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Le role de la compliance anti corruption

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par Julien Quijoux
Université Versailles Saint Quentin - Master 2 Droit pénal des Affaires 2012
  

Disponible en mode multipage

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LE ROLE DE LA

COMPLIANCE

ANTI-CORRUPTION

UNIVERSITE DE VERSAILLES SAINT QUENTIN EN YVELINES

Sous la direction de :

Marie-Emma BOURSIER, Directrice du Master professionnel de droit pénal de l'entreprise Alexandra SERINET, Directrice du Master professionnel de droit pénal de l'entreprise Nathalie GOUACHE, Vice-President Legal & Regional Compliance Officer TECHNIP

LE ROLE

DE

LA COMPLIANCE

ANTI-CORRUPTION

Mes remerciements vont à Mme Gouache, Vice-President Legal & Regional Compliance Officer de la société Technip, pour la confiance qu'elle m'a accordée et sans laquelle la rédaction de ce mémoire aurait été impossible.

Je tenais également à remercier les juristes du département Compliance de la société Technip, M. Baup, Mme Seguineau et Mme de Rocca Serra, pour le partage de leur expérience et leurs critiques qui m'ont été précieuses.

Je voulais aussi remercier les enseignants et intervenants du Master 2 de Droit Pénal de l'Entreprise de l'Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines pour la transmission de leur savoir.

Je remercie enfin Pierre et Julie pour leur aide tout au long de l'élaboration de ce travail.

SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION SUR LA SCENE MONDIALE

CHAPITRE PREMIER LE CADRE INSTITUTIONNEL DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION 20

SECTION I. L'ÉVOLUTION DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION : UN PHÉNOMÈNE RÉCENT 20

SECTION II. L'ENVIRONNEMENT JURIDIQUE DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION 24

Sous-Section 1. L'environnement juridique « Hard Law » de la lutte contre la Corruption 25

Sous-Section 2. La « Soft Law » dans la lutte contre la Corruption 30

SECTION III. LES FINALITÉS AFFICHÉES DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION 32

CHAPITRE DEUXIEME LA DIMENSION NORMATIVE DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION 35

SECTION I. LE DÉLIT DE CORRUPTION TEL QUE PRÉVU PAR LES TEXTES 35

Sous-Section I. La notion de Corruption 35

Sous-Section II. Les différentes formes sous lesquelles se présente la Corruption 39

SECTION II. L'APPLICATION PRATIQUE DES NORMES ANTI-CORRUPTION 41

Sous-Section I. Les caractères généraux et incertitudes de la Compliance d'entreprise tels qu'imposés

par les régulateurs mondiaux 42

Sous-Section II. L'omnipotence de la régulation étatsunienne 44

SECTION III. LA PRÉDOMINANCE DES ETATS-UNIS RÉVÉLATRICE D'UNE POLITIQUE DE CONCURRENCE NORMATIVE 47

SECONDE PARTIE LES DEFIS DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION A L'ECHELLE DE L'ENTREPRISE

CHAPITRE TROISIEME LA DIMENSION ORGANISATIONNELLE DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION ... 54

SECTION I. LE TRIPTYQUE DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION : PRÉVENIR, AGIR, RÉAGIR 54

Sous-Section I. Les moyens de prévention mis en place par la Compliance 54

Sous-Section II. Les moyens d'action et de contrôle au bénéfice de la Compliance 58

Sous-Section III. La réaction de la Compliance à la découverte d'un acte de Corruption 61

SECTION II. LES RISQUES DE NON COMPLIANCE 63

Sous-Section I. La Compliance d'entreprise en tant que protection de l'entreprise 63

Sous-Section II. La Compliance d'entreprise dans le calcul des sanctions et l'importance de la

coopération 69

CHAPITRE QUATRIEME LA DIMENSION FONCTIONNELLE DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION 74

SECTION I. LA NOTION DE « CULTURE DE LA COMPLIANCE » 74

Sous-Section I. Les inconvénients d'une Compliance inadaptée 74

Sous-Section II. La mise en place de la « Culture Compliance » 76

Sous-Section III. Les avantages de la Compliance 79

SECTION II. L'AVENIR DE LA COMPLIANCE, DISCIPLINE DU JURISTE PÉNALISTE 81

Sous-Section I. La Compliance, une fonction à part entière 81

Sous-Section II. La Compliance, une matière en devenir 83

CONCLUSION 90

SOURCES ET REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 94

ANNEXES 96

LISTE DES ABREVIATIONS UTILISEES

AC : Agent de Compliance

ACP : Autorité de contrôle prudentiel

AMF : Autorité des Marchés Financiers

C.cass : Cour de Cassation

CCI : Chambre de Commerce Internationale

DOJ : Department of Justice

DPA : Deferred Prosecution Agreement

EU : Etats-Unis d'Amérique

FCPA : Foreign Corrupt Practices Act

FMI : Fonds Monétaire International

GIACC : Global Infrastructure Anti-Corruption Centre

GOC : Guide d'Organisation des Condamnations de la Commission Fédérale des Peines

GRECO : Groupe d'Etats du Conseil de l'Europe contre la corruption

JO : Journal Officiel

LAB : lutte anti-blanchiment d'argent

NPA : Non-Prosecution Agreement

OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques

ONU : Organisation des Nations unies

PACI : Partnering Against Corruption Initiative

SCPC : Service central de prévention de la corruption

SEC : Securities and Exchange Comission

SFO : Serious Fraud Office

TI : Transparence Internationale

Tracfin : Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits FINanciers

clandestins

UE : Union Européenne

UKBA : United-Kingdom Bribery Act

10

11

«La "loi de la nature", une superstition. Si vous parlez avec tant d'enthousiasme de la conformité aux lois qui existent dans la nature, il faut que vous admettiez soit que, par une obéissance librement consentie et soumise à elle-même, les choses naturelles suivent leurs lois -- en quel cas vous admirez donc la moralité de la nature -- ; soit que vous évoquiez l'idée d'un mécanicien créateur qui a fabriqué la pendule la plus ingénieuse en y plaçant, en guise d'ornements, les êtres vivants. -- La nécessité dans la nature devient plus humaine par l'expression « conformité aux lois », c'est le dernier refuge de la rêverie mythologique »

Humain trop humain, Nietzsche

La Loi, dans son acception juridique, n'est pas sans se rapprocher de la vision de la « loi de la nature » de Nietzsche, en ce que celle-ci ne peut exister, dépasser le stade de « rêverie », que si certains constats sont faits. Ainsi, si l'on parle de la loi des hommes, soit l'on conçoit que celle-ci est respectée de par la simple moralité des personnes concernées par elle - ce qui n'est pas sans une certaine naïveté - ; soit l'on fait appel à un mécanisme supérieur - les hommes se contenteront des institutions concernées - capable et responsable seul du respect de cette loi, au risque de ne pas tenir compte de ceux qui se doivent de la respecter.

Mais ce qui ne s'envisage pas concernant la nature, c'est un état intermédiaire, où les sujets soumis à la loi et le « mécanicien créateur » interagissent, avec des objectifs différents, mais dans un but commun : la « Compliance » aux lois.

Si le terme de « Conformité » est une traduction acceptable de « Compliance », lorsqu'il s'agit du respect de la loi, celui-ci ne prend, en revanche, pas compte de la réalité de ce qu'est la Compliance dans sa globalité ; c'est-à-dire, un ensemble de comportements, d'actions et de raisonnements de la part de l'entreprise, dans un but qui ne se limite pas à la seule mise en conformité de celle-ci aux lois, mais qui s'analyserait comme la recherche d'un degré de conformité acceptable pour l'entreprise.

En cela, le terme de Compliance peut être conçu comme une notion intermédiaire aux traductions de « conformisme, de complaisance, d'obséquiosité, voire de complicité »1, et peut-il être rajouté, de « coopération ».

En raison de cette complexité, le recours au terme de Compliance sera privilégié.

La Compliance d'entreprise de façon générale, peut être conçue comme le volet juridique de la gestion d'une entreprise. Etant considéré que le non-respect des normes en jeu est sanctionné par des mesures pénales, il est même fortement envisageable de qualifier ce volet juridique de droit pénal de l'entreprise ; dont la connaissance et l'appropriation par l'entreprise s'affiche toujours plus comme un enjeu de bonne gouvernance2.

1 D.DANET, Misère de la corporate governance, Revue Internationale de Droit Economique, 2008, pages. 407-433.

2 M.E. BOURSIER, « La gestion du risque pénal dans l'entreprise : enjeux d'efficacité économique » LPA 15 novembre 2008 n°185, p.6

12

Ainsi, la Compliance d'entreprise, en tant que partie intégrante d'une entité économique, se doit de concilier deux impératifs : le respect par l'entreprise des normes auxquelles celle-ci est soumise et la réalité économique de cette entité.

Cette tâche qui n'est pas aisée en raison de ces forces, sinon opposées, du moins divergentes, doit elle-même se placer dans une position a priori ambivalente. En effet, la fonction de Compliance apparaît de prime abord comme celle d'une police, d'un contrôleur, voire d'un sanctionnateur pour les employés (au sens le plus large qui soit), mais faisant elle-même partie - la plupart du temps - de la même entreprise. Son rôle en devient d'autant plus périlleux lorsque l'on introduit l'hypothèse d'une action à l'encontre de personnes elles-mêmes hiérarchiquement supérieures aux membres du service chargé de la Compliance.

C'est en tenant compte de ces contraintes et enjeux que la Compliance contre la Corruption doit trouver son rôle en entreprise ; contraintes et enjeux d'autant plus intenses que la lutte mondiale contre la Corruption a trouvé un formidable essor ces quelques dernières années et que la crise économique, dans le même temps, force les entreprises à une gestion sans faille - quand cela suffit.

Car si le droit pénal des affaires est peut-être le domaine du droit pénal le plus nécessiteux d'une certaine dépénalisation3, force est de constater que la tendance n'est pas à cela et que s'établit, sous l'impulsion du droit international et du droit communautaire un renforcement de la lutte contre la délinquance économique internationale4. La lutte contre la Corruption n'y fait pas exception et fait même figure d'étendard pour une grande partie des institutions mondiales. Elle n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle qui a pu s'élaborer contre le blanchiment d'argent, quelques années auparavant.

Cependant, la lutte contre la Corruption, berceau du développement de la Compliance d'entreprise dans certains secteurs d'activité ciblés5, n'est pas celle de la lutte contre le blanchiment d'argent (« LAB »).

Tout d'abord la lutte contre la Corruption ne se concentre pas sur le secteur financier. Son champ d'application est bien plus large, puisque toutes les entreprises d'envergure internationale sont concernées, ce qui en fait un sujet de préoccupation actuel (ou en devenir) pour des sociétés qui ne seraient pas aussi familières et sensibles à la Compliance que les organismes bancaires.

Ensuite, la lutte contre la Corruption est plus récente que la LAB. De par ce fait, celle-ci est également plus jeune, plus immature ! Elle évolue vite et s'intensifie tant en termes de normes que de jurisprudence. Le risque pour une entreprise de ne pas se saisir à temps les enjeux de cette problématique l'exposerait à se voir largement et parfois irrémédiablement dépassée par les effets de la lutte contre la Corruption. La nécessité d'une mise en place de moyens de Compliance s'en fait d'autant plus importante et nécessaire.

3 La dépénalisation de la vie des affaires, « Rapport COULON », Groupe de travail présidé par J.M. COULON, janvier 2008.

4 M.E. BOURSIER, Direction de la Chronique de droit pénal de l'entreprise, LPA, 27 octobre 2008, n°215,

p.3.

5 Rapport HUGHES HUBBART & REEDS, FCPA Alert Summer 2012.

13

Enfin, si la lutte contre la Corruption est encore bourgeonnante, même pour les entreprises les plus en avance dans le domaine, tel est également le cas au niveau institutionnel. Dans un combat affiché par les plus hautes instances mondiales comme étant au niveau que ceux contre le blanchiment d'argent ou du droit de la concurrence6 (auquel le droit de la corruption, si on peut l'appeler ainsi, est intimement lié), aucune juridiction équivalente à l'Autorité des Marchés Financiers (« AMF ») ou à l'Autorité de la Concurrence n'existe en France, par exemple.

Ainsi la notion de « Rôle » de la Compliance anti-Corruption, toute « ajuridique » qu'elle puisse paraître, permet une analyse globale des problématiques de ce sujet - mais ne prétendant, bien évidemment, à aucune exhaustivité.

Un Rôle s'inscrit avant tout dans un contexte, un cadre fixé par d'autres, un scenario. Sans cet élément supérieur, il est impossible de cerner toutes les forces qui s'exercent sur celui qui a le Rôle en question.

Mais avoir un Rôle, c'est également interagir avec d'autres acteurs.

D'abord des acteurs avec un Rôle plus important, dont le but supérieur s'inscrit à une plus grande échelle, avec ce que cela implique par rapport à leur influence sur les autres acteurs...

Mais aussi d'autres acteurs de même envergure mais poursuivant un autre but, propre aux qualités de ces acteurs. Les Rôles devront alors se conjuguer les uns avec les autres, par souci de cohérence et pour la réalisation d'une entreprise commune.

Enfin, un Rôle est détenu par un acteur. Cet acteur, bien que devant se conformer au scenario, a tout de même la liberté d'innover, voire d'improviser... tant qu'il respecte les instructions qu'on lui donne. Cet acteur n'a d'intérêt que s'il apporte quelque chose ; soit aux autres acteurs, dans leur entreprise conjointe ; soit au scenario dans son entièreté.

S'interroger sur le Rôle de la Compliance anti-corruption, c'est donc chercher à comprendre, comment, au travers de l'évolution du contexte institutionnel et normatif mondial et des pressions diverses qui en découlent, la Compliance anti-Corruption trouve sa place au sein de l'entreprise, elle-même productrice de ses propres contraintes.

C'est en observant et en décryptant l'environnement de la Compliance anti-corruption sur la scène mondiale (Première Partie), qu'il sera possible d'établir les défis actuels et en

devenir de la Compliance anti-Corruption à l'échelle de l'entreprise (Seconde Partie).

6 GAFI, Rapport : «Specific Risk Factors in Laundering the Proceeds of Corruption», Juin 2012.

14

PREMIERE PARTIE

LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION

SUR LA SCENE MONDIALE

15

16

17

La Compliance anti-Corruption, en tant que composante de la gestion d'une entreprise, se doit de respecter et faire respecter les règles qui régissent les actions de cette entreprise.

Avant même d'appréhender le contenu des règles auxquelles l'entreprise doit se conformer (toujours dans le sens de « Compliance »), il est nécessaire de cerner quelles entités sont productrices de telles normes et ainsi pouvoir en saisir la portée et en comprendre les finalités.

Discerner l'enjeu de la Compliance dans la lutte contre la corruption demande donc de savoir « qui » émet ces règles (Chapitre premier), avant même de s'atteler à l'analyse desdites règles (Chapitre deuxième).

18

.

19

20

CHAPITRE PREMIER

LE CADRE INSTITUTIONNEL DE LA

COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION

L'environnement institutionnel de la lutte contre la corruption est un pan fondamental de cette lutte. En conséquence, une analyse de la Compliance anti-Corruption se doit de commencer par un exposé de ce cadre.

En effet, c'est en étudiant à l'échelle mondiale la mise en place de la lutte contre la Corruption (Section I), puis en mettant en lumière les agents institutionnels majeurs qui se sont saisi de cet enjeu supra-économique (Section II), que pourront se dessiner nettement les finalités - affichées, mais aussi celles peut-être moins avouables - poursuivies par ce système qui sert de référentiel à la Compliance d'entreprise en matière de Corruption (Section III).

Section I. L'évolution de la Compliance anticorruption : un phénomène récent

Si la pénalisation des actes de Corruption ne date pas d'hier, puisque le droit romain les sanctionnait déjà dans l'antiquité7, force est de constater que la lutte effective, ne serait-ce qu'à l'échelon national, semble ne pas toujours avoir eu l'engouement qu'on lui voit ces dernières années. Cela peut paraître paradoxal, dans la mesure où, même avant notre ère, cette infraction était considérée comme un crime particulièrement grave (faisant partie des crimes politiques et sanctionnables par la mort de l'auteur).

En effet, la lutte contre la Corruption a réellement commencé dans la fin des années 1970, ou tout du moins, sa rédaction... Car ce n'est finalement que depuis la fin des années 2000 que la lutte s'est réellement concrétisée (§1), à l'échelle mondiale (§2), dans un mouvement brusque, persistant et croissant, qui n'est pas sans rappeler celui d'autres domaines de la gestion d'entreprise (§3).

§1. Contexte historique récent

Les institutions responsables de la lutte contre la corruption doivent être comprises au sens large. C'est-à-dire que sont concernés non seulement les autorités gouvernementales émettrices de normes, mais également les textes cadres ainsi produits, voire les organisations de toutes natures, en charge de les faire respecter. Le terme « respecter »

7 « Traité élémentaire de droit criminel », A. NORMAND, 1896

21

inclus le contrôle de leur application, les sanctions en cas d'irrespect ou encore la collaboration pour en permettre une application la plus performante possible.

En ce sens, les premiers textes fondamentaux apparaissent à la fin des années 1970, mais avec une effectivité très relative.

Ainsi, le texte majeur de la lutte contre la corruption qu'est le « FCPA »8 est introduit en 1977. On peut également noter un autre instrument moins fondamental que sont les Règles de la Chambre de Commerce Internationale « CCI » pour combattre la Corruption, apparues en 1977. Leur force contraignante n'est cependant sans commune mesure avec le FCPA.

Concernant le FCPA, son manque d'effectivité sur la scène mondiale s'explique par le fait que le texte n'ait été initialement prévu que pour les citoyens américains. Ainsi, le FCPA n'a réellement pris de l'ampleur qu'à partir de 1998, avec l'implantation par amendement des dispositions de la « Convention OCDE » 9 , entraînant la possibilité pour les Etats-Unis de poursuivre les personnes (physiques et morales) étrangères. Cet amendement a, par ailleurs, été rendu possible suite à un schéma bien particulier.

Ainsi, en 1988, le « Congrès » des Etats-Unis, considérant que les entreprises américaines étaient défavorisées par rapport aux entreprises du reste du monde - non seulement du fait de l'application restreinte du FCPA, mais également du fait de la possibilité dans de nombreux pays économiquement importants de déduire fiscalement les dépenses de corruption - enjoint à la branche exécutive de l'OCDE d'obtenir des Etats partenaires (mais surtout concurrents) des Etats-Unis une législation similaire au FCPA. Chose que fera l'OCDE en 1997, par l'adoption d'un nouvel instrument juridique10.

Si la Convention OCDE fut si peu efficiente au départ, malgré des mécanismes très poussés sous forme de rapports de suivi de l'application de sa Convention, la faute appartient surtout aux Etats membres de l'OCDE - les conventions internationales ne s'appliquant pas directement aux entreprises.

De 1998 à 2008, la lutte contre la corruption à l'échelle mondiale s'est peu à peu mise en place, notamment avec la Convention de l'Organisation des Nations Unies (« ONU ») de Mérida11, ratifiée aujourd'hui par 161 parties à travers le monde (y compris la France et l'Union Européenne (« UE »)12. Celle-ci est d'importance car elle s'affiche comme le premier instrument international juridiquement contraignant de lutte contre la corruption.

8 Foreign Corrupt Practices Act of 1977, 15 U.S.C. § 78dd-1, 18 janvier 1977

Il est difficile de dire lequel du FCPA, de la Convention OCDE ou de la Convention ONU a eu la plus forte résonnance (même s'il sera développé plus tard que le FCPA, instrument juridique national, a eu une importance au moins comparable à celle desdites Conventions multiétatiques). Cependant, force est de constater que les instruments juridiques se sont multipliés, au point que le terme d' « inflation législative» n'a rien d'exagéré.

9 Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, adoptée par la Conférence de négociations de l'OCDE, 21 novembre 1977

10 Recommandation révisée sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales, adoptée par le Conseil de l'OCDE, 23 mai 1997.

11 Convention ONU contre la corruption adopté par la Résolution de l'Assemblée générale des Nations unies 58/4 31, octobre 2003, entrée en vigueur le 14 décembre 2005.

12 Statut au 12 juillet 2012 : http://www.unodc.org/unodc/en/treaties/CAC/signatories.html.

22

§2. Une prise de conscience concrète du problème de la corruption par les différents acteurs mondiaux

Si les trois piliers normatifs que sont le FCPA, la Convention OCDE et la Convention ONU s'affichent comme les véritables instigateurs de la lutte effective contre la corruption, le mouvement ainsi initié a trouvé des échos aux niveaux locaux (via le droit pénal interne des Etats), régionaux (au travers de conventions « continentales ») et mondial (grâce aux organisations gouvernementales et non gouvernementales).

Il est d'ailleurs important de noter que cette lutte se fait au travers des mécanismes propres à toute lutte pénale. Se sont ainsi développés : les textes prévoyants les infractions, ceux permettant le contrôle du respect de ces textes (les moyens d'enquête) et surtout ceux permettant de sanctionner les actes de Corruption.

C'est ainsi qu'en plus des textes pénaux de chaque Etat engagé dans la lutte contre la Corruption, s'est développée une coopération des divers organes en charge de cette lutte contre la Corruption. Cette coopération que l'on peut qualifier d'« informelle », dans la mesure où de tels mécanismes de coopération ne sont pas réellement prévus par les textes, se fait au travers par des communications d'informations entre les différentes institutions - entraînant par ailleurs un non-respect total de la règle « non bis in idem » pour les entreprises opérant dans plusieurs Etats.13

Enfin, concernant le pan le plus symbolique de la répression pénale, les sanctions en matière de Corruption se sont multipliées, tant en termes de nombres que de montants. Ainsi, il est à noter que les dix amendes prononcées sur le fondement du FCPA pour des faits de corruption ont toutes été prononcées entre décembre 2008 et août 2012.14

L'affaire la plus symbolique est sans nul doute celle de SIEMENS qui totalise à ce jour plus de 1,6 milliards de dollars d'amendes pénales et civiles prononcées par les juridictions américaines, allemandes et nigériennes. Cette affaire est symbolique à la fois par l'amende record prononcée par les autorités américaines (800 millions de dollars), mais également par la coopération entre les autorités, puisque SIEMENS avait été condamné pour la même affaire à 760 millions de dollars par les tribunaux allemands.

13 F. FRANCHI, « la lutte contre la corruption », Cahiers de droit de l'entreprise n°4, juillet 2010

14 http://www.fcpablog.com/blog/2008/12/16/final-settlements-for-siemens.html

Si l'actualité de la lutte contre la corruption a donc été marquée par une sévérité grandissante jusque 2008, puis par une certaine stabilité depuis15, il faut toutefois noter un certain manque de structuration dans cette lutte. Cette désorganisation ne se retrouve pas dans d'autres domaines de la gouvernance d'entreprise et/ou du droit pénal des affaires. Ces domaines peuvent ainsi être regardés comme ayant tracé un sillage que la lutte contre la corruption pourrait bien suivre dans les années à venir.

15 Concernant le FCPA, en 2011 50 sociétés ont payé un total de 508,6 millions de dollars. En 2010, 23 sociétés et 1,8 milliards de dollars. En 2009, 11 sociétés et 644 millions de dollars. En 2008, 11 sociétés et 890 millions de dollars), contre seulement. 34 sociétés et une amende record de 44 millions de dollars entre 2003 et 2007. Voir Annexe 1.

23

§3. Les grandes lignes de l'avenir de cette lutte

Si la lutte contre la Corruption est un sujet de préoccupation actuel des entreprises internationales et de leur service de Compliance, d'autres domaines de droit pénal des affaires ont pu la précéder.

On peut notamment citer la LAB, mais aussi le droit de la concurrence ou encore la matière large communément désignée par le sigle « QHSE » (Qualité Hygiène Sécurité Environnement). Ces domaines ont comme point commun d'avoir entraîné récemment des condamnations pour des entreprises internationales de la part de diverses autorités dans le monde.

Ces matières très vastes, mais proches de la Compliance anti-corruption, tant dans les objectifs affichés par les institutions mondiales que dans les enjeux économiques pour les entreprises, permettent d'avoir une vision d'une certaine portée sur ce que sera l'avenir de la lutte contre la Corruption (et donc d'un intérêt prépondérant pour les services de Compliance anti-Corruption).

Si l'étude de ces domaines passionnants demande un développement bien supérieur à celui qui lui sera accordé dans cet écrit, des caractéristiques majeures de la structure de la lutte contre les infractions sont cependant suffisamment fortes pour pouvoir être présentées ici.

La première remarque à faire, concernant la lutte contre la Corruption, c'est de noter l'absence de régulateur dédié à sa lutte, que ce soit au niveau régional, mais aussi local.

Ainsi, en France, il existe l'Autorité de la Concurrence, « juridiction » dédiée aux conflits du droit de la concurrence. En matière de LAB, il est également intéressant de noter le travail de l'AMF dans la régulation des entreprises financières, directement concernées. L'AMF disposant, par ailleurs, de pouvoirs très importants, tant en ce qui concerne la production de régulation (de par la publication de son règlement général), que les pouvoirs d'enquête et les pouvoirs de sanction.

En matière de Corruption, rien de tout cela n'existe, puisque ce sont les juridictions pénales classiques qui sont compétentes en la matière, avec des pouvoirs qui n'ont rien d'exorbitants.

Par ailleurs, en ce qui concerne la LAB, l'organisme qu'est « Tracfin » (Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits FINanciers clandestins) permet non seulement aux sujets du droit pénal financier limitativement désignés de remplir au mieux leurs obligations (notamment la déclaration de soupçon16), mais en plus, cette plateforme permet aux entreprises de demander des conseils dans l'application des obligations qui leurs incombent dans ce cadre.

En matière de Corruption, rien de tel n'est prévu en France, ni plus que dans de nombreux pays17 :

- Ni autorité de régulation particulière ;

16 Article L.561-15 du CMF

17 Rapport de l'OCDE pour 2011

24

- Ni organisme gouvernemental de supervision ;

- Ni procédure déclarative particulière en cas de soupçons de corruption.

Ni l'Autorité de contrôle prudentiel (« ACP »), ni l'AMF, ni l'Autorité de la concurrence ne sont dotées de prérogatives particulières en matière de lutte contre la corruption. Bien que les profits issus de la corruption puissent être sanctionnés lorsqu'ils sont l'objet d'un blanchiment d'argent ou servent à déséquilibrer le libre marché de la concurrence, cela apparaît comme difficilement satisfaisant, puisque la corruption a déjà eu lieu en amont. Or, la création d'une telle autorité est une demande de la part de l'ONU18.

Il est également envisageable de voir les conventions de coopération se multiplier. De telles conventions existent déjà, mais en nombre insuffisant, et n'engageant pas tous les acteurs économiques majeurs19.

Enfin, les sanctions contre les individus tendent à se développer de plus en plus. Cela apparaît comme un argument de poids, puisqu'il véhicule l'idée que les personnes physiques ne peuvent plus se « cacher » derrière les personnes morales. Cependant, la question reste fortement débattue au sein des observateurs, et les questions quant à l'efficacité de cette lutte continuent de se poser.

Toujours est-il que le mouvement de lutte contre la corruption a dépassé la simple rencontre des volontés individuelles des Etats, ce qui est forcément positif. Le recul dira si cela se traduira dans les faits et notamment au-delà du FCPA.

Section II. L'environnement juridique de la lutte contre la Corruption

La lutte contre la Corruption étant une préoccupation mondiale, de nombreux acteurs normatifs se sont emparés de cette thématique. Du point de vue normatif, la Corruption présente une certaine particularité en ce qu'il existe des règles qui, de fait, s'appliquent à l'échelle mondiale.

18 Articles 5 et 6 de la Convention ONU contre la corruption

Cependant, cette singularité n'est pas due à une organisation concertée à l'échelle mondiale, loin s'en faut. En réalité, seules quelques institutions assument ce rôle (Sous-Section I), alors même que leur dimension est parfois loin d'être mondiale. Cette impression nébuleuse est par ailleurs tout aussi présente au niveau inférieur de l'environnement normatif que constitue la « Soft Law » (Sous-Section II).

19 Le Réseau anticorruption pour l'Europe orientale et l'Asie centrale (« ACN ») ne couvre qu'une vingtaine d'Etat membres, par exemple.

25

Sous-Section 1. L'environnement juridique « Hard Law » de la lutte contre la Corruption

§1. Présentation de la Hard Law

Le terme de « Hard Law » se définit surtout par opposition à la « Soft Law », qui est un ensemble d'instruments quasi-répressifs.

La « Hard Law » est donc la « Loi » au sens large, avec tout ce que cela implique en matière de droit pénal. Ainsi, les organes chargés de la lutte contre la Corruption sont clairement définis, tout comme les sanctions encourues en cas d'irrespect des règles, à la détermination du quantum des sanctions près. Les compétences de ces autorités sont clairement définies et des règles de procédures s'imposent à elles.

Par ailleurs, la Loi trouve sa légitimité dans ses organes émetteurs, ceux-ci étant gouvernementaux et détenant leur pouvoir de la Loi, voire de la Constitution (ou des équivalents de chaque Etat).

La Hard Law reste la référence absolue lorsqu'il s'agit d'établir un programme de Compliance en entreprise, en ce qu'il s'agit de normes « sûres », dont la portée est connue et dont la concrétisation est observable et compréhensible au regard de la jurisprudence.

Aujourd'hui, de par les efforts précités, la plupart des Etats sont dotés de Lois anticorruption. Celles-ci étant nombreuses, ne seront développées que les plus symboliques au niveau mondial.

§2. Les caractéristiques des normes étatiques au travers de l'exemple français

Les normes étatiques diffèrent, bien évidemment, les unes des autres. Cependant, celles-ci poursuivant le même objectif, de nombreuses similitudes dans l'architecture du dispositif anti-corruption sont à noter.

L'exemple du dispositif français, à travers un panorama des caractéristiques majeures soulignées par le rapport de suivi de l'OCDE20, permet d'avoir un certain aperçu de ce que peut être la lutte contre la Corruption dans un Etat qui n'est pas encore impliqué au niveau d'autres pays tels que les Etats-Unis d'Amérique et leur FCPA, ou le Royaume-Uni et son « UKBA » (United-Kingdom Bribery Act)21.

L'exemple français est d'autant plus intéressant que la France est une puissance économique importante, et qu'elle est particulièrement active dans d'autres matières intéressant la Compliance, tels que le droit de la concurrence et la LAB. Mais l'évolution du dispositif français contre la Corruption mérite également une analyse, puisque celle-ci est à l'image de ce que l'on peut voir dans la plupart des Etats.

20 Rapport sur l'application de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et de la recommandation de 1997 sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales, phases 1 et 2.

21 UK Bribery Act 2010, entré en vigueur le 1er juillet 2011.

26

Le premier élément important est le fait que cette évolution soit récente et donc encore en cours. Ainsi, le rapport OCDE nous indique que la France a développé un nouvel arsenal législatif à partir de 200022. Auparavant, deux caractéristiques similaires à d'autres droits anti-corruption étaient à noter.

Premièrement, la déductibilité fiscale de pots-de-vin, pour les sociétés qui en avaient fait usage, a été interdite. Cette évolution est notamment consécutive à la Convention OCDE, sous l'impulsion des Etats-Unis.

Secondement, la corruption d'agents publics a été étendue aux agents publics étrangers, alors qu'auparavant, le code pénal23 n'incriminait que la corruption active et passive de personnes françaises dépositaires de l'autorité publique.

Cet élargissement des personnes concernées par des actes constitutifs de l'infraction de corruption est caractéristique de l'évolution la lutte contre la Corruption au sein d'un Etat. Il est à noter que cette transformation est actuellement en train de se faire à l'échelle mondiale.

Ainsi, la loi indienne, par exemple, n'incrimine que les actes de corruption des agents publics indiens. Elle n'incrimine ni la corruption de personnes indiennes qui n'ont pas cette qualité, ni les agents publics étrangers. Cette situation est vouée au changement24. Ce changement apparaît toutefois très difficile dans cet Etat comme dans de nombreux autres, comme en témoigne le report perpétuel de l'adoption de ce projet de loi par la Chambre basse du Parlement indien.

Un autre pan de l'adoption par les Etats des obligations qu'ils ont en vertu des Conventions internationales dont ils sont signataires est la multiplication des normes anticorruption.

Ainsi, en France, peut être citée la loi de 199325 qui a institué, entre autres, le SCPC. Doivent également être citées toutes les adoptions de Conventions internationales : la Convention OCDE du 17 décembre 1997, entrée en vigueur en France le 29 septembre 2000 ; les Conventions de Strasbourg des 27 janvier 1999, 15 mai 2003 et 4 novembre 1999, adoptées en 200826 ; ou encore la Convention des Nations unies contre la corruption du 31 octobre 2003 (dite « de Mérida ») entrée en vigueur en France le 14 décembre 2005

Toutes ces lois renforcent la lutte contre la Corruption en France (en tout cas dans le discours). Il est d'ailleurs notable - puisque cet aspect se retrouve dans d'autres législations - que ces lois directement inscrites dans la lutte contre la Corruption mettent également

22 Loi n°2000-595, relative à la lutte contre la corruption, modifiant le code pénal et le code de procédure pénale, 30 juin 2000.

23 Articles 433-1 et 432-11 du code pénal.

24 Projet de loi, Jan Lokpal Bill 2011.

25 Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la préve ntion de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

26 Convention de Lutte contre la corruption active et passive d'agents étrangers publics nationaux et étrangers, 27 janvier 1999, décret n°2008-67, publié au JO le 6 juillet 2008, p. 10865 ; Convention de Lutte contre la corruption active et passive d'arbitres nationaux ou étrangers et de jurés nationaux ou étrangers, 15 mai 2003, décret n°2008-672, publié au JO le 6 juillet 2008, p. 10867 ; Convention de Réparation civile du préjudice subi du fait d'un ace de corruption, 4 novembre 1999, décret n°2008-673, publié au JO le 6 juillet 2008, p. 10 873.

27

l'accent sur les différentes formes sous lesquelles se présente la Corruption (trafic d'influence, blanchiment du produit de la corruption, infractions comptables)27.

Ainsi, le champ d'application de la lutte contre la Corruption s'élargit à la fois par la qualité des personnes qui peuvent être impliquées dans des actes de Corruption, mais également par un nombre d'actes infractionnels de plus en plus élevé.

Enfin, le dernier point important à souligner dans l'évolution de la lutte contre la corruption est la mise en oeuvre de la responsabilité des personnes morales. Même si la Corruption pouvait, dès 1994, entraîner la responsabilité de personnes morales, celle-ci est maintenant possible en France dans le cadre global de l'article 121-2 du code pénal, depuis 200428 (sauf rares exceptions).

Cette évolution qui intéresse directement la Compliance au sein des entreprises est aussi un élément en développement dans certains Etats. Elle est capitale dans la lutte contre la Corruption. Celle-ci est d'ailleurs très récente chez certains de nos voisins, comme l'Espagne29.

Toutefois, si cette lutte semble avoir trouvé son élan « sur le papier », il n'en reste pas moins que son effectivité est critiquable.

Premièrement, en ce qui concerne les sanctions effectivement prononcées en matière de Corruption. Entre 1990 et 2004, sur 3600 condamnations prononcées annuellement, seules 100 l'ont été pour des faits de corruption. Par ailleurs, si les sanctions prévues par le code pénal en cas de corruption sont élevées (150.000€ et jusqu'à dix ans d'emprisonnement pour les personnes physiques), les peines effectivement prononcées par les tribunaux aboutissent presque uniquement à des peines d'amende assez modérées et à des peines de prison avec sursis partiel ou total30. La Corruption ne fait ainsi pas exception en matière de droit pénal des affaires puisque les peines de prison prononcées y sont quasi-inexistantes.

Ensuite, la lutte contre la corruption se heurte à des problèmes d'ordre procéduraux. Si ceux-ci sont différents pour chaque Etat engagé dans la lutte contre la Corruption, ils n'en restent pas moins présents avec leurs caractéristiques propres dans un grand nombre d'Etat.

En France, les deux obstacles majeurs de cette nature sont d'abord un délai très court de prescription de la Corruption (trois ans), pour une infraction appartenant à ce que l'on nomme la délinquance astucieuse. Cet obstacle a pour conséquence que les faits de corruption soient plus souvent poursuivis sur le fondement de l'abus de biens sociaux ou de blanchiment dont la prescription est repoussée à la découverte des faits. L'autre obstacle de taille pour la poursuite de la Corruption est la preuve du « pacte de Corruption ». Un obstacle qui est, là encore, contourné par l'incrimination des faits en question sur le fondement d'une autre infraction proche de la Corruption.

27 M.E. Boursier Chronique de droit pénal de l'entreprise N°2, LPA, 27 octobre 2008.

28 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « Perben II».

29 La réforme du Code pénal espagnol, entrée en vigueur le 23 décembre 2010, introduit pour la première fois la responsabilité pénale des personnes morales, notamment des entreprises.

30 Cf. référence 22 ci-dessus.

28

Enfin, la dernière critique que l'on peut faire à la France en matière de Corruption, comme à beaucoup d'Etats, c'est un manque de volonté politique et donc un manque de moyens pour les organes en charge de cette lutte.

La figure de proue de ce constat reste le SCPC, dont les travaux semblent plus se concentrer sur le manque de moyens de l'institution (tant financiers que procéduraux, puisqu'il ne dispose d'aucun pouvoir d'enquête) et le rôle qu'elle pourrait avoir si la situation venait à changer, que sur la lutte contre la Corruption. Cette citation tirée du dernier rapport du SPCP en est une bonne illustration : « Force est de constater que la loi du 29 janvier 1993, qui a créé le SCPC, limitée d'emblée par sa censure par le Conseil constitutionnel ci-dessus évoquée, et jamais réécrite, n'est plus adaptée aux besoins actuels de la société française ni aux standards internationaux [...J. Par ailleurs, la situation matérielle du SCPC, tant en effectifs qu'en capacité budgétaire [...J doit être revue afin de permettre la poursuite de ses activités et a fortiori leur extension. » 31.

Lorsque la poursuite même des activités de l'organe chargé de la lutte contre la Corruption est remise en cause par ses membres, il ne fait pas de doute que la situation est clairement insatisfaisante et donc très en dessous des modèles en la matière.

§3. La Banque Mondiale, le FCPA et le UKBA comme institutions chargées de la lutte contre la Corruption à l'échelle mondiale

Si l'échec de la France dans la lutte effective contre la corruption est un constat qui est également valable pour la grande majorité des Etats, il n'en reste pas moins que la Loi contre la Corruption est bien effective dans le monde.

Ainsi, le FCPA, l'UKBA et la Banque Mondiale, loin de pouvoir corriger la situation à l'échelle de chacun des autres Etats, s'affichent-t-ils comme de véritables régulateurs, voire superviseurs de la lutte contre la Corruption à l'échelle mondiale. Comme c'est à cette dimension qu'opèrent les entreprises internationales, ce sont donc ces règles qui vont servir de références principales aux services de Compliance.

S'il ne s'agit pas, pour le FCPA et l'UBKA d'institutions au sens d'« institutions politiques » tels que les tribunaux ; l'importance de ces textes est telle qu'elle dépasse celle du simple texte de loi pénale d'un Etat.

Le FCPA dont une rapide description de son évolution a déjà été développée est l'instrument qui permet aux juridictions civile (Security Exchange Commission - « SEC ») et criminelle (Department of Justice - « DOJ ») de sanctionner les entreprises dans le cadre de la lutte contre la Corruption. Grâce à une compétence juridictionnelle extrêmement large, un rôle précurseur et des sanctions exemplaires, cet instrument juridique est considéré comme la référence en matière de lutte contre la Corruption. Le FCPA est donc logiquement repris par tous les services de Compliance anti-corruption pour fixer le cadre de leur action.

Le FCPA n'a pas une importance qui se limite aux Etats-Unis, grâce à des critères de juridiction très larges (développés plus loin dans cet écrit). Si les Etats-Unis peuvent se permettre de se déclarer compétents pour des faits qui se sont déroulés loin des Etats-Unis,

31 Rapport du SCPC pour l'année 2010 au premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

29

c'est aussi grâce à la puissance économique que représente ce pays. En effet, s'il était éventuellement possible de contester la compétence du FCPA auprès d'autres autorités, voire de nier sa compétence, cela reviendrait à s'exposer à des mesures de la part des Etats-Unis qui pourraient être bien plus dommageables que les lourdes sanctions du DOJ et de la SEC.

L'UKBA, est, quant à lui, un instrument beaucoup plus récent que le FCPA, puisqu'il date de 2010 et n'est entré en vigueur que le 1er juillet 2011. Il s'érige lui aussi comme une norme mondiale du fait de prévisions larges, tant au niveau de la compétence des tribunaux chargés de sanctionner les infractions à cette loi, que les infractions elles-mêmes. On notera à ce propos la Section 7 de l'UKBA qui met en place une infraction très large d' « échec à la prévention de la Corruption de la part d'une entreprise ». Cette infraction préoccupe d'autant plus les services de Compliance que les critères de compétence des tribunaux sont spécialement élargis pour cette infraction.32

L'UKBA est une préoccupation supplémentaire pour les entreprises concernées par la lutte contre la Corruption. De part une compétence et des infractions assez largement définies et un certain manque de recul sur une loi qui a à peine un an, il y a fort à parier que son appréhension sera un des principaux enjeux pour la Compliance anti-Corruption.

Enfin, la Banque Mondiale, qui est une institution au sens structurel du terme, peut être considérée comme faisant partie des émetteurs de « Hard Law ». Ainsi, si celle-ci a, comme les institutions classées dans la « Soft Law » (voir Sous-Section 2 ci-après), son lot de prévisions anti-corruption. Sa légitimité est par ailleurs certaine, à la fois de par son impact économique, les circonstances de sa mise en place, mais aussi et surtout, son pouvoir de sanction réel.

Ainsi, dans un domaine du droit extrêmement régalien, où les institutions (pénales) internationales ont des pouvoirs extrêmement limités et uniquement pour les infractions les plus graves, la Banque Mondiale, sans être une juridiction pénale, a un pouvoir sanctionnateur réel.

32 Section 7(3) et Section 12(5) de l'UKBA.

Celui-ci se traduit sous la forme d'une « liste noire »33 d'entreprises et d'individus. Figurent sur cette liste des personnes qui ont fait l'objet d'enquêtes de la part de la Banque Mondiale, pour des faits de corruption, et ont été reconnues « coupables » de malversations dans ce cadre. Ces entreprises ne peuvent plus prétendre aux appels d'offres de la Banque Mondiale pendant une certaine durée fixée par la Banque. Dans certains cas, la Banque Mondiale peut même annuler des prêts qu'elle a consentis dans le cadre de ses appels d'offre. Ce fut récemment le cas pour l'une des plus grandes entreprises canadiennes, SNC-LAVALIN. Celle-ci s'est vu annuler un prêt de 1,2 milliards de dollars, après la découverte, par la banque mondiale, de preuves de Corruption de la part de cette entreprise, lors de la construction du pont de Padma au Bengladesh34.

33 World Bank Listing of Ineligible Firms & Individuals, Fraud and Corruption. http://web.worldbank.org/external/default/main?theSitePK=84266&contentMDK=64069844&menuPK=116730&pa gePK=64148989&piPK=64148984

34 Déclaration de la Banque Mondiale, 29 juin 2012 : http://www.worldbank.org/en/news/2012/06/29/world-bank-statement-padma-bridge

30

Il s'agit donc d'un double pouvoir de sanction de la Banque Mondiale : à la fois une sanction économique directe, de par l'exclusion des entreprises de marchés importants, voire d'annulation de prêt ; mais aussi sanction indirecte, de par l'inscription de la personne concernée sur cette liste publique.

Par ailleurs, s'il est assez paradoxal de voir une organisation mondiale disposer d'un pouvoir répressif de cette envergure, il est peut-être encore plus paradoxal d'observer que la lutte contre la Corruption implique un nombre élevé d'acteurs qui n'ont pas ce pouvoir, mais qui n'en énoncent pas moins des règles dont la portée n'est pas certaine.

Sous-Section 2. La « Soft Law » dans la lutte contre la Corruption

§1. Présentation de la Soft Law

La « Soft Law », ou « droit mou » est constituée en matière de Corruption par un nombre d'institutions étonnamment important. Ce nombre est surprenant dans la mesure où il s'agit à la fois du domaine très régalien du droit pénal où les organisations internationales ont de la difficulté à trouver un rôle effectif, mais également du fait que bon nombre de ces institutions ne sont même pas gouvernementales !

La « Soft Law » dans le domaine de la lutte contre la Corruption est émise par toutes sortes d'institutions. Certaines sont gouvernementales, d'autres ne le sont pas mais sont dotées d'une certaine notoriété. Enfin, d'autres émetteurs dont la légitimité n'est pas certaine s'érigent aussi en tant que producteurs de codes de conduites, de guides et autres chartes. Par ailleurs, les entreprises elles-mêmes, qui publient leurs codes éthiques (pour des raisons de communication qui seront développées après) sont pour leurs clients, voire leurs concurrents, de bons indicateurs quasi-normatifs.

La « Soft Law » a d'autant plus d'importance pour la Compliance que celle-ci ne poursuit pas, comme il l'a été dit, un but de conformité fidèle et aveugle à la loi. Dans cette mesure, ces instruments qui n'ont pas comme vocation principale de faire respecter le droit sont intéressants, notamment de par leurs approches souvent plus pragmatiques que la Loi.

§2. Les principaux organismes émetteurs de Soft Law

Il est difficile de présenter quelques organes émetteurs de « Soft Law » sans en faire un inventaire, ni une description trop succincte.

Les organes qu'il faut citer en premier sont ceux qui sont gouvernementaux (les plus intéressants étant intergouvernementaux). Ceux-ci n'ont pas vocation à s'adresser directement aux entreprises. Le droit pénal reste en effet très régalien et les organisations internationales n'ont pas vocation ni à imposer des Lois, ni à sanctionner directement les entreprises.

31

Les institutions majeures sont surtout l'OCDE, l'ONU, le FMI, le Conseil de l'Europe (qui est plus présent dans la lutte contre la Corruption que l'Union Européenne) ou encore ses équivalents non-européens.

La « Soft Law » émise par ces institutions reste une référence sûre pour les entreprises. Ces institutions sont légitimes et les textes ainsi émis ont vocation à « devenir de la Loi » un jour (par le mécanisme de transposition, par exemple). Par ailleurs, ces institutions ont les moyens d'une lutte efficace, que ce soit de par leur importance politique, ou bien grâce à la mise en place d'organes tels que le « GRECO »35.

Vient ensuite la « Soft Law » qui n'est pas gouvernementale, mais qui, de par l'importance des membres qui composent son institution, a une certaine légitimité. On peut par exemple citer la CCI ou Transparence Internationale (« TI »), qui sont de bonnes références en matière de lutte contre la Corruption, pour les services de Compliance.

Transparence Internationale émet notamment une carte mondiale de la Corruption36 ainsi qu'un classement des Etats selon leur indice de Corruption37. Ces outils servent notamment de référence pour les services de Compliance, au moment d'établir des procédures proportionnées à leurs zones d'activités. Cet organisme émet également beaucoup de rapports intéressant directement les entreprises38.

Enfin, viennent des émetteurs de « Soft Law » qui ne sont ni gouvernementaux, ni avec une légitimité bien définie. On peut, par exemple, citer le « GIACC » (Global Infrastructure Anti Corruption Centre), qui est une organisation indépendante à but non lucratif. Ou encore « ACET » (Global Anti-Corruption Education & Training Project) qui regroupe plusieurs associations de lutte contre la Corruption, dans le but d'établir un programme de formation contre la Corruption (avec notamment un film, une présentation PowerPoint et un guide d'apprentissage). On peut encore énoncer TRACE, autre organisation indépendante à but non lucratif émettant des guides pour lutter contre la Corruption ou encore une certification pour les entreprises, accréditant d'un bon respect des normes anti-Corruption...

Plusieurs niveaux de « Soft Law », existent donc. Certains ont une légitimité qui n'est plus à prouver. Pour d'autres, comme GIACC, ACET ou TRACE (qui font partie, au demeurant, des plus sérieuses institutions de ce niveau), il est difficile de savoir quel crédit leur donner et à quel point il est possible de s'y fier. C'est là que se pose la question de la place ambigüe de la « Soft Law ».

§3. La place ambigüe de la Soft Law

Si on peut accorder à la « Soft Law » un certain nombre d'avantages, celle-ci présente aussi beaucoup d'inconvénients.

35 GRECO : « GRoupe d'Etats contre la COrruption », créé en 1999, chargé du suivi de la lutte contre la Corruption dans les 45 Etats européens et les Etats-Unis.

36 Cf. Annexe 2

38 Notamment, « Transparency in Corporate Reporting: Assessing the World's Largest Companies », rapport sur les 500 plus grandes entreprises mondiales, 10 juillet 2012.

37 http://www.transparence-france.org/e_upload/pdf/classement_ipc_2011.pdf

32

Le premier avantage, c'est qu'elle permet, dans un domaine très jeune, mais où le droit à l'erreur n'est pas économiquement permis, d'avoir des bases autres que la Loi, qui poursuit un objectif très clair mais aussi très « étatique » ; avec tout ce que cela implique de distance avec la réalité des affaires.

En cela, la « Soft Law » non gouvernementale répond au besoin de repère pour les entreprises. Il s'agit d'un repère, non seulement pour poser les bases d'une politique de Compliance, mais également pour suivre l'évolution du droit de la Corruption.

Les organismes tels que GIACC ont aussi le gros avantage d'être totalement gratuits. Ce qui n'est pas une mince qualité au regard du caractère complet de leurs travaux.

La « Soft Law » permet donc d'apporter des interprétations de la Loi, voire de la compléter.39 Cependant, certains inconvénients de taille sont à noter.

Tout d'abord, la multitude de ces « règles » entretient un certain flou dans l'ordonnancement de cette « Soft Law ». Difficile, en effet, de déterminer qui de l'OCDE, de l'ONU ou du Conseil de l'Europe aurait le plus de « valeur » en cas de divergence d'opinion. Dans cette hypothèse, il reviendrait à la Compliance de s'assurer d'appliquer la notion la plus sévère, pour éviter un maximum de risques.

Ensuite, se pose la question de savoir ce qu'entraînerait le non-respect d'une norme de « Soft Law ». A priori rien, puisque ces institutions n'ont pas de pouvoir de sanction. Dans ce cas, il convient de se demander quelle est la légitimité de ces normes. Qui de l'entreprise qui se serait fondée sur une norme de « Soft Law », mais n'aurait pas répondu aux contraintes de la Loi ? Pourrait-elle utiliser cet argument comme défense ?

Enfin, se pose également la question des finalités réellement poursuivies par ces organisations privées, dans une sphère qui reste tout de même économique et dont les enjeux financiers sont extrêmement importants.

Section III. Les Finalités affichées de la lutte contre la Corruption

La lutte contre la Corruption a évidemment comme rôle affiché d'éradiquer la Corruption. Mais quelles sont les raisons de cette lutte ? Pourquoi la Corruption est-elle nuisible pour ces institutions ? Quels sont les intérêts défendus, entre les discours et la réalité de cette lutte ?

Il convient donc de s'intéresser au rôle que ces institutions veulent donner à la lutte contre la Corruption (Sous-section 1), avant de s'interroger sur la pertinence de faire peser un si grand poids sur les entreprises (Sous-section 2).

39 C. ROQUILLY & C. COLLARD, « De la conformité réglementaire à la performance : pour une approche multidimensionnelle du risque juridique », Septembre 2009.

33

§1. Une finalité très idéologique

Les raisons affichées au niveau mondial de la lutte contre la Corruption sont - et c'est aussi le rôle des organisations internationales - parfois très idéologiques.

L'ONU énonce ainsi que « la corruption est un mal insidieux dont les effets sont aussi multiples que délétères. Elle sape la démocratie et l'état de droit, entraîne des violations des droits de l'homme, fausse le jeu des marchés, nuit à la qualité de vie et crée un terrain propice à la criminalité organisée, au terrorisme et à d'autres phénomènes qui menacent l'humanité »41. Cette déclaration place donc la Corruption en tant qu'infraction majeure à l'échelle du monde, pratiquement au niveau des crimes contre l'humanité. Mais il n'est pas prévu que la corruption fasse partie des attributions des tribunaux pénaux internationaux pour le moment.

Plus prosaïquement, l'ONU déclare également que « ce sont les plus pauvres qui en pâtissent le plus, car, là où il sévit, les ressources qui devraient être consacrées au développement sont détournées, les gouvernements ont moins de moyens pour assurer les services de base, l'inégalité et l'injustice gagnent et les investisseurs et donateurs étrangers se découragent. La corruption est une des grandes causes de mauvais résultats économiques ; c'est aussi un obstacle de taille au développement et à l'atténuation de la pauvreté » 40.

La Convention OCDE, quant à elle, énonce des objectifs qui semblent tout de même plus proches de la réalité des entreprises, dont le rôle n'est pas - du moins, en principe - de réduire la pauvreté à l'échelle mondiale. Ainsi sont mis en avant le fait qu'il s'agit d'un « phénomène répandu dans les transactions commerciales internationales [...] qui suscite de graves préoccupations morales et politiques, affecte la bonne gestion des affaires publiques et le développement économique et fausse les conditions internationales de concurrence41. Ce rapprochement des grandes valeurs morales et des préoccupations des sociétés commerciales est déjà plus intéressant.

Le rôle donné à la lutte contre la Corruption par l'OCDE a beau paraître moins proéminent, celui-ci apparaît néanmoins plus à la portée des entreprises.

Le UKBA fait honneur au pragmatisme anglais fait lui aussi état du principe d'une « libre concurrence juste ».42

C'est en effet en intéressant les entreprises sur les avantages de la lutte contre la Corruption autant qu'en les sanctionnant sévèrement en cas de non-respect que les institutions ont le plus de chance d'intéresser les sociétés dans cette démarche. Le rôle de cette lutte (et donc d'un service de Compliance) leur paraîtra d'autant plus important s'il peut leur permettre de gagner de l'argent !

Ces mentions ne sont pas sans entraîner une réflexion sur les bénéfices qu'une entreprise pourra tirer, à long terme, si elle venait à s'engager dans la lutte contre la Corruption. Mais le vrai souci qui semble se poser est une question de proportions, d'échelle et de la capacité qu'a une entreprise, à son niveau, pour lutter contre la Corruption.

40 Cf. supra 11, Convention ONU, « Avant-Propos ».

41 Préambule de la Convention OCDE.

42 UKBA, Section 9, « Guidance», 2010.

34

§2. La délégation aux entreprises d'un rôle étatique

L'OCDE et l'ONU, en tant qu'institutions internationales ne peuvent qu'inciter les Etats à la mise en place d'une lutte efficace contre la Corruption. En effet, le pouvoir normatif n'appartient qu'aux Etats. Cette affirmation est d'autant plus vraie dans le domaine du droit pénal qui est très régalien.

Le droit pénal est en effet, de par sa nature particulière en son importance dans la gestion des normes sociales, le monopole de l'Etat. Ce dernier est, en principe, seul compétent pour sanctionner les personnes (morales et physiques).

Cependant, devant l'échec des Etats dans la lutte contre la Corruption qui est pénale par nature, force est de constater que le rôle de l'éradication de la Corruption est principalement dévolu aux entreprises (et surtout les entreprises internationales).

C'est un volet de la Compliance non négligeable, puisqu'elle se doit d'édicter des normes internes à l'entreprise à même de sanctionner les individus qui la composent. In fine, les régulateurs effectifs que sont les juridictions compétentes pour faire appliquer le FCPA et l'UKBA se concentrent sur les personnes morales. Charge appartient alors aux entreprises de tout mettre en oeuvre à leur échelle pour éviter les faits de corruption.

Cette charge qui consiste pour l'entreprise en la mise en place des procédures de prévention, de sanctions (disciplinaires) et un contrôle régulier (enquêtes internes) est en réalité celle qui devrait appartenir aux pouvoirs publics.

Les régulateurs n'ont alors qu'on rôle plus aisé de vérification de la mise en place effective de tels mécanismes. Les obligations posées par la Section 7 de l'UKBA et la loi Sarbanes-Oxley43 en sont les parfaites illustrations.

Ces deux lois sanctionnent les entreprises lorsque celles-ci ne peuvent pas prouver la mise en place de mécanismes suffisants pour lutter contre la Corruption en leur sein.

Le rôle de la Compliance devient ainsi celui d'un régulateur à sa propre échelle et les régulateurs étatiques n'ont plus qu'à vérifier que le rôle censé leur appartenir a bien été rempli par les sociétés.

Au-delà de la contrainte économique que cela représente et qui est un des enjeux de la mise en place d'un service de Compliance anti-Corruption efficace, il est légitime de se demander si la finalité d'une entreprise est bien celle-ci. En effet, la raison d'être d'une société réside plus dans son objet social que dans le contrôle du respect des normes sociales !

Quoi qu'il en soit, cette dimension du respect des normes pénales par l'entreprise est la raison d'être des services de Compliance qui se doivent d'être irréprochables sur leur connaissance desdites normes, afin de mettre en place un service efficace mais défendant avant tout les intérêts d'une entreprise sans qui elles n'auraient pas d'existence.

43 Loi du 31 juillet 2002 (Pub. L. No. 107-204, 116 Stat. 745) dite Sarbanes-Oxley Act.

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CHAPITRE DEUXIEME

LA DIMENSION NORMATIVE DE LA

COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION

La Compliance ne peut établir son rôle qu'en connaissant le mieux possible son environnement juridique. En matière de Corruption, de par la jeunesse de la lutte, et donc de la présence d'une incertitude marquée, il convient de se demander ce que recoupe réellement la notion de Corruption (Section I). Puis dans un deuxième temps, il est nécessaire de savoir où se situe cette lutte face aux incertitudes de la matière et qui en sont les acteurs institutionnels (Section II). Enfin, pour assumer au mieux son rôle, un service de Compliance se doit de cerner les véritables objectifs poursuivis par ces acteurs (Section III), afin de s'adapter au mieux à ceux-ci.

Section I. Le délit de Corruption tel que prévu par les textes

La Corruption doit être cernée dans tous ses aspects par un service de Compliance, afin que celui-ci puisse tracer les limites de son rôle. Cette notion est large (Sous-Section I) et peut se présenter sous différentes formes pour l'entreprise (Sous-Section II).

Sous-Section I. La notion de Corruption

§1. Les caractères généraux de la Corruption

Toutes les Lois et « Soft Law » ont chacune leur définition de la Corruption. Bien entendu, les définitions se recoupent et il est donc possible d'en dégager des caractères communs, voire de tenter d'en donner une définition de synthèse.

Si une telle définition devait être trouvée, notamment pour l'appréhension par un service de Compliance de son champ d'action, il faudrait que celle-ci soit la plus large possible, pour ne pas exclure indument une prévision et donc s'exposer à un risque de non-Compliance.

Pour pouvoir être comprise du plus grand nombre, notamment pour sensibiliser les membres de l'entreprise, la définition de la Corruption que choisira un service de Compliance doit être définie dans des termes simples.

Ainsi une définition de la corruption au sens le plus large pourrait-elle être celle-ci : la corruption est l'acceptation ou la proposition d'un avantage indu, en vue d'obtenir une contrepartie.

36

Toutefois, la notion de Corruption est assez complexe, notamment en ce qu'elle regroupe d'autres comportements. Par ailleurs, si une définition générique de la Corruption devait être donnée dans le cadre du droit de l'entreprise, celle-ci devrait faire apparaître certains caractères propres à la lutte contre la Corruption. Le concept déterminant d'agent public devrait notamment être décrit, sans toutefois écarter le fait que la conception d'une Corruption centrée sur un agent public est en voie d'évolution.

Prenant compte de ces contraintes et réalités propres à la forme que prend la Corruption à travers la lutte menée contre elle, la définition suivante apparaît comme adaptée : « la corruption est un acte par lequel on cherche à obtenir un avantage indu pour soi, pour autrui, pour son entreprise en cherchant à obtenir d'un agent public ou d'un agent privé qu'il ne respecte pas ses obligations légales ou professionnelles.»44. Cette définition a le mérite de donner une définition simple mais complète de la Corruption, en faisant apparaitre les particularismes de la lutte contre la Corruption et en n'excluant pas la tentative (elle aussi punie au titre de la Corruption).

En effet, la définition de Corruption telle qu'appréhendée par un service de Compliance se doit d'être absolument complète, au risque d'occulter les prévisions de certains textes contraignants qui s'appliquent à elle.

Cela s'illustre bien avec les notions de Corruption « passive » et « active ». La Corruption « active », qui est l'infraction commise par la personne qui promet ou verse le pot-de-vin, est prévue dans tous les textes anti-Corruption. En revanche, ce n'est pas le cas de la Corruption « passive ». Cette notion renvoyant à l'infraction commise par la personne qui accepte le pot-de-vin est ainsi expressément exclue de la Convention OCDE.45

La Compliance d'une entreprise à dimension internationale, dans son optique de protection de l'entreprise contre les risques pénaux, devra donc prévoir une définition de la Corruption à la fois « passive » et « active ». Dans le cas contraire, celle-ci se verrait exposée à un risque de sanction de la part des institutions qui considèrent la Corruption « passive » comme une infraction.

Cette réflexion de la Compliance doit ainsi être faite pour tous les aspects de la Corruption ; d'où l'importance de bien analyser toutes les composantes de la Corruption.

Cet exercice est d'autant plus difficile que les lois sont nombreuses à l'échelle des Etats, et viennent se cumuler aux règles à portée internationale. Il s'agira pour la Compliance de rechercher en permanence la règle qui est la plus complète, qui englobe le plus de comportements différents, voire de cumuler des règles qui se complètent (non dans leur effectivité, mais dans leurs prévisions, l'entreprise étant susceptible d'être sanctionnée par toutes les juridictions compétentes).

Ce cas de figure se présente également pour la responsabilité des personnes morales et physiques. Outre le fait que certains Etats ne prévoient pas de responsabilité des personnes morales (auquel cas, la Compliance ne se basera évidemment pas uniquement sur cette loi, puisque les textes à portée internationale la prévoit), le déclenchement des responsabilités

45 Convention OCDE, commentaires relatifs à la Convention, Généralités.

44 C. CUTAJAR, « la lutte contre la corruption », Cahiers de droit de l'entreprise n°4, juillet 2010.

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de ces personnes se fait différemment selon que l'on soit sous l'empire de telle ou telle norme.

Dans ce cas, il ne sera plus question de notions dichotomiques - auquel cas il suffirait alors à la Compliance de choisir la notion la plus large - mais d'interpréter les différentes normes pour établir un dispositif le plus complet possible. La conception française de responsabilité directe, ou indirecte, et d'infractions volontaires ou involontaires permettant de déclencher ou non la responsabilité de l'entreprise devra par exemple être écartée au profit d'une règle plus simple : s'il y a des faits de Corruption, alors l'entreprise est en danger, peu importe qui les commet, et s'ils étaient commis volontairement ou non.

La Compliance devra éviter la Corruption dans l'entreprise (selon des schémas qui seront développés plus tard), tout « simplement » !

Encore faut-il savoir ce que regroupe cette notion de Corruption.

§2. Les infractions connexes à la Corruption

L'emploi d'une majuscule à « Corruption » se justifie par le fait que cette notion, en plus d'être conçue différemment selon les systèmes légaux, regroupe des comportements qui dépassent la définition de la corruption telle qu'on peut la connaître en France.

Se dégage ainsi, à travers l'analyse des différentes normes, notes explicatives et autres guides de ces normes et des décisions de justice, tout un ensemble de comportements associés à la Corruption.

Ceux-ci sont parfois directement considérés comme un acte de corruption. C'est le cas de l' « extorsion » par exemple. L'extorsion est le fait de demander un pot-de-vin (peu importe sa forme), non pas pour obtenir un service de la part de la personne à qui on le demande, mais pour que celle-ci évite un désagrément (comme le fait de ne plus récupérer son passeport). L'extorsion est parfois accompagnée de violence.

C'est également le cas de la « tromperie » qui regroupe les notions françaises d'escroquerie et de faux46. Ce terme désigne une action par laquelle le corrupteur va demander au corrompu un pot-de-vin, que celui-ci justifiera par l'emploi de moyens trompeurs.47

C'est encore le cas de la notion parfois difficile à cerner de « trafic d'influence »48, qui peut aussi être conçue comme de la Corruption indirecte, selon le cadre de la norme dans lequel on se situe.

Un autre pan très important du droit du commerce international est intimement lié à la Corruption : il s'agit du droit de la concurrence.

46 Article 313-1 du code pénal et articles 4411 à 441-6 du code pénal.

47 Définition du GIACC, anti-corruption training manual, 2011.

48 Article 433-2 du code pénal

38

Ainsi, la Corruption intervient en relation avec les deux aspects majeurs de ce droit que sont les ententes et les positions dominantes.

La Corruption existe dans les ententes de deux façons, au travers de deux comportements (développés dans la Sous-Section 2 ci-après) : le « Loser's Fee » (qui ne trouve pas de traduction convenable en français) qui fait partie des ententes sur les prix et le « Bid Rigging » (difficilement traductible) qui constitue la manipulation de soumissions d'offres de marchés.

L'abus de position dominante, quant à lui, est constitué très simplement par une Corruption « active » de la part de l'opérateur en position dominante, qui demandera à ses partenaires un pot-de-vin pour que ce partenaire puisse bénéficier de ses services ou décrocher un marché auprès de la personne en position dominante.

Enfin, d'autres comportements sont associés indirectement à la Corruption.

Il s'agit premièrement d'une autre grande préoccupation de la Compliance (mais financière, cette fois-ci) : le blanchiment d'argent. Le blanchiment est lié à la corruption de deux manières. Il est lié à la fois par la nécessité de « blanchir » le pot-de-vin ; et par la nécessité de blanchir le produit de ce qui a été obtenu via le pot-de-vin.

Cette infraction de conséquence est liée à la Corruption puisque celle-ci va permettre de sanctionner, a posteriori, la commission des faits de Corruption.

Le deuxième type d'infractions liées à la Corruption est le groupe des détournements de fonds. Cette notion correspond en France aux abus de biens sociaux ou autres abus de confiance.49

Cette infraction est aussi indirectement liée à la Corruption car le transfert même des biens ou valeurs utilisés comme pot-de-vin est illégal. En France, il s'agit de la qualification sous laquelle sont le plus souvent sanctionnés les actes de Corruption, du fait d'une plus grande facilité de preuve et de règles de prescription plus larges (le délit étant dans les faits, imprescriptible) 50.

Le dernier type d'infractions auxquelles est liée la Corruption est la catégorie les infractions fiscales et autres infractions en rapport avec la tenue régulière des comptes de l'entreprise. En effet, la Corruption sera souvent déduite par l'entreprise de son résultat fiscal, en tant que « charge », ce qui est désormais strictement interdit. Il y a aussi le cas où celle-ci ne sera pas inscrite pour ce qu'elle est réellement dans les comptes de l'entreprise, voire pas écrite du tout.

49 Articles L241-3-4°et L242-6-3°du code de commerc e et article 314-1 du code pénal.

Si la Corruption regroupe de multiples comportements dont la Compliance devra se soucier, il est également intéressant d'analyser quand et sous quelles formes ces comportements apparaissent en entreprise. Cette démarche permettra ainsi la mise en place de procédures spécifiques pour anticiper ces situations critiques.

50 Phase 2 du rapport de suivi de l'OCDE sur l'application par la France de la Convention OCDE, 2004.

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Sous-Section II. Les différentes formes sous lesquelles se présente la Corruption

Si la Corruption peut se présenter sous des formes multiples en entreprise, il est un secteur particulièrement sensible et illustrateur des différentes manifestations de la Corruption auxquelles est confronté une entreprise : le projet.

Un projet peut se segmenter grossièrement en trois étapes : la phase précédent un contrat, la phase d'exécution de ce contrat et la phase de résolution du contrat.

§1. Les risques de Corruption pendant la phase préalable au contrat

Cette phase qui précède le contrat est importante pour deux raisons.

Premièrement, le niveau de risque de Corruption de cette phase va souvent pouvoir être déterminé à partir de critères objectifs, tels que le secteur d'activité dans lequel s'inscrit le contrat, ou encore la région géographique où celui-ci devra s'exécuter, ou enfin la qualité du potentiel co-contractant. Cela permet, en somme, de fixer l'importance qu'aura la Compliance sur le projet en question.

La Corruption va surtout se manifester lors de la phase cruciale de passation d'un marché. En conséquence, c'est à cette occasion que vont se retrouver les infractions relatives au droit de la concurrence.

La Corruption la plus aisée à concevoir est celle de l'opérateur qui propose le contrat de passation du marché en question. Que ce soit de l'initiative de cette personne ou de celui qui prétend se voir attribué le marché, le risque de Corruption est ici d'autant plus élevé que les sommes en jeu sont les plus conséquentes de la vie des affaires.

Outre cette Corruption « basique », la Corruption peut également être faite via un intermédiaire, souvent investi de pouvoirs ou d'une influence particulièrement haute. C'est

dans cette hypothèse que la notion d' « agents publics » prend toute son importance.

Mais la Corruption peut aussi avoir lieu de façon moins évidente, au travers du droit de la concurrence. Outre la corruption dans le cadre d'une position dominante (la Corruption constituera alors l'abus), les deux notions que sont le « Loser's Fee » et le « Bid Rigging » sont essentielles. Elles sont, en effet, la cause de nombreuses condamnations pour Corruption et violation du droit de la concurrence.51 52

Le « Loser's Fee » est une entente par laquelle plusieurs prétendants à un contrat vont conclure un accord pour que celui qui remporte le contrat donne une compensation financière à celui qui ne l'a pas remporté. Par cet acte de Corruption anticipé, chacune des parties gonfle artificiellement le prix de son offre pour inclure le montant de la commission occulte qu'elle paiera à son concurrent.

51 Ce fut le cas, par exemple, pour les affaire Innospec (sanctionné à payer une amende cumulée de 40 millions de dollars, par les autorités américaines et britanniques, en 2010) ou encore Bridgestone (28 millions $, 2011).

52 Notamment, le «Sherman Act» américain du 2 juillet 1890 et le « Clayton Antitrust Act » du 15 octobre 1914.

40

Le « Bid Rigging » quant à lui, est un appel d'offres qui est en réalité truqué par une entente préalable sur les prix (obtenue aux moyens de Corruption) entre celui qui fait l'appel d'offre, et un de ceux qui proposeront une offre. Cette entente est prohibée dans de nombreux pays.

Si les risques sont importants avant la conclusion du contrat, ils le sont également pendant son exécution.

§2. Les risques de Corruption pendant l'exécution du contrat

Pendant la phase d'exécution du contrat, des conséquences de pactes de Corruption passés peuvent se concrétiser. Mais la Corruption peut aussi naître au cours de l'exécution du contrat.

Ainsi, plusieurs pactes de Corruption prévoient-ils que des personnes désignées participent à l'exécution du contrat.53 Outre des emplois fictifs, cela pose également de véritables soucis au niveau de la qualité de la prestation fournie par l'entreprise, du fait de l'incompétence des personnes en cause. S'ajoute alors aux risques de sanctions de l'entreprise pour Corruption une atteinte à l'image de celle-ci - sans même qu'elle soit condamnée, au demeurant.

Mais la Corruption peut aussi se traduire par un travail de réparation excessif. Il s'agit d'un schéma dans lequel un pacte de Corruption est conclu entre une entreprise chargée de la maintenance du matériel utilisé pour l'exécution du contrat et des personnes extérieures à l'entreprise, mais présentes pour l'exécution du contrat. Ce pacte de Corruption va consister à faire appel superficiellement à cette entreprise pour réparer un matériel qui n'est pas défectueux en échange de pots-de-vin. Ces pots-de-vin sont alors payés à la personne faisant appel aux services de cette entreprise de maintenance.

La Corruption va également apparaître lors de l'obtention de permis et d'autorisations diverses nécessaire à l'exécution du contrat ou encore pour prolonger artificiellement la durée d'exécution du contrat initialement prévue.

§3. Les risques de Corruption lors de la résolution du contrat

Pendant la phase de résolution du contrat, la Corruption va surtout être externe à l'entreprise, mais celle-ci en subira directement les effets.

De tels pactes de Corruption vont avoir pour objectifs d'obtenir de la part de témoins ou d'experts corrompus des déclarations permettant d'obtenir des dommages-intérêts suite à de fausses plaintes (généralement de la part des autorités publiques en cas d'agents publics corrompus, ou encore de petits sous-traitants).

53 Ce sont notamment des indices utilisés dans deux affaires SNC-LAVALIN, en cours d'investigations, où du personnel incompétent a été employé pour construire un aéroport à Benghazi (Libye) - aujourd'hui inutilisable ; ou encore pour rénover des centrales hydroélectriques dans l'Etat du Kerala (Inde), dont l'état s'est détérioré par rapport à ce qu'étaient les centrales avant l'exécution du contrat de rénovation.

41

§4. Les situations de Corruption hors contrat

Si la Corruption peut apparaître à n'importe quel moment de la vie d'une entreprise internationale dès lors qu'il y a des avantages potentiels, il existe des situations originales mais pourtant fréquentes dans une entreprise, dans lesquelles le risque de Corruption est élevé.

On peut ainsi citer deux grands thèmes souvent abordés par la « Soft Law »54 que sont les « Gift and Hospitality » (cadeaux et hospitalité) et les situations philanthropiques (charité et donations).

La situation de « cadeau et hospitalité » se rencontre fréquemment dans le monde des affaires. Il ne s'agit d'ailleurs pas forcément de Corruption. Ce sont des situations où, même sans la moindre intention corruptive, un client va remercier un partenaire, pour entretenir de bonnes relations commerciales. Or, comme la Corruption est constituée même si la remise du pot-de-vin est postérieure à l'obtention de l'avantage indu, le risque de sanction existe bel et bien.55

Le FCPA fixe ainsi, dans ses Avis56, une limite de 250$, au-delà de laquelle les précautions particulières doivent être prises par les services de Compliance, pour contrôler la légitimité de tels dons ; cela consiste notamment à vérifier que le don n'est pas disproportionné par rapport au service rendu par la personne qui le reçoit.

Les activités philanthropiques, quant à elles, servent à améliorer l'image de l'entreprise dans les pays où elle opère et qui sont souvent pauvres concernant les entreprises impliquée dans la lutte contre la Corruption. Ces donations sont parfois faites en raison d'obligations légales de participer au développement des Etats où les entreprises effectuent leurs contrats.

Ces activités sont donc à risque, dans la mesure où elles peuvent servir à reverser des commissions occultes à des agents publics, via des organismes de développement fictifs.

Section II. L'application pratique des normes anti-Corruption

Dans le cadre d'une lutte relativement déstructurée au niveau institutionnel mondial, un certain nombre de notions intéressant directement la Corruption apparaissent également comme floues (Sous-Section I). Cependant, un service de Compliance a tout de même la possibilité de se référer à une norme mondiale (de fait) : le FCPA (Sous-Section II).

54 Voir notamment les Etudes de Cas 4 et 8 du Guide de l'UKBA.

55 Voir Control Component, Inc. contre DOJ, 22 juillet 2009 ou encore UTSTARCOM, INC. contre DOJ, 31 décembre 2009 ; incluant des voyages à Disneyland, Hawaï, Las Vegas, ou encore 10 000€ de vin français.

56 Opinion Releases (81-01, 81-02 and 82-01).

42

Sous-Section I. Les incertitudes des caractéristiques de la Corruption

§1. La notion d'Agent Public

A notion d' « agent publics » est importante à saisir, car elle est historiquement à la base de la lutte contre la Corruption.

En effet, le FCPA, principal instrument de la lutte contre la Corruption se concentre sur la Corruption d'agents publics, et uniquement elle. Il en est de même pour les Conventions ONU et OCDE.

La notion d'agent public est définie très largement. Si on fait une synthèse des textes susmentionnés, on peut dire qu'il s'agit de toute personne exerçant une fonction au sein d'un gouvernement, d'un département, d'une agence ou toute autre entité concourant à une activité gouvernementale ; ou disposant d'un mandat électif de quelque niveau que ce soit (local, régional, national) ; ou agissant pour le compte, ou sous les ordres des personnes susmentionnées.

Cette notion est très large et comprend tant les personnes physiques que morales. De plus, la notion d'« entité concourant à »57 pose un certain flou sur les contours de la notion d'agent public. La demande d'une définition claire de ce terme est une préoccupation majeure des observateurs de la lutte contre la Corruption, aujourd'hui.

Cette notion est d'autant plus vaste qu'elle englobe également les entreprises dans lesquelles un Etat (ou une « émanation » de l'Etat) détient, même partiellement, des parts. Actuellement, il est difficile de dire à partir de quel seuil une société est considérée comme un « agent public ». Le plus petit chiffre retenu jusqu'à présent par la jurisprudence américaine fait état de 33% de parts détenues par l'Etat.

Une liste d'entités reconnues comme agents publics permet de mettre en perspective l'étendue de cette notion : compagnies aériennes, banques, usines chimiques, instituts d'ingénierie, hôpitaux, comités de surveillance de construction d'hôtel, sociétés de transports en commun, chantiers navals, universités, aciéries, sociétés de télécommunications...

Devant cette incertitude, la Compliance doit tout de même se positionner. Lorsqu'une notion apparait comme floue, il convient d'en adopter la conception la plus large possible, afin de faire entrer dans les prévisions du service tous les risques liés à cette notion.

Par ailleurs, il faut noter que l'UKBA ne fait pas uniquement référence à la Corruption d'« agent publics ». Celle-ci ne constitue qu'une des infractions prévues par ce texte58 puisque l'UKBA condamne également la Corruption de n'importe quelle personne59.

57 « Instrumentality » en anglais.

58 Section 6 de l'UKBA.

59 Section 1 de l'UKBA.

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Cet état de fait est d'autant plus intéressant pour la Compliance d'entreprise qu'elle permet d'adopter une conception étendue de la Corruption, et de légitimer ainsi des règles plus contraignantes pour l'entreprise.

Ceci ayant été dit, il faut relever que la tendance de la lutte contre la Corruption se détache progressivement de la notion d' « agents publics ».

Cet éloignement se fait d'abord par l'admission toujours plus large de l' « agent public »60. En effet, le risque que prendrait un service de Compliance d'exclure des prévisions de l'article une entité qui aurait un lien quelconque avec un Etat apparaît comme immense. De plus, la notion est également abandonnée par la lutte contre la Corruption en elle-même, comme l'illustre l'UKBA.

Il apparait pertinent de dire aujourd'hui que cette notion d' « agent public » sert plus d'indicateur de risque de Corruption dans une transaction, que de véritable cadre limitatif de la lutte contre la Corruption. C'est sans doute le lot de toutes les notions qui ne sont pas clairement définies : pour se prémunir des risques de non Compliance, il vaut mieux aller au-delà des prévisions du texte qu'en deçà.

§2. La notion de paiements de facilitation

La notion de « paiements de facilitation »61 est également une notion en perte de vitesse, pour les mêmes raisons que celle d' « agents publics ».

Les paiements de facilitation ont d'abord été prévus par le FCPA en tant qu'actes ne tombant pas sous le coup de la Corruption (et donc de défense devant les tribunaux). Ils sont définis comme étant des payements qui accélèrent les actes gouvernementaux normaux, routiniers. Concrètement, le FCPA ne sanctionne pas ces paiements faits dans le simple but d'accélérer des procédures menant à l'établissement d'actes « normaux » et légalement établis.

Cette notion est aujourd'hui en voie de disparaître pour des raisons d'harmonisation avec l'OCDE qui ne prévoit pas d'exception pour les paiements de facilitation (tout comme l'UKBA). Cette notion était par ailleurs à la fois très incertaine et très strictement appréciée, au point que la SEC a pu déclarer explicitement dans l'affaire NOBLE que le personnel de la société « n'a[vait] pas compris la notion de payements de facilité ».62

Dans cette mesure, un service de Compliance ne peut que proscrire les payements de facilitation dans son entreprise, au risque de s'exposer à des sanctions quasi certaines.

60 Tous les moyens fondés sur une contestation de la portée du terme d' « agent public », soulevés devant le DOJ et la SEC ont été rejetés à ce jour ! Voir les affaires : Etats-Unis contre ESQUENAZI, E.U. contre NGUYEN, E.U. contre CARSON, ou encore E.U. contre AGUILAR.

« facilitating » ou « facilitation » « payments » en anglais.

61

62 Etats-Unis contre NOBLE Corporation, 4 novembre 2010.

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§3. Une responsabilité « en cascade »

Le dernier caractère primordial de la lutte contre la Corruption, à absolument prendre en considération dans l'établissement d'un programme de Compliance, est la responsabilité « en cascade » extrêmement poussée en la matière.

Nous sommes très loin de la conception française de responsabilité directe ou indirecte, voire de l'obligation d'élément moral pour la Corruption (si tant est que l'élément moral soit toujours primordial en droit pénal des affaires).

En effet, le FCPA (comme d'autres institutions en la matière) sanctionne la Corruption lorsqu'elle est faite directement, ou par le biais d'un intermédiaire. La notion d'intermédiaire est également large et surtout très fréquente dans les relations d'affaires. Ainsi, nombreux sont les agents, les coentreprises, les fusions ou autres relations d'affaires particulières où une entreprise est confronté à des intermédiaires.

De ce fait, l'entreprise sera responsable s'il est prouvé qu'elle savait qu'au moins une partie de l'argent (ou autres biens ou valeurs) qu'elle a fourni à un intermédiaire allait servir à des faits de Corruption.

En réalité, le poids qui pèse sur l'entreprise est bien plus lourd que ça. En effet, que ce soit le FCPA qui considère que l'élément moral est constitué dès lors que le tribunal prouve une ignorance délibérée, ou un « détournement du regard » ; ou que ce soit la Section 7 de l'UKBA qui sanctionne le fait de ne pas avoir réussi à prévenir la Corruption de n'importe quel intermédiaire aussi éloigné soit-il dans la chaîne des intermédiaires, dans les deux cas, il s'agit d'un renversement de la charge de la preuve très important.63

Ce renversement de la charge de la preuve est également une des raisons principales de l'importance d'établir un service de Compliance anti-Corruption au sein des entreprises internationales. Celles-ci sont en effet presque toujours soumises à la compétence des autorités du FCPA qui est omniprésent dans le monde.

Sous-Section II. L'omnipotence de la régulation étatsunienne

§1. Les raisons de l'importance mondiale du droit des Etats-Unis en matière de lutte contre la Corruption au sein des entreprises

Le droit des Etats-Unis, en plus d'avoir été le fondateur de la lutte contre la Corruption moderne, continue (et depuis 2007, encore plus que jamais) à s'afficher comme un droit mondial concernant toutes les entreprises internationales.

Si le FCPA a autant d'importance, c'est avant tout parce qu'il s'applique presque partout.

63 Des intermédiaires sont notamment responsables dans les affaires les plus importantes : SIEMENS, AB VOLVO, TECHNIP, BAES, SNAMPROGETTI pour les principales.

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Loin des règles de territorialité françaises, la compétence territoriale des autorités du FCPA est extrêmement importante. Cela peut paraître paradoxal au premier abord, puisque la loi était en principe prévue uniquement pour les entreprises américaines.

Les autorités du FCPA sont donc compétentes pour traiter de toutes les entreprises américaines, ou enregistrées aux Etats-Unis. Elles sont également compétentes si l'un des actes constitutifs de l'infraction de Corruption a eu lieu sur le territoire américain. Mais ça ne s'arrête pas là du tout.

Ces autorités sont également compétentes pour traiter des affaires de Corruption impliquant des entreprises cotées sur les marchés financiers américaines.

Mais le DOJ et la SEC sont également compétents pour traiter de toutes les affaires dans lesquelles des transferts de fonds ont été effectués via des comptes situés aux Etats-Unis ; mais également des comptes situés à l'étranger, mais détenus par des banques américaines64.

Et cette compétence est encore plus large que cela, puisqu'il a été considéré dans l'affaire MAGYAR TELEKOM65 que la SEC était compétente du fait que des mails qui avaient été envoyés par de employés de MAGYAR TELEKOM (en lien avec l'affaire de Corruption) avaient transigés sur des serveurs informatiques situés aux Etats-Unis !

Par ailleurs, le FCPA s'applique aussi aux entreprises qui auraient des parts dans une entreprise pour laquelle les autorités américaines se sont déclarées compétentes sur la base des critères décrits ci-dessus66.

Très concrètement, le FCPA a donc vocation à s'appliquer à tous les grands groupes de sociétés internationaux, partout dans le monde. De par le jeu des transferts d'argent, des mails et des filiales, il apparaît effectivement très probable que dans chaque affaire de Corruption suffisamment importante, au moins une des personnes concernées par le schéma infractionnel tombe sous la juridiction du DOJ ou de la SEC.

Enfin, si le FCPA a tant d'impact, c'est aussi dû aux montants exceptionnels des sanctions prononcées par le DOJ ou la SEC et la publication de celles-ci.

§2. Le traitement des conflits par les autorités américaine : rapidité et exemplarité

Les sanctions de la SEC et du DOJ n'auraient certainement pas un poids si lourd dans la lutte contre la Corruption à l'échelle mondiale si les sanctions prononcées n'étaient pas si importantes.

Les raisons pour lesquelles les amendes prononcées par les autorités américaines sont élevées sont notamment dues à la politique suivie par les procureurs américains.67 En effet,

64 Cette règle de compétence territoriale a été utilisée dans les affaires SIEMENS en décembre 2008 et HALLIBURTON/KBR en février 2009, qui sont les deux plus grosses condamnations prononcées à ce jour.

65 MAGYAR TELEKOM contre SEC, 29 décembre 2011.

66 DEUTSCHE TELEKOM contre E.U., 29 décembre 2011.

67 J. MARTIN, R.D. MCCONNEL & C.A. SIMON « Plan now or pay later : the role of compliance in criminal cases ».

46

depuis 1989 et le THORNBURGH Memo68, la politique de la sanction par l'exemple a toujours été privilégiée. L'instruction a ainsi été donnée de ne poursuivre que les affaires les plus sérieuses, dont les infractions sont les plus faciles à prouver et concernant les comportements les plus graves (ou pour lesquels les sommes en jeu sont les plus importantes).

Cette politique n'a vraiment pris tout son sens que ces dernières années, avec des amendes record pour des actes de Corruption69. Ainsi, en 2011, la SEC et le DOJ ont infligé un total de 1,8 milliard de dollars d'amendes et autres pénalités, pour seulement 24 décisions rendues ! La moyenne des sommes ainsi collectées est donc de près de 80 millions de dollars par affaire70.

Autant dire qu'il ne s'agit plus pour les entreprises de peser dresser un bilan coûts/bénéfices avant d'envisager une Corruption qui serait au finale bénéfique. D'autant plus qu'il faut ajouter à ces amendes directes, des dommages économiques indirects (qui seront développés après), au moins aussi importants.

Cette action dans le cadre du FCPA a un autre avantage de taille qui est la rapidité avec laquelle celle-ci traite ses affaires. Ainsi, il ne se passe pas plus de cinq ans entre le début des investigations et la décision ayant force de chose jugée.

Cette rapidité de traitement des affaires de Corruption peut s'expliquer par la mise en place de nouveaux outils d'investigations dans les affaires à dimension économique71 (tels que les écoutes téléphoniques ou les agents sous couverture). Mais elle est également due à l'accent mis sur la coopération des entreprises avec les autorités américaines pour voir leurs amendes diminuer.

Les résolutions à l'amiable entre les entreprises et le DOJ ou la SEC portent le nom

d' « Accord » 72. Ces accords se sont multipliés ces dernières années. Ainsi, en 2011, 82% des affaires de Corruption passées devant le DOJ se sont résolus par ces Accords.

De tels accords présentent un avantage pour les deux parties. Pour le DOJ ou la SEC, cela permet de clore plus rapidement les dossiers, sans avoir à prouver totalement que les faits de Corruption soient avérés. Pour l'entreprise, cela permet de diminuer les coûts procéduraux, mais également de diminuer leur amende. Enfin, l'entreprise n'est pas condamnée à proprement parler, puisqu'il s'agit d'un accord. Les communiqués de presse des autorités américaines stipulent expressément, à cet effet, que l'entreprise a signé l'accord « sans reconnaître ni nier sa culpabilité ». Cela permet donc également de diminuer l'impact sur l'image et la réputation de l'entreprise.

68 Mémorandum du Ministre de la justice R.THORNBURGH aux Procureurs fédéraux, 13 mars 1989.

Mais de tels Accords « avantageux » pour les entreprises se méritent. Pour les obtenir, il faudra faire preuve d'une collaboration totale avec les autorités américaines. Les entreprises

69 Cf. Annexe 3 : classement des dix amendes les plus élevées infligées par les autorités américaines, FCPA

Blog.

70 M. KOEHLER, 2011 FCPA review: Scrutiny, Reform, and Individual Prosecutions Are Key Issues, Bloomberg BNA, White Collar Crime Report.

71 C.ODOM, «Undercover Agents, Wiretaps Becoming the Norm in White-Collar Cases, Experts Say», 7 octobre 2011.

72 DPA : deferred prosecution agreement et NPA : Non-Prosecution Agreement

47

ont très bien compris le message, puisqu'en 2011, 98% des affaires « jugées » par le DOJ et la SEC étaient issues de « dénonciations volontaires »73 de la part des entreprises.

Enfin, les Etats-Unis ont mis en place, via le Dodd-Frank Act de 201074, un système de récompense des dénonciateurs de faits de Corruption. Ce mécanisme toutefois encadré75 prévoit la possibilité de rémunérer, à hauteur de 30% des sommes obtenues par la SEC, les personnes dénonçant les faits de Corruption dont ils ont connaissance !

La seule façon pour l'entreprise de lutter contre ces dénonciation, voire de les rendre inopérantes, est expressément prévu par le texte. Il s'agit de la mise en place d'un système de Compliance anti-Corruption efficace.

Toutefois, si la politique des Etats-Unis se révèle extrêmement dissuasive tant pas les sommes récoltés que par son effet dissuasif, celle-ci n'est pas sans poser quelques interrogations, eu égard notamment à ses effets au long terme et aux finalités réelles de cette lutte.

Section III. La prédominance des Etats-Unis révélatrice d'une politique de concurrence normative

La lutte contre la Corruption telle que menée par les Etats-Unis poursuit des objectifs autres que les institutions internationales. Toutefois, cette logique empreinte de pragmatisme connaît des limites.

§1. Une volonté idéologique de façade

Le FCPA affiche des objectifs très honorables. Tout d'abord, sa création a été consécutive à des investigations de la SEC lors desquelles 400 compagnies américaines avouaient s'adonner à des actes de Corruption76. L'objectif premier était donc très clair : lutter contre la Corruption dans les entreprises américaines, en vue de restaurer la confiance du public et l'intégrité du monde des affaires sur le marché américain.

Par ailleurs, le DOJ n'a de cesse de rappeler que la Corruption fait de nombreuses victimes et, s'inscrivant dans l'esprit de l'OCDE et de l'ONU, d'annoncer la poursuite

« Self disclosure » en anglais.

73

74 Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, 21 juillet 2010, inséré dans le FCPA, prévoit expressément, dans sa Section 922 un programme de dénonciation à la SEC, des faits de Corruption.

75 L'information doit être volontairement dénoncée à la SEC (1), non encore connue par elle (2), elle doit mener à une décision en faveur de la SEC (3), pour un montant d'au moins 1 million de dollars (4).

« FCPA Lay Person's Guide », disponible sur le site du gouvernement américain:

http://www.justice.gov/criminal/fraud/fcpa/docs/lay-persons-guide.pdf.

76

48

d'objectifs nobles, tels que la lutte contre la pauvreté, le combat pour l'égalité des acteurs économiques ou encore « une vie meilleure à tous les habitants de la planète »77.

De fait, les Etats-Unis se sont érigés depuis maintenant plusieurs années comme le régulateur à l'échelle mondiale de la lutte contre la Corruption. Mais derrière cette antienne, la réalité est également que les sommes en jeu sont véritablement impressionnantes.

Des sommes qui, d'ailleurs, ne reviennent pas aux victimes de la Corruption qui semblent pourtant si nombreuses, mais bien à l'Etat américain. Il pourrait paraître légitime, voire logique que l'argent obtenu de cette manière soit reversé directement à des organisations en charges du développement économique mondial, tels que l'OCDE, la Banque Mondiale, ou encore le FMI.

Mais ce n'est pas le cas.

De façon pragmatique, la politique de lutte contre la Corruption telle que menée par les Etats-Unis rapporte beaucoup d'argent à l'Etat américain. Un argent qui n'est certes pas gagné indument, et même honorablement, mais qui n'en reste pas moins conservé par les Etats-Unis.

Mais là où les questions peuvent se poser, c'est lorsque l'on compare le but originel du FCPA, qui est la lutte contre la Corruption dans les entreprises américaines et les condamnations effectives des autorités américaines.

Ainsi, en 2011, 90% des affaires jugées par ces institutions concernaient des personnes étrangères aux Etats-Unis78 !

Les Etats-Unis semblent avoir été les premiers à se rendre compte des enjeux financiers colossaux et des bénéfices que peut tirer un Etat de cette lutte. Le Royaume-Uni, et son UKBA semblent également avoir pris la mesure des montants en jeu, au point qu'il est possible de parler de concurrence normative.

En effet, l'UKBA prévoit également une compétence territoriale extrêmement large. Ainsi, concernant l'infraction de la Section 7 (selon laquelle il y a infraction en cas de défaut de prévention suffisante de faits de Corruption de la part de n'importe quelle personne associée à une entreprise, si ces faits permettent à ladite entreprise d'obtenir un avantage quelconque), la compétence territoriale du Royaume-Uni (et donc du Serious Fraud Office, « SFO ») est établie ; quelle que soit le lieu où l'infraction a été commise (tant qu'elle implique une entreprise liée au Royaume-Uni, même indirectement).

Là encore, les personnes concernées par ces prévisions sont légions parmi les entreprises internationales.

De plus, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni a mis en place un système de « prime à la dénonciation ». Si ce système peut poser des interrogations quant à la loyauté des employés qui choisiraient de dénoncer leur propre entreprise, celui-ci s'affiche surtout

77 Déclaration A.GURRIA, Secrétaire Général de l'OCDE, Rapport Annuel du groupe de travail de l'OCDE sur la corruption, 2010

78 M. KOEHLER, 2011 FCPA review: Scrutiny, Reform, and Individual Prosecutions Are Key Issues, Bloomberg BNA, White Collar Crime Report.

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comme un bon moyen, pour la SEC comme le SFO, de se déclarer compétents pour traiter d'affaires particulièrement rémunératrices en cas de poursuites concluantes.

Enfin, au-delà des questionnements relatifs à la finalité réelle de ces lois majeures (mais étatiques) du domaine de la lutte contre la Corruption, se posent d'autres interrogations quant à leur effet géopolitique et économique.

§2. Les limites géopolitiques à cette politique

Outre l'importance économique des Etats-Unis, voire du Royaume-Uni dans une moindre mesure, la légitimité d'une autorité étatique qui s'établit comme régulateur mondial n'est pas sans poser des questions.

Tout d'abord, il apparait aujourd'hui difficile de contester cette régulation mondiale.

La première raison est que malgré un rôle qui semble dépasser leurs attributions, le FCPA et l'UKBA ont au moins le mérite d'être effectifs ; ce qui n'est pas une maigre qualité lorsque l'on regarde le panorama général de la lutte contre la Corruption.

Dans l'état actuel de cette lutte qui se veut mondiale, ces deux institutions apparaissent bien esseulées et leur contester leur compétence reviendrait à briser l'élan que prend réellement la lutte contre la Corruption dans tous les Etats.

Ensuite, de par l'importance toute particulière des Etats-Unis, un refus pur et simple de se soumettre aux règles pénales (et civiles, mais pouvant être considérée comme pénales) entraînerait des conséquences économiques que ne peuvent se permettre aucune entreprise (occidentale, tout du moins).

Mais cette légitimité pourrait connaître des limites réelles dans les années à venir. Quid des entreprises asiatiques, et notamment celles qui sont en partie détenues par des Etats surpuissants économiquement ? Que se passerait-il si demain, les entreprises pouvant se passer du marché américain décidaient de faire fi des normes anti-Corruption ? Les effets seraient dévastateurs, tant la Corruption pourrait reprendre de l'ampleur.

Non seulement la Corruption et tous les effets associés trouveraient un nouveau souffle, mais en plus, les entreprises soumises de fait aux droits américain et anglais se retrouveraient dans une situation concurrentielle intenable, ne pouvant absolument pas rivaliser avec des entreprises libre de pratiquer les actes de Corruption !

Il est donc plus que souhaitable que la sensibilisation des institutions internationales (OCDE et ONU en tête) permette à la lutte contre la Corruption de devenir efficiente partout dans le monde, et surtout dans les pays dont la surpuissance économique est montante.

Enfin, il est aussi très important de se placer du point de vue des entreprises si l'on venait à assister à une course à la norme pénale anti-corruption la plus efficace et la plus rentable. Cette problématique est d'autant plus importante que la règle « non bis in idem » n'est pas respectée à l'échelle internationale.

La réponse la plus simple reste de dire que les entreprises n'ont qu'à respecter les Lois parfaitement, et qu'elles seront donc ainsi épargnées. Cependant, il apparaît tout à fait intenable économiquement pour une entreprise de lutter totalement contre tous les risques pénaux auxquels celle-ci s'expose (et a fortiori aux risque de Corruption).

Une entreprise ne peut pas consacrer une part disproportionnée de son budget à remplir un rôle qui devrait impartir aux Etats, à leurs polices et à leurs juridictions !

C'est là que la Compliance anti-Corruption en entreprise trouve sa raison d'être.

Non seulement du fait qu'un tel service permet de mieux appréhender une problématique toute juridique de la part d'une entité qui est avant tout économique ; mais aussi du fait que ces Lois anti-Corruption, aussi contraignantes et impressionnantes soient-elles, ont spécialement prévu un seul moyen pour ces entreprises d'éviter les sanctions : la mise en place d'une Compliance anti-Corruption efficace.

Ceci est valable à travers plusieurs aspects qui font l'objet de la deuxième partie de ce mémoire, où il s'agira de voir comment, à partir de la mise en place d'un dispositif imposé, l'entreprise peut tirer des avantages de sa Compliance anti-Corruption.

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SECONDE PARTIE

LES DEFIS DE LA COMPLIANCE ANTI-

CORRUPTION A L'ECHELLE DE

L'ENTREPRISE

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CHAPITRE TROISIEME

LA DIMENSION ORGANISATIONNELLE DE LA

COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION

Lorsque le service chargé de la Compliance a déterminé avec précision le cadre dans lequel la Compliance s'inscrit, et donc les forces qui s'exercent sur l'entreprise en raison de la lutte contre la Corruption, celle-ci peut alors décider des mécanismes à mettre effectivement en place (Section I) pour pouvoir gérer au mieux les risques propres à l'entreprise (Section II).

Section I. Le triptyque de la Compliance anticorruption : prévenir, agir, réagir

Les entreprises se sont vues confié le rôle de régulateur de la lutte contre la Corruption au sein de leur entreprise (et même au-delà). Dans ce contexte, celles-ci se doivent de mettre en place une Compliance complète dont le rôle sera à la fois de prévenir les faits de Corruption (Sous-Section I), de contrôler l'application des mécanismes de prévention (Sous-Section II) et de réagir à l'apparition des faits en question (Sous-Section III).

Sous-Section I. Les moyens de prévention mis en place par la Compliance

§1. La Due Diligence

A. La notion de due diligence

Le rôle premier d'un juriste, dans l'ordonnancement de ses fonctions, est la prévention. Cette prévention permet d'anticiper les risques et d'avoir des procédures adaptées lorsque l'évènement anticipé se produit.

Dans la Compliance en matière de Corruption, la prévention prend notamment une forme particulière, expressément prévue par les textes, qui est le mécanisme de « due diligence ».

La due diligence est un concept qui consiste, pour le service de Compliance d'une entreprise, à procéder à des mesures de vérification, d'enquête et de recherches d'informations. Les dues diligences ont notamment lieu lors de plusieurs étapes présentant un risque particulier pour l'entreprise. La finalité du dispositif sera alors de rechercher des informations relatives aux facteurs de risques, afin de voir si, au travers des renseignements ainsi collectés, la crainte d'une probabilité élevée de risque se confirme.

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Par ailleurs, une fois que la due diligence a permis de cerner l'intensité du risque qui se présente pour l'entreprise, le service pourra prendre d'autres mesures en conséquence, afin soit de diminuer le risque au maximum, soit d'éviter ce risque.

Plus concrètement, la due diligence va surtout apparaître comme nécessaire pour l'entreprise lorsque celle-ci est confrontée à des éléments extérieurs à elle. Les premières cibles de dues diligences sont, bien évidemment, les tierces parties. Elles représentent un risque d'autant plus grand en raison de la responsabilité en cascade précédemment évoquée.

Lorsque la société est confrontée à des tierces parties, celle-ci devra non seulement rechercher les risques que présente cette entité, mais également pouvoir prouver qu'elle a bien mené toutes les vérifications imposée par les textes. Il est ainsi important d'avoir une procédure bien définie et de garder des traces écrites de l'exécution des dues diligences.

L'intérêt (voire l'obligation) de mener une due diligence apparaît notamment lorsque de l'entreprise envisage de nouer des relations contractuelles très fortes avec un partenaire. Ce genre de relations contractuelles prend notamment la forme de contrats de sous-traitance, mais aussi de coentreprises, de consortiums, de fusion ou d'acquisitions79.

Plus généralement, tous les flux financiers pourraient théoriquement être sujets à des dues diligences.

Néanmoins, cela apparaitrait fort contraignant pour les entreprises, en termes de coûts, mais aussi de temps. C'est la raison pour laquelle le déclenchement d'une procédure de due diligence est souvent conditionnée par la présence de facteurs de risques prédéterminés et larges (pour que les dues diligences soient toujours effectuées quand un risque suffisant est envisageable).

B. Les Drapeaux Rouges

Ces facteurs, souvent appelés « Drapeaux Rouges »80 par les observateurs, sont des critères objectifs dont la détection entraînera automatiquement le déclenchement d'un processus de due diligence.

Parmi ces « drapeaux rouges », on peut notamment citer :

· Le fait que l'exécution du contrat se situe sur un territoire à risque (la carte de l'indice de Corruption mondiale de TI est une bonne base pour effectuer une cartographie géographique des risques) ;

· Le fait que le partenaire ait déjà été condamné pour des faits de Corruption par le passé ;

79 Concernant les fusions-acquisitions, il a été notamment jugé qu'une entreprise était responsable des faits de corruption auxquels s'était adonnée l'entreprise ainsi absorbée, lorsque les mesures de dues diligences suffisantes n'ont pas été prises pour permettre, notamment de révéler les faits postérieurement à l'opération de fusion-acquisition. Voir Etats-Unis contre SYNCOR, EU contre TITAN, et les Avis du DOJ n°08-02, 03-01 et 0402.

80 « Red Flag » en anglais.

·

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Le fait que le partenaire est actuellement sous investigations d'une autorité en charge de la lutte contre la Corruption ;

· Le fait que le partenaire soit une entreprise d'Etat ou un membre suffisamment connu du gouvernement pour que cela se détecte sans due diligence ;

· Le secteur d'activité particulièrement à risque dans lequel s'inscrirait le contrat (le secteur pétrolier ou le secteur pharmaceutique sont par exemple des secteurs où le risque de Corruption est important) ;

· Lorsque l'on passe par un intermédiaire, une commission particulièrement élevée par rapport à ce qu'est censé effectuer cette personne, etc.

La liste des Drapeaux Rouges que détermine l'entreprise peut, bien entendu, s'allonger autant qu'elle le juge nécessaire. Ceux-ci doivent simplement être suffisamment larges pour être détectés par une vérification très sommaire (notamment de la part des personnes chargées de la période précédant la signature du contrat).

Les dues diligences ainsi déclenchées auront pour but de rechercher des informations venant corroborer ou infirmer les craintes que soulève naturellement un Drapeau Rouge. Mais ce n'est pas tout.

Pour en comprendre l'importance, il est intéressant de présenter les deux outils principaux de la due diligence.

C. Les outils de due diligence

Les due diligences se présentent sous deux formes principales : les questionnaires de due diligence et les vérifications des renseignements par internet (appelés aussi communément « vérifications de réputation »)

Les questionnaires de due diligence reprennent le principe connu en LAB des questionnaires « Know Your Custommer »81. Il s'agit de questionnaires envoyés aux partenaires dans lesquels il leur est demandé de répondre à plusieurs questions. Les réponses à ces questions servent alors à l'émetteur des questionnaires (et plus précisément à son service de Compliance) pour déterminer le niveau de risque que présente ce partenaire. Les renseignements ainsi demandés vont donc être relatifs aux risques de Corruption.

Tout naturellement, bon nombre de ces questions vont d'abord porter sur d'éventuelles poursuites à l'encontre de la personne sur le fondement des lois anti-Corruption.

Mais puisqu'il s'agit aussi pour le service de Compliance de déterminer le niveau de risque que présente ce partenaire, il va aussi être question d'analyser tous les éléments qui pourraient relier ce partenaire à d'autres auteurs de Corruption. En effet, la notion de Corruption est très extensive. Si des faits de Corruption sont avérés dans le schéma contractuel en question, la responsabilité de l'entreprise pourra être engagée ; à moins que celle-ci ne prouve qu'elle avait mis en place toutes les procédures nécessaires pour s'assurer qu'aucun fait de Corruption ne serait commis. Cela commence par une obligation,

81 Notamment imposés au travers des « programmes d'identification des clients » par le « Bank Secrecy Act » de 1970 et le « USA PATRIOT Act » de 2002, aux Etats-Unis.

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pour l'entreprise, de rechercher les facteurs de risques de Corruption, pour prendre les mesures adéquates le cas échéant.

Les renseignements demandés vont donc aussi porter sur d'éventuels co-contractants, sur les personnes exerçant une influence sur le partenaire ou encore sur les mesures prises par ce partenaire, au sein de sa propre structure, pour lutter contre la Corruption.

Une fois tous les renseignements demandés obtenus, et le que le niveau de risque que présente le partenaire déterminé au vu des réponses apportées à ce questionnaire, la décision sera alors prise de nouer ou non des relations d'affaires avec ce partenaire. Si la décision est de contracter, le niveau de risque ainsi déterminé servira à fixer d'autres garde-fous pour l'entreprise.

Mais les informations ainsi collectées seront aussi confrontées au deuxième outil de la Compliance dans la procédure de due diligence : la « vérification de réputation».

Cette vérification consiste en une simple (mais minutieuse) recherche d'informations relatives au partenaire, sur internet. Cet outil servira à la fois à déterminer le niveau de risque que présente le partenaire, par rapport aux renseignements ainsi collectés, mais également à vérifier la bonne foi dans les réponses qu'a fourni le partenaire dans le questionnaire de due diligence. Il est évident que si des discordances sont détectées, cela n'ira pas dans le sens d'une diminution du niveau de risque et que des explications seront nécessaires de la part du partenaire.

Enfin, si la procédure de due diligence est primordiale, la prévention contre la Corruption se fait aussi via d'autres mécanismes.

§2. Les autres dispositifs de prévention de la corruption en entreprise

Les autres dispositifs de prévention des risques de Corruption sont des dispositifs plus familiers des services juridiques « classiques » de toute entreprise.

Ainsi, la mise en place d'une Compliance efficace passe forcément par un travail de veille juridique. Cette veille consistera surtout, dans le domaine récent de la lutte contre la Corruption à analyser les jurisprudences. Celles-ci sont en effet riches d'enseignements sur l'évolution à long terme de la lutte contre la Corruption.

Cette veille juridique a également cela d'original, du fait de la jeunesse de la matière, de porter sur les mesures prises par les autres entreprises du même secteur pour lutter contre la Corruption. Un travail facilité par le fait que les grandes lignes des politiques de Compliance des entreprises sont souvent un moyen de soigner leur image et sont donc publiques et facilement trouvables sur internet.

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Cette veille juridique servira bien entendu à mettre à jour les procédures internes à l'entreprise pour lutter contre la Corruption. Lesdites procédures étant d'ailleurs élaborées en coopération avec d'autres services de l'entreprise, ce qui constitue une des étapes importantes du développement d'une culture juridique (qui sera l'objet d'une section de ce mémoire).

Enfin, la Compliance comporte également un volet contractuel. La Compliance passe par l'élaboration de clauses de Compliance insérées dans les contrats. Elle se fait aussi par le biais de la signature de déclarations de conformité des partenaires avec les lois anti-Corruption.

Les clauses de Compliance peuvent être par ailleurs très importantes. Ainsi, certains contrats types proposés sur internet proposent la rupture pure et simple du contrat en cas de faits de Corruption de la part du partenaire, sans aucun dédommagement. D'autres clauses de Compliance prévoient quant à elle un droit d'audit sur tous les documents jugés nécessaires par l'entreprise.

Sous-Section II. Les moyens d'action et de contrôle au bénéfice de la Compliance

§1. Les diverses procédures de détection de la Corruption

Si la phase de prévention constitue un volet très important d'un service de Compliance, les personnes qui le composent doivent également avoir un rôle permanent de contrôle.

Ce contrôle va s'illustrer à travers deux types de procédures : celles impliquant une action du personnel de l'entreprise (autre que celui de la Compliance) ; et celles d'audit.

L'implication des membres de l'entreprise dans la Compliance est essentielle. Mais au-delà du volet de la « culture de Compliance » d'entreprise qui sera développée plus loin dans ce mémoire, il est nécessaire de répartir la charge induite par les obligations de Compliance sur l'ensemble des acteurs de l'entreprise. Il s'agit là tant d'une question de moyens humains que de possibilité matérielle.

En effet, il apparaît impossible pour une entreprise de créer un service de Compliance disproportionné capable de suivre tous les faits susceptibles de non Compliance. L'exemple de la procédure mise en place dans le cadre du domaine des cadeaux et de l'hospitalité (« C&H ») permet de mieux cerner les contours de cette affirmation.

La procédure C&H est une procédure servant, non pas à interdire aux employés de recevoir des cadeaux dans le cadre de leurs relations d'affaires, mais à contrôler suffisamment ce type de démarches, afin d'en écarter tout soupçon de Corruption.

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La procédure préconisée par les institutions et une procédure déclarative, par paliers de montants. Ainsi, pour chaque palier franchi, la procédure de contrôle devient plus importante.

Un exemple simple permet de comprendre de quoi il s'agit.

Les autorités de lutte contre la Corruption considèrent que l'obligation déclarative n'est pas nécessaire en dessous d'un certain seuil. Prenons comme seuil 50$. En dessous de ce seuil, aucune déclaration n'est à faire de la part de celui qui reçoit ou offre le C&H. Par contre, les Etats-Unis considèrent qu'au-dessus de 250$, les paiements sont suspects, car la somme est importante.

Deux paliers sont donc définis : 50$ et 250$.

En dessous de 50$, aucune déclaration n'est requise. Par contre, entre 50$ et 250$, il faut faire une déclaration. Mais comme ces sommes ne sont pas non plus excessivement hautes (ce montant peut être rapidement atteint par le paiement d'un repas au restaurant à un client, par exemple), une procédure lourde n'est pas nécessaire, car elle serait trop contraignante et emporterait donc des effets négatifs qui seront décrits plus tard dans ce devoir. On peut alors penser à un formulaire très simple à remplir de la part des salariés, qu'ils devront remettre à leur supérieur hiérarchique direct.

Enfin, pour les C&H dépassant 250$, comme le risque de Corruption est conséquent, on peut prévoir la nécessité d'une autorisation pour le salarié, lui permettant d'accepter ce G&H. La délivrance de l'autorisation devra appartenir à un responsable particulièrement haut dans la hiérarchie (le chef d'un département d'activité par exemple). Par ailleurs, le formulaire prévu pour les C&H d'une valeur comprise entre 50$ et 250$ continue de devoir être rempli.

Enfin, tous les formulaires devront être remis à un membre de la Compliance, puisque le rôle de la Compliance anti-Corruption est justement la gestion de ce domaine.

Ce schéma permet de comprendre très simplement pourquoi les salariés doivent être impliqués dans la démarche : le seul moyen de contrôler directement les C&H serait d'avoir en permanence un membre de l'équipe de Compliance aux côtés du salarié contrôlant ses moindres faits et gestes.

C'est non seulement financièrement impossible, mais également socialement intenable pour le salarié.

L'autre type de procédures de contrôle « continu » est la procédure d'audit. L'audit consiste simplement à demander des pièces (expressément prévues par les procédures de l'entreprise) concernant un secteur donné. Ce peut être une personne en particulier qui est concernée, mais ce sera vraisemblablement un département d'activité, un secteur géographique, ou encore un projet donné qui sera ainsi vérifié.

Le contrôle peut être soit interne, et donc réalisé par la Compliance ; ou bien externe, dans un souci d'indépendance. Ce deuxième cas sera souvent utilisé en cas de soupçons graves de Corruption, pour que l'entreprise prouve sa bonne foi au régulateur. Dans ce cas, il sera effectué par des cabinets d'avocats spécialisés (et le coût économique sera donc plus important pour l'entreprise).

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Il existe également un mécanisme reposant totalement sur les membres de l'entreprise : la dénonciation.

§2. La « dénonciation »

La dénonciation82 est un mécanisme qui s'adresse à une personne qui considère être témoin (voire acteur) d'un acte contraire aux règles de l'entreprise. Dans le cade du sujet de ce mémoire, il s'agit donc de situations de Corruption, ou que le dénonciateur considère comme telles.

Il faut noter que la dénonciation est très peu utilisée en France. Ceci s'explique notamment par des raisons historiques liées à la déportation pendant la seconde guerre mondiale83. Les pays de culture anglo-saxonne ont moins de mal à en faire usage.

Ces mécanismes de dénonciation sont imposés par le FCPA et l'UKBA. Plus encore, ces deux normes ont instauré leur propre mécanisme de dénonciation rémunérée. Et parmi les mesures de Compliance permettant de faire échec à ce type de dénonciation, la mise en place au sein de l'entreprise d'un dispositif de dénonciation efficace est expressément prévue par les textes.

La dénonciation peut se faire de différentes manières. Cela peut se traduire par une assistance téléphonique84 et un numéro d'urgence associé, par exemple. Cette « hotline » pouvant d'ailleurs être interne à l'entreprise ou bien sous-traitée, puisque des services se spécialisent dans ce domaine. L'alerte peut aussi se faire sous forme de formulaires disponibles sur le réseau intranet de l'entreprise, ou bien une boîte mail prévue à cet effet.

Toutefois, ce système n'est pas sans poser des interrogations. D'un côté, la préservation de l'anonymat du dénonciateur est un enjeu important pour éviter d'éventuelles représailles. De l'autre côté, les dénonciations calomnieuses peuvent se transformer en un problème encore plus grand.85

La solution la plus rationnelle semble être l'absence d'anonymat, mais doublée d'un accès extrêmement restreint aux signalements de Corruption. Un rôle que l'on peut confier à la Compliance. Reste l'hypothèse où l'auteur de la Corruption est un membre chargé de la Compliance. Gageons que cela reste une hypothèse d'école !

« whistle-blowing » en anglais.

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83 Rapport OCDE sur l'application par la France de sa convention contre la Corruption. Cf. supra.

« hotline » en anglais

85 Cf. la fausse affaire d'espionnage chez RENAULT, qui était en fait le fruit d'une dénonciation calomnieuse.

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Sous-Section III. La réaction de la Compliance à la découverte d'un acte de Corruption

§1. La réaction interne à l'entreprise

Ce troisième pan « chronologique » de la Compliance est sans nul doute le plus redouté

mais aussi celui où se concrétise tout le travail de la Compliance effectué en amont.

Ainsi, si les procédures mises en place étaient efficaces, le dommage subit par la société en sera réduit d'autant.

A l'inverse, si la procédure n'était pas convenable, ou pas efficacement appliquée, la sanction pour l'entreprise peut être très lourde ; même dans le cas où il s'agirait d'un comportement isolé d'un de ses salariés.

Par ailleurs, l'issue du conflit aura également une importance sur le long terme.

D'abord, il est nécessaire, dès la découverte de faits de Corruption, de prendre les mesures adéquates pour les faire cesser. Cette mention pourrait paraître superflue si l'actualité juridique en matière de Corruption en entreprise ne venait à rappeler que certaines entreprises préfèrent tenter une tactique de dissimulation.

Ainsi, l'affaire WAL-MART (qui n'est pas encore jugée) semble-t-elle être la meilleure illustration de ce qu'il ne faut pas faire en cas de découverte de faits de Corruption. Selon les allégations du New-York Times, basées sur le témoignage d'anciens employés de Wal-Mart, cette entreprise aurait préféré cacher des faits de Corruption pourtant évidents, que de les révéler aux régulateurs.

Une réaction d'autant plus surprenante que des procédures de Compliance étaient prévues pour lutter contre la Corruption dans l'entreprise et que cela aurait constitué un bon moyen de défense pour WAL-MART.

Il faut rajouter que l'affaire WAL-MART n'était pas sans précédent. Ainsi, l'affaire TYSON86 avait déjà démontré qu'il était non seulement impossible de cacher des faits de Corruption sur le long terme, mais que tenter de les dissimuler était un élément au moins aussi grave que les faits de Corruption en eux-mêmes.

Lorsque les faits ont cessés, la procédure mise en place va permettre à l'entreprise d'analyser comment et pourquoi les faits de Corruption ont eu lieu. Cela permettra notamment à l'entreprise de se dédouaner d'une partie de sa responsabilité, si elle arrive à démontrer que le salarié a agi en violation des procédures mises en place. Cela lui permettra également de modifier sa procédure, si elle n'avait pas été efficace.

86 Affaire UE contre TYSON FOODS, INC. 10 février 2010.

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Enfin, la dernière phase interne à l'entreprise est celle de la sanction des individus responsables des actes de Corruption. Cette sanction qui ne peut être que disciplinaire (puisque `elle est décidée par l'entreprise) est d'une importance capitale.

La première raison est qu'une absence de sanction serait un très mauvais signal donné à l'ensemble des membres de la société ; et ce, de deux façons. D'abord, cela montrerait que l'entreprise n'est pas engagée dans la lutte contre la Corruption, et donc une certaine solidarité de sa part avec les auteurs de tels comportements. Ensuite, cela enlèverait (peut-être à tort) la crainte des employés d'être punis individuellement, ceux-ci étant en quelque sorte « couverts » par la responsabilité de l'entreprise.

La deuxième raison pour laquelle cette sanction est importante, c'est qu'elle donne un signal fort au personnel de l'entreprise : s'ils ne jouent pas le jeu de la Compliance, alors ils seront sanctionnés par l'entreprise, quand bien même ceux-ci ne pourraient pas l'être par les autorités régulatrices. Cela permet de placer la Compliance et la défense des valeurs qu'elle véhicule au coeur de la vie de l'entreprise.

Enfin, la sanction des auteurs de Corruption par leur entreprise est un des facteurs pris en compte par les autorités régulatrices de façon positive. Cela a pour effet d'atténuer la sanction prononcée contre l'entreprise en question.

Si l'entreprise doit réagir en interne, elle doit également savoir assumer les conséquences de la Corruption et préparer sa communication avec l'extérieur.

§2. La réaction de l'entreprise avec ses interlocuteurs

Il y a deux réactions que l'entreprise doit adopter de façon automatique en cas de découverte de faits de Corruption.

La première est de communiquer la découverte de ces faits ou des suppositions de Corruption aux régulateurs compétents. Plus cette révélation est rapide, plus cela aura une influence positive dans l'appréciation de l'affaire par les autorités.

Une communication suffisamment prompte est même un facteur prédéterminé de diminution de la sanction pour des faits de Corruption, dans le FCPA. Et cette réduction est de taille !

La communication des faits par un communiqué aux institutions en charge de la lutte contre la Corruption permet également d'éviter que des personnes intéressées par les récompenses des dénonciations rémunérées prévues par le FCPA ou l'UKBA n'en profitent. En effet, la communication aux autorités des faits connus par l'entreprise aura souvent pour conséquence de rendre la divulgation superflue, et donc non rétribuée.

La seconde réaction que doit adopter l'entreprise est une communication publique, par voie de presse. Le site internet de l'entreprise est un support de choix, puisque l'information

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sera disponible aux personnes les plus directement intéressées par l'entreprise. En plus, l'information sera relayée par la presse spécialisée, et notamment la presse des marchés financiers.

Car ce sont bien les investisseurs qui sont les cibles premières d'une telle communication. Le fait de cacher des informations si importantes sur l'entreprise qu'une éventuelle future condamnation pour Corruption constitue un excellent motif de poursuites civiles de la part des actionnaires.

Enfin, cela permet de contrôler l'information relevée. L'entreprise pourra ainsi avancer d'éventuels faits justificatifs, et surtout exprimer sa bonne foi. La révélation de soupçons de Corruption a toujours une meilleure image lorsqu'elle est émise par l'entreprise elle-même, plutôt qu'un tiers.

Section II. Les risques de non Compliance

Les risques sont, pour la Compliance, un élément essentiel. Il s'agit là l'une de ses principales préoccupations, si ce n'est la principale.

Pour une entreprise, un « risque » est une situation qui est potentiellement dommageable économiquement. Par ailleurs, le préjudice financier peut être soit direct, soit indirect. Les risques doivent donc être anticipés quant à leur existence, mais aussi quant à leurs effets87.

La Compliance d'entreprise, dans le cade de la lutte contre la Corruption sert non seulement à protéger l'entreprise contre les risques (Sous-Section I) ; mais son utilité va également au-delà, puisque lorsque le risque se réalise malgré tout, la Compliance va encore trouver un rôle économiquement favorable, dans le calcul de la sanction pénale (Sous-Section II).

Sous-Section I. La Compliance d'entreprise en tant que protection de l'entreprise

Les risques de perte économiques peuvent être soit directs, c'est-à-dire que la concrétisation de l'évènement défavorable induite dans la notion de risque entraîne une perte financière immédiate pour l'entreprise ; soit indirects, c'est-à-dire que la perte financière de l'entreprise ne résulte pas immédiatement de la réalisation du dommage, mais en découle in fine.

87 J.P. DOM, « Le gouvernement d'entreprise, technique d'anticipation des risques », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n°24, 14 juin 2012, p. 1387.

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§1. Les risques directs : les poursuites légales

Le premier risque que la Compliance doit chercher à éviter est la condamnation pour des faits de Corruption. Ainsi, l'essence même du mot Compliance découle de cette conception de respect des normes par l'entreprise.

Le risque de condamnation est celui qu'il est le plus impératif d'éviter. Sa réalisation conditionne la réalisation des autres risques que la Compliance vise aussi à éviter. En matière de Corruption, il est également financièrement très important.

Les sanctions peuvent être de différentes natures. Aux Etats-Unis, celles-ci sont à la fois civiles (en cas de condamnation par la SEC) et pénales (lorsque le DOJ se saisit de l'affaire) ; et elles se cumulent. Les sanctions pourraient également être administratives. En réalité, cela a peu d'importance. Ce qui est intéressant, ce sont les sanctions en elles-mêmes, le détail de leurs caractéristiques, plus que leur nature juridique.

La sanction la plus évidente est l'amende. Qu'elle soit pénale ou civile, prononcée sous la forme de dommages-intérêts, de frais de procédure ou de toute nature, l'amende est la perte économique la plus directe et la plus concrète qui soit pour l'entreprise.

C'est également la sanction pénale, clairement chiffrée et publiée, qui est la sanction la plus marquante.

Cette sanction ne comprend d'ailleurs pas que des amendes pour l'entreprise. Ainsi, tout un arsenal de mesures complémentaires est envisageable. Le droit français prévoit notamment pour la Corruption :

· l'interdiction d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise, pour une durée de cinq ans ;

· un placement sous surveillance judiciaire pour une durée de cinq ans au plus ;

· une peine de fermeture, pour une durée de cinq ans au plus, des établissements ou de un ou plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés88 ;

· l'interdiction de faire appel public à l'épargne89 ;

· la confiscation de la chose qui en est le produit de la Corruption, à l'exception des choses susceptibles de restitution90.

Cette dernière a d'ailleurs le vent en poupe au niveau international.91

88 Article 445-4, 2° du Code pénal.

89 Article 445-3, 2° du Code pénal.

90 Article 445-3 du Code pénal.

Si ces mesures sont rarement prononcées au niveau français, les régulateurs américains, eux, font pleine application des mesures complémentaires mises à leur disposition.

91 Cf. Loi n°2010-768 du 9 juillet 2010 visant à permettre l'exécution transfrontalière des confiscations en matière pénale. Mais également le document de travail des services de la Commission européenne accompagnant la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil européen concernant le gel et la confiscation des produits du crime dans l'Union européenne, 12 mars 2012.

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Une des mesures les plus marquantes est certainement l'obligation de monitorat92. Cette obligation imposée à la suite d'une condamnation par le DOJ, la SEC, l'UKBA ou la Banque Mondiale consiste en la nomination (imposée à l'entreprise) d'un observateur de la Compliance de l'entreprise. Ce moniteur est généralement un juriste spécialement compétent en la matière, dont le rôle sera d'observer le comportement de l'entreprise, et d'en faire des rapports réguliers aux autorités. Son rôle consiste également à coopérer avec l'entreprise, pour permettre à celle-ci de faire évoluer sa politique de Compliance. Pour mener à bien sa mission, celui-ci est nommé une durée de plusieurs années. Cette durée est fixée par le jugement ou l'Accord clôturant les poursuites.

Entre 2004 et 2010, près de 40% des affaires de Corruption jugées sur le fondement du FCPA par le DOJ se sont conclues par un monitorat93. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les autorités américaines font évoluer cette obligation, ce qui laisse à supposer que celle-ci tend à devenir systématique. Ainsi, le DOJ a-t-il permis à plusieurs entreprises de choisir elles-mêmes leur moniteur94. Le monitorat a également pu se décliner sous d'autres formes, tels que des examens périodiques95, ou encore la nomination d'un « consultant Compliance », dont les rapports ne sont pas faits au DOJ, mais au conseil d'administration de l'entreprise96.

Ce dispositif de monitorat a également vocation à se développer partout où la lutte contre la Corruption est efficace. La Banque Mondiale a ainsi récemment imposé un monitorat à ALSTOM97.

Mais outre les préjudices directs causés par la perte financière immédiate d'une amende ou les peines complémentaires comme le monitorat, un défaut de la Compliance d'une entreprise lui cause également d'autres dommages, indirects. Ces dommages - que la Compliance s'efforce de contenir au stade de risques - bien que difficilement chiffrables, n'en sont pas moins coûteux économiquement pour l'entreprise.

§2. Les risques économiques indirects

Les risques économiques indirects sont des risques dont la réalisation dépendra de la celle des risques patrimoniaux directs. Ceux-ci sont de plusieurs ordres : commerciaux, réputationnels ou judiciaires.

A. Les risques commerciaux

Les risques dits « commerciaux » sont ceux qui ont un lien direct avec les relations d'affaires avec les partenaires commerciaux.

« monitorship en anglais ».

92

93 F.J. WARIN, M.S. DIAMANT, V.S. ROOT, «somebody's watching me: Fcpa monitorships and how they can work better», 2011.

94 Voir notamment les affaires E.U. contre ALCATEL-LUCENT, 27 décembre 2010 ; et E.U. contre TECHNIP, 28 juin 2010, dans lesquels un moniteur français a pu être choisi par ces entreprises.

95 Voir l'affaire JOHNSON & JOHNSON contre E.U., 8 avril 2011.

96 Voir les affaires MARUBENI contre E.U, 17 janvier 2012 ; et JGC contre E.U., 6 avril 2011.

97 Voir le placement sur liste noir d'ALSTOM NETWORK SCHWEIZ AG par la Banque Mondiale, février 2012.

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Le premier de ces risques est celui de résiliation des contrats. En effet, comme il a été vu précédemment, certaines clauses contractuelles mises en place dans le cadre de la Compliance prévoient que la découverte de faits de Corruption puisse entraîner la rupture du contrat, aux torts exclusifs de la partie concernée par les poursuites.

Vient également le risque de se voir refusé un contrat sur le fondement d'un comportement antérieur, lié à la Corruption. Certaines entreprises, ne souhaitant pas voir leur nom associé à des scandales de Corruption passés, peuvent refuser catégoriquement de contracter avec les sociétés qui auraient été condamnées pour Corruption.

Il arrive aussi que la condamnation pour Corruption entraîne une restructuration de l'entreprise. Celle-ci peut concerner plusieurs secteurs.

D'abord, le DOJ ou la SEC peuvent obliger l'entreprise à créer un service de Compliance, ou à le restructurer si celui existait déjà mais n'était pas suffisant98. Cela constitue un coût certain, à la fois en termes de temps, d'embauches et de moyens financiers, dans la mesure où il s'agit de reprendre à zéro tout le processus menant à la mise en place d'un service de Compliance efficient.

Mais la restructuration de l'entreprise peut également consister en des licenciements des auteurs des actes de Corruption, qui devront être compensés par de nouveaux recrutements. Dans des secteurs où le personnel doit être très spécialisé et donc rare (et cher), cela constitue un coût non négligeable. Ces nouvelles embauches ont, par ailleurs, leurs inconvénients propres, en termes de formation et donc de temps.

Enfin, une branche de l'activité qui aurait été particulièrement touchée par une affaire de Corruption pourrait bien avoir à disparaître. Cette situation extrême n'est pas à exclure, dans l'affaire WAL-MART notamment. Il est en effet envisageable que, devant l'ampleur des faits de Corruption, tous les permis d'établissement des supermarchés soient remis en cause, entraînant une disparition de la présence de WAL-MART au Mexique.

B. Les risques d'atteinte à la réputation de l'entreprise

Les risques pouvant indirectement entraîner une perte économique pour l'entreprise concernent également la réputation de l'entreprise. Si celle-ci n'est pas aussi clairement chiffrable que la perte patrimoniale que constitue une amende, elle n'en est pas moins redoutable.

La réputation de l'entreprise est un enjeu énorme pour toutes les entreprises, et la Corruption peut gravement l'affecter, du fait du caractère pernicieux de cette infraction.

Les effets d'une perte d'image de l'entreprise se manifestent sous plusieurs formes.

Le premier ne concerne pas toutes les sociétés. Il s'agit de l'image renvoyée à l'opinion publique. Les effets de cette nature seront d'autant plus importants que la vente du produit de l'entreprise est proche des particuliers. Par exemple, une entreprise d'extraction pétrolière

98 Voir E.U. contre JGC, 6 avril 2011, §8.

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ne sera que faiblement concernée, alors que ce peut être désastreux pour une entreprise de grande distribution.

La deuxième conséquence d'une atteinte à la réputation de l'entreprise est sûrement la plus importante financièrement. Elle l'est d'autant plus dans la période de crise économique actuelle. Ce risque est celui de la perte de confiance des investisseurs.

Les affaires de Corruption, lorsqu'elles deviennent publiques, entraînent immédiatement une chute du cours de l'action des entreprises cotées sur les marchés financiers99. Au-delà des actions boursières, dans un climat où la confiance des investisseurs est une préoccupation économique mondiale, une affaire de Corruption constitue un risque d'une telle importance qu'aucune société ne peut se le permettre.

Par ailleurs, le risque relatif à l'image de la société concerne aussi les prêts de toutes natures, dont ceux des organisations pour le développement (l'exemple de SNC LAVALIN et de la Banque Mondiale le confirme amplement).

Enfin, parmi les effets qu'entraîne la mauvaise image d'une société, une difficulté accrue pour recruter des personnes qualifiée peut être énoncée. Ces personnes peuvent refuser un recrutement, pour préserver leur propre image, notamment en ce qui concerne les dirigeants pour qui la réputation est essentielle. Mais il est également imaginable que des personnes refusent d'être recrutées pour des questions morales.

C. Les risques de « poursuites » en chaîne

Si tous les risques indirects sont la conséquence de poursuites judiciaires, ceux dont il est question ici sont des risques judiciaires se déclenchant à partir des poursuites initiales. De fait, chacune de ces poursuites peut découler d'une quelconque des autres poursuites précédemment engagées.

La première poursuite qui peut être citée est celle engagée par les actionnaires, sur le fondement du droit civil, pour mauvaise gestion de l'entreprise. Ce type de poursuites est fréquent aux Etats-Unis100, il est donc naturel qu'il en soit engagées en matière de Corruption.

Les deuxièmes poursuites qui peuvent être intentées contre une entreprise reconnue responsable de faits de Corruption sont les poursuites civiles. Les partenaires peuvent ainsi demander des indemnisations à un partenaire, lorsque la condamnation de ce dernier pour Corruption lui a causé un préjudice. Cela arrive notamment dans le cadre de contrats communs à deux entreprises, lorsqu'en raison des faits de Corruption, l'une des deux entreprises se trouve dans l'incapacité de continuer à remplir ses obligations.

99 L'action de WAL-MART et celle de sa filière mexicaine ont ainsi perdu respectivement 5% et 12% de leur valeur, le jour de la révélation de l'affaire par le New York Times.

100 Voir PRIDE INTERNATIONAL INC. contre E.U., 4 novembre 2010 ; et la plainte associée : http://www.courthousenews.com/2009/10/19/Pride.pdf.

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Les concurrents peuvent, eux aussi, intenter des actions sur le fondement du droit civil de la concurrence, en considérant que l'utilisation des pots-de-vin constitue un acte de compétition déloyale101.

Les dernières poursuites auxquelles sont exposées les entreprises qui auraient déjà été condamnées pour Corruption son des poursuites équivalentes dans d'autres Etats du monde. La règle « non bis in idem » n'est en effet pas appliquée à l'échelle mondiale dans la lutte contre la Corruption.

Ce risque, découlant directement d'un risque identique - puisqu'il s'agit des poursuites pour les mêmes faits, mais par une autre juridiction - apparaît aujourd'hui comme le plus important pour la Compliance. De par l'évolution de la lutte contre la Corruption, ce risque est appelé à s'amplifier, au point qu'il est possible de se demander s'il existe une quelconque limite au montant que peut payer une entreprise qui serait poursuivie pour Corruption.

En effet, outre tous les risques dérivés d'une poursuite initiale pour Corruption qui viennent d'être exposés, le risque de condamnations (ou de résolution amiable) « en chaîne » ne trouve aujourd'hui aucune limite raisonnable.

La logique juridique voudrait que la règle de « non bis in idem » entraîne l'arrêt de toute possibilité de poursuites ultérieures dès qu'une décision a acquis l'autorité de la force jugée. Mais en l'absence du respect de ce principe, aucune limite ne semble apparaître avant que toutes les juridictions qui se déclarent compétentes n'aient mené leurs poursuites à terme.

La plus importante affaire de Corruption qu'est l'affaire SIEMENS102 en est une illustration marquante. En décembre 2008, SIEMENS est condamné simultanément par les autorités américaines et allemandes à respectivement environ 800 millions de dollars et 760 millions de dollars, pour violation des lois anti-Corruption de chacun des pays. Mais ces condamnations ne concernent pas des faits de Corruption sur un contrat déterminé, ou un seul pays. En réalité, ce sont 4,283 payements illégaux, dans 332 projets qui sont concernés103 !

Mais les poursuites ne se sont pas arrêtées à ces 1600 millions de dollars. Le 22 novembre 2010, SIEMENS a dû payer 45 millions de dollars au gouvernement Nigérian. Les faits pouvaient pourtant être considérés comme déjà jugés, puisque SIEMENS avait été condamné pour des actes de Corruption « autour du monde »104. SIEMENS et ses filiales ont ainsi été poursuivis sur presque tous les continents.

Si toutes les autorités de tous les pays concernés par les faits de Corruption pour lesquels Siemens a déjà été condamné (soit, au minimum : Argentine, Bangladesh, Chine, Irak, Israël, Mexique, Nigeria, Russie, Venezuela et Vietnam) décident consécutivement de poursuivre Siemens pour les mêmes faits, l'amende de Siemens finira par se compter en dizaine de milliards de dollars.

101 Voir E.U. contre INNOSPEC INC, 17 mars 2010. Affaire dans laquelle la société NEWMARKET CORP a porté plainte contre INNOSPEC INC pour concurrence déloyale et obtenu 45 millions de dollars de compensation. Ces 45 millions de dollars se sont ajoutés aux 37 millions de dollars réclamés par la SEC, le DOJ et le SFO.

102 SIEMENS contre E.U., 12 décembre 2008.

103 Selon la plainte de la SEC. http://www.sec.gov/litigation/complaints/2008/comp20829.pdf.

104 Voir note 102 supra.

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Il y a donc là non seulement une anomalie juridique (qui semble impossible à corriger, du fait du statut très régalien du droit pénal), mais surtout un risque vraisemblablement illimité pour les entreprises. L'intérêt d'avoir une Compliance anti-Corruption efficace au sein d'une entreprise s'en retrouve donc démultiplié.

Par ailleurs, si la Compliance sert à éviter les risques de Corruption, elle sert également à diminuer leur impact lorsque ceux-ci surviennent.

Sous-Section II. La Compliance d'entreprise dans le calcul des sanctions et l'importance de la coopération

§1. Le calcul des sanctions par le DOJ

Le calcul des sanctions par le DOJ est basé sur des critères clairement définis. Ces critères ont été mis en place pour remédier à un aléa juridique trop grand. En 1999, le Ministre adjoint de la Justice américaine, Eric HOLDER, met en place un Guide105 (HOLDER Memo) dans le but de réduire les différences de sanctions entre deux jugements.

Le HOLDER Memo recommande aux procureurs et aux juges de se baser sur huit critères pour déterminer le niveau de la sanction : la nature et la gravité de l'infraction (1), la généralisation de ce type d'infractions dans l'entreprise (2), le passif juridique de cette entreprise concernant ce type d'infractions (3), la révélation rapide et volontaire des faits ainsi que la coopération de l'entreprise avec les enquêteurs (4), l'existence et l'effectivité d'un programme de Compliance (5), les efforts de la société pour remédier à la situation infractionnelle (6), les conséquences collatérales (telles que des dommages

disproportionnés aux actionnaires ou aux employés non concernés par l'infraction) (7) et la possibilité d'utiliser des dispositifs non pénaux (8).

Ainsi, quatre de ces huit facteurs concernent directement la Compliance. Les critères 1, 5 et 6 concernent l'action de la Compliance au sens large ; le critère 4 quant à lui concerne spécialement la coopération de l'entreprise avec le régulateur.

Ces facteurs, dont la moitié concerne donc directement la Compliance, sont essentiels pour la conclusion des Accords évoqués précédemment dans ce mémoire (DPA ou de NPA).

Un exemple DPA permet d'ailleurs d'avoir une certaine idée de la façon dont est déterminé le montant d'une sanction106.

Ce calcul en quatre étapes permet à une entreprise dont la Compliance est forte, de réduire la sanction prononcée de 30%, en comparaison d'une entreprise qui n'aurait pas de service de Compliance efficace107. Cette prise en compte de la Compliance se fait à la fois

105 Mémorandum « régissant les accusations criminelles contre les sociétés », E.HOLDER, Ministre Adjoint de la Justice des Etats-Unis, 16 juin 1999.

106 Cf. Annexe 4, DPA, ABB Ltd contre E.U., Sections 6 et 7, 29 septembre 2010.

107 J.W. YOCKEY, « FCPA Settlement, internal strife, and the «Culture of Compliance« », mars 2012.

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au niveau de la Compliance dans son ensemble, et au niveau de la coopération de l'entreprise, elle-même rendue possible par une Compliance effective.

§2. La diminution des sanctions grâce à une Compliance efficace

La Compliance anti-Corruption, en plus de diminuer la probabilité de risques pénaux liés à cette infraction au sein de l'entreprise, permet de diminuer l'impact de ces risques.

Cette disposition est explicitement prévue depuis la révision de la politique de condamnation des autorités américaine, en 2010. Cette modification a redéfini ce qu'était une « Compliance efficace108 ».

Selon l'article 8.5(f)(3)(A)-(C) du Guide d'Organisation des Condamnations de la Commission Fédérale des Peines (« GOC »)109, une Compliance est efficace lorsque la personne chargée de la Compliance rapporte directement aux organes directeurs de l'entreprise (tel que le conseil d'administration). La Compliance remplit également les exigences du GOC lorsque celle-ci est à même de détecter les comportements infractionnels. Ces comportements doivent par ailleurs être volontairement rapportés aux autorités régulatrices pour que la Compliance soit efficace. Enfin, la Compliance ne peut pas être efficace si les personnes en charge de la Compliance ont participé à des faits de Corruption ou ont « fermé les yeux »110 dessus. Ces quatre critères ont par ailleurs été précisés par des notes explicatives ou bien au cours des Accords avec les autorités américaines.

Concernant le rapport des responsables de la Compliance aux organes administrateurs de l'entreprise, il a par exemple été indiqué que celui-ci devait être non seulement direct (sans intermédiaire), mais aussi annuel (au minimum)111.

La note d'application n°11 accompagnant l'article 8 .5 précise en plus que pour que la Compliance soit efficace, il faut que celle-ci soit la prérogative d'une personne spécifiquement assignée à cet effet.

Si aucun texte ne le prévoit expressément, une Compliance efficace permet également une meilleure coopération de la part de l'entreprise.

§3. La coopération de l'entreprise avec le régulateur

La coopération de l'entreprise avec les régulateurs ne concerne pas uniquement la Compliance, puisque tous les membres de l'entreprise peuvent être amenés à coopérer avec les agents des régulateurs.

« Effective Compliance » en anglais.

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109 Federal Sentencing Commission's Organizational Sentencing Guidelines.

110 Selon les termes mêmes du GOC.

111 Voir affaire E.U. contre TIDEWATER MARINE INTERNATIONAL, INC, dans laquelle le DPA a imposé la révision des règles de Compliance qui prévoyaient un report du responsable de Compliance au comité d'audit. 4 novembre 2010.

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En revanche, la Compliance y est directement impliquée, puisque pour pouvoir coopérer

avec les régulateurs, il faut que des mécanismes suffisants pour fournir les éléments demandés par les régulateurs aient été mis en place.

Un des pans les plus importants de la coopération de l'entreprise est l'identification des employés coupables des faits de Corruption. Cet aspect de la coopération de l'entreprise s'est particulièrement révélé dans l'affaire ABB112. Dans le DPA qui a mis fin aux poursuites du DOJ contre ABB, la coopération de l'entreprise a été qualifiée d' « extraordinaire ». Une des raisons clés pour lesquelles le DOJ a été si élogieux sur la coopération d'ABB vient du fait que l'assistance fournie aux enquêteurs a permis l'identification des individus responsables des faits de Corruption. Au-delà de l'identification de ces personnes, ce sont surtout les preuves apportées par ABB qui ont obligé ses agents à plaider coupable, et ont ainsi permis au DOJ de concrétiser leurs poursuites113.

La coopération, au-delà de permettre la conclusion des Accords avec les autorités, permet de diminuer la sanction ainsi prononcée. Ainsi, le GOC indique-t-il que l'amende infligée à une entreprise doit être réduite lorsque l'entreprise a « reporté les infractions aux autorités gouvernementales appropriées, pleinement coopéré pendant les investigations, ou clairement reconnu et accepté la responsabilité de son comportement criminel »114.

La politique de condamnation du DOJ et de la SEC permet également de dresser les contours d'une coopération efficace115. Celle-ci consiste d'abord à divulguer rapidement et volontairement les faits de Corruption. Cette divulgation doit évidemment être complète et suffisamment précise. Le DOJ et la SEC ne considèrent pas uniquement la divulgation des faits à leurs services, mais également au public, et aux « régulateurs internes à

l'entreprise ».

La coopération consiste aussi dans l'aide apportée aux enquêteurs des autorités de régulation. Cette aide se traduit non seulement par la soumission de l'entreprise aux demandes procédurales des enquêteurs, mais également par l'identification des faits dont il est question, la transmission des preuves de tels faits. Tout cela, dans le but de permettre une condamnation rapide.

Si la Compliance anti-Corruption a pour objet en aval de préserver l'intégrité économique de l'entreprise, elle constitue en amont un facteur de sa valorisation116. La Compliance d'entreprise doit, pour être optimale, dépasser son statut d' « obligation légale », à l'instar d'autres services entourant l'activité principale de l'entreprise. Cette considération entraîne deux conséquences. D'abord, la Compliance doit s'adapter à son environnement autant que

112 U.E. contre ABB Ltd, 29 septembre 2009.

113 Voir 107, supra.

114 U.S Sentencing Guidelines Manual, Section 8.5(g)(1), 2009.

115 Notamment au travers du U.S. Attorney's Manual de 2008 et du Report of Investigations Pursuant to Section 21(a) of the Securities Exchange Act de 1934, et du Report of Investigation Pursuant to Section 21(a) of the Securities Exchange Act of 1934 and Commission Statement on the Relationship of Cooperation to Agency Enforcement Decisions, du 23 octobre 2011.

116 M.E.BOURSIER, « Avant-propos » LPA, 20 novembre 2008 n°233, p. 3.

l'entreprise doit s'adapter à elle. Ensuite, une Compliance doit rechercher des apports autres que la simple gestion des risques.

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CHAPITRE QUATRIEME

LA DIMENSION FONCTIONNELLE DE LA

COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION

La Compliance a un rôle soumis aux contraintes imposées par la lutte contre la corruption à l'échelle mondiale. Ces contraintes entraînent des obligations pour l'entreprise, que celle-ci fait reposer sur le service de Compliance. Au vu de ce constat, la question de pose de savoir comment la Compliance doit se manifester au sein de l'entreprise, afin d'être intégrée à elle et non se mettre dans une position de porte-à-faux vis-à-vis des autres services.

Cette question trouve sa réponse dans le concept de culture de Compliance (Section I), mais ne doit jamais cesser de chercher à évoluer dans le sens de l'entreprise (Section II).

Section I. La notion de « culture de la Compliance »

Malgré le rôle que semblent parfois vouloir lui donner les autorités en charge de la lutte contre la Corruption, la Compliance reste avant tout un des organes de l'entreprise. Si celui-ci apparaît de plus en plus vital, il ne faut pas pour autant le laisser dégénérer. En effet, si l'un des rôles de la Compliance réside dans la gestion des risques, le premier de ceux-ci reste d'avoir une Compliance handicapante.

La question se pose dès lors de savoir comment la Compliance doit se mettre en place au sein de l'entreprise, malgré sa dimension ambivalente.

Avant de voir quels avantages peuvent être tirés d'une Compliance efficace (Sous-Section II), et comment celle-ci se met en place (Sous-Section III), il faut donc s'intéresser au risque lié à une Compliance inadaptée (Sous-Section I).

Sous-Section I. Les inconvénients d'une Compliance inadaptée

La Compliance sous ses différentes émanations (création du service, charge de travail supplémentaire pour les acteurs de l'entreprise, élaboration de procédures...) entraîne un certain coût financier. Par ailleurs, en tant que composante de l'entreprise, celle-ci poursuit le même but ultime que tous les autres services de cette entreprise, à savoir une certaine viabilité économique. Ces deux considérations sont une préoccupation majeure de la Compliance.

La Compliance a aussi vocation à interagir avec tous les services d'une entreprise puisque les risques que celle-ci combat peuvent apparaître à tous les niveaux et au sein de

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toutes les activités d'une entité économique. Bien évidemment, certains services sont plus sensibles à l'apparition des risques que d'autres. Cette affirmation est d'autant plus vraie si on se concentre sur la Compliance anti-Corruption. En effet, bien que cette infraction puisse potentiellement concerner n'importe quel membre de la société, les caractéristiques de la lutte contre la Corruption font que l'activité de la Compliance sera principalement tournée vers les départements les plus sensibles117.

Outre les risques liés aux poursuites qui ont déjà fait l'objet d'un développement, le premier risque d'une Compliance inefficace est un risque général d'atteinte à la performance économique de l'entreprise118.

Ce risque revêt plusieurs aspects.

Le premier de ceux-ci serait de confondre Compliance et conformité absolue de l'entreprise avec toutes les lois. Il apparaît impossible pour n'importe quelle entreprise d'envergure internationale d'anticiper et d'avoir le contrôle du comportement de tous ses membres. Si les Lois et le pouvoir étatique représenté au travers d'elles n'y parviennent pas, il semble tout à fait illusoire que l'entreprise puisse mieux faire.

La performance de l'entreprise peut également être altérée par une Compliance trop encombrante. Si l'établissement d'une Compliance passe par l'élaboration de procédures strictes, celles-ci ne doivent pas pour autant scléroser l'activité de de l'entreprise, notamment en imposant des processus « administratifs » démesurément chronophages.

Une Compliance trop pesante entraînera deux types de comportements nuisibles. Si les membres de l'entreprise soumis aux règles de Compliance suivent régulièrement des procédures trop longues par rapport à leur activité propre, cela entrainera immanquablement une perte de productivité de leur attribution première. L'autre possibilité est la naissance de comportements d'évitement et de camouflage de la non-conformité119.

Il est important de noter que le contournement des règles de la Compliance n'est pas un moindre risque. En effet, cela peut engendrer deux phénomènes délétères : le mimétisme et la contagion.

Le phénomène de mimétisme est celui par lequel un membre de l'entreprises, voyant un collègue mal faire et ne pas être puni, va reproduire son comportement. Il est par ailleurs plus fort lorsque le manquement vient d'une personne d'un haut niveau hiérarchique120.

Le phénomène de mimétisme va créer une « bulle anti-Compliance » au sein d'un service, d'un département ou encore d'un secteur géographique ; dont il est difficile de ne pas faire partie lorsque l'on est membre de la structure en question.

117 Notamment ceux concernés par des relations commerciales avec des partenaires extérieurs.

118 C. ROQUILLY & C. COLLARD, « De la conformité réglementaire à la performance : pour une approche multidimensionnelle du risque juridique », Septembre 2009.

119 Voir 117, supra.

120 S.A.HOLMES, M.LANGFORD, O.J.WELCH et S.T.WELCH, « Associations between internal controls and organizational citizenship behavior», Journal of Managerial Issues, 2002.

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Lorsque cette bulle « éclate », si une personne du service vient à en intégrer un autre, par exemple, cela va entraîner le second phénomène, de contagion. Celui-ci se traduit par une perte de confiance généralisée des employés de l'entreprise dans les procédures Compliance.

Puis, si cette culture de non-Compliance continue de proliférer au sein de l'entreprise, d'autres procédures que celles du domaine de la Compliance pourront être affectées ; ce qui entraînera à terme une remise en cause de la gestion même de l'entreprise par ses dirigeants.

Il existe également un risque supplémentaire dans la mise en place d'une Compliance trop importante résidant dans l'ineffectivité même du service de Compliance. En effet, l'élaboration d'une politique et de procédures de Compliance peut apparaître impossible à contrôler si les moyens (humains et financiers) du service de Compliance ne sont pas suffisants. Dans ce cas, il sera question de Compliance dite de façade, aussi appelée cosmétique ou « de papier »121. Une telle Compliance est considérée comme un manque de Compliance par les autorités de régulation de la Corruption.

Il faut donc adapter la Compliance aux caractéristiques de l'entreprise. Mieux, la Compliance doit être ajustée aux particularités de chacune des sous-entités qui composent l'entreprise. Autrement dit, il faut que des règles de Compliance propres à chaque sous-structure de l'entreprise soient établies.

Cependant, il faut garder à l'esprit une volonté de cohérence. Il s'agira toujours de rechercher l'harmonisation de la Compliance à l'échelle du groupe « entreprise » ; en même temps que la proportionnalité des obligations découlant de la spécificité de chaque sous-ensemble. Or, le seul moyen raisonnable de remplir cet objectif est d'impliquer tous les individus de l'entreprise dans une démarche commune basée sur des valeurs.

C'est ce qui est appelée la « Culture » de la Compliance.

Sous-Section II. La mise en place de la « Culture Compliance »

§1. La notion de Culture Compliance

Au-delà de la notion de « culture de conformité » exprimé par les représentants du FCPA122, se rapportant à la seule vision d'une Compliance efficace dans son respect des

121 « Paper procedure » en anglais, traduisant l'idée de règles de Compliance n'existant que « sur le papier ».

122 Voir P.AULINO, « Authorities Seen Casting Wide Net in Effort to Stem Bribery, Corruption », White Collar Crime report, 2011; citant C.E.CAIN, Assistant du Directeur de l'unité FCPA de la SEC et la « culture of compliance »

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Lois, la « Culture » Compliance est un concept de sensibilisation de tous les membres d'une entreprise à la lutte contre la Corruption123.

La Compliance anti-Corruption doit être l'affaire de tous les acteurs de l'entreprise et pas uniquement du service juridique ; et ce pour deux raisons majeures. La première vient des contraintes matérielles évidentes dans la mise en oeuvre des mécanismes de Compliance. A moins d'avoir un Agent de la Compliance124 AC ») en permanence derrière chaque employé - ce qui est financièrement impossible -, une partie au moins du processus de la Compliance doit être dévolue à des « non-juristes ». La seconde raison pour laquelle il ne serait pas pertinent de confiner la Compliance au seul service juridique est qu'il s'agit d'un sujet qui n'est pas que juridique (bien que l'étant en majorité).

La Compliance fait ainsi appelle à un certain nombre de valeurs morales. Ces valeurs, sont notamment celles inculquées par les institutions à l'origine de la lutte contre la Corruption. Mais elles sont également les valeurs de l'entreprise, acquises par toutes sortes de biais (volonté des membres fondateurs, historique et évolution de l'entreprise, volonté des dirigeants, passif pénal...). Ce sont toutes ces valeurs qui constituent le socle d'une « Culture » Compliance.

La « Culture » Compliance reste un concept assez abstrait en ce qu'il s'agit d'un état d'esprit censé concerner tous les acteurs de l'entreprise. Elle dépasse en cela les notions de « procédure » de Compliance, ou encore de « politique » de Compliance. Néanmoins, celle-ci a besoin de se concrétiser pour dépasser le simple état de « valeurs » et avoir une véritable influence sur l'activité de l'entreprise.

C'est ainsi que la matérialisation de la « Culture » Compliance va d'abord se réaliser au travers des codes éthiques.

§2. Les Codes éthique et anti-Corruption

Les codes éthiques sont en développement depuis les années 1980 et sont en pleine croissance125.

Ceux-ci se manifestent sous différentes appellations (codes, chartes, principes ; étiques, déontologiques, de bonne conduite, etc.). Selon l'étude de C. ROQUILLY126, les codes de conduites peuvent être de trois types : une déclaration de bonnes intentions, un outil pédagogique ou encore « substantiels » (énonçant les comportements interdits).

En définitive, la « Culture » Compliance est la résultante de ces trois types de prévisions. Il s'agit à la fois :

123 Ce qui est valable pour la lutte contre la Corruption l'est par ailleurs pour d'autres sujets d'éthique, tels que l'environnement, la sécurité, ou la Compliance prise de façon générale.

« Compliance officer » en anglais.

124

125 C. ROQUILLY, « Analyse des codes éthiques des sociétés du CAC 40. - Un vecteur d'intégration de la norme juridique par les acteurs de l'entreprise », Cahiers de droit de l'entreprise n°5, 2011.

126 Voir note 124, supra.

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- d'énoncer les « bonnes intentions », les valeurs socles de l'entreprise. Cela permet à

toutes les personnes concernées par le code de savoir clairement ce que sont les valeurs de l'entreprise et de fixer ainsi le cadre de la « Culture » Compliance127 ;

- d'en dégager un certain nombre de comportements prohibés. Cela permet une prise de conscience de l'existence de la règlementation, du fait que celle-ci soit doté d'un certain sens et qu'il est nécessaire que l'entreprise adopte un certain comportement face à cette donnée externe 128;

- d'avoir une approche pédagogique. Cela permet de mettre en perspective les valeurs

de l'entreprise par rapport aux obligations qui incombent aux membres de l'entreprise.

Les codes de conduite ne s'adressent donc pas uniquement aux salariés. Ceux-ci s'adressent aux « parties prenantes », définies par la norme ISO 26000 comme « l'individu ou groupe ayant intérêt dans les décisions ou activités d'une organisation »129. Concernant la Corruption, les parties prenantes seront donc : les salariés, les partenaires commerciaux et les investisseurs.

Ainsi, le code de conduite, outre la traduction écrite de la « Culture » Compliance, est aussi un moyen clair d'expliquer les raisons de l'existence de procédures spécifiques aux partenaires (telles que les due diligences). Le code peut aussi servir de vitrine pour les investisseurs soucieux de financer une entreprise viable en termes de respect des lois et véhiculant certaines valeurs.

Si le fait que le code de conduite permette une transcription concrète de la « Culture » Compliance et est un outil de sa promotion au sein de l'entreprise, celui-ci ne suffit pas à rendre la « Culture » Compliance effective.

§3. Les dispositifs de la mise en place de la « Culture » Compliance

Si la « Culture » Compliance a pour vecteur principal les codes éthiques, il est néanmoins nécessaire de concrétiser encore plus cette notion, pour rendre la « Culture » Compliance applicable opérationnellement.

Ce versant de la Compliance, qui adopte ici un rôle pédagogique, passe par des échanges entre les personnes en charge de la Compliance et les personnes dont l'activité est autre.

Ces échanges prennent souvent la forme de formations. Ces formations sont le meilleur moyen de diffusion de la « Culture » Compliance. Au cours de ces rencontres entres les acteurs directs de la Compliance et les autres acteurs, également concernés par cette problématique mais dont l'activité principale est autre, plusieurs objectifs sont poursuivis.

127 Voir J.Y. TROCHON, « les risques juridiques liés à la mise en place d'une démarche éthique dans l'entreprise », Cahiers de droit de l'entreprise n°4, juillet 2012.

128 Voir C. ROQUILLY & C. COLLARD, note 40 supra.

129 Voir F.VERDUN, « les risques juridiques liés à la mise en place d'une démarche éthique dans l'entreprise », Cahiers de droit de l'entreprise n°4, juillet 20 12.

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Le premier est de « dédiaboliser » la Compliance. Une contrainte est toujours moins bien perçue - et donc les gens moins enclin à la respecter - lorsque celle-ci apparaît comme illégitime. En ce sens, l'objectif des formations va d'abord consister en une phase de sensibilisation à la lutte contre la Corruption. Il s'agira alors de développer certains des différents points abordés jusqu'alors dans ce mémoire : les objectifs que poursuit cette lutte à l'échelle mondiale, les contraintes qui en découlent pour l'entreprise, puis ce en quoi consiste la Compliance dans leur entreprise matériellement et enfin, les valeurs promues.

L'objectif suivant sera de rapprocher la Compliance de l'individu. Bien entendu, la mise en avant de la sanction individuelle (autant disciplinaire que juridictionnelle) aura un rôle dissuasif. Mais ce n'est pas là le seul aspect de la Compliance à cette échelle. La Compliance doit en effet se baser sur un système volontariste, coopératif, ce qui demande une volonté personnelle des acteurs pour être réellement efficiente. La seule peur d'une sanction ne suffit pas toujours, et elle n'est certainement pas le meilleur moyen de fédérer les gens.

La Compliance doit donc se baser sur une volonté de collaboration entre la fonction de Compliance et les autres fonctions de l'entreprise. Cela se traduit notamment par l'apport de réponses aux questions de personnes qui ne sont pas issues de formations juridiques. Ces questions sont d'autant plus intéressantes, par ailleurs, en ce qu'elles permettent un regard extérieur sur la Compliance ; et donc d'adapter les procédures le cas échéant.

La Compliance nécessite la coopération des divers acteurs pour permettre l'implantation de cette coopération « interservices ». Cette collaboration ne peut s'installer de façon durable qu'en présence d'une « Culture » Compliance forte. Mais la Compliance doit conserver son aspect indépendant, au risque d'en perdre son caractère contraignant aux yeux de certains. Ainsi, plus le niveau hiérarchique de la fonction de Compliance est élevé, plus celle-ci sera susceptible d'avoir un effet positif sur la volonté de coopération130.

Enfin, la coopération des acteurs nécessaires à l'effectivité d'une Compliance pourra être facilitée en leur expliquant les avantages que celle-ci peut entraîner.

Sous-Section III. Les avantages de la Compliance

§1. L'optimisation des processus

Si la mise en place de la Compliance représente un coût, il faut d'abord la concevoir comme un investissement.131

Dès lors que la Compliance de l'entreprise est efficace, qu'elle ne rencontre donc pas les écueils d'une Compliance inadaptée à l'entreprise, il est alors possible de la concevoir comme créatrice d'avantages autres que la gestion du risque de poursuites légales.

130 M.DELMAS et A.KELLER, « strategic free riding in voluntary programs : The case of the US EPA Wastewise program», Policy Sciences, 2005.

131 R. SAINTE FARE GARNOT, « la conformité réglementaire et les programmes de Compliance », Cahiers de droit de l'entreprise n°2, mars 2010.

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La Compliance a d'abord un avantage qui est le reflet du risque d'atteinte à l'image de l'entreprise.

En effet, au-delà d'éviter la dégradation de l'image de l'entreprise provoquée par des poursuites judiciaires, la Compliance peut être un atout pour la réputation de l'entreprise. Développer une Compliance et surtout véhiculer cette image d'entreprise « Compliant » est d'autant plus important après une condamnation pour des faits de Corruption, afin de réinstaller la confiance des partenaires de l'entreprise.

Optimiser sa Compliance permet également à une entreprise d'accélérer les procédures de Compliance, de les rendre à la fois moins gourmandes en ressources et plus adaptées à l'entité qui y est soumise. Cela pourra par exemple se traduire par une rationalisation du déclenchement des procédures de due diligence. Cela peut aussi s'illustrer dans une négociation accélérée des clauses de Compliance au sein des contrats.

Avoir une Compliance efficace et reconnue comme telle aura aussi un impact vis-à-vis des assureurs, en diminuant là aussi des coûts qui ne sont pas directement liés à la lutte contre la Corruption.

Toujours concernant la diminution des coûts « externes », une Compliance suffisamment forte et développée permettra une diminution maximale liée à l'internalisation du processus de Compliance dans son entièreté (en ne confiant pas les divers rôles de la Compliance à des acteurs externes, notamment en ce qui concerne la formation, les vérifications de réputation par internet, etc.).

Enfin, les avantages de la Compliance anti-Corruption se retrouvent dans une catégorie à part entière liée à son rôle sur le marché concurrentiel.

§2. Un avantage concurrentiel

Optimiser sa Compliance revient non seulement à l'affiner pour qu'elle corresponde le mieux possible aux caractéristiques de son entreprise, mais également à chercher des avantages dans une Compliance « plus complète » que la loi.

Cela peut paraître paradoxal, dans la mesure où il apparaît qu'être en conformité totale avec les Lois déjà en place est impossible. Cependant, dépasser les exigences légales, dans certaines régions où la lutte contre la Corruption est faible, peut permettre sur le long terme d'influencer le législateur. Celui-ci pourrait en effet être incité, face à la démonstration d'une entreprise viable « malgré » une Compliance forte, de faire évoluer les normes de son Etat dans le sens d'une éradication de la Corruption.

Le législateur peut aussi être influencé d'une autre manière. De la même façon que les Etats-Unis ont étendu leur législation au monde entier, un Etat qui verrait ses entreprises défavorisées du fait de leur respect des valeurs honorables que sont celles de la lutte contre la Corruption, pourrait envisager des mesures visant à réduire l'écart entre « ses » entreprises et les entreprises concurrentes, en prenant les mesures légales nécessaires.

81

Dans ces deux situations, l'entreprise qui aura entrepris le développement d'une Compliance anti-Corruption mieux développée aura un avantage concurrentiel de taille par rapport à ses concurrents.

Le premier avantage est celui dit du « first mover »132. C'est-à-dire l'avantage procuré par l'entreprise leader dans le domaine qui se retrouve en position ultra-avantageuse, du fait que celle-ci s'assure une réputation inégalée pendant plusieurs années.

Mais au-delà de l'avantage réputationnel, les efforts économiques produits par les concurrents seront également très importants, du fait qu'une mesure mise en place volontairement est moins contraignante que si elle avait été imposée. Par ailleurs, la Compliance anti-Corruption étant en constante évolution, l'avantage gagné au départ sur les concurrents peut ne pas être comblé pendant des années si l'entreprise pilote continue d'améliorer sa Compliance.

Enfin, si ces perspectives sont très dépendantes du choix imprévisible du législateur, cela constituera néanmoins une marge de manoeuvre pour l'entreprise, face à une interprétation parfois incertaine des textes. Cela constituera également un avantage concurrentiel en termes de recrutements, puisque l'entreprise pourra attirer des profils rares dans le domaine de la lutte contre la Compliance anti-Corruption, qui ne seront ainsi plus aussi disponibles pour ses concurrents. Ceci est notamment vrai pour les juristes.

Section II. L'avenir de la Compliance, discipline du juriste pénaliste

Le terme « Compliance » est une notion large. Celle-ci peut désigner la matière même, ou bien le service en charge de ce sujet. En réalité, matière et sujets ont vocation à se confondre, dans le sens où il apparaît très clairement que la Compliance doit appartenir à un département spécialisé (Sous-Section I). Par ailleurs, cette notion est en voie d'évolution, et c'est en s'intéressant à l'avenir de la Compliance que son rôle aura enfin été défini dans son entièreté (Sous-Section II).

Sous-Section I. La Compliance, une fonction à part entière

Deux conceptions de la fonction de Compliance s'opposent133.

Il est tout d'abord possible d'imaginer la Compliance en tant que préoccupation de tous dans l'entreprise et n'étant donc pas l'attribution d'un service particulier. La « Culture »

132 Voir M.E.PORTER et C. VAN DER LINDE, « Towards a new conception of the environmenta-competitiveness relationship », Journal of Economic perspectives, 1995 ; Voir aussi Y. BEN YOUSSEF, K.JEBSI et G.GROLLEAU, « l'utilisation stratégique des instances de normalisation environnementale », Revue Internationale de Droit Economique, 2005.

133 Voir C. ROQUILLY & C. COLLARD, note 40 supra.

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Compliance se suffisant à elle-même en somme. Mais cette conception souffre plusieurs limites.

La première limite imaginable est un défaut organisationnel. Ainsi, si les procédures de Compliance ne sont pas centralisées cela paraît difficilement applicable à une entreprise de dimension internationale. En effet, en cas de mouvement de salariés dans l'entreprise, ceux-ci devront à chaque fois se réhabituer aux nouvelles pratiques de Compliance propres au nouveau service. Et comme il a été expliqué dans ce mémoire, certaines régions nécessitent une Compliance particulièrement contraignante du fait d'un risque de Corruption plus élevé.

La seconde limite est tout à fait insurmontable en matière de Corruption. Le FCPA impose ainsi l'établissement d'un Responsable de Compliance faisant le lien entre les dirigeants et le reste des personnes concernées par la Compliance anti-Corruption. Etant donné la charge de travail conséquente que cela représente, il est inconcevable que cette fonction de « Chef » de la Corruption ne soit qu'une attribution annexe à une personne qui aurait par ailleurs d'autres responsabilités importantes (puisqu'il a également été remarqué que la mise en place de la Compliance devait se faire à partir d'un haut niveau hiérarchique). La Compliance anti-Corruption doit donc être l'affaire d'un service dédié à cette problématique.

De plus, la Compliance anti-Corruption ne constitue pas une matière appartenant à un secteur professionnel unique. Si l'aspect juridique est certainement le plus important, la Compliance demande également de faire appel à des notions de management ; ou encore d'avoir des connaissances propres au domaine d'activité de l'entreprise. Ce cumul de prérogatives a pour conséquence une impossibilité de concevoir la Compliance comme une fonction annexe d'une autre fonction, d'autant plus si celle-ci n'est pas juridique.

Par ailleurs, puisqu'il est question d'éventuelles fonctions annexes, il faut noter que la lutte contre la Corruption reste avant tout une problématique juridique. En effet, les règles (au sens général) sur lesquelles s'appuie cette lutte sont des Lois. Ce sont plus précisément des Lois avec un attribut sanctionnateur. Au même titre qu'il apparaîtrait incongru de confier la gestion du système informatique d'une entreprise au service juridique, déléguer la Compliance anti-Corruption à des personnes dont le métier appartient au secteur de l'ingénierie ou du design ne semble pas pertinent.

Si ce raisonnement est poussé un peu plus loin, il est possible d'envisager la Compliance anti-Corruption comme une matière de prédilection des juristes de droit pénal des affaires. En effet, même si les sanctions prononcées sont officiellement de nature différentes (civiles, pénales ou administratives), de par les valeurs protégées par la lutte contre la Corruption et la procédure accusatoire employée aujourd'hui par les autorités effectivement en charge de la lutte contre la Corruption, il est possible de leur attribuer un caractère pénal.

L'appropriation de cette fonction par les juristes du droit pénal des affaires apparaît d'autant plus légitime au regard de l'évolution que devrait prendre la Compliance anti-Corruption dans les années à venir.

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Sous-Section II. La Compliance, une matière en devenir

§1. L'avenir de la Compliance au regard de l'évolution des sujets de préoccupation internationaux

La lutte contre la Corruption a vocation à devenir d'une importance comparable à celle de la lutte contre le blanchiment d'argent. La volonté affichée à l'échelle mondiale tend en effet à se concrétiser de plus en plus, initiée par la puissance d'un FCPA extrêmement efficace et effectif. Pour des raisons à la fois financières et morales, les Etats sont tous amenés à progresser dans la lutte contre la Corruption.

Au niveau de l'environnement mondial de la Compliance, la tendance est déjà au rapprochement avec le droit de la concurrence, comme l'ont montré certaines décisions récentes des autorités américaines134. Ces deux matières sont en effet proches sur plusieurs points, notamment en ce que la Corruption peut induire une atteinte au droit de la concurrence. Elles ont également en commun d'être sur une voie ascendante en termes de préoccupations internationale, et d'avoir une forte composante pénale.

La Corruption souffre également de l'absence d'une institution référentielle réellement identifiable, à la fois sur la scène française et sur la scène européenne. La situation européenne est d'ailleurs beaucoup trop en recul par rapport à l'état du droit anticorruption américain135. Les Etats ne semblent pas assez engagés dans cette lutte et pourraient avoir à le regretter économiquement s'ils ne se donnent pas les moyens de rivaliser avec les Etats-Unis. Le Royaume-Uni l'a déjà compris, comme l'illustre l'UKBA. Mais la France, en revanche, apparaît encore loin des exigences de l'ONU ou de l'OCDE136.

L'exemple de la lutte en matière de corruption est une bonne indication de ce que pourrait devenir le métier d'agent de Compliance en entreprise. En effet, le métier d'agent de Compliance existe déjà depuis quelques années au sein des organismes financiers, du fait de la règlementation spécifique à la LAB.

En prenant cette règlementation comme référentiel, il est notamment envisageable de créer une institution équivalente à l'AMF, compétente pour les faits de Corruption. Cette création ne serait même pas nécessaire, par ailleurs, si le SCPC était transformé en autorité administrative indépendante. Cela permettrait de doter ce service de pouvoirs d'enquête administrative tels que des possibilités de saisine, des pouvoirs de communication et d'enquête, ou encore un pouvoir de suivi137.

134 Voir E.U. contre INNOSPEC INC, 17 mars 2010 et E.U. contre BRIDGESTONE, 15 septembre 2011.

135 Rapport TI, « money, politics, power : corruption risks in Europe », 6 juin 2012

136 Voir le rapport OCDE à venir, s'inquiétant de la rareté des enquêtes et des sanctions en matière de lutte contre la corruption des fonctionnaires étrangers par des entreprises françaises. Il est important de noter, par exemple, le chiffre édifiant de 3 condamnations seulement, en 12 ans, pour corruption d'agents publics

étrangers. http://www.lexpress.fr/actualite/societe/l-ocde-epingle-la-france-dans-la-lutte-contre-la-
corruption_1153773.html.

137 Ce qui est notamment le cas de l'équivalent espagnol du SCPC, l'OAC (Office Antifraude de Catalogne). Voir le Rapport du SCPC pour l'année 2010 au premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

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L'absence d'une telle autorité pose plusieurs soucis. D'abord, l'effectivité de la lutte contre la Corruption est restreinte. Ensuite, les entreprises désireuses d'incrémenter leur dispositif de Compliance n'ont pas d'interlocuteur étatique (tel que Tracfin), et sont donc obligées de se tourner vers d'autres organismes, dont la légitimité n'est pas officielle. Enfin, l'absence d'agence anticorruption dans plusieurs Etats européens empêche la création d'un comité européen de lutte contre la corruption, à l'instar du « Committee of European Securities Regulators » regroupant les autorités de marché des pays membres de l'Union Européenne telles que l'AMF.

La création d'un tel organisme pourrait également entrainer une « officialisation » des agents de Compliance anti-corruption, telle qu'il en existe pour les agents anti-corruption. Cette « officialisation » qui se traduit sous la forme d'une certification AMF138, permettrait à la fois de rendre compte d'une réelle volonté politique de lutte contre la Corruption, mais également d'assurer aux entreprises la compétence des personnes qu'elles recrutent au sein de leurs services de conformité.

Outre la création d'un corps de métier, la rationalisation institutionnelle de la lutte contre la corruption permettrait également la mise en place de procédures claires, à l'image de celles en place pour les obligations de soupçons et de vigilances incombant aux organismes financiers139. Cela permettrait aux entreprises de mieux délimiter le cadre de leurs procédures internes, réduisant ainsi leurs coûts et rendant plus prévisibles les risques encourus. Cela permettrait encore une coopération de cet organisme avec les autorités étrangères, ce qui aurait l'avantage d'éviter un risque de condamnations en chaîne dont il est impossible de prévoir la fin.

La création d'une autorité administrative indépendante permettrait, en plus, de suppléer les tribunaux dans leur lutte contre la Corruption (qui est aujourd'hui quasiment ineffective). La création d'un règlement général comme celui de l'AMF serait aussi une évolution envisageable.

Par ailleurs, le Service central de prévention de la corruption (« SCPC »), aujourd'hui relativement discret, pourrait se voir reconnaître le statut d'autorité administrative indépendante, à l'instar de l'AMF.140 Il serait ainsi possible de reproduire le schéma déjà en place pour les domaines pénaux susmentionnés.

§2. L'Intelligence Compliance

L'Intelligence Compliance est le fait d'utiliser la Compliance dans des buts détournés de son objectif principal. A cet égard, l'utilisation de la Compliance dans une optique concurrentielle déjà décrite appartient à ce domaine.

Outre les effets induits sur la compétitivité qu'a la Compliance et qui ont fait l'objet d'un développement précédent dans ce mémoire, la Compliance peut jouer un rôle encore plus développé en matière de concurrence.

138 Article 313-7 et suivants du règlement général de l'AMF.

139 Articles L. 561-5-I et L. 561-15-I CMF du Code monétaire et financier.

140 P. MONTIGNY, « la lutte contre la corruption », Cahiers de droit de l'entreprise n°4, juillet 2010.

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L'intelligence Compliance pourrait, par exemple, être utilisée par les sociétés détenues par l'Etat, dans les pays où le gouvernement est facilement influençable, pour verrouiller le marché et donc porter atteinte à la concurrence. Cela pourrait s'illustrer tout simplement par la mise en place préalable de règles de Compliance strictes à l'intérieur d'une entreprise d'Etat, suivies par la création d'une norme calquée sur ces exigences en matière de Compliance.

La Compliance pourrait également être utilisée par des gouvernements détenant des entreprises fortes, ayant déjà un quasi-monopole de droit dans les secteurs concernés par la Corruption, comme en Angola, au Ghana, en Guinée Equatoriale, ou encore en Chine. Le mécanisme envisagé pourrait être la création d'une obligation de transmission de renseignements aux entreprises voulant opérer sur leur territoire, sous couvert de Compliance, afin de récupérer des informations clés.

Toujours dans le cadre de l'espionnage industriel, l'intelligence économique est une préoccupation majeure des entreprises commerciales. Par ailleurs, le recueil d'informations sous couvert de due diligence est un point à ne pas négliger.

En effet, ce processus a déjà une importance en ce qu'il peut déterminer, à terme, la réalisation d'un contrat ou son abandon. La crainte peut alors naître, chez un partenaire, de se voir refuser un contrat, en raison de son refus de transmettre des informations dans le cadre de la due diligence. Le danger peut également venir de la légitimité que la due diligence reçoit de la part des autorités en charge de sa lutte. En effet, là encore, la crainte d'apparaître comme réfractaire à la lutte contre la Corruption, en refusant de fournir des informations demandées dans le cadre de la due diligence, peut exister. Dans ces deux situations, l'entreprise peut alors commettre l'erreur de transmettre des informations confidentielles avec une portée concurrentielle.

La Compliance de l'entreprise est alors d'autant plus importante qu'elle connaît le droit anticorruption. Elle pourra alors savoir ce qui relève de la due diligence normale, et ce qui a vocation à dépasser cet objectif. La Compliance permettra, en plus, de communiquer en toute intelligence entre services respectifs de chaque entreprise ; en étant capable de motiver ses négociations avec des arguments solides.

Enfin, l'environnement mondial de la lutte contre la Corruption fournit un outil potentiellement dévastateur en matière de concurrence. En effet, de par la mise en place des dénonciations rémunérées, une entreprise concurrente pourrait profiter de ces mécanismes, afin de dénoncer un concurrent.

L'intérêt est triple : d'abord évincer un concurrent d'un marché (que ce soit avant la conclusion d'un contrat ou pendant, puisque les décisions des autorités dans le domaine de la Compliance peuvent décider de la résolution du contrat) ; ensuite lui infliger une perte économique très importante (à la fois à cause de la réalisation des risques directs et indirects développés précédemment) ; et enfin, récupérer une part de l'amende, puisque les mécanismes de dénonciation le prévoient.

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Cela suppose de remplir les conditions de la dénonciation imposées par l'UKBA ou le FCPA. Mais cela n'apparaît pas du tout insurmontable141, quand de telles sommes sont en jeu.

Là encore, le seul moyen de se prémunir contre ce genre de comportements est la mise en place d'un service de Compliance efficace, puisque c'est la seule limite existante à la fois légalement et factuellement pour lutter contre ce risque.

Enfin, la clause d'audit en matière de Compliance apparaît comme une arme d'intelligence économique sans réelle limite. Ce type de clause est en plus appuyé par des décisions importantes prononcées dans le cadre du FCPA142. Ces clauses prévoient la possibilité, pour une partie au contrat, de se faire communiquer toutes les pièces qu'elle juge nécessaires, en cas de soupçons d'infractions à la législation contre la Corruption.

Il n'existe aujourd'hui aucun contrôle réel de ce type de clauses, et le seul moyen de s'en prémunir est d'avoir une Compliance suffisamment forte pour qu'aucun fait de Corruption ne se produise dans le cadre de ces contrats.

§3. La Compliance d'entreprise ayant vocation à s'élargir d'autres thématiques

L'avenir de la Compliance réside non seulement dans l'évolution de la lutte contre la Corruption ou dans les applications détournées que l'on pourrait en faire, mais également dans l'élargissement de son champ de compétences.

Ainsi, le droit pénal de la concurrence s'est-il déjà fortement rapproché de la problématique du droit de la Corruption. Ce rapprochement est également renforcé par le fait que le droit de la Corruption est de plus en plus présent en matière de fusions et acquisitions143. Ces deux problématiques pourraient donc, dans les prochaines années, faire partie des missions de la Compliance.

La Compliance anti-Corruption est également proche de la lutte contre le blanchiment d'argent. Elle en est proche car la lutte contre la Corruption semble épouser les formes de la LAB. Elle en est également proche du fait que l'infraction de blanchiment d'argent permet de sanctionner l'utilisation de l'argent issue de la Corruption, a posteriori. Par ailleurs, il est fort probable que les organismes financiers soient frappés de plein fouet par une série de sanctions contre leur secteur d'activité, dans le cadre de la lutte contre la Corruption144. Plus encore, ceux-ci pourraient être poursuivis pour recel de Corruption. D'un autre côté, les

141 Voir Z.FARDON & E.SWIBEL, « The Dodd-Frank Act's Whistleblower Bounty Provision - A Primer »,

2011.

142 Voir E.U. contre PANALPINA, 4 novembre 2010 ; et E.U. contre RAE SYSTEMS INC., 10 novembre 2010.

143 Voir E.U. contre BIZJET INTERNATIONAL SALES AND SUPPORT, INC., 2012 et E.U. contre LUFTHANSA TECHNIK AG, 2012. Dans ces affaires, le DOJ impose aux entreprises de dénoncer tous les faits de corruption commis par la société absorbée, dont ils auraient connaissance après l'opération de fusion ou acquisition.

144 De grands groupes financiers sont actuellement sous investigations de la part des autorités du FCPA, tels que THE GOLDMAN SACHS GROUP INC ou ALLIANZ SE.

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entreprises non financières sont également exposées aux risques de blanchiment d'argent145.

Un rapprochement de ces deux matières, Compliance anti-Corruption et Compliance anti-Blanchiment d'argent, est donc tout à fait envisageable. Le mécanisme de due diligence est, par exemple, quasiment le même pour les deux types d'entreprises ayant à connaître ces problématiques.

De façon plus générale, la Compliance pourrait avoir vocation à élargir son champ de compétence à tout le droit pénal des affaires.

Le droit de la concurrence est déjà considéré par les services de Compliance comme une problématique de demain. Des matières telles que l'abus de biens sociaux, l'abus de confiance, l'escroquerie ou encore le vol sont très proches de la Corruption (que ce soit dans les éléments constitutifs et dans les moyens à mettre en place pour les anticiper).

Plus encore, la vocation pédagogique de la Compliance à sensibiliser les acteurs de tous niveaux hiérarchiques dans la société aurait tout à fait sa place dans des matières telles que le droit boursier (délits et manquements d'initié, de diffusion d'informations fausses ou trompeuses, voire de manipulation de cours) ; le droit pénal des sociétés (majoration des apports en nature, les infractions lors de la liquidation des filiales comme la banqueroute et les infractions satellites) ou encore le droit de la consommation (publicités trompeuses). Ces sujets de droit pénal ont des spécificités qui se retrouvent dans l'infraction de Corruption (notamment en ce qui concerne les délais de prescription particuliers, la responsabilité prépondérante de la personne morale, mais aussi et surtout le fait qu'ils soient de la compétence de tribunaux spécifiques, comme le pôle financier du parquet de Paris).

Il est même envisageable que la Compliance devienne, dans les années à venir, le service juridique responsable de la gestion de tous les risques pénaux auxquels est exposée une entreprise (au sens large, en incluant donc les sanctions civiles sur des fondements pénaux). En effet, le triptyque prévenir/agir/réagir, propre à la Compliance trouve une application de choix pour la gestion des potentielles infractions dont l'entreprise pourrait être l'auteur ou la victime.

De plus, le positionnement de la Compliance, en tant que service interne à l'entreprise, mais dont le rôle est aussi de contrôler les comportements des acteurs de l'entreprise, est tout à fait particulier. Ce rôle est nécessairement tenu par les services en charge du respect, par les membres de l'entreprise, de contraintes externes dont la nature diffère de celle de l'activité de l'entreprise. Et ces contraintes sont essentiellement des normes pénales, puisque la nature même du droit pénal est d'assurer le respect, par des sanctions, d'intérêts supérieurs à l'entreprise.

De cette façon, une entreprise a tout intérêt à confier à son service de Compliance toutes les problématiques de ce type146, et donc du droit pénal de l'entreprise. Le savoir-faire développé à la fois dans l'élaboration de procédures adaptées à l'entreprise ; mais

145 Elles ne peuvent cependant pas faire de déclarations de soupçons à Tracfin, ni lui demander des renseignements.

146 En plus du droit pénal des affaires classiques, le droit pénal de la presse, le droit pénal de l'environnement ou encore le droit pénal du travail sont autant de matières tout à fait indiquées pour les missions d'un service de Compliance.

également la transmission des valeurs aux autres acteurs de l'entreprise ; et enfin le statut sanctionnateur de la Compliance sont autant de raisons de confier à ce service un nombre de missions liées au droit pénal les plus importantes possibles.

88

89

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CONCLUSION

La Compliance d'entreprise en matière de Corruption se doit de concilier deux objectifs.

Le premier est celui qui lui est imposé par les instruments normatifs à dimension nationale ou supranationale. Cet objectif, utilise l'argument de la défense de valeurs morales, telles que la lutte contre la pauvreté, un environnement économique mondial plus sain, une libre concurrence juste, pour justifier une lutte qui, lorsqu'elle est effective, semble défendre des intérêts propres à ceux qui la mette en place.

Se faisant, le rôle de la lutte contre la Corruption revient en définitive à l'entreprise, qui se voit imposées des obligations normalement dévolues aux systèmes juridiques étatiques. Les Etats en question se contentent alors de vérifier la bonne application par les entreprises de cette obligation de gestion de la Corruption à petite échelle. Cet état de fait permet d'ailleurs d'expliquer le faible nombre de condamnations de personnes physiques pour des faits de Corruption. Ces condamnations, quand elles ont eu lieu, ont en plus été consécutives à une coopération de l'entreprise avec les autorités judiciaires (entendez par là que les entreprises ont fait un travail d'enquête suffisant, à la place des autorités, pour permettre à celles-ci de procéder à une condamnation déjà toute faite).

Les conséquences de cette lutte si particulière n'en sont pas moins bénéfiques à l'échelle mondiale. En effet, la prise de conscience des Etats semble actée ; en tout cas l'est-elle pour les Etats les plus avertis, tels que le Royaume-Uni. Mais si ces résultats semblent probants, puisqu'ils entraînent la mise en place dans les entreprises concernées de service de Compliance, il n'en reste pas moins que si la lutte devait continuer vers une agrégation de lois fortement contraignantes et la continuité de l'irrespect du principe de non bis in idem, la situation deviendrait réellement insupportable pour les entreprises. Même celles capables de mettre en place une Compliance performante dans l'entreprise.

Car la deuxième contrainte reposant sur la Compliance est là : celle-ci doit avant tout protéger l'entreprise. La Compliance anti-Corruption se doit donc de faire une analyse approfondie de toutes les normes s'imposant à elle, dans tous ses secteurs d'activité et dans toutes les zones géographiques où elle opère.

Mais cette analyse ne doit pas servir uniquement à connaître toutes les règles en matière de Corruption et à les faire appliquer à la lettre à son entreprise. Ce n'est pas le rôle de l'entreprise que de faire appliquer les lois. Son rôle peut être de les respecter, mais même dans cette conception, il ne s'agit pas là de l'objectif premier d'une entreprise. La raison d'être d'une entreprise est son objet social. Et son objectif est de le réaliser en étant économiquement viable.

Ainsi, la seule relation qu'a une entreprise avec la règlementation en matière de Corruption, c'est de mettre en place les mesures nécessaires pour que sur le long terme celle-ci se retrouve avec un bilan économique positif. Bien entendu, ce bilan ne se cantonne pas à retrancher du montant des bénéfices réalisés grâce à la Corruption l'amende qu'elle devra payer au final. En effet, le coût de non-Compliance aux règles en matière de

91

Corruption va bien au-delà. L'image d'une entreprise internationale est peut-être son bien le plus précieux. Une atteinte à cette réputation a des conséquences souvent bien plus désastreuses que l'amende que l'entreprise devra payer. Même lorsque celle-ci se chiffre en milliards de dollars.

Non, le bilan que doit faire l'entreprise est celui entre, d'un côté, le coût de la mise en place d'une Compliance efficace et les risques qu'elle choisit de prendre en connaissance de cause (grâce à la Compliance) ; et d'un autre côté, les avantages retirés par cette Compliance efficace (et permettant donc d'aller au-delà des raisons premières de sa création), et l'argent obtenu dans le cadre du contrat pour lequel le risque a été mesuré.

La mise en place d'une Compliance démesurément couteuse ne remplirait ainsi pas les objectifs à court terme de l'entreprise, puisqu'elle perdrait de l'argent dans un bilan coût/avantage. Mais en plus, elle ne remplirait pas les objectifs à long terme de la lutte contre la Corruption à l'échelle mondiale. En effet, ce n'est pas en faisant péricliter son entreprise, ou plus probablement, en provoquant des phénomènes d'évitement de la Compliance au sein de l'entreprise que la sphère économique ira mieux.

En réalité, la Compliance n'est pas qu'une question financière. A commencer par le fait que celle-ci ne peut prospérer uniquement en opposition à une peur de sanction de la part du législateur. Cela ne fonctionne pas pour n'importe quel crime de droit commun et n'a pas de raison de fonctionner convenablement pour la Corruption, d'autant plus que les Etats « sous-traitent » cette lutte aux entreprises.

A l'échelle de l'entreprise, si la Compliance peut trouver sa place et assumer son rôle, cela ne peut se faire qu'au travers d'échanges avec les autres acteurs de l'entreprise. A l'échelle du monde, la lutte contre la Corruption ne pourrait pas être acceptée par les différents opérateurs si elle n'était pas justifiée par des valeurs morales.

Car en effet, ce qui permet, au final, de permettre la conjugaison entre les pressions internationales, d'un côté, et les contraintes de l'entreprise, de l'autre, ce sont ces valeurs ; qui semblent pourtant si idéalistes.

A moins que l'économie de marché n'ait fait disparaître tout cela ; et qu'il ne s'agisse que du dernier refuge de la rêverie mythologique...

92

93

94

Principales sources et références

bibliographiques

Cahiers de droit de l'entreprise, Lexis Nexis

FCPA Blog : http://www.fcpablog.com/

FCPA Professor (Mike KOEHLER) : http://www.fcpaprofessor.com/

FCPA SETTLEMENT, INTERNAL STRIFE, AND THE « CULTURE OF COMPLIANCE », J.W. YOCKEY

La Semaine juridique Enterprise et Affaires, Lexis Nexis Les Petites Affiches, Lextenso

PLAN NOW OR PAY LATER : THE ROLE OF COMPLIANCE IN CRIMINAL, CASES, J. MARTIN, R.D. MACCONNELL & C.A SIMON.

Site officiel de l'OCDE : www.oecd.org/fr/

Site officiel de l'ONU : www.un.org/fr/

Site officiel de la SEC : www.sec.gov/

Site officiel du DOJ: www.justice.gouv.fr

Site officiel du gouvernement français : www.gouvernement.fr/

Légifrance : www.legifrance.gouv.fr/

Site officiel de Transparence Internationale : www.transparency.org/

De la conformité règlementaire à la performance : pour une approche multidimensionnelle du risque juridique, C. ROQUILLY & C. COLLARD.

Droit pénal des affaires 2012, éditions Lamy.

Site officiel du GIACC : www.giaccentre.org/

Site officiel de l'Union européenne : europa.eu/index_fr.htm

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ANNEXES

96

97

Annexe 1. Nombre de condamnations par la SEC et le DOJ de 2003 à 2007

 

2007

 

2006

 

2005

 

2004

 

2003

DOJ

 

SEC

DOJ

 

SEC

DOJ

 

SEC

DOJ

 

SEC

DOJ

 

SEC

18

20

7

8

7

5

2

3

2

0

98

99

Annexe 2. Indicateur mondial de la Corruption selon Transparence Internationale

Annexe 3. Classement des dix amendes les plus élevées infligées par les autorités américaine au 3 aout 2012

1. SIEMENS (Allemagne):
800 millions de dollars en 2008.
2. KBR / HALLIBURTON (Etats-Unis):
579 millions de dollars en 2009.
3. BAE (Royaume-Uni):
400 millions de dollars en 2010.
4. SNAMPROGETTI NETHERLANDS B.V. / ENI S.P.A (Pays-Bas/Italie):
365 millions de dollars en 2010.
5. TECHNIP S.A. (France):
338 millions de dollars en 2010.
6. JGC CORPORATION (Japon):
218,8 millions de dollars en 2011.
7. DAIMLER AG (Allemagne):
185 millions de dollars en 2010.
8. ALCATEL-LUCENT (France):
137 millions de dollars en 2010.
9. MAGYAR TELEKOM / DEUTSCHE TELEKOM (Hongrie/Allemagne):
95 millions de dollars en 2011.
10. PANALPINA (Suisse):
81,8 millions de dollars en 2010.

Source : R.L. CASSIN, FCPA Blog.

http://www.fcpablog.com/blog/2012/8/3/who-will-crack-the-top-ten.html.

100

Annexe 4. Exemple de calcul d'une amende dans le

cadre du DPA entre ABB Ltd et le DOJ (en anglais)

101

102

responsibility fpr its criminal conduc:t. - 3

TOTAL 5

e, L'alohltionuifine Range

Base Fine $28,5O0,000

Multipliers 1.0 (min)! 2.0 (max)

Nine Range $28,500,00 ($57,000,000

7, The Fraud Section and ABB Ltd agree that an application of the
Sentencing Guidelines to determine the applicable fine range For ABB Ltd - Jordan yields the following arralysis:

a.

Guideline Manual '1 he 2009 USSO are applicable.

b. RaOtfse Elnsed uport USSG § 2Bl.l, the total offense level is 23, calculated as followsï

(a)(1) Base Offense Level 7

(h)(l) Specific Offense Characteristic
(> $4013,0Û0 in profits, § 2B1,1

comment. (n. 3(B))). + 14

(b)(9B) Specific Offense Characteristic

A substantial part of a fraudulent scheme

was committed from ouEside the U.S. +2

TOTAL 23

e. Bre Fine Based upon USW 8c2.4(a)(1) and (rl), the base
fine is $1,600,000 (fine corresponding, to the Base Offense level of23 as provided in Offense Level Table).

104

Table des matières

SOMMAIRE 7

LISTE DES ABREVIATIONS UTILISEES 8

CHAPITRE PREMIER LE CADRE INSTITUTIONNEL DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION 20

SECTION I. L'ÉVOLUTION DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION : UN PHÉNOMÈNE RÉCENT 20

§1. Contexte historique récent 20

§2. Une prise de conscience concrète du problème de la corruption par les différents acteurs mondiaux 22

§3. Les grandes lignes de l'avenir de cette lutte 23

SECTION II. L'ENVIRONNEMENT JURIDIQUE DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION 24

Sous-Section 1. L'environnement juridique « Hard Law » de la lutte contre la Corruption 25

§1. Présentation de la Hard Law 25

§2. Les caractéristiques des normes étatiques au travers de l'exemple français 25

§3. La Banque Mondiale, le FCPA et le UKBA comme institutions chargées de la lutte contre la Corruption à

l'échelle mondiale 28

Sous-Section 2. La « Soft Law » dans la lutte contre la Corruption 30

§1. Présentation de la Soft Law 30

§2. Les principaux organismes émetteurs de Soft Law 30

§3. La place ambigüe de la Soft Law 31

SECTION III. LES FINALITÉS AFFICHÉES DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION 32

§1. Une finalité très idéologique 33

§2. La délégation aux entreprises d'un rôle étatique 34

CHAPITRE DEUXIEME LA DIMENSION NORMATIVE DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION 35

SECTION I. LE DÉLIT DE CORRUPTION TEL QUE PRÉVU PAR LES TEXTES 35

Sous-Section I. La notion de Corruption 35

§1. Les caractères généraux de la Corruption 35

§2. Les infractions connexes à la Corruption 37

Sous-Section II. Les différentes formes sous lesquelles se présente la Corruption 39

§1. Les risques de Corruption pendant la phase préalable au contrat 39

§2. Les risques de Corruption pendant l'exécution du contrat 40

§3. Les risques de Corruption lors de la résolution du contrat 40

§4. Les situations de Corruption hors contrat 41

SECTION II. L'APPLICATION PRATIQUE DES NORMES ANTI-CORRUPTION 41

Sous-Section I. Les incertitudes des caractéristiques de la Corruption 42

§1. La notion d'Agent Public 42

§2. La notion de paiements de facilitation 43

§3. Une responsabilité « en cascade » 44

Sous-Section II. L'omnipotence de la régulation étatsunienne 44

§1. Les raisons de l'importance mondiale du droit des Etats-Unis en matière de lutte contre la Corruption au

sein des entreprises 44

§2. Le traitement des conflits par les autorités américaine : rapidité et exemplarité 45

SECTION III. LA PRÉDOMINANCE DES ETATS-UNIS RÉVÉLATRICE D'UNE POLITIQUE DE CONCURRENCE NORMATIVE 47

§1. Une volonté idéologique de façade 47

§2. Les limites géopolitiques à cette politique 49

CHAPITRE TROISIEME LA DIMENSION ORGANISATIONNELLE DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION ... 54

SECTION I. LE TRIPTYQUE DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION : PRÉVENIR, AGIR, RÉAGIR 54

105

Sous-Section I. Les moyens de prévention mis en place par la Compliance 54

§1. La Due Diligence 54

A. La notion de due diligence 54

B. Les Drapeaux Rouges 55

C. Les outils de due diligence 56

§2. Les autres dispositifs de prévention de la corruption en entreprise 57

Sous-Section II. Les moyens d'action et de contrôle au bénéfice de la Compliance 58

§1. Les diverses procédures de détection de la Corruption 58

§2. La « dénonciation » 60

Sous-Section III. La réaction de la Compliance à la découverte d'un acte de Corruption 61

§1. La réaction interne à l'entreprise 61

§2. La réaction de l'entreprise avec ses interlocuteurs 62

SECTION II. LES RISQUES DE NON COMPLIANCE 63

Sous-Section I. La Compliance d'entreprise en tant que protection de l'entreprise 63

§1. Les risques directs : les poursuites légales 64

§2. Les risques économiques indirects 65

A. Les risques commerciaux 65

B. Les risques d'atteinte à la réputation de l'entreprise 66

C. Les risques de « poursuites » en chaîne 67
Sous-Section II. La Compliance d'entreprise dans le calcul des sanctions et l'importance de la

coopération 69

§1. Le calcul des sanctions par le DOJ 69

§2. La diminution des sanctions grâce à une Compliance efficace 70

§3. La coopération de l'entreprise avec le régulateur 70

CHAPITRE QUATRIEME LA DIMENSION FONCTIONNELLE DE LA COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION 74

SECTION I. LA NOTION DE « CULTURE DE LA COMPLIANCE » 74

Sous-Section I. Les inconvénients d'une Compliance inadaptée 74

Sous-Section II. La mise en place de la « Culture Compliance » 76

§1. La notion de Culture Compliance 76

§2. Les Codes éthique et anti-Corruption 77

§3. Les dispositifs de la mise en place de la « Culture » Compliance 78

Sous-Section III. Les avantages de la Compliance 79

§1. L'optimisation des processus 79

§2. Un avantage concurrentiel 80

SECTION II. L'AVENIR DE LA COMPLIANCE, DISCIPLINE DU JURISTE PÉNALISTE 81

Sous-Section I. La Compliance, une fonction à part entière 81

Sous-Section II. La Compliance, une matière en devenir 83

§1. L'avenir de la Compliance au regard de l'évolution des sujets de préoccupation internationaux 83

§2. L'Intelligence Compliance 84

§3. La Compliance d'entreprise ayant vocation à s'élargir d'autres thématiques 86

CONCLUSION 90

PRINCIPALES SOURCES ET REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 94

ANNEXES 96

ANNEXE 1. NOMBRE DE CONDAMNATIONS PAR LA SEC ET LE DOJ DE 2003 À 2007 98

ANNEXE 2. INDICATEUR MONDIAL DE LA CORRUPTION SELON TRANSPARENCE INTERNATIONALE 99

ANNEXE 3. CLASSEMENT DES DIX AMENDES LES PLUS ÉLEVÉES INFLIGÉES PAR LES AUTORITÉS AMÉRICAINE AU 3 AOUT 2012

100
Source : R.L. CASSIN, FCPA Blog. http://www.fcpablog.com/blog/2012/8/3/who-will-crack-the-top-ten.html.

100

ANNEXE 4. EXEMPLE DE CALCUL D'UNE AMENDE DANS LE CADRE DU DPA ENTRE ABB LTD ET LE DOJ (EN ANGLAIS) 101

106

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote