mythe, mot employé dans le titre de l'exposition réalisée à Hambourg en 1989 : « La Hanse, réalité et mythe »34. Un mythe est une « représentation qu'un ensemble d'individus, en fonction de ses croyances, de ses valeurs se fait d'une période (historique), d'un fait, d'une idée, d'un personnage. Ceux-ci ont été idéalisés par l'imagination populaire »35 Il faut donc revenir sur l'histoire de la construction d'une représentation de la Hanse dans les trois villes.

A Brème, Gdansk et Riga, la reconstruction de la Hanse a lieu au XIXe siècle comme par exemple dans la littérature allemande. Le 24 Mai 1870, l'historien Karl Koppmann fonde une revue qui rassemble des textes de l'époque hanséatique36. Suit en 1903 Die deutsche Hanse de Dietrich Schäfer (Grassmann, 2001). Un consulat commun associant les villes de Lübeck, Hambourg et Brème représente ces villes à l'étranger et constitue une première forme de coopération (Fiebig, 2005).

34 «Die Hanse, Lebenswirklichkeit und Mythos»

35 Dictionnaire de l'académie française

36 Hansische Geschichtverein

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Mais cette reconstruction de la Hanse est aussi populaire : elle est instrumentalisée par l'état afin de développer l'idée d'une nation allemande unie, de reconstruire l'histoire d'une Allemagne conquérante et colonisatrice grâce notamment à une flotte exceptionnelle le tout dans un contexte de guerre (1870) et d'unification. De plus, le XIXe siècle est une période de prospérité économique pour l'Allemagne ce qui invite à la continuité historique37.

A Brème, très vite, la Hanse prend un écho résolument positif (alors que Brème l'avait refusé) et romantique et la confusion est très vite faite entre Hanse économique et liberté politique des siècles suivants. Se forge l'adjectif Hansisch par opposition à Hanseatisch38 ainsi que le nom Hanseat39 (Wegner, 1999). Dire de quelqu'un qu'il est Hanseatisch, c'est lui attribuer toutes sortes de qualités : l'ouverture aux autres, la fiabilité, l'ouverture au monde, la tolérance40, la capacité à gagner de l'argent sans montrer ouvertement sa richesse, la modestie calviniste, l'esprit froid, rationnel et distant, la haine de la vulgarité « Nouveau riche », une expérience de la liberté politique et de l'autodétermination, de la démocratie. Les Hanseaten sont également dotés de l'esprit de mécénat qui aurait aussi régné pendant la Hanse. Brème connaît une forte tradition jusqu'à aujourd'hui de don : le musée d'art de la ville a été en grande partie financé par des citoyens qui ont souvent souhaité rester anonymes. Le mot Hansisch fait lui référence à la Hanse historique

A Riga, le XIXe siècle est également un siècle de redécouverte de la Hanse qui vient des « Allemands baltes »41. Ceux-ci ont un quartier propre nommé Meschaparks42 et possédant de nombreuses rues à la toponymie hanséatique. La fin du XIXe siècle et début XXe siècle est une période là encore de forte prospérité. Les « Allemands baltes » cherchent alors à réunir les habitants allemands de tous les pays afin de maintenir leur position de force dans les provinces de la Baltique (Aschmanis, 2007). Dès le XIXe siècle sous le régime russe, ces « Allemands baltes » jouent un grand rôle et la région de Riga est une région administrative qui possède une certaine autonomie renforcée par un fort sentiment d'autodétermination, ayant même une forme propre de représentation à Saint-Pétersbourg43

En Pologne, on assiste à un phénomène équivalent et Peter Oliver Loew parle d'un mythe de la « Germanité » (1848-1939)44. Ce mythe se base sur l'idée que sous la domination de l'ordre teutonique et de la Hanse, la ville de Danzig était puissante économiquement et culturellement. Les éléments polonais de l'histoire sont niés dans une reconstruction totale : la ville aurait même tenté de se défendre contre un trop grand contrôle polonais. Les Allemands de Danzig se sentent investis d'une

37 Interview du 12/02/08 avec Heinz Gerd Hofschen, directeur du Focke Museum de Brème

38 Hansisch et Hanseatisch peuvent en français tout deux être traduits par « Hanséatique » mais il existe bien une différence de sens en allemand entre les deux termes

39 Hanseat signifie quelqu'un qui a un caractère hanséatique.

40 La Hanse serait une époque d'ouverture religieuse puisque, dans ces villes, protestants et catholiques ont parfois réussi à vivre ensemble dans une certaine harmonie

41 Deutschbalten

42 Construit au début du XXe siècle

43 Entretien du 20/02/08 avec Zaiga Krisjane, maître de conférences à la faculté de Géographie de Lettonie

44 Ou Deutschtum

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mission : être les dignes héritiers de leurs ancêtres porteurs des moeurs allemandes. La ville est décrite comme « un avant poste de la culture allemande dans un environnement de barbares slaves »45. L'espoir, notamment à l'époque de la révolution de Mars, d'une inclusion de l'Ouest de la Prusse et de Danzig dans la Nation allemande grandit. Peter Oliver Loew rappelle que cette histoire allemande est un mythe dans une ville fondée à partir d'une colonie slave (Loew, 2003, a).

Le XXe siècle fonde une distinction entre les deux villes de l'Est et celle de l'Ouest. A Brème, le souvenir de la Hanse reste constant et est utilisé à plusieurs reprises dans différents contextes comme sous le IIIe Reich, par exemple, pour appuyer les notions hitlériennes d'espace vital, de concept germanique, d'Europe médiane, l'idée d'une « Nouvelle Hanse » étant alors portée par Heinrich Hunke proche de Goebbels : «La Hanse vit, elle rayonne, éclatante de réalité»46. Après 1945, le concept de « Nouvelle Hanse » devient synonyme de force créatrice, entrepreneuriale et marchande, de solidarité dans une Allemagne prise dans la croissance économique. Cette continuité n'apparaît pas à Riga et Gdansk où dominent les ruptures.

Graphique n°1 : Composition de la population de Riga en 1844 et 1935

Composition en 1844 Composition en 1935

Source : Aschmanis, 2007

Conception et réalisation : Escach, 2008

En réalité, l'histoire allemande des derniers siècles a été interrompue à Riga de nombreuses fois et trois périodes ont été déterminantes : la première à la fin du 19e siècle est caractérisée par un élan économique accompagné d'une vague d'immigration en masse, de salariés et chefs d'entreprises venant des régions où la Hanse était peu connue. La deuxième période est celle de la Première Guerre

45 PRUTZ Hans (1866), «Die Katastrophe des Danziger Bürgermeisters Conrad Letzkau», APrM, n°3, pp. 615. Mitten in slawische Barbarei hinausgeworfene Vorposten deutscher Kultur »

46 HUNKE, H., (1942), Hanse, Rhein und Reich, Berlin, Haude und Spener, 2e tomme, pp.105 : «Die Hanse lebt, sie wird leuchtende strahlende Wirklichkeit»

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mondiale, des révolutions : ces événements ont provoqué l'émigration massive de beaucoup d'Allemands et seuls quelques uns reviennent dans les années d'après guerre au pays. Ceux qui sont partis sont remplacés par des habitants d'autres pays où la Hanse ne signifiait rien. La troisième période essentielle est le rapatriement des Allemands au début de la Seconde Guerre mondiale, la fuite et l'expulsion d'une bonne partie de la population de Riga pendant la guerre et tout de suite après, le développement rapide de la ville sous le pouvoir soviétique qui est lié à une immigration forte de toute l'Union soviétique, de l'Asie centrale et de Sibérie. Au cours de ces trois périodes, les traditions collectives et familiales des Allemands de Riga47 se sont perdues. La minorité allemande passe de 40.80% en 1844 à 10% en 1935 (Mikelis Aschamanis, 2007) comme en témoigne le graphique ci-dessus.

A Gdansk, les ruptures sont du même ordre comme en témoigne la nouvelle de Pawel Huelle Le déménagement. L'émigration forcée allemande laisse place à l'arrivée de populations de Biélorussie, de Lituanie, de Pologne et de Russie qui n'ont pas de rapport avec le passé hanséatique48 (Foucher, 1998).

Ces ruptures sociales s'accompagnent de ruptures politiques comme à Riga, avec l'arrivée au pouvoir de Karlis Ulmanis, en 1934. (Loew, Pletzing, Serrier, 2006). Il cherche à montrer par la destruction des formes non lettones de la culture que le peuple a pris seul son destin en main et le remaniement du patrimoine hanséatique est l'un des moyens utilisé. L'architecte Nikolais Voits prévoie ainsi un nouvel Hôtel de ville, doté d'une tour de 140 m de haut, qui aurait dominé la place de la mairie et la Maison des Têtes Noires montrant la supériorité des bâtiments lettons face aux bâtisses hanséatiques, considérées comme basses, situées dans des rues sales et sombres, tortueuses. Pour Riga, la période communiste qui suit est plutôt une période de latence pendant laquelle le mythe national trouve tout de même une place très importante. A l'époque soviétique, l'élargissement de la Kalku Iela, avenue qui débouche sur la place et la construction dans son axe d'un monument soviétique pour la libération de Riga imprègnent un univers letton à la place. Mais les débats naissant dès 1970-1980 sur la reconstruction de la Maison des Têtes Noires marquent une détente.

A Gdansk où selon Peter Oliver Loew, la « Polonité »49 remplace le mythe de la « Germanité» (Loew, 2003, a) l'histoire de plusieurs siècles d'occupation, de domination, de colonisation allemande en Pologne y compris pendant la Hanse est racontée et l'idée de prolétaires polonais attendant avec patience et détermination la Libération et résistant avec courage est lancée. Une continuité est ainsi reconstruite : l'exil de 1945 est un retour aux origines. Peter Oliver Loew, qualifie la « Polonité » de mythe puisque les polonais n'étaient que minoritaires dans l'histoire de la ville (entre le 16e et le 18e siècle, ils représentaient entre 0.5 et 2%). Ces positions politiques se retrouvent dans les bâtiments : la reconstruction du passé hanséatique est un débat essentiel dans les années 1950-1960. Si le

47 Ou Rigenser en allemand balte

48 Accords de Potsdam, 2 Août 1945

49 Polonität en allemand

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nationalisme polonais voulait reconstruire Gdansk avec des mains polonaises, plus belle qu'elle n'a jamais été, certains étaient contre, voyant les monuments sous le prisme de la familiarité (des monuments polonais) et de l'étrangeté (des monuments allemands). Barbara Bossak cite les mots durs du journaliste Edmund Osmanczyk en 1945 qui parle de la folle joie qu'il ressent à l'idée qu'on ne puisse pas reconstruire le vieux centre de Gdansk, ses rues et greniers détruits appartenant au passé noir de la domination teutonique. Il appelle à ne pas verser de larmes sur ses ruines (Loew, Pletzing, Serrier, 2006)

La redécouverte de la Hanse s'effectue donc après 1990 à Gdansk et Riga50. A Gdansk, une nouvelle reconstruction de l'histoire locale naît alors et fonde le mythe de la « Multiculturalité »51. (Loew, 2003, a) La ville aurait été, à l'époque de la Hanse, un lieu multiculturel, de tolérance, d'ouverture au monde et à l'Europe, de prospérité et de richesse, un genius loci52. C'est autour du Millenium de Gdansk réalisé en 1997, qu'un problème d'identité majeur se pose (Rexheuser, 2001) : cette histoire reconstruite d'une ville européenne et ouverte, n'est qu'un compromis fade afin de ne pas froisser les relectures polonaises et allemandes de l'histoire. Les Allemands ne sont pas surreprésentés puisqu'ils font partie des multiples peuples qui ont traversé la ville et l'exil de ceux-ci n'est pas cité. A l'occasion des festivités, des livres teintés de nationalisme polonais reprenant des propos de l'époque soviétique aussi bien que des livres regardant avec nostalgie la Danzig allemande ont été édités. L'auteur montre que ce ménagement intervient dans un contexte de deuil difficile côté polonais : les immigrants de 1945 se sentent trahis. Pour faciliter leur installation dans une ville nouvelle et rendre facile l'acclimatation, on leur avait présenté la ville comme historiquement polonaise. Le choc identitaire ressenti par des Polonais qui avait appris une histoire simple et continue et qui découvrent que les traces allemandes présentes dans la ville sont des témoins authentiques de leur passé est grand. Ce qui semblait un retour des Polonais sur une de leurs terres s'avère être une conquête, la victime devient bourreau.

Si la Hanse est donc associée à un creuset vague à Gdansk, elle est une réponse à la peur à Riga. Après 1990, la ville connaît une période de dépression économique : les relations économiques avec la Russie sont réduites et les produits de l'industrie de Riga, peu concurrentiels, sont délaissés par les marchés de l'Ouest. L'idée d'une Hanse Nouvelle apparaît alors comme une solution pour répondre à cette question : qui va participer avec son capital, ses relations et son énergie à un nouveau souffle de l'économie ? (Aschmanis, 2007).

De son côté, Björn Engholm, en Allemagne, fait revivre le concept de « Nouvelle Hanse » dès la fin des années 1980 (Grassmann, 2001)

50 La date de 1990 ne doit pas être prise comme une rupture absolue cependant. En effet, des les années 1980, à Gdansk, selon les propos de Peter Oliver Loew, la rédaction d'une nouvelle histoire locale avait été préparée par les élites libérales dans l'opposition.

51 Multikulturalität en allemand ou Wielokulturowosc en polonais

52 Un «lieu béni»

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry