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Syrie: d'une révolte populaire à  un conflit armé

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par Sophia El Horri
Université Paris VIII - Master 2 Géopolitique 2012
  

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III.3. L'Armée Syrienne Libre et son rôle dans le conflit interne armé syrien

Les conflits armés internes (non internationaux) sont ceux qui opposent, les forces armées d'un Etat à des forces armées dissidentes. Les affrontements qui se déroulent actuellement en Syrie entre d'une part, les forces gouvernementales et, d'autre part, les forces dissidentes (armée syrienne libre) pose le problème de leur qualification au regard du droit120.

Pour que les affrontements insurrectionnels soient qualifiés de conflit armé interne, il est nécessaire que les groupes rebelles soient militarisés et organisés. Il faudrait, en d'autres termes, que l'insurrection ne soit plus seulement l'oeuvre d'émeutiers chaotiques et qu'elle ait dépassé le stade d'une révolte sociale spontanée. Les groupes rebelles doivent être armés, posséder une chaine de commandement et respecter un minimum de discipline militaire. Or,

118 http://syrie.blog.lemonde.fr/page/2/

119 http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/05/14/syrie-attentats-terroristes-et-politique-de-la-terre-brulee/

120 droit international humanitaire qui régit les conflits armés internationaux et internes.

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l'évolution des évènements en Syrie s'est faite progressivement dans le sens d'une militarisation de l'insurrection. Actuellement donc, la nature des affrontements a largement dépassé le cadre qui prévalait aux premiers mois, celui de manifestations sporadiques de civils réprimées dans le sang, pour se transformer en de véritables combats entre militaires professionnels.

Dans le reportage « En première ligne avec la résistance armée syrienne » réalisé par Paul Moreira, diffusé le 05 décembre 2011 sur Canal+, un ex-officier de l'armée syrienne régulière explique sa désertion : « J'ai fait le serment de protéger le peuple syrien, pas le clan Assad ». Cette phrase est doublement révélatrice : il y dénonce le danger que constitue le clan Assad pour le peuple syrien tout en sous-entendant que ce qu'attend le clan Assad n'est pas la défense de l'intérêt général, mais bien la défense de ses intérêts personnels.

La force militaire de la révolte est incarnée par des soldats ou officiers sunnites rebelles, regroupés sous le nom d'Armée Syrienne Libre, qui ont fait défection à l'armée syrienne régulière. La formation du groupe d'opposition armé a été annoncée le 29 juillet 2011 dans une vidéo 121publiée via la Toile par un groupe de militaires syriens en uniformes qui ont fait défection. Le chef de ces hommes, qui s'est identifié lui-même comme le colonel Ryad Al Assaad, a annoncé que l'Armée Syrienne Libre travaillerait avec les manifestants à la chute du régime. Les espoirs étaient grands, les armées tunisienne et égyptienne avaient déjà détrôné Ben Ali et Moubarak. Le 23 septembre 2011, l'Armée Syrienne Libre annonce sa fusion avec le Mouvement des officiers libres, qui rappelle le coup d'Etat nassériste en Egypte, et devient ainsi le principal groupe armé de l'opposition.

A chaque défection, une nouvelle vidéo ; il s'agit pour l'Armée Syrienne Libre d'entretenir une communication permanente--sur sa croissance, sur ses victoires, sur son armement-- en direction des manifestants et des populations civiles. L'Armée Syrienne Libre se donne pour premier objectif d'assurer la défense des manifestants des incursions de l'armée syrienne régulière. Une armée régulière peut être définie comme un ensemble d'organisations et de moyens militaires géré par une majorité de militaires professionnels ou de civils réservistes. Etant donné que l'Armée Syrienne Libre prétend défendre un peuple national et qu'elle a été créée par des militaires professionnels, on peut la considérer comme une « armée » aux moyens encore faibles. L'armée Syrienne Libre ne dispose, selon mes observations, que d'armes légères (armes de poing, fusil d'assaut et lance roquettes).

121 http://www.mediarabe.info/spip.php?article2017

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En outre, on doute que l'ASL, qui est présentée comme une armée de déserteurs, profite réellement des défections des soldats syriens. Vu les pressions doubles que subissent les soldats syriens, tant de la part de l'armée régulière que des soldats rebelles, il n'est pas sûr que les défections au sein de l'armée régulière profitent à l'Armée Syrienne Libre. En outre, les effectifs humains de l'Armée Syrienne Libre font débat : 40 000 hommes selon l'AFP en janvier 2012, 20 000 selon Le Monde 09/03/2012. Certaines sources comme la Maghreb Agence Presse annoncent que leur nombre n'excèderait pas 5000. L'armée, qui semble faite de bric et de broc quelques mois après la révolte a gagné en notoriété et en soutiens internationaux.

L'Armée Syrienne Libre possède un commandant en chef ainsi qu'une chaine de commandement, avec des officiers. Son état-major est présent sur le sol turc d'où il coordonne les opérations. Le rôle de l'ASL est reconnu par le Conseil National Syrien : les deux organisations se sont dotées d'un conseil militaire pour établir les stratégies sur le terrain. En outre, les forces armées loyales au régime sont massivement déployées pour mater les manifestants et les forces rebelles, ce qui dénote l'intensité du conflit armé interne.

Composée de petits groupes de 20 à 30 combattants, l'ASL est répartie surtout dans les campagnes. Ils ne sont pas regroupés et sont de plus en plus organisés depuis l'hiver 2011. Ne disposant que de peu de moyens, dans certaines villes ou localités, les soldats rebelles profitent des solidarités familiales ou de quartiers. Mais cette hospitalité n'est pas toujours bien vue, car la présence de soldats rebelles dans certains quartiers menace les habitants et les riverains. La population en vient à prendre des distances avec l'armée libre par crainte des représailles du régime, comme dans le cas d'Idlib. Dans le Nord, la partie de la Syrie dans laquelle ils sont les plus présents et en circulation. Dans la région de Jbel Zaouia, certaines zones se seraient transformées en enclaves de « liberté ».

L'armée Syrienne Libre se fond dans le paysage, elle craint l'armée et, parce qu'elle est en infériorité numérique et matérielle, tente de surprendre le plus souvent l'armée syrienne régulière. Le conflit interne armé prend de plus en plus les caractéristiques d'une guerre asymétrique. Il n'y a pas de ligne de front claire, les soldats rebelles attaquent les militaires loyalistes en embuscades, lorsqu'ils ont l'avantage numérique. Contrairement à ce qu'on entend dans les médias, Idlib et Homs, ou d'autres villes citées, ne sont pas « reprises » par l'armée Syrienne Libre : elles sont occupées par les soldats rebelles, en attendant que l'armée régulière les déloge. Les soldats rebelles se fondent dans le paysage, circulant par les

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routes de campagne, par les frontières les moins fréquentées et sont le plus souvent hébergées par l'habitant, sinon ils occupent les bâtiments vides.

Les soldats organisent des embuscades en attaquant des check points de l'armée pendant la nuit. Elle dresse des barrages et harcèle les positions ennemies.

L'Armée Syrienne Libre encadre également des manifestations dans des zones périurbaines ou dans les villes. Voici une carte qui spatialise ses interventions.

L'armée syrienne libre intervient surtout dans les villes de l'axe central Idlib-Deraa, et Deïr ez Zor. Idlib, est à moins de 100 kilomètres de la frontière turque, où se trouvent l'état général et les principaux camps de réfugiés dans la région d'Antakya en Turquie. La région d'Idleb revêt en effet une importance stratégique pour le pouvoir. A la fois proche de la frontière turque et éloignée de Damas, elle permet aux Syriens opposés à Bachar el Assad de mieux s'organiser. Les révolutionnaires peuvent aller et venir en Turquie. Il est plus facile d'acheminer des armes, de la nourriture ou du matériel de communication. Les médicaments, le sang et les téléphones satellites circulent entre la Syrie et la Turquie, qui

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ferme les yeux sur ces flux matériels. La répression se faisait à l'artillerie lourde122 à Idleb.

C'est une situation différente de Zabadani, qui a été parmi les premiers foyers de la contestation à avoir été attaquées avant Homs : cette ville est proche de Damas et de la frontière avec le Liban. Son contrôle répond à la priorité de sécuriser ce qui entre et sort du pays.

Deïr Az Zor avait connu des manifestations pendant l'été 2011 : elle est située à 100 kilomètres de l'Irak, en proie à une guerre civile ces dernières années. Un observateur militaire de l'ONU témoigne de la situation dans cette ville dans laquelle il a dû patrouiller : « Les tueries par les chars et l'artillerie lourde, les kidnappings, les exécutions sommaires, les tortures, les arrestations arbitraires et les viols sont de mise quotidiennement, personne n'est épargné et particulièrement les enfants : la barbarie dans son sens le plus large. Concernant les observateurs onusiens, nous sommes pris en plein dans le bourbier, la population locale attend de nous une amélioration de la situation, personne ne respecte le plan Annan, en revanche les choses ne font qu'empirer. Notre mission est discréditée et souvent, on devient une des raisons de leurs maux et nous sommes pris pour cible. »

Ce passage est instructif à plus d'un titre : le sort réservé en janvier aux observateurs arabes est endossé aujourd'hui par les observateurs onusiens ; à Deïr Az Zor, la répression de l'armée est particulièrement forte. Cela peut être dû, premièrement, à l'intensité des manifestations et de leurs médiatisation, mais aussi à la situation géopolitique de cette région industrielle, non loin des frontières de l'Irak qui, jusqu'en décembre, était encore occupé par les Etats Unis qui se trouve être parmi les Etats les plus farouchement opposés au régime de Bachar el Assad.

Quant à Deraa, Homs et Damas, nous avons déjà expliqué en deuxième partie pourquoi l'armée syrienne libre y est présente. A Deraa, la frontière jordanienne offre une issue pour se ravitailler, pour les réfugiés et les blessés. A la fin du mois de mars 2011, l'armée était aux portes de Deraa et l'étouffa pendant une longue semaine ; l'entrée en contestation des villes frontalières n'est pas de bon augure pour le régime, qui réprime prioritairement les villes frontalières. Ses forces militaires se sont ensuite concentrées sur les villes intérieures que sont Homs et Hama. La catastrophe humanitaire qu'a causée la répression a poussé les rebelles à affronter l'armée régulière et à héberger les soldats rebelles,

122 http://www.rue89.com/2012/03/11/idlib-larmee-syrienne-ne-veut-pas-ceder-une-region-strategique-230098

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comme à Bab Amr. Damas est, elle, bordée par une ceinture de misère enclavée difficile à contrôler ; aussi serait-il logique que les soldats rebelles gardent leurs positions dans la Ghouta damascène pour espérer un jour attaquer le centre du pouvoir : le quartier Mezzah.

L'Armée Syrienne Libre se renseigne constamment sur les positions de l'armée loyaliste ennemie en se branchant sur ses fréquences. S'agissant des équipements électroniques, certains soldats possèdent des téléphones satellites offerts par les médias, les syriens de l'étranger ou les ONG. Les rebelles, civils et militaires, dépendent d'aides familiales et associatives étrangères. L'armée rebelle développe son propre circuit parallèle de blessés, et ses propres hôpitaux de fortune. Ces matériaux de fortune limitent les dégâts mais l'armée syrienne libre manque de tout face à l'armée régulière syrienne.

Par ailleurs, rien n'est jamais clair dans une guerre ; l'ONG Human Rights Watch accuse des groupes armés d'opposants syriens d'avoir commis des exactions contre des membres des forces de sécurité. Des tortures, des enlèvements, des rackets. Naim Houmry123, représentant régional de Human Rights Watch, basé au Liban, l'armée syrienne libre est plus une fiction qu'une réalité, il y a des douzaines et des douzaines de groupes armés qui opèrent, souvent en utilisant le nom de l'Armée syrienne libre, mais ils ne sont pas soumis à une structure unifiée, ce qui risque d'endommager la discipline dans l'armée et donc la crédibilité de l'armée rebelle. En mars 2012, la directrice de HRW pour le Proche orient Sarah Leah Whitson a envoyé une lettre aux mouvements d'opposition : « les chefs de l'opposition doivent clairement faire savoir à leurs partisans qu'ils ne peuvent torturer, enlever ou exécuter en aucune circonstance124 ». HRW s'appuie sur des dizaines de vidéos postées sur le site Youtube. On peut y voir des personnes désignées comme loyalistes (et parfois simples fonctionnaires) avouant des informations, sous la contrainte de la torture125. Une vidéo montre un homme pendu à un arbre devant plusieurs combattants. Un commentaire indique qu'il faisait partie des services de sécurité syriens. Selon l'ONG, certaines attaques menées par l'opposition armée étaient motivées par des sentiments anti alaouites ou anti chiites.

L'objectif de l'ASL, et des groupes de soldats sur lesquels elle a autorité, est de surprendre l'ennemi qui est en supériorité numérique et matérielle. Elle harcèle les positions ennemies, soit en attaquant des check points, soit en tendant des embuscades dans les villes où l'armée régulière est stationnée. C'est pour cela qu'il est proprement incorrect de faire de

123 http://www.hrw.org/bios/nadim-houry

124 http://www.20min.ch/ro/news/dossier/tunisie/story/24913432

125 http://www.youtube.com/watch?v=3VrVUnBp UA&feature=player embedded

120

l'Armée Syrienne Libre une véritable force de terre ; on comprend mieux dès lors les divisions entre l'Armée Syrienne Libre qui, sur le terrain, demande un soutien international en Syrie et le Conseil National Syrien, opposé à une intervention militaire mais enclin à une « protection internationale ». De plus, sur le terrain, à part certaines enclaves dans le nord et certaines villes intérieures comme Homs où elle a résisté à l'assaut de l'armée contre Bab Amr pour la déloger, l'armée syrienne libre est diluée dans le territoire et s'organise parfois pour des offensives du type « guerre asymétrique ».

L'armée syrienne libre est sous-équipée, ne fait pas le poids au strict sens militaire et doit donc se rabattre sur une stratégie de harcèlement, de guérilla face à cette armée régulière, qui tient les axes les plus importants et la majorité du territoire. Il existe une différence fondamentale entre la Libye et la Syrie : en Libye, la Cyrénaïque formait une poche révolutionnaire et la Tripolitaine, quant à elle, était favorable au régime. Or, en Syrie, il n'y a pas de ligne de front, c'est une mosaïque de territoires. L'ASL n'agit donc pas selon la même stratégie que les rebelles libyens ; les soldats rebelles tentent de maintenir leur position dans des spots stratégiques, généralement des zones sunnites favorables à la chute du régime, et de s'étendre en tâche d'huile, pour rallier toutes les poches révolutionnaires.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery