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Syrie: d'une révolte populaire à  un conflit armé

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par Sophia El Horri
Université Paris VIII - Master 2 Géopolitique 2012
  

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III.2. L'islam dans la révolution syrienne

Souvent dans le monde arabe, depuis les indépendances en Afrique Du Nord, et la recrudescence des mouvements fondamentalistes dans les années 1950, les pouvoirs autocratiques antidémocratiques, policiers ou militaires ont été présentés comme un moindre mal face aux mouvements fondamentalistes des « frères musulmans ». Bachar El Assad, ainsi que son père auparavant, s'est toujours présenté comme un moindre mal face à la supposée guerre civile interconfessionnelle qui aurait lieu s'il n'était pas à la tête de l'Etat. Pour

107 AFP, France 24, 28/02/2012 http://www.france24.com/fr/20120228-referendum-oui-emporte-fond-violences-syrie-scrutin-homs-bombardement

108 http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/03/30/syrie-bachar-al-assad-a-la-recherche-de-candidats-pour-les-legislatives/

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combattre le spectre islamiste, télécommandé par l'Arabie Saoudite, l'Etat s'est souvent reposé sur des mafias urbaines ; comme l'Egypte, qui combattit les Frères Musulmans avec la baltaguiya, le régime sécuritaire du Baath s'est doté de moukhabarat.

De tous les soulèvements populaires observés dans le monde arabe en 2011, c'est probablement la Syrie qui inquiète le plus tant la mouvance islamique joue un rôle visible dans la contestation. Dans Deraa et Homs, ce sont les mosquées qui constituent les premiers lieux de regroupement et de protestation. Pour se donner du courage face à la brutale répression, les manifestants se protège avec des « Allah est grand ! » ou « Au Paradis, nous allons, martyrs par millions ». En outre, le printemps de Damas a été vécu comme le soulèvement des oulémas de Damas et Alep contre le régime. En province, ce sont les leaders religieux qui deviennent parfois des figures de proue des révolutionnaires.

Les Frères musulmans n'occupent plus une place dominante dans l'espace politique syrien. L'organisation a été affaiblie par les clivages régionaux qui la traversent109, comme au début des années 1970, un conflit oppose les branches du Nord (Alep-Hama) et Damas. En 2010, l'élection d'un alim de Hama à la tête de l'organisation, qui succède à un alépin resté en poste pendant 14 ans, est une illustration des conflits qui scindent l'organisation. Leurs mauvais choix politiques, comme leur association avec l'ancien vice président syrien Abdel Halim Khaddam--qui était déjà un homme fini en Syrie : traître pour le régime, corrompu pour le reste-- a sérieusement fragilisé leur crédibilité et a encouragé la naissance de nouveaux courants concurrents.

D'aucuns argueront que Hama, bastion islamiste jusqu'en 1982, s'est également rangée du côté de la contestation en 2011 ; ce serait donc une preuve que les Frères musulmans sont au coeur de la contestation en Syrie. Mais il ne faut pas oublier que le régime a déraciné le mouvement de sa source, et la simple appartenance à l'organisation était punie de mort110. En outre, bien que Hama se soit soulevée au même titre que Deraa ou Homs, les quartiers de l'insurrection de 1982 ne sont pas ceux qui se révoltent le plus en 2011/2012. Selon Thomas Pierret, la révolte de 1982 émanait des quartiers centraux de la cité, siège de ses vieilles familles, le mouvement de 2011 a vu de nombreux habitants des quartiers et des villages périphériques converger vers la place de l'Oronte. Armés de banderoles où étaient inscrits les noms de leurs quartiers ou de leur village, ils s'y dirigeaient tous pour manifester.

109 Thomas Pierret, L'islam dans la révolution, politique étrangère, 4/2011.

110 Loi n 49 de 1980

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Ces populations rurales ou « rurbaines » ne constituent pas, selon l'auteur, les populations traditionnellement sympathisantes ou membres des Frères, qui se situent principalement dans les faubourgs urbains.

De nombreux concurrents voient le jour : à Londres, le Mouvement de Justice et de Construction, ou encore des groupes qui se multiplient à échelles locales. Des figures comme, Ahmad Mouaz al Khatib, ancien prêcheur de la mosquée des Ommeyyades à Damas, et des groupes comme Dariya, dans la Banlieue de Damas, qui condamnent l'utilisation de la violence pour servir l'islam.

Plus largement, la récurrence des slogans à caractère religieux dans les manifestations suggère qu'une sensibilité islamique imprègne une large part des protestataires. Il n'est pas question ici d'islamisme au sens idéologique mais de l'expression de la culture dominante. Les islamistes de l'intérieur jouissent d'une popularité et d'une légitimée grâce à leur engagement sur le terrain, contrairement aux Frères exilés grisonnants. Au sein du CNS, les Frères et les autres islamistes se répartissent équitablement la moitié des 19 sièges du Secrétariat général de l'organisation qui leur ont été octroyés. Les oulémas sont quant à eux des acteurs non négligeables de la contestatio intérieure. Certains oulémas ont pris très tôt le chemin de la révolution, comme à Deraa et Baniyas. A Deraa, les deux plus hautes autorités religieuses locales, le mufti Rizq Abazayd et l'imam de la Grande Mosquée Ahmad Saysane, ont démontré leur dissidence. On assiste alors à une fracture entre oulémas favorables et hostiles au régime : la première génération de personnalités religieuses a vécu la décapitation de l'insurrection de Hama et a conclu un pacte de non ingérence dans les affaires politiques avec le pouvoir, et les seconds, qui ne disposent pas des avantages du clientélisme avec le pouvoir comme la première génération, ont eu un passé commun de relations conflictuelles avec le régime. En s'opposant au régime, ils font aussi l'objet de censure, de pression sur les membres de sa famille et de violences physiques. L'imam Rifai, qui a dénoncé les « crimes » commis par le régime, a été interdit de prêche et hospitalisé.

Après plusieurs décennies de répression, les oulémas syriens se sont dotés en 2006 d'une Ligue qui a fait son baptême du feu avec le soulèvement en 2011. Plusieurs d'entre eux ont transmis des vidéos aux habitants de Damas et Alep pour s'engager avec les autres villes dans la contestation. Le premier à intervenir est l'exégète du Coran Muhammad

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Ali al-Sabuni111, président de la Ligue des oulémas syriens, installé en Arabie saoudite. La faiblesse du soutien des deux villes piliers de la Syrie serait un encouragement à l'oppression des syriens dans les différents gouvernorats, une attitude qui expose au châtiment des « flammes de l'Enfer 112».

D'autres oulémas font plus scandale, à l'image d'Adnan al Arour, cheikh salafiste originaire de Hama, établi en Arabie saoudite et qui s'est fait connaître dans le monde sunnite à travers sa chaine satellitaire « Al Wisal », (la communication) ; il adopte un discours très anti chiite 113:

« Le problème réside dans le fait que le régime a attiré à lui un petit nombre de minorités.(...) Je tiens à mentionner particulièrement la communauté alaouite : il ne sera fait aucun mal à celui qui est resté neutre ; quant à celui qui a pris part à la révolution, il sera avec nous, nous le traiterons comme n'importe quel autre citoyen ; en revanche, ceux qui s'en sont pris à des choses sacrées, nous les passerons au hachoir et donnerons leur chair à manger aux chiens. »

Un discours de ce type terrifie les minorités autant qu'il apporte de l'eau dans le moulin de la rhétorique propagandaire du régime. Une dérive rhétorique confessionnelle servirait les intérêts du régime qui n'a de cesse d'agiter l'épouvantail de l'extrémisme sunnite face à des minorités apeurées. Bien que fragmentés, les Frères musulmans, les islamistes indépendants et la Ligue des oulémas adressent un communiqué114 le 17 septembre 2011 dans lequel ils s'engagent, en cas de chute du régime, à maintenir une unité nationale dans un pays qui dérive inexorablement vers la guerre civile.

Dans le chaos absolu de la situation syrienne, l'opposition vient encore ajouter à la confusion. Le Conseil National Syrien est sujet à des querelles intestines115. La rupture entre opposition intérieure et extérieure s'accentue depuis la création du Conseil National Syrien en octobre 2011. Les Comités Locaux de Coordination dénoncent l'influence des Frères musulmans dans la direction du Conseil. D'un autre côté, les slogans à la gloire de l'islam se multiplient sur les réseaux sociaux. Le conflit connaît un véritable virage

111 http://blogs.mediapart.fr/blog/thomas-pierret/211011/des-oulemas-syriens-exiles-tentent-de-reveiller-la-bourgeoisie-pieus

112 http://www.youtube.com/watch?v=kPLHzpW-ehc

113 http://www.youtube.com/watch?v=5mGlqnYc9uI

114 http://www.islamsyria.com/article.php?action=details&AID=2036

115 http://www.elwatan.com/international/burhan-ghalioun-demissionne-du-cns-l-opposition-doit-gagner-la-confiance-de-la-rue-et-de-l-etranger-26-05-2012-172197 112.php

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idéologique, et l'on peut légitimement se questionner sur la présence de militants étrangers radicaux sur le terrain.

Le djihadisme n'a pas disparu de Syrie depuis 25 ans. Cependant, la Syrie se situe assez loin des pays traditionnellement par les réseaux de terroristes et les nébuleuses les plus connues. Entre 2004 et 2006, la plupart des actes isolés qui se déroulent dans les régions de Damas, Homs, Alep et Idlib sont attribués à un groupe dénommé Jund Al Châm lil Tawhid wal Jihad (Les soldats du Levant pour l'unité et la guerre au nom de Dieu). Mais il est difficile de dire si les actes ne sont pas isolés, s'ils sont liés à tout un réseau organisé, « il n'est pas non plus exclu que le pouvoir se livre à une mise en scène de ces actes isolés afin d'arguer de l'existence d'une menace islamiste pour désamorcer les pressions internes et extérieures116 ». Pourquoi en effet s'étonner d'un régime, qui commet exactement le même type de déstabilisations et d'actes à l'étranger, qui instrumentalise l'argument islamiste pour répandre la peur et dissuader toute protestation intérieure. Après l'éradication des derniers groupes armées en 1980, le régime syrien a contenu l'islam radical hors de ses frontières par une politique combinant répression, espionnage et instrumentalisation. Mais, depuis 2011, on ne peut échapper à la question de savoir « qui tue qui ? » aujourd'hui en Syrie.

Plusieurs détails et éléments dans les attentats urbains entre 2011 et 2012 suscitent chez des observateurs, jusqu'à preuve du contraire non complotistes, un malaise quant à l'identité des auteurs des actes terroristes. Ignace Leverrier attire l'attention du lecteur sur la présence de corps en décomposition sur les lieux de l'attentat, « la disposition étrange d'une tête sensée avoir été détachée du tronc d'un kamikaze, l'absence de traces de sang sur de nombreux cadavres... » et j'en passe. Ces attentats ont été revendiqués par le Front de Soutien des Moujahidin Syriens à la Population Syrienne. Il s'était déclaré actif dans une vidéo117 où il affirmait sn appartenance à Al Qaïda. L'aspect de la vidéo est technologique, très travaillé. Le montage est fait à partir de plusieurs vidéos qui montrent le degré d'organisation de ces djihadistes et les villes dans lesquels ils sont présent et s'entraînent. Ces villes correspondent avec la géographie de la révolte ; cette vidéo, loin de constituer une preuve du lien du régime avec ses attentats, montre qu'elle se place néanmoins dans la même logique que la rhétorique du régime. Les salafistes ont infiltré l'opposition et ce sont eux qui commettent des actes de barbarie.

116 Carole Donati, L'exception syrienne, oc. Pit. P. 287.

117 http://www.youtube.com/watch?v=-UdD6wawreQ

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De plus, ce groupe se dit défendre les sunnites contre les alaouites : c'est curieux mais aucune action n'a été commise en territoire alaouite, à Lattaquié ou à Tartous.. En outre, Ignace Leverrier ajoute que selon des sources parmi l'opposition qui a été emprisonnée, « le régime syrien a délibérément relâché, sous le couvert d'amnisties qui n'étaient pas réclamées à leur profit mais au bénéfice des contestataires embastillés, plusieurs centaines de vrais ou de prétendus « islamistes ». Ensuite, l'auteur s'étonne de la vitesse à laquelle les djihadistes de ce Front se sont dotés de centaines de kilos d'explosifs, qu'ils sont parvenus à acheminer jusque dans les villes les plus sécurisées118.

La barbarie déjà pratiquée par le régime, les attentats au Liban et la politique de la « terre brûlée » de Bachar El Assad sont autant d'éléments qui prouvent que le régime syrien livre une guerre sans pitié à la contestation en Syrie. Selon Yves Ignacier119, le chef de l'Etat, Bachar el Assad, qui recevait une délégation de commerçants damascènes en présence de son beau frère, Asef Chawkat, a recouru dans son avertissement à la menace de bombarder Damas et de raser la ville. Le diplomate écrit dans son blog que c'est cette même menace qu'aurait entendue Rafic Hariri lors de son dernier entretien avec Bachar el Assad. Nous observons qu'il s'agit aussi du même type d'avertissement qu'a diffusé Rif`aat al Assad en 1982 sur la radio; il disait en effet être prêt à raser la Syrie d'une part de sa population pour rétablir la « stabilité ».

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault