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L'abà¢à¢, corps de garde et espace de communication chez les Fang d'Afrique centrale. Une préfiguration des réseaux sociaux modernes.

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par Gérard Paul ONJI'I ESONO
Université de Yaoundé II Cameroun - Master 2015
  

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2. Siège des pouvoirs Exécutif-Législatif-Judiciaire

Le fait que chaque Abââ soit placé sous l'autorité d'un homme, aîné62(*) du village, dont le pouvoir découle des anciens et pas forcément de l'autorité administrative, comme c'est le cas des chefferies dites « traditionnelle » d'aujourd'hui, est significatif. Il s'agit, au-delà de cette matérialisation par un "hangar", de l'institution la plus grande du village Fang. C'est dans ce sens que Pierre Claver ZENG clamait que « rien de ce qui est grand ne génère hors de l'Abââ ». En effet, pour appuyer ce point de vue, Grégoire BIYOGO entoure l'Abââ d'une aura plutôt fédératrice et symbolique. Selon lui, l'Abââ est également « le lien social par excellence dans un village Ekang, il est explicitement comme symbole de l'ordre qui régit le village. A telle enseigne qu'on peut juger un village étranger du premier coup d'oeil, à l'ordre et à la propreté qui y règnent ».63(*) C'est à travers l'Abââ que le village se donne une renommée ou un nom, comme le soutiennent Jean Marc NDONG ONDJI'I et Marcel ONDJI'I NDONG64(*) : « l'on rattache même généralement chaque Abââ à des individus réputés et célèbres, les chefs en l'occurrence, par exemple : l'Abââ de NGEMA MBA au point de faire abstraction du nom même du village ».

Mais, la précision importante à y apporter est que le tout n'était pas qu'il soit simplement aîné en âge ; il devait également être reconnu comme un nyambôrô65(*). En effet, si naturellement les anciens léguaient les destinées des villages à des successeurs, congénères ou descendants les plus âgés, ils sont quand même arrivés à marquer une prudence sur ce mode de transmission du pouvoir. C'est alors exceptionnellement que, si un aîné ne revêtait pas la dimension mythique et mystique de nyambôrô, on lui préférait un cadet plus prédisposé, aux yeux des anciens, à remplacer celui-ci en cas de décès ou d'incapacité à conduire l'Abââ du village. A Mebem par exemple, le village est resté sans guide à la mort de son chef, Paul ONJI'I ESÔNÔ66(*)décédé depuis le 08 août 1974. Ce dernier avait « une personnalité et un caractère tellement forts que ses pairs n'ont pas pu lui désigner un successeur, jusqu'à ce jour ».

Ceci démontre à suffisance que le nyambôrô de l'Abââ est investi de tous pouvoirs par ses pairs. Son autorité s'étend à tous les niveaux de la vie du village. Sous l'Abââ, il incarne l'exécutif, régnant en véritable chef du village, avec l'onction des anciens. De manière concrète, les décisions ou orientations politiques prises de manière concertée et consensuelle ont force de loi sur le village. C'est à l'Abââ que s'élaborent la politique intérieure et extérieure, l'image et le positionnement du village comme entité évoluant dans une contrée comprenant d'autres villages. L'Abââ initie des décisions pour l'intérêt de la communauté et s'assure de leur mise en oeuvre.

Agissant dans la posture de tribunal par exemple, le différend est porté à l'Abââ par le plaignant selon la procédure qui veut que celui-ci saisisse d'abord le nyambôrô du village et lui explique la situation ; c'est lui qui juge de l'opportunité de réunir ses pairs pour connaître le problème. Les faits sont exposés publiquement à l'Abââ et le verdict est aussi rendu surplace. Toutefois, il ne faut pas s'attendre à ce que la sentence départage les deux parties dans le sens de désigner un coupable et un gagnant. En général, c'est par des paraboles et des proverbes que l'on fait comprendre à tout le monde en faveur de qui la balance de la justice s'est penchée. Dans une logique qui participe de décourager les personnes à se lancer dans un conflit, chez les Fang, il est de notoriété publique qu'un aîné n'a jamais tord vis-à-vis d'un cadet ; qu'il ait tort ou raison, l'aîné a toujours le dessus afin qu'il ne perdre pas la face ou son autorité devant un cadet.

Lorsqu'il s'agit d'un conflit opposant un habitant du village à unétranger, la défense du concerné est endossée par le chef, après concertation avec les autres anciens. Dans toutes les situations aussi importantes que banales, le nyambôrô est le seul porte-parole de la communauté.

Il peut se glisser comme une considération misogyne ou phallocratique de l'Abââ en ce sens que les femmes sont mises à l'écart. Il est à souligner que la prise en compte de la femme aux débats de l'Abââ se fait par personne interposée. Les femmes, conscientes que l'Abââ n'est pas leur lieu d'expression, communiquent généralement leur point de vue à leurs époux sur une situation qui sera débattue. Ainsi, pour s'assurer que leur avis est pris en compte, chacune contrôle que son mari reporte son point de vue à travers une autre personne membre de cet Abââ ; il pourrait alors s'agir d'un de ses beaux-frères. De toute manière, un compte rendu des différentes interventions et de la décision finale est rapporté aux femmes dans les échanges qui vont suivre. Ainsi, la femme participe à la vie politique du village sans forcément être présente lors des assises des hommes à l'Abââ. Il ne s'agit donc pas d'exclusion, mais de l'expression de l'organisation particulière de la société fang selon ses normes traditionnelles.

En revanche, pour que la femme (épouse) soit intégrée dans le clan ou le village, il faut, qu'au cours d'une cérémonie solennelle, sa famille négocie qu'elle soit présentée au clan de son époux sous le corps de garde. En effet, « la femme va apparaître au public au son de la musique, qui peut être celle des balafons, des tambours et tam-tam, lorsque le matériel de musique moderne n'est pas accessible. Après cette sortie en public, les festivités continuent avec la remise des cadeaux aux visiteurs après qu'ils ont « habillé » la case de leur fille de tout ce qu'ils ont destiné à propos. On appelle ces cérémonies de remise de la femme « Yala », « éliri » et « ékulu abaa »67(*). Dès lors, la femme qui a reçu cette onction a désormais sa place à l'Abââ, autant que les hommes du village.

Pour leur part enfin, les garçons adolescents, en séjournant à l'Abââ, s'initient à la sagesse et à la connaissance de la culture.

* 62C'est le droit d'aînesse qui régit en général les rapports entre les membres de la communauté.

* 63BIYOGO, G., Encyclopédie du Mvett. Tome I. Du haut Nil en Afrique Centrale, le rêve poétique et musical des Fang Anciens : la quête de l'éternité et la conquête du logos solaire, Paris, Ciref-Icad, 2000, Rééd. Ménaibuc, 2002, p. 33.

* 64 Les personnes citées sont âgées toutes les deux de 74 ans aujourd'hui. L'auteur s'est entretenu avec ces témoins vivants sous leur Abââ à Mebem, arrondissement de Ma'an, le 22 juillet 2011 de 11h30 à 15h 15 mn.

* 65 Littéralement, cette expression signifie nya(vrai) mbôt(Homme) nyambôrô = vrai homme. Pour mieux comprendre, il faut considérer considérerl'homme dans son paraitre et dans son être. En fait, le « vrai homme » est un idéal, celui par lequel l'on s'identifierait pour faire montre de beaucoup de sagesse dans la parole, le comportement, la gestion des avoirs, etc. afin de mériter le respect de toute la communauté.

* 66Feu ONJI'I ESÔNÔ Paul, ancien chef du village de Mebem dans l'arrondissement de Ma'an au sud du Cameroun, décédé le 08 août 1974, évoqué par Richard ONDJI'I TOUNG au cours de l'entretien accordé à l'auteur le 08 août 2011 à Mebem.

* 67Source : www.culturevive.com/betifang/presentation, consulté le 09 septembre 2011.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams