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Rwanda, un génocide colonial, politique et médiatique

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par Mathieu OLIVIER
Université Paris 1 - La Sorbonne - Master de Relations Internationales et Action à là¢â‚¬â„¢Etranger 2013
  

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Les caricatures

Le Monde n'est pas friand de photographies. Il utilise en revanche énormément les caricatures. On le voit notamment en Une avec les dessins de Plantu. Il faut considérer les caricatures comme étant une synthèse du point de vue de la rédaction sur le sujet traité. Les auteurs, qui assistent aux conférences de rédaction, ne connaissent en effet bien souvent pas le sujet.

La plus connue et la plus controversée des caricatures publiées par Le Monde est sans doute celle de Plantu dans l'édition du 21/22 août, date du retrait de l'opération Turquoise. Le dessinateur y représente un soldat français, embarquant dans un avion qui le ramène en France. Celui-ci se retourne et s'adresse à un membre du FPR en lui lançant : « Et on est bien d'accord, plus de génocide !!! » Etrange retournement de situation alors que le FPR s'est justement battu contre les forces armées rwandaises génocidaires.

On distinguera également un dessin de Sergueï, publié pourtant le 15 septembre 1995. Le dessinateur représente Paul Kagamé, leader du FPR, ressemblant étrangement à un dictateur d'Amérique du Sud, et tendant la main à une flaque de sang. Il cache dans son dos une machette, arme privilégiée du génocide perpétré par le gouvernement rwandais.

Ces deux premières caricatures illustrent à merveille la diabolisation du FPR qui s'opère dans les colonnes du Monde lors du génocide rwandais.Enfin, un dernier exemple, signé Pancho, illustre quant à lui un mécanisme plus répandu, celui de l'interprétation ethniste du conflit. Le 20 août 1996, le dessinateur illustre un article signé du journaliste Jean Hélène. Il représente le président du Burundi, Pierre Buyoya, sous la pression d'un embargo décidé par l'Ouganda et le Rwanda. Ces trois pays sont pourtant, selon l'analyse du Monde, gouvernés par les Tutsis. Le dessin illustre la réaction du président burundais face à l'embargo : « Tous des Hutu ! » lance-t-il.

Les accusations

La collusion entre les analyses venues des services français et celles livrées dans le quotidien national, en particulier par Jacques Isnard, n'a pas manqué de soulever les protestations, les indignations et même les accusations. Billets d'Afrique, publication de l'association Survie, qui a réalisé un remarquable travail de collecte des articles concernant le Rwanda, écrivait notamment à ce sujet dans son numéro de juin 1995.

« Cette analyse de réécriture instantanée de l'Histoire par les services de renseignements français est intéressante à plusieurs titres - et pas seulement par les quelques éléments d'information qui tentent d'en asseoir la crédibilité [...]. On y trouve à la fois les grosses ficelles désinformatrices (l'anti-Mobutu Museveni habillé en mafieux) et cette lecture raciste, virant à la paranoïa, qui conduisit la France à soutenir le camp du génocide (la légion tutsi, les nostalgiques de l'empire tutsi). »2(*)4

Le 16 juillet, une lettre de lecteur parvient à la rédaction du Monde. Elle critique la description générale de la situation au Rwanda comme des massacres interethniques ne prenant pas en compte l'aspect politique des événements. C'est à dire la non prise en compte des mécanismes du génocide.

« Vous réduisez la guerre et les massacres à l'horreur quand il s'agit également d'actes politiques, exercés collectivement autant qu'individuellement et dont on peut, dont on doit chercher les mobiles et les causes possibles. Pourquoi ne consacrez-vous pas autant de place à une tentative de compréhension et d'analyse du drame qu'à la répétition d'une litanie de souffrances individuelles ? »2(*)5

En juillet 1994, déjà, les premières accusations commencent donc à paraître vis à vis du traitement éditorial du génocide rwandais par le journal Le Monde. La première à le dénoncer est la journaliste belge Colette Braeckman. Celle-ci publie un article dans le journal Le Soir, intitulé « Désinformation et manipulation » le 25 juillet 1994. Elle commente un éditorial signé de Jean-Marie Colombani, directeur du Monde.

« Concluant une prise de position très critique à l'égard de l'action passée de la France au Rwanda, ce dernier [Jean-Marie Colombani] recommande à juste titre de se garder de toute naïveté et affirme - ce dont on se doutait déjà - que les bons et les méchants ne sont pas d'un seul côté. Il précise que « le FPR fait le vide autour de lui, est responsable de l'exode et surtout ne veut laisser rentrer que les paysans, sous prétexte de récoltes, ce qui lui permet d'exclure les intellectuels hutu ». Si cela était confirmé, conclut prudemment l'éditorialiste du Monde, « cela rappellerait quelque chose du côté du Cambodge. » »2(*)6

Cette « information » sur la stratégie du FPR est en effet douteuse. Il faut une nouvelle fois s'interroger sur les sources de Jean-Marie Colombani. L'allusion au Cambodge n'est pas nouvelle. Le 18 juin 1994, Le Monde utilisait déjà la comparaison dans un reportage sur six colonnes sur les armes alimentant le FPR. Il n'est pas le seul. Depuis plusieurs années, les conseillers français du président rwandais Juvénal Habyarimana utilisent fréquemment l'appellation « Khmers noirs » afin de désigner les rebelles du FPR.

Il est, au sujet de la stratégie du FPR, intéressant d'examiner un article de l'International Herald Tribune, qui disposait d'un envoyé spécial au Rwanda.

« Des officiels français ont dit que le FPR avait mis des conditions au retour des réfugiés, parmi lesquelles qu'ils soient analphabètes et qu'aucun membre de leur famille n'appartienne aux Forces Armées Rwandaises. »

L'information, reprise dans Le Monde par Colombani, provient donc des officiels français. Mais elle reprend en fait les propos d'un représentant rwandais. C'est un article du Monde, preuve que certains articles des envoyés spéciaux ne participaient pas à la désinformation, qui nous l'apprend. Jean-Baptiste Naudet2(*)7 écrit ainsi que la « manoeuvre d'intoxication » est le fait de « l'ex gouvernement rwandais en exil au Zaïre qui veut que le FPR règne sur un désert. » Le journaliste reprend ainsi un discours d'une grande importance, celui du ministre du Travail de l'ancien gouvernement rwandais génocidaire. Jean de Dieu Habineza déclarait ainsi, lors d'une conférence de presse du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) :

« Le FPR a dit que seuls les gens qui ne savent ni lire ni écrire peuvent rentrer, je le confirme. »

Les accusations apparaissent donc dès juillet 1994 sous la plume de Colette Braeckman. La journaliste belge conclut même son article dans le journal Le Soir par une citation évocatrice à destination de Jean-Marie Colombani :

« Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose, disait déjà Voltaire. »26

C'est donc au fil de 1994 que les doutes vont émerger concernant le traitement du génocide rwandais par le journal Le Monde. Très vite, le quotidien dirigé par Jean-Marie Colombani fut suspecté de partialité dans sa description des événements, partialité qui, eu égard au caractère exceptionnel de la question rwandaise, fut qualifiée de complicité de génocide. Car, dans le même temps, certains envoyés spéciaux, même au Monde, rendent compte d'informations objectives qui contredisent les articles de la rédaction parisienne du quotidien.

Le 22 juin notamment, dans le journal Le Figaro, un article prouvait que les coupables du génocide avaient été identifiés, que les techniques de désinformation sont connues, notamment la diabolisation du FPR. « Le complexe de Fachoda, la vision anglophones contre francophones, le discours sur le FPR : les Khmers noirs de l'Afrique, nos ennemis, tout cela c'est vrai ! reconnaît aujourd'hui une source très haut placée à Paris. »2(*)8

Jean-Paul Gouteux fait le même constat, il conclut d'ailleurs durement, en évoquant Jean-Marie Colombani : « Mais peut-être ne lit-il pas Le Figaro ? ».2(*)9 L'entomologiste français livre l'analyse la plus poussée sur le journal Le Monde. Nous avons donc souvent évoqué ses conclusions et ses remarques car elles sont sans aucun doute les plus documentées. Jean-Paul Gouteux faisait ainsi partie de l'association Survie qui a, dès 1994, cherché à compiler les articles de presse sur le Rwanda.

Pour conclure cette partie sur Le Monde, il est important de préciser une nouvelle fois certaines limites aux accusations. D'une part, si la ligne éditoriale a été globalement désinformatrice, certains envoyés spéciaux du journal ont livré des analyses pertinentes. Certains n'hésiteront pas à évoquer une énième technique : celle de glisser quelques articles de vérité pour crédibiliser les articles de désinformation. Mais ces allégations sont difficilement vérifiables.

Il est néanmoins indéniable qu'une certaine filiation se détache entre les journalistes de la rédaction. Nombreux ont été les auteurs à écrire sur le Rwanda. On pourra citer pour unique exemple un article du 3 octobre 1990, écrit par Jacques de Barrin, sur la première offensive du FPR sur le pays. « Pasteurs nomades de tradition guerrière, les Tutsis se raccrochent à la branche des Nilotiques. On les dit quelque peu sûrs d'eux-mêmes et dominateurs. Les Hutus, eux, appartiennent au monde bantou. Volontairement ou non, ils se donnent l'image de paysans accrochés à leurs terres, madrés et plutôt rustres, malhabiles en politique. »3(*)0

Cette interprétation ethnique a, semble-t-il, donné au Monde une ligne de pensée cohérente -encore une fois celle-ci n'était pas toujours partagée par les envoyés spéciaux. L'africaniste Jean-Pierre Chrétien indique ainsi : « Apparemment, il n'y a pas à Libération une « pensée maison », alors qu'il y en a une au « Monde » qui est manifestement plus cohérente. (annexe 6) »3(*)1

Autre spécialiste du Rwanda, François-Xavier Vershave revient également sur la question de la relation du Monde avec les services secrets.

« Le quotidien du soir évitait d'autant moins aisément les pièges des spécialistes de la désinformation, tels Barril ou certains officiers de Turquoise, qu'une partie de son service « Etranger » semblait en osmose avec la présentation officielle de l'engagement français au Rwandais et l'option foncièrement anti-FPR qui le sous-tend. »3(*)2

* 24 Billets d'Afrique n°47, juin 1995

* 25 Lettre publiée dans Le Monde du 16 juillet 1994

* 26 Colette Braeckman. Le Soir, Désinformation et manipulation, 25 juillet 1994

* 27 Envoyé spécial à Goma durant l'exode

* 28 Officiel français cité par Patrick de Saint-Exupéry, Complices de l'Inavouable, La France au Rwanda

* 29 Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?, Editions L'Esprit frappeur, 1999

* 30 Le Monde, Jacques de Barrin, 3 octobre 1990

* 31 Entretien avec Jean-Pierre Chrétien, Le Cobaye, septembre 1995

* 32 François-Xavier Vershave, Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, Editions La Découverte, 1994

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