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L'abà¢à¢, corps de garde et espace de communication chez les Fang d'Afrique centrale. Une préfiguration des réseaux sociaux modernes.

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par Gérard Paul ONJI'I ESONO
Université de Yaoundé II Cameroun - Master 2015
  

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7. REVUE DE LITTERATURE

Deux principaux concepts se côtoient dans de ce travail. Il s'agit de l'Abââ et du réseau social. Ces deux réalités ont fait chacune, séparément, l'objet de réflexions et travaux scientifiques, même si la première peut présenter un champ moins exploré que la seconde.

En ce qui concerne l'Abââ, c'est une chanson populaire de l'artiste-musicien Pierre Claver ZENG11(*) centrée sur la thématique de l'Abââ qui réveille cette institution dans l'imagerie collective. Son oeuvre est principalement inspirée de la littérature orale fang qui pose les jalons de la définition de l'Abââ comme un « espace mythique et même mystiqueoù tout génère ». Reprenant à son tour la définition de l'Abââ, MVE BEKALE propose que cette institution de la culture fang soit perçue comme la « maison des hommes, véritable centre géographique et symbolique du village, d'où s'origine toute la culture fang »12(*)

De ces considérations qui consacrent l'Abââ comme espace ou centre, les deux auteurs ont une approche métaphorique qui permet tout de même de déduire qu'une certaine convergence existe autour de l'Abââ en tant que centre, espace qui accueille des personnes. Autrement dit, il s'agit d'une aire communautaire partagée par différents acteurs. C'est dans cet ordre d'idées que s'aligne Jean Marie AUBAME qui pense aussi que l'Abââ est un élément hautement symbolique à travers lequel un clan (ndà bôt) est identifié. C'est par le truchement de ce dernier que « le Fang est saisi ou isolé en tant qu'individu, par l'étranger... comme un homme attaché à un clan. L'Abââ constitue une cellule de différenciation [...] C'est dans cette cellule fondamentale que toutes les décisions, quel qu'en soit le domaine, étaient élaborées, mûries et prises par le conseil des anciens »13(*).

L'Abââ serait donc un élément de l'organisation sociale Fang qui symbolise la conscience qu'a legroupe de vivre en réseau et même la force publique de la communauté, un peu comme ce que représentent le « Mbàmbà » (résidence du Chef) et le « Nkùn nnàm » (panier sacré) dans l'aire culturelle Yebekolo, tel qu'élucidé par MESSANGA OBAMA14(*).

En effet, ce chercheur démontre que la disparition du nkùn nnam dans un village entraine la désuétude et la misère dans cette communauté, de même que sa conservation garantit une certaine prospérité au peuple.

La relation qui peut dès lors s'établir entre les deux réalités est que l'Abââ et le nkùn nnàm sont deux institutions qui symbolisent pour les uns et les autres l'organisation, la puissance, le souci de développement et de pérennisation de la communauté qui conserve ses valeurs. Ces entités sont en réalité celles sans lesquelles il serait difficile d'envisager logiquement une communauté fang ou yebekolo bien structurée. Toutefois, tandis que le nkùn nnàm est une « institution coiffée par le Chef, au sens de l'administration », l'Abââ lui est rattaché à un nyambôrô qui n'est pas forcément le Chef du village, par tradition. MESSANGA OBAMA s'est appesanti sur une préoccupation de développement de la communauté Yebekolo. La présente étude s'inspire de cet éclairage et apporte une lecture qui suggère qu'au-delà des aspects liés au développement de la communauté, l'Abââ, lui, soit perçu comme institution favorisant la cohésion sociale et l'interaction le tout sur fond de communication interpersonnelle.

Actuellement, certains observateurs soulèvent la question de la survie de l'Abââ. En effet, avec l'ère moderne, les villages se transforment, les habitudes changent, les us et coutumes connaissent des influences et certaines pratiques, naguère usuelles, tombent dans la caducité. C'est dans le tourment de ces mutations sociales que se retrouverait l'Abââ de nos jours. Ce point de vue est partagé par nombre d'auteurs dont Jacques Fulbert OWONO qui pense dans son analyse qu' « il n'est pas superflu voire incongru de penser aujourd'hui que la rupture communicationnelle criarde qui existe entre les frères, les villages ou les clans, vient du fait que l'aba soit tombé en désuétude ».15(*) Cet auteur pousse plus loin dans son analyse et soutient que la perte de valeurs de l'Abââ peut être l'un des facteurs de pauvreté des villages fang-béti car, l'introduction du système colonial de chefferie de canton et de terre aurait porté un coup tragique au fonctionnement de l'Abââ dans les villages. Selon cet auteur, l'on a introduit des systèmes d'organisation sociale sans tenir compte des préoccupations des populations et de leurs modes de fonctionnement.

Il rejoint Emmanuel KAMDEM sur le champ émergent de l'analyse des organisations en Afrique qui veut surtout s'inscrire dans « une approche interculturelle »16(*). Son travail consiste à dégager et à expliquer le rapport entre une organisation, sa société de référence et les autres sociétés. L'auteur essaie de voir comment peuvent être envisagés les rapports ou les interrelations entre valeurs culturelles du peuple pahouin et le management des organisations modernes.

Sans entrer dans une analyse des organisations sociales, nous ne décrions pas, comme Jacques Fulbert OWONO, la tombée en désuétude de l'Abââ dans l'aire culturelle fang qu'il est difficile de lier directement aux questions complexes de développement. Au contraire, les villages fang existent avec leursMebââ (pluriel d'Abââ) qui constituent en général l'élément distinctif par lequel le peuple fang fait la différence avec les autres communautés proches, avec lesquelles il partage pratiquement la même souche linguistico-culturelle (Bulu, Béti, etc.).

Il s'avère que nous observons un élément de la culture fang vendable (approche marketing) comme un modèle, et qui peut être extrait et présenté dans l'optiqued'un support de communication au sens propre du terme, tout en conservant une certaine opérationnalité qui fait de lui un réseau social multifonctionnel dans la communauté fang.

Dans le domaine des réseaux sociaux, l'on peut dire qu'un réseau social est perçu comme « un ensemble de personnes, d' associations, d'établissements, d'organismes ou d'entités sociales qui ont le même objectif et qui sont en relation pour agir ensemble. »17(*).

Selon une autre approche, il conviendrait également de présenter un réseau social en tant qu'« ensemble d'identités sociales, telles que des individus ou encore des organisations, reliées entre elles par des liens créés lors d' interactions sociales ». Il se représente dans ce cas par une structure ou une forme dynamique d'un groupement social.

Bien que ces acceptions de réseau social se complètent dans le sens, celle de Jean François MARCOTTE apparait plus édifiante. Elle propose de retenir que « les réseaux sociaux sont des ensembles de relations sociales de natures pluriels avec une diversité d'acteurs sociaux qui sont entretenues par différents canaux de communication ». Ainsi, les individus interagissent avec d'autres individus « [...]dans des relations de niveaux variables, spécialisées ou générales, ponctuelles ou durables, en personne ou via une interface technologique»18(*).

En définitive, plusieurs auteurs s'accordent à fédérer les différentes acceptions connues du réseau social comme étant « un ensemble d'acteurs(individus, groupes ou organisations) reliéspar des interactions sociales. Ces interactions sociales peuvent être de différentes natures: familiales, sentimentales (liens forts) ou plus distantes : affinité, relation d'affaire, de travail »19(*).

Au cours de la Cinquième Ecole Doctorale de Telecom Ecole de Management qui s'est tenue du 5 au 9 septembre 2011 à Evry en France, le thème débattu par les jeunes chercheurs de divers horizons réunis était le suivant : les réseaux sociaux en ligne vont-ils remplacer les réseaux traditionnels ? Le constat établi est celui-ci : qu'ils soient en ligne ou hors ligne, les réseaux sociaux structurent profondément les sociétés tout en les transformant sans cesse. Mais toute société conserve des éléments culturels invariants ; c'est le cas de l'Abââ chez les Fang. En créant des forums en ligne sur des sites internet, à l'exemple de www.monefang.com, les ressortissants fang opèrent une transposition virtuelle et la rattachent, en terme de configuration et de menu, à l'Abââ traditionnel, un espace physique d'échanges interactifs.

Dans les sociétés traditionnelles comme chez les Fang, l'interaction sociale qui est établie naturellement - et pas occasionnellement ou conjoncturellement - se fonde d'abord sur les liens familiaux de sang et de parenté qui favorisent une certaine homogénéité, comme le fait remarquer Georg SIMMEL qui avait distingué les liens sociaux selon qu'ils se déployaient au sein des communautés ou au sein de la société20(*). Dans le premier cas, l'étroitesse des relations interindividuelles est telle que la conscience de soi de l'individu se fond dans le groupe dont il revêt l'identité. Au contraire, dans la société, l'individu appartient à divers « cercles sociaux » vers lesquels ses aspirations et ses intérêts le conduisent.

C'est sans doute ce qui a conduit FARRUGIA à observer qu'« il convient de comprendre le lien social comme ce qui maintient, entretient une solidarité entre les membres d'une même communauté, comme ce qui permet la vie en commun, comme ce qui lutte en permanence contre les forces de dissolution toujours à l'oeuvre dans une communauté humaine »21(*).

C'est cet enchevêtrement de liens et cercles qui conduit à la formation des groupes communautaires (les chasseurs du village, les pécheurs, les grands cultivateurs, la main d'oeuvre, etc.), tous ces acteurs évoluant dans le réseau local du village au sein de l'Abââ. C'est cet aspect du champ d'investigation qu'offrent les réseaux sociaux qui nous intéresse dans la présente étude.

Un réseau social est aussi pris comme « un ensemble de personnes, d' associations, d'établissements, d'organismes ou d'entités sociales qui ont le même objectif et qui sont en relation pour agir ensemble. »22(*).

Dans une autre approche, il conviendrait également de présenter un réseau social en tant qu'« ensemble d'identités sociales, telles que des individus ou encore des organisations, reliées entre elles par des liens créés lors d' interactions sociales ». Il se représente dans ce cas par une structure ou une forme dynamique d'un groupement social.

En définitive, bien que ces acceptions de réseau social se complètent dans le sens, celle de Jean François MARCOTTE apparait plus édifiante. Elle propose de retenir que « les réseaux sociaux sont des ensembles de relations sociales de natures pluriels avec une diversité d'acteurs sociaux qui sont entretenues par différents canaux de communication ». Ainsi, les individus interagissent avec d'autres «[...] dans des relations de niveaux variables, spécialisées ou générales, ponctuelles ou durables, en personne ou via une interface technologique»23(*).

Selon Yves WINKIN, « l'apprentissage occidental se concentre sur le langage verbal écrit, non sur la gestualité ou le rapport entre êtres surnaturels ». L'on peut donc de ce fait dénoncer le fait que Jean François MARCOTTE débouche uniquement sur des relations interpersonnelles qui se développent dans un réseau supporté par « une interface technologique ». Cette vision semble mettre en marge les sociétés où ces dispositifs technologiques modernes n'existent pas, et qui peuvent pourtant intéresser la recherche sur d'autres phénomènes de communication, dans les formations sociales dites traditionnelles comme nombre de communautés d'Afrique. C'est pour cela que, dans une approche inspirée du modèle ethnoscientifique, il est d'intérêt que l'Abââ soit culturellement considéré et mis en exergue comme moyen dynamique, au même titre que ces dispositifs technologiques, en ce sens que, dans son environnement, l'Abââ constitue un « modèle par lequel les membres d'une culture construisent le monde dans lequel ils vivent »24(*) .

* 11Artiste-musicien originaire du Nord du Gabon, ancien ministre de la culture et député, décédé le 18 mai 2010.

* 12MVE BEKALE, Pierre-Claver Zeng et l'art poétique fang : esquisse d'une herméneutique,L'Harmattan, Paris, 2001.

* 13AUBAME, Jean Marie ; NZE NGUEMA Fidèle Pierre ; PANYUS Henry, Les Béti du Gabon et d'ailleurs, sites parcourus et structures, l'Harmattan, 2003, pp. 210-211.

* 14MESSANGA OBAMA, NKÚN NNÀM «le panier du peuple» et le développement des Yebekolo : Le cas de la communauté Fang-Biloun d'Ayos (région du centre au Cameroun) »,mémoire présenté et soutenu publiquement en vue de l'obtention du Diplôme d'Etudes Approfondies en Anthropologie, Université de Yaoundé I, avril 2009.

* 15 OWONO Jacques Fulbert,Pauvreté ou paupérisation en Afrique ; étude exégetico-éthique de la pauvreté chez les Beti Fang du Cameroun, University of Bamberg Press, 2011, p 70.

* 16KAMDEM Emmanuel, Managementet interculturalité en Afrique,Paris/Laval, Les Presses de l'Université de Laval/l'Harmattan, 2002.

* 17Source : http://www.toupie.org/Dictionnaire/Reseau.htm

* 18MARCOTTE, Jean François, http://sociometrie.blogspot.com/2012/02/pour-une-definition-des-termes-reseaux.html, consulté le 11 juillet 2012.

* 19BACHELET, Rémi, Enseignant-Chercheur Ecole Centrale de Lille, in Réseaux sociaux, cours distribué en ligne sous licence, version janvier 2012, p. 7.

* 20SIMMEL, Georg ,La différenciation sociale , Revue internationale de sociologie, 1894, reproduit in G. Simmel, Sociologie et épistémologie, PUF, 1981

* 21FARRUGIA, Francis, cité par Dr Francis Akindès, in «Le lien social en question dans une Afrique en mutation», Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Josiane Boulad-Ayoub et Luc Bonneville, Souverainetés en crise, Collection: Mercure du Nord. Québec: L'Harmattan et Les Presses de l'Université Laval, 2003, pp. 379-403.

* 22Source : http://www.toupie.org/Dictionnaire/Reseau.htm, consulté en juillet 2012/

* 23MARCOTTE, Jean François, http://sociometrie.blogspot.com/2012/02/pour-une-definition-des-termes-reseaux.html, consulté le 11 juillet 2012.

* 24WINKIN, Yves, Anthropologie de la communication, de la théorie au terrain, Editions du Seuil, 2001, p 95.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand