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Syrie: d'une révolte populaire à  un conflit armé

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par Sophia El Horri
Université Paris VIII - Master 2 Géopolitique 2012
  

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CONCLUSION

Depuis le début de la répression violente en mars 2011, on assiste à une escalade dramatique dans le recours aux actes de violence et à la torture. Pourtant, personne ne devrait s'étonner ; à titre d'exemple, dans le cadre de sa politique européenne de voisinage, l'Union Européenne désigne le pouvoir de Damas comme un régime présidentiel fort et autoritaire, en besoin urgent de réformes politique et économique. Dans de nombreuses publications, la torture, l'autocratie, la corruption et la prédation de l'Etat étaient mentionnés dans les rapports que produisent les Nations Unies. On peut donc dire que l'aspiration des syriens à la chute du régime qui les a brimés n'est donc ni étonnante, ni nouvelle au vu de l'Histoire.

La Syrie a été un des derniers pays à entrer dans la contestation politique des printemps arabes. Au mois de mars 2011 les appels aux manifestations se multiplient, et la répression meurtrière commence à Deraa en fin mars. Le régime a tout de suite réprimé les zones les plus exposées à l'étranger, car il craignait une intervention internationale, à la libyenne. Les manifestations ont grossi de taille dans les régions sunnites favorables à la chute du régime : c'est à la fois la répression et la situation de crise structurelle dans laquelle se trouve la Syrie qui va entretenir le conflit, mais qui va pousser également à sa radicalisation. Une des nombreuses conclusions de ce mémoire est que la réussite de la contestation dépend de sa capacité à se massifier et à durer dans le temps.

Si les manifestations du mois de mars avaient été pacifiques et massives, c'est en partie car le cas syrien a suivi le schéma tunisien : la contestation est partie de régions isolées périphériques délaissées et souffrant de difficultés socio-économiques, comme les villes de Deraa, Banyas, Lattaquié. Il s'est propagé ensuite vers les centres urbains plus importants. Les acteurs de ce mouvement sont les laissés-pour-compte, ceux qui ne profitent pas des retombées de la modernisation initiée depuis dix ans par le régime de Bachar el Assad. Les bénéfices de cette réforme, comme la réforme agraire de Hafiz el Assad, sont accaparés par une petite minorité qui s'enrichit dans l'immobilier, les banques, le tourisme et l'hotellerie. Le reste de la population vit avec difficulté, particulièrement dans le monde rural ou dans les banlieues urbaines accueillant l'exode rural. Les revendications socio-économiques se

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transforment alors en revendications politiques ; l'idée de changement ne s'incarne que par la déconstruction de l'Etat-régime instauré par le clan Assad pour ses intérêts.

C'est dans ce contexte que des oppositions politiques claires commencent à se former. On assiste à une scission entre l'opposition de l'intérieur et celle de l'extérieur, composée de laïcs et d'islamistes en exil. L'opposition de l'intérieur est aussi bien composée des « anciens », connus en Syrie depuis des décennies, comme Michel Kilo, qui a subi entre autres l'écrasement des aspirations du printemps de Damas, que d'une nouvelle couche de manifestants, cette génération spontanée des rues du printemps arabe, coordonnée en partie par les Comités de Coordination sur le terrain. L'opposition de l'extérieur est, elle, regroupée autour de Burhan Ghalioun au sein du Conseil National Syrien qui a comme principe fondateur la chute du régime, la protection des civiles, et l'avancement du dossier syrien auprès des puissances internationales. Il est difficile de mesurer la notoriété ou la légitimité du CNS auprès des Syriens de l'intérieur ; l'information est filtrée, contrôlée et surveillée.

La réouverture de « Facebook », le principal médium social des révolutions arabes « Web 2.0), au début de l'année 2011 en Syrie, a très vite aiguisé les suspicions des web-activistes. Grâce à de nouveaux outils de cryptage de données enseignés par Télécomix entre autres, ils parviennent à diffuser une véritable mémoire vivante de la révolution. Ces nouveaux médias ont donné lieu à une guerre via médias sociaux interposés. La fragilisation du régime syrien laisse place à de nouvelles possibilités dans la région, surtout au regard du Qatar et de l'Arabie saoudite. La chaîne Al Jazeera, d'abord en retrait, lance une guerre médiatique contre le régime syrien et soutient l'opposition. De même, les agences de presse russe et iranienne défendent le régime en diffusant sa rhétorique.

Les discours sont antagonistes et les représentations opposées à tel point que l'image autour du conflit syrien est brouillée. D'une part, le régime et ses alliés accusent les terroristes de vouloir déstabiliser la Syrie et d'établir un régime islamiste ; d'autre part, les opposants clament leur pacifisme et leur caractère laïc, en s'accusant l'un l'autre continuellement.

Sur le terrain, l'échec de la solution politique se fait durement ressentir. La situation est dans une impasse entre d'une part une société qui a pris une voix politique et qui n'entend plus en être dépossédée et d'autre part un régime qui a conservé des capacités de répression, en particulier en engageant de préférence dans la répression la partie de l'armée la plus fidèle, qui est aussi la mieux entraînée et équipée en plus de multiples forces de sécurité

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(forces spéciales ou forces auxiliaires miliciennes, alaouites recrutés massivement) ou polices politiques, communes sous le nom de mukhabarat.

La révolte syrienne a changé de nature à partir de l'été 2011 avec une militarisation croissante du mouvement. Les habitants de nombreuses régions touchées par la révolte se sont constitués en groupes d'autodéfense pour se protéger. Le déploiement de l'armée sur tout le territoire a fortement augmenté les désertions. Des officiers libres syriens fondent plus tard dans l'été 2011 l'armée syrienne libre. Le régime perd le contrôle de certaines villes ou certains quartiers, ou il a laissé certaines villes se proclamer « villes libérées », avant d'entamer des reconquêtes militaires violentes à grands renforts de chars et d'artillerie lourde. Le bilan humain dépasse dix mille morts, avec des chiffres qui relèvent d'une situation de conflit et plus seulement d'insurrections spontanées et localisées.

La révolte prend aussi de plus en plus la tournure d'une guerre confessionnelle : plusieurs observateurs parlent d'un risque de « libanisation » ; le fait que l'Armée Syrienne Libre est entièrement sunnite renforce la perception d'une revendication hégémonique de la majorité sunnite contre le pouvoir aux yeux des groupes minoritaires. Il semble que la libanisation qui est à craindre soit difficilement évaluable vu le chaos dans lequel se trouve le pays néanmoins, les principales parties impliquées dans le conflit syrien refusent toute confessionnalisation de la révolte, pour ne pas renforcer le discours du régime qui dresse continuellement l'épouvantail du conflit inter confessionnel. En outre, ce qu'on observe en Syrie est inédit : le mouvement n'émane pas de l'action de groupes identitaires ou confessionnels, comme à Hama en 1982 ou à Qamishli en 2004. On remarque l'implication d'une nouvelle couche de manifestants non sectorisée, les victimes directes des crises sociale et économique. Les manifestations syriennes n'ont rien de confessionnel ou d'identitaire dans leurs principes, mais l'embourbement du conflit et l'escalade de la violence exacerbent les clivages communautaires et risquent de déterminer, si révolution il y a, le futur des affrontements inter-syriens.

La régionalisation puis l'internationalisation du cas syrien répondent à la nécessité de faire plier le régime syrien, et réduire la répression para-policière, policière et militaire. Cette étape cruciale dans le développement du conflit, à une échelle non plus nationale ou régionale mais internationale, change la donne : les réunions de crise et sommets se multiplient pour résoudre l'imbroglio syrien. Dans le cas libyen, l'intervention internationale avait permis de faire basculer le rapport de force entre régime et opposition. Dans le cas

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syrien, un tel scénario est bloqué par les vétos russe et chinois au Conseil de Sécurité en en février 2012 : les russes disposent de leur dernière base navale en méditerranée à Tartous ; de plus, Moscou comme Pékin trouvent inacceptables toute initiative allant dans le sens d'une solution du Conseil de Sécurité de l'ONU, dominée par l'Occident, autour de principes comme « le devoir de protéger » et l'ingérence pour cause humanitaire. En outre, jusqu'à maintenant, aucun protocole clair: ni l'armement des rebelles, ni le couloir humanitaire qui supposerait l'aval des deux parties belligérantes, ni le bombardement par l'OTAN des points stratégiques militaires du régime, n'a créé de consensus

Le dossier a été saisi également à un niveau régional. Dans le cas du Yémen par exemple, l'impasse avait été débloquée par une initiative du Conseil de Coopération du Golfe qui a permis le départ négocié de Saleh. Cependant, dans le cas syrien, le facteur régional introduit plus d'incertitude qu'il n'offre de solutions. L'ingérence du Conseil de Coopération de Golfe complexifie les rapports de force sunnite/chiite dans la région.

La combinaison entre : l'affaiblissement du pouvoir central syrien, la division forte de l'opposition, l'incertitude concernant la violence déchaînée qui s'en suivra et qui dénaturera probablement la nature de la protestation, les clivages confessionnels croissants et les interventions régionales, annonce un terrain favorable aux salafistes djihadistes. La violence déchaînée et la déstructuration étatique constituent un terrain favorable pour les courants fondamentalistes, comme Al Quaeida, qui a annoncé officiellement son soutien à la révolution.

Le régime de Bachar el Assad a fait face dans les années 2000, en s'appuyant sur des clivages sociétaux, un appareil sécuritaire important et un muselage de toute initiative civile. Il a réussi à se maintenir à travers de crises régionales graves, en particulier le voisinage avec les Etats Unis en Irak, son retrait forcé du Liban. Mais cette nouvelle crise due à la contestation populaire contre l'autoritarisme pousse le régime à résister (muqâwama) face à son propre peuple.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle