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Les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts en Touraine entre 1789 et 1914


par Brice Langlois
Université François-Rabelais de Tours - Master II Histoire de l'art 2017
  

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B. Le local : une problématique récurrente du quotidien des sociétés

La question de l'installation du local est peu ou prou liée aux problématiques statutaires et budgétaires des sociétés artistiques. Le local est effectivement régi par un règlement et induit des dépenses liées à son acquisition ou sa location, ainsi qu'à son entretien. Par ailleurs, l'émulation artistique à laquelle aspirent les sociétés - tant par l'organisation d'expositions que de concerts ou de créations d'espaces culturels dont des musées et des bibliothèques - conduit

227 DELAVILLE LE ROULT, J., (président de la société) : Lettre au maire de Tours au sujet d'une demande de souscription de 4000 francs pour l'organisation de l'exposition rétrospective de 1890 célébrant le cinquantenaire de la société, s. d., Tours, A.M., 2R 401/1.

228 DESLIS, (Président de la société) : Lettre au maire de Tours invitant les membres du conseil municipal et leurs familles à assister à une séance privée, 8 mars 1914, Tours, A.M., 2R 401/2.

229 Préfecture d'Indre-et-Loire : Lettre au sous-secrétaire d'État des Beaux-Arts au sujet de l'attribution de gravures pour la tombola annuelle de la société, 22 mars 1906, Pierrefitte-sur-Seine, A.N., F/21/4085.

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indubitablement à trouver des lieux pour la réaliser et l'accueillir. Il convient ainsi de s'intéresser à l'installation du local et des lieux où s'organisent l'encouragement artistique proposé par les sociétés, dans l'objectif de reconstituer une partie de cette problématique récurrente à toutes les associations.

a) De l'état nomade à l'installation du siège social : entre solutions économiques, recours

aux autorités publiques et développement des activités

L'installation d'un siège social est un problème quotidien des sociétés savantes et d'encouragement aux Beaux-Arts230. Si à leur formation la plupart des sociétés n'ont pas d'adresse particulière, à terme il semble que ces dernières s'emploient à trouver un espace pour organiser leurs réunions et leurs assemblées administratives.

L'essentiel des sociétés est tributaire de la bienveillance municipale. En effet, la ville met à disposition des associations, des salles de l'Hôtel de ville pour la tenue de leurs réunions. Ainsi, jusqu'en 1885 les assemblées générales de la Société des Amis des Arts de la Touraine se déroulent dans les salles de la mairie de Tours avant de se tenir dans son propre siège social situé d'abord au 11, rue Nationale231 puis au 7, rue de la Scellerie à partir de 1889 (ann. 4.2). Comme le souligne son secrétaire général Paul Briand en 1885, « la société n'est plus [É] à l'état nomade, elle a un domicile fixe »232. L'acquisition d'un local pour la tenue des réunions libère cette société de plus de 500 membres des contraintes liées aux prêts des salles de la mairie.

Si l'autorité municipale est disposée à prêter occasionnellement ses locaux aux sociétés locales, elle semble également prête à ce que certaines investissent les bâtiments de la ville pour des durées indéterminées. En effet peu de temps après sa création, la Société Archéologique de Touraine requiert auprès du maire de Tours, l'installation de son siège social et de ses collections dans les salles du second étage du musée (4.2). Le projet est accueilli favorablement par Auguste Walwein et la Société Archéologique investit les lieux l'année suivante, après des travaux d'aménagement233. Ainsi l'association dispose de l'ensemble du second étage, de l'escalier et des caves pour accueillir ses 549 objets antiques, médiévaux ainsi que ses peintures,

230 BRUNNER, Marie-Ange, op. cit., p. 199.

231 S.A.A., Compte-rendu de l'année 1886, op. cit., 1887, p. 16.

232 S.A.A., « Assemblée générale du 19 juillet 1885 », Compte-rendu de l'année 1885, op. cit., 1886, p. 17.

233 WALWEIN, Auguste : Lettre adressée au président de la Société Archéologique de Touraine au sujet de l'installation de la Société au second étage du musée, 11 mai 1841, Tours, A.M., 2R 401/1.

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dessins et autres objets d'art recensés en 1871 par Léon Palustre234. L'installation du musée de la Société Archéologique de Touraine apparaît comme un complément aux collections du musée de Tours. Les collections de la société s'ajoutent en effet à celles strictement des Beaux-Arts de la ville. Si le cas particulier de l'installation de la Société Archéologique ne semble souffrir d'aucune critique, à l'échelle nationale des commentateurs de l'époque appellent les maires à ne pas laisser les sociétés artistiques s'installer dans les musées municipaux.

L'invasion des musées par les sociétés des Amis des Arts est un fait monstrueux, un abus criant. Les villes qui possèdent des musées ne peuvent pendant plusieurs mois les fermer à l'étude, à la curiosité, ou simplement au plaisir des étrangers et du public. Elles ne doivent pas exposer à des chances de détérioration de tout genre les objets d'art dont le gouvernement leur délègue la propriété et l'entretien235.

Si en vérité Léon Lagrange reproche davantage aux sociétés la tenue de leurs expositions dans les musées de province plutôt que leur installation définitive, il insiste néanmoins sur le fait que les sociétés doivent acquérir un local leur étant propre et indépendant de l'hospitalité municipale. La Société Archéologique bénéficie du prêt du second étage du musée jusqu'aux prémices de la Première Guerre mondiale. En 1914, la municipalité reprend les locaux « pour une nouvelle installation de l'école régionale des Beaux-Arts »236. La société est donc amenée à devoir trouver un nouveau lieu pour installer à la fois son siège social et ses collections. Si dès 1914, la société s'installe place Foire-le-Roi dans l'Hôtel de l'Argentier de François Ier (ann. 4.2), la guerre a pour conséquence de retarder les travaux et l'ouverture du musée. Au sortir de la guerre, la Société Archéologique sollicite de nouveau la bienveillance de la municipalité pour l'aider à rembourser les 6 000 francs de dépenses engagées. La ville fait dès lors « un don généreux [de 3 000 francs] en faveur du musée de ladite société »237 et participe ainsi à combler les dettes contractées par celle-ci.

L'installation du siège social a souvent des conséquences favorables pour le développement des sociétés. En effet, la possession d'un local permet à l'évidence de multiplier les activités. En mars 1886, soit près d'un an suivant l'acquisition de son propre local, la Société des Amis des Arts de la Touraine ouvre une bibliothèque à destination de ses membres « comprenant des ouvrages traitant de l'art proprement dit ainsi que de l'art décoratif et

234 PALUSTRE, Léon, Catalogue du musée de la Société Archéologique de Touraine, Tours, Imp. Ladevèze, 1871.

235 LAGRANGE, Léon, op. cit., t. X, 1er mai 1861, p. 164.

236 Conseil municipal de Tours, Extrait de la séance du 12 avril 1919, Tours, A.M., 2R 401/1.

237 BEAUMONT : Charles de (vice-président) : Lettre au maire de Tours l'informant du bon accueil du don de la municipalité tourangelle au profit du musée de la société, 1er mai 1919, Tours, A.M., 2R 401/1.

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industriel, des collections de gravures et des publications périodiques »238. Si la bibliothèque de la société n'est ouverte que deux jours dans la semaine en 1886 - le mercredi de 19 à 22 heures et le dimanche de 13 à 17 heures en hiver et de 13 à 18 heures en été - puis trois jours à partir de 1887 - le samedi s'ajoutant - elle devient néanmoins un lieu particulier d'érudition artistique en complément de la bibliothèque municipale. Elle propose à la fois la consultation de revues générales de Beaux-Arts dont La Gazette des Beaux-Arts et Le Moniteur des arts et d'ouvrages spécialisés à l'exemple du Dictionnaire raisonné de l'architecture française de Viollet-le-Duc de La Grammaire des arts décoratifs de Charles Blanc et du Mobilier national d'Édouard-Thomas Williamson239. Les 123 ouvrages possédés dès 1886, semblent s'adresser en particulier à l'instruction des ouvriers d'art de la région, puisque pouvant « leur rendre d'importants services »240. La Société des Amis des Arts paraît engager les artistes de Tours à fréquenter la bibliothèque dans l'objectif d'enrichir et d'améliorer la production artistique locale.

Si l'indépendance du local incite les sociétés à développer leurs activités, il semble néanmoins que les difficultés budgétaires les conduisent parfois à se regrouper pour diminuer les frais auxquels elles sont confrontées. Ainsi la Société des Amis des Arts de la Touraine, la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire et la Société Photographique de Touraine se regroupent pour former l'Union des sociétés artistiques et savantes au début de l'année 1903241. Cette Union a pour but de louer et de gérer l'immeuble du 14 rue des Halles (ann 4.2), siège social des trois sociétés242. La Société Littéraire et Artistique les rejoint la même année, bien que ne s'investissant pas dans la délégation administrative 243 . Le partage d'un local par plusieurs sociétés n'est pas une exception tourangelle. À Rouen en 1857, l'Hôtel du premier président du parlement de Normandie est affecté aux sociétés savantes de la ville dont l'Académie des Sciences, Lettres et Arts, la Société libre d'émulation et la Société centrale d'Horticulture244. Appartenant à la société immobilière Mame, l'immeuble de la rue des Halles (ann 4.2) abritent les associations jusqu'en novembre

238 S.A.A., « Avis bibliothèque », Compte-rendu de l'année 1885, op. cit., 1886, p. 1.

239 S.A.A., « Bibliothèque de la Société des Amis des Arts de la Touraine », Compte-rendu de l'année 1885, op. cit., 1886, p. 32-33.

240 S.A.A., Compte-rendu de l'année 1886, op. cit., 1887, p. 19.

241 S.A.S.A.B.L., « Séance du 14 février 1903 », Annales, t. LXXXIII, Tours, L. Péricat, 1903, p. 45.

242 [ANONYME], Annuaire historique..., op. cit., 1905, p. 351.

243 AUDIN, Pierre, op. cit., 2008, p. 138.

244 BERGOT, François, op. cit., 2009, p. 16.

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1927, date de la dissolution de la société civile, en raison de l'augmentation trop importante du loyer245.

b) Le local : un élément essentiel à l'organisation des manifestations artistiques

Pour des questions évidentes de coût, les sociétés quant elles le peuvent, organisent leurs expositions dans leurs propres locaux. Ainsi la section artistique de la Société d'Agriculture tient ses expositions à partir de 1900, à son siège social rue du Général-Jameron, aujourd'hui rue Origet (4.1 et 4.2), puis à partir de 1903 à l'hôtel de l'Union des sociétés artistiques et savantes. L'organisation des Salons tourangeaux dans ces locaux s'explique par le nombre relativement restreint d'oeuvres exposées. En effet, les expositions de la Société d'Agriculture ne présentent que quelques dizaines d'oeuvres d'art d'artistes régionaux.

Pour autant, l'essentiel des locaux des sociétés ne permettent pas d'organiser des expositions de Beaux-Arts de grande envergure, comme le constate à ses dépens la Société des Amis des Arts, à l'occasion de ses expositions de 1886 et 1887. Le manque de superficie et de luminosité du local de la rue Nationale (ann. 4.1 et 4.2) semble décourager un certain nombre d'artistes de présenter leurs oeuvres dans ces conditions246. Se heurtant à l'impropriété de son local, la société s'efforce de trouver l'année suivante des solutions pour remédier à ce problème.

Un local convenable est indispensable, et c'est ce que nous avons cherché à nous assurer, non pour une fois, mais pour plusieurs fois. Des combinaisons nombreuses ont été étudiées [É] La plus séduisante consistait à louer un terrain, à y édifier moyennant un emprunt une construction capable de recevoir une exposition. Mais on a promptement reconnu qu'une entreprise de ce genre grèverait outre mesure les finances de la Société247.

Ce projet ambitieux prend probablement son inspiration des pavillons construits par Henri Prath en 1881 pour l'Exposition nationale de Tours. Rapidement édifiés, facilement démontables, ces constructions de verre et de métal ne peuvent cependant être commandés par la société en raison de leur coût trop important. L'impossibilité d'organiser des expositions dans de bonnes conditions, conduit la Société des Amis des Arts de la Touraine à déménager en 1889 rue de la Scellerie (ann. 4.2). Elle s'installe dans un local plus petit mais au loyer moins coûteux.

245 S.A.A., « Séance du 4 novembre 1927 », Procès-verbaux de la commission administrative 1914-1946, op. cit., f° 50.

246 DE STALL, « Le Salon Tourangeau. L'exposition des Amis des Arts », Journal d'Indre-et-Loire, n° 114, 15 mai 1887, p. 2.

247 S.A.A., Compte-rendu de l'année 1888, op. cit., 1889, p. 18.

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Il est probable que l'économie réalisée sur le loyer, la conduise à organiser une exposition dans un espace privé. Propriété d'un particulier depuis 1879, l'église Saint-François de Paule (ann. 4.1) semble convenir à la présentation d'objets d'art, tout comme l'église des Minimes en 1847 et 1853 (ann. 4.1) qui accueille les expositions de la Société Archéologique et de la Société des Amis des Arts de Touraine. Il semble que les sociétés recourent régulièrement à la location ou au prêt de locaux pour l'organisation de leurs l'expositions artistiques. Néanmoins le nombre d'espaces susceptibles d'accueillir des expositions paraît relativement limité à Tours. Si à l'origine ces églises reconverties ne sont pas prévues pour l'organisation d'expositions, elles semblent pourtant relativement bien s'adapter aux contraintes liées à la présentation d'oeuvres d'art. La superficie de ces édifices permet également d'accueillir un nombre pléthorique d'objets d'art. En 1853, l'exposition de la Société des Amis des Arts de Touraine comporte près de 300 tableaux248, tandis que l'exposition de 1889 présente plus de 400 « toiles ou dessins suspendus aux murs du vieux monument »249 auxquels il faut ajouter des chevalets au milieu de la salle pour présenter l'ensemble des oeuvres. De surcroît, il semble que la luminosité soit suffisante pour l'exposition des peintures.

L'installation des expositions en dehors des sièges sociaux résultent à l'évidence des jeux de relation. Lorsque la Société d'Agriculture organise sa première exposition depuis la renaissance de sa section artistique, Albert Lépingle, carrossier et membre de l'association, met à disposition son local situé au 3ter rue Georges-Sand (ann. 4.1). Composé de deux niveaux, le hall Lépingle semble se prêter aisément à l'organisation d'une exposition, d'autant que la société adjoint des concerts et des conférences. Ainsi le rez-de-chaussée est plus spécialement réservé à la tenue des manifestations musicales, tandis que le premier étage est réservé à la présentation des oeuvres industrielles et artistiques250.

Si l'encouragement des Beaux-Arts est soutenu en Touraine par plusieurs sociétés, il semble toutefois qu'il soit dépendant de la bienveillance des autorités publiques. Outre les subventions et le prêt des salles de la mairie pour la tenue des réunions, la municipalité tourangelle met régulièrement ses locaux à disposition des sociétés pour l'organisation des expositions. Si Tours ne bénéficie pas en dehors de son musée d'une galerie propre à la présentation d'oeuvres d'art, l'autorité municipale consent à plusieurs reprises à prêter des salles

248 [ANONYME], « Tours. Exposition de Peinture », Journal d'Indre-et-Loire, n° 211, 8 septembre 1853, p. 2

249 DIVRAY, Jean, « L'exposition de la rue Saint-François », Journal d'Indre-et-Loire, n°106, 5 mai 1889, p. 2.

250 [ANONYME], « Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres : Une exposition à Tours », Journal d'Indre-et-Loire, n° 57, 9 mars 1898, p. 2.

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de son Hôtel de ville, à l'instar de la préfecture qui offre en 1841 ses salons pour l'organisation de l'exposition des produits des arts et de l'industrie251. À l'évidence le prêt de l'Hôtel de ville symbolise l'implication de Tours dans le développement des Beaux-Arts. La hauteur sous plafond ainsi que l'isolation et la sécurité font de l'Hôtel de Ville l'espace le plus adapté à recevoir l'exposition de 1873 organisée par la Société Archéologique252. La Société des Amis des Arts organise également son exposition de 1882 dans les salles de l'Hôtel de ville, bien que ce lieu ne soit pas conçu pour recevoir des exhibitions artistiques. Si la présentation des objets lors de l'exposition rétrospective de 1873 souffre de quelques critiques253, il semble au contraire que la mise en scène des oeuvres de l'exposition de 1882 dans la grande salle de l'Hôtel de ville, remporte un certain succès auprès des visiteurs.

[É] les aménagements me paraissent parfaits. L'or des encadrements, les couleurs des tableaux eux-mêmes, les murs revêtus du haut en bas de peintures, d'aquarelles, de dessins, de crayons, d'émaux, font de cette salle un véritable salon parfaitement décoré où rien ne manque et où la tenue est irréprochable254.

Le critique Van Keller semble séduit autant pas les objets exposés que par leur présentation, ce qui le conduit à conclure que l'exposition de 1882 est « remarquable et bien au-dessus certainement de la moyenne des expositions de province »255. Ces propos élogieux paraissent rendre compte de l'adaptation des salles de l'Hôtel de ville aux principes muséographiques de l'époque. L'accrochage bord à bord des tableaux sur plusieurs registres de hauteur est en effet une constante des expositions du XIXe siècle que ce soit à Paris comme en province.

Il faut noter cependant que la dépendance aux prêts des salles de la mairie pour l'organisation d'expositions conduit les sociétés artistiques à s'adapter et parfois à renoncer à la tenue de leurs expositions. Ainsi en 1884, la Société des Amis des Arts de la Touraine recule au 1er juillet l'ouverture de son exposition d'arts décoratifs fixée initialement le 12 avril, en

251 [ANONYME], « Exposition des produits des arts et de l'industrie », Journal d'Indre-et-Loire, n° 47, samedi 3 avril 1841, p. 1, Tours, Archives municipales, 121 C 26.

252 BROGARD, Clémence, op. cit., 2016, p. 29.

253 Ibid., p. 31.

254 VAN KELLER, « Salon de Tours. Exposition de peinture. Aperçu général. Lettre 1. », Journal d'Indre-et-Loire, n° 254, 28 octobre 1882, p. 2.

255 Ibidem.

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raison des élections municipales devant se dérouler en mai256 (ann. 2.5.1.1). Malgré cette disposition préventive, l'exposition ne peut être organisée à cette date, compte tenu du passage de la loi de mars 1884 sur la publicité des séances des conseils municipaux257.

Le local est manifestement un élément essentiel de la vie des sociétés. Si le siège social offre aux membres des associations un lieu pour se réunir, il permet également, quand ses caractéristiques les rendent possibles, d'accueillir des expositions ainsi que développer des activités supplémentaires, dont un musée dans le cas de la Société Archéologique ou une bibliothèque à l'exemple de la Société des Amis des Arts de la Touraine. Pour autant, la jouissance d'un local particulier résulte souvent de la bienveillance municipale, bien que les sociétés mettent régulièrement en oeuvre leurs réseaux, pour bénéficier d'espaces d'exposition. La question du local est donc une problématique constante dans le quotidien des sociétés. Il influence de surcroît les actions menées par celles-ci.

II) Vivre en société(s) : le quotidien des associations en dehors de leur cercle

A. Un essai de démocratisation de l'accession à la culture et d'encouragement des jeunes artistes. Les liens entretenus entre les sociétés artistiques et les tourangeaux

Les rapports qu'essaient d'entretenir les sociétés artistiques avec l'ensemble des Tourangeaux semblent paradoxaux au regard de l'élitisme dont elles font preuve, lorsqu'il s'agit de recruter les membres les composant. En effet si la participation au quotidien des sociétés semble limitée à un nombre relativement restreint de protagonistes, les associations paraissent s'efforcer au contraire à toucher un plus vaste champ de la population lorsqu'elles organisent des manifestations artistiques publiques dans l'objectif de développer le goût des arts chez leurs concitoyens. Partant de ce constat, il paraît intéressant d'évaluer la réception des sociétés auprès de l'ensemble des Tourangeaux dans le but de restituer leur intégration à l'échelle de leur localité.

256 DRAKE DEL CASTILLO, Jacques (président) : Lettre adressée au maire de Tours au sujet de la mise à disposition d'une salle pour l'organisation d'une exposition d'art décoratif, 1er janvier 1884, Tours, A.M., 2R 401/1.

257 S.A.A., Compte-rendu de l'année 1884, op. cit., 1885, p. 18.

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a) L'intégration des sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts dans le quotidien culturel

des habitants de Touraine : entre volonté de démocratisation et conservatisme de l'accession à la culture

À l'évidence les sociétés artistiques et savantes du département d'Indre-et-Loire s'efforcent chacune d'amplifier leur visibilité auprès de la population, pour en convaincre un certain nombre de l'utilité de leur cause. C'est dans cet objectif que sont publiés régulièrement dans la huitaine des journaux, les analyses raisonnées des procès-verbaux des séances des commissions et des assemblées générales. Trois des sociétés tourangelles de notre corpus transmettent immanquablement au Journal d'Indre-et-Loire les synthèses de leurs séances de travail : la Société Archéologique de Touraine, la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres et la Société des Amis des Arts de la Touraine. Toutefois, la publication de ces extraits ne s'adresse en réalité qu'à un petit nombre d'amateurs du département, puisque le Journal d'Indre-et-Loire n'est lu que par une part minoritaire de la population en Touraine, en raison du taux d'analphabétisation encore très important - 32,84% de la population française de plus de 5 ans ne sait ni lire ni écrire en 1866258 - du tarif de son abonnement et de sa tendance conservatrice, qui le pousse à soutenir invariablement le régime en place259. Le prix de l'abonnement évolue peu en une cinquantaine d'années, passant de 26 francs pour un habitant de Tours en 1833 à 30 francs en 1881260. Ce journal en lui-même limite la visibilité des sociétés auprès de la population du département d'Indre-et-Loire. Si les publications des résumés des réunions sont des outils de communication louables pour la visibilité des sociétés, il semble toutefois qu'elles ne se destinent pas à tous les habitants du département.

Toutefois dans un souci de démocratisation de l'art, les sociétés artistiques et savantes visent à s'intégrer dans le quotidien d'un plus grand public. Ainsi, elles réduisent au plus bas, le prix des droits d'entrée aux expositions qu'elles organisent. La rentabilité ne semble pas être l'une des motivations guidant l'organisation des expositions. En 1853, le prix d'entrée à l'exposition de la Société des Amis des Arts de Touraine est fixé à 50 centimes de franc261. L'exposition de 1882 de la Société des Amis des Arts de la Touraine est accessible au même

258 FURET, François, SACHS, Wladimir, « La croissance de l'alphabétisation en France (XVIIIe-XIXe siècle) », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, Vol. 29, n° 3, 1974, p. 721.

259 LAURENCIN, Michel, La vie quotidienne..., op. cit., 1980, p. 268.

260 Journal d'Indre-et-Loire, n° 1, 2 janvier 1833. Journal d'Indre-et-Loire, n° 1, 27 février 1881.

261 [ANONYME], « Exposition de Peinture », Journal d'Indre-et-Loire, n° 205, 1er septembre 1853, p. 2.

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tarif du lundi au vendredi, le samedi à 1 franc et le dimanche à 0,25 centimes262. La Société d'Agriculture suit ce modèle en 1898 lorsqu'elle ouvre sa première exposition de Beaux-Arts à l'occasion de la renaissance de sa section des Arts et Belles-lettres263. Si cet aménagement des tarifs est profitable pour les populations les plus modestes, puisque bénéficiant le dimanche d'un tarif adapté à leurs moyens, il semble néanmoins que ce souci d'équité soit motivé par une volonté de dissocier les publics, évitant ainsi « aux visiteurs élégants le contact populaire, sans toutefois réserver le privilège de l'art aux seules classes supérieures »264. Pour autant, ce système ne paraît pas fonctionner en Touraine comme semble le suggérer l'application d'un tarif unique à 0,25 centimes de franc aux expositions suivantes de 1885 et 1899265 (Ill. 12). À l'évidence, les expositions ne sont pas fréquentées par l'ensemble de la population et demeurent des lieux de ségrégation sociale266. Il est fort probable que l'application de tarifs supérieurs certains jours de la semaine réduit le nombre de visiteurs. Si d'autres sociétés à l'instar de la Société Archéologique parient dans le cadre de manifestations publiques plus générales sur la gratuité le dernier jour de l'exposition267, il est certain que toutes les catégories sociales ne sont pas représentées malgré l'exonération des charges268.

Dans l'objectif de susciter davantage d'intérêts chez leurs concitoyens et augmenter par là-même l'afflux de visiteurs lors de la tenue de leurs manifestations artistiques publiques, les sociétés s'emploient à multiplier les attractions. Dans ce sens les associations adjoignent des activités à leurs expositions de Beaux-Arts, dans le but de créer une festivité populaire. Les orchestres locaux sont régulièrement invités à jouer au sein même des expositions, pour impulser une dynamique culturelle moins élitiste. Ainsi la fanfare des sapeurs-pompiers de Tours est conviée à l'occasion de la clôture de l'exposition de 1882269.

262 [ANONYME], « Société des Amis des Arts de la Touraine », Journal d'Indre-et-Loire, n° 229, 29 septembre 1882, p. 2.

263 [ANONYME], « L'exposition des Beaux-Arts », Journal d'Indre-et-Loire, n° 82, 8 avril 1898, p. 2

264 MOULIN, Raymonde, op. cit., 1976, p. 395.

265 [ANONYME], « Société des Amis des Arts de la Touraine », Journal d'Indre-et-Loire, n° 108, 8 mai 1885, p.

2.

[ANONYME], « Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres. Exposition annuelle des Beaux-Arts », Journal d'Indre-et-Loire, n° 245, 18 octobre 1899, p. 3.

266 BUCHANIEC, Nicolas, Salons de province, op. cit., 2010, p. 116.

267 BROGARD, Clémence, op. cit., 2013, p. 46.

268 BUCHANIEC, Nicolas, Salons de province, op. cit., 2010, p. 115.

269 [ANONYME], « Exposition de la Société des Amis des Arts de la Touraine », Journal d'Indre-et-Loire, n° 266, dimanche 12 novembre 1882, p. 2.

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Toutefois les loteries sont à l'évidence les événements les plus attractifs, bien que le nombre des ventes de tickets diminue considérablement entre 1882 et 1889 en ce qui concerne les expositions de la Société des Amis des Arts de la Touraine. À l'exemple des droits d'entrée aux expositions, les tickets de loterie sont vendus à des tarifs relativement bas. Si en 1841, la loterie de l'exposition n'est ouverte qu'aux seuls actionnaires de la Société des Amis des Arts de Tours pour la somme de 5 francs270, les loteries des expositions suivantes sont accessibles à tous les visiteurs pour la somme de 1 franc. Les tirages sont organisés le jour même ou peu de temps après la clôture des expositions et s'appréhendent de fait, comme des festivités supplémentaires durant lesquelles le « public conformiste tenu à l'écart des querelles esthétiques qui animent le microcosme artistique parisien [É] est incité à franchir le pas de l'acquisition et à constituer sa propre collection »271 . Manifestement ce sont les oeuvres correspondant au goût conventionnel de l'époque qui sont essentiellement mises en jeu dans l'objectif de plaire à un large public. Ainsi les peintures de genre, les natures mortes et les paysages sont les genres les plus représentés dans les loteries. Dans le cas particulier des tombolas de 1882, 1887 et 1889 de la Société des Amis des Arts Ð pour lesquelles les oeuvres réparties par le sort nous sont connues272 Ð, le paysage est le genre le plus représenté (Ill. 13). En 1882 presque la moitié des oeuvres sont des paysages sur les 37 lots que comportent la tombola. Ce n'est qu'en 1889 que cette tendance s'inverse, puisque les natures mortes supplantent les paysages. Le genre historique est absent des loteries en 1887 et 1889 et n'est présent en 1882 que par l'intermédiaire d'estampes réalisées d'après des peintures d'histoire dont les Scènes de la vie de sainte Geneviève, corpus de quatre estampes envoyé par le Ministère de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes.

Malgré ces initiatives tendant à réduire le coût et faciliter l'accession à la culture, les expositions organisées par les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts tourangelles ne sont goûtées que par une faible proportion de la population de la ville et du département. Le salon sociétal de 1882 est visité par un minimum de 3 200 visiteurs, comme le suggèrent les recettes

270 [ANONYME], « Société des Amis des Arts à Tours », Journal d'Indre-et-Loire, n° 50, vendredi 9 avril 1841, p. 2.

271 BUCHANIEC, Nicolas, « Les loteries des salons de province... », op. cit., 2010, p. 52.

272 [ANONYME], « Société des Amis des Arts de la Touraine », Journal d'Indre-et-Loire, n° 285, 4 et 5 décembre 1882, p. 2.

S.A.A., Compte-rendu de l'année 1887, op. cit., 1888, p. 23. S.A.A., Compte-rendu de l'année 1889, op. cit., 1890, p. 20.

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de la vente des tickets d'entrée à l'exposition273, tandis que celui de 1885 en accueille 2 884, sans compter les membres de l'association qui profitent de la gratuité de l'exposition274. Cela représente un peu plus de 6% de la population de Tours dans le cas l'exposition de 1882 et 5% en 1885. Si l'Exposition nationale de Tours de 1892 n'est pas comparable en terme de communication, de budget et d'offre d'activités, puisque ne proposant pas uniquement une exposition de Beaux-Arts, elle est visitée par 331 342 personnes dont 250 000 étrangers à la région à en croire le journal de l'exposition275. Toutefois, il peut sembler que les chiffres annoncés soient quelque peu ambitieux.

En ce qui concerne la démocratisation de la culture à toutes les strates de la population, les sociétés savantes et artistiques tourangelles ont à l'évidence des résultats limités. Pourtant, elles sont des outils indispensables à l'émulation artistique et culturelle de la région dont témoignent les reconnaissances d'utilité publique de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres en 1855 et de la Société Archéologique en 1872276.

b) L'engagement et l'intégration des sociétés artistiques auprès de l'école des Beaux-Arts et

du conservatoire de Tours : une volonté d'émulation de l'art local

Si l'intégration des sociétés dans le quotidien de l'ensemble de la population n'est pas chose faite, il semble au contraire qu'auprès des artistes en formation, les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts soient des intermédiaires privilégiés. À l'instar de la classe d'amateurs participant à la remise des prix récompensant les meilleurs élèves de l'école de dessin de Charles-Antoine Rougeot, les sociétés artistiques et savantes d'Indre-et-Loire entretiennent des liens très étroits avec l'école des Beaux-Arts de Tours. Dans un souci d'émulation générale de l'art, les sociétés ne s'engagent pas qu'auprès des artistes formés. Elles présentent en effet la volonté d'aider les artistes et musiciens tourangeaux en devenir, alors élèves de l'école des Beaux-Arts et du conservatoire.

C'est à la fin du XIXe siècle que l'enseignement prodigué à l'école municipale de dessin de Tours semble être le plus prospère, d'autant que l'institution devient école régionale des Beaux-Arts par voie de délibération du 19 février 1882, des suites de la proposition de Félix

273 S.A.A., Compte-rendu de l'année 1882, op. cit., 1883, p. 25.

274 S.A.A., Compte-rendu de l'année 1885, op. cit., 1886, p. 17.

275 [ANONYME], « La clôture de l'exposition », Journal officiel de l'exposition de Tours, n° 36, 25 octobre 1892, p. 3.

276 Répertoire des établissements reconnus d'utilité publique, Tours, A.D., 4M 259.

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Laurent277. Directeur et professeur durant près d'une trentaine d'années de 1876 à 1905, celui-ci joue un rôle déterminant dans le développement de l'école et la qualité de l'enseignement dispensé. L'obtention du prix de Rome par François Sicard en 1891, par François-Benjamin Chaussemiche (1864-1945) en 1893 et par Camille Alaphilippe (1874-1934) en 1898, tous élèves de l'école des Beaux-Arts de Tours avant de compléter leur formation à l'École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, peut illustrer l'engagement de Félix Laurent dans le développement de l'école de dessin de Tours.

L'école des Beaux-Arts ne semble pas souffrir de difficultés à cette période. Cependant l'apport financier des sociétés à la remise des récompenses de fin d'année est profitable pour l'encouragement des jeunes artistes. La Société des Amis des Arts de la Touraine et la Société des Architectes Tourangeaux s'efforcent chacune d'aider l'école des Beaux-Arts278, en destinant tous les ans une somme à un ou plusieurs élèves, suivant les examens de la commission des études dont les membres les plus influents des sociétés donatrices sont invités à participer, à l'exemple de Jacques Drake del Castillo279. Par ailleurs la Société des Amis des Arts finance annuellement depuis 1882 à hauteur de 100 francs, les prix attribués aux élèves du conservatoire municipal. Les plus méritants des jeunes artistes de l'école des Beaux-Arts ainsi que les plus sérieux élèves du conservatoire sont récompensés. De fait, aucun des arts enseignés dans les écoles artistiques de la ville ne semble privilégié par rapport à un autre par la Société des Amis des Arts. Il est probable que les rapports étroits qu'entretient cette société avec l'école des Beaux-Arts et le conservatoire résultent de l'action et de l'influence de Félix Laurent et d'Adolphe Grodvolle, l'un étant directeur des Beaux-Arts, l'autre directeur et fondateur de l'école nationale de musique de Tours à partir de 1885. Les deux sont membres de la société. Malgré les difficultés financières la poussant parfois à l'abandon de l'organisation des expositions et des concerts, il semble que la Société des Amis des Arts ne renonce jamais à l'attribution des prix aux élèves des écoles des Beaux-Arts et de musique de Tours, et cela même durant la Première Guerre mondiale, lorsque le contexte et les comptes de la société ne permettent pas d'organiser des manifestations artistiques publiques280.

277 GILET, Annie, « De l'école de dessin au musée, histoire d'une collection », op. cit., 2001, p. 16.

278 VILLE DE TOURS, École régionale des Beaux-Arts. Distribution des prix, Tours, Imp. Mazereau 1888, p. 7, Tours, A.M., 2R1 boîte 3.

279 DRAKE DEL CASTILLO, Jacques : Lettre adressée au maire de Tours au sujet de la distribution des prix, 4 juillet 1890, Tours, A.M., 2R1 boîte 3.

280 S.A.A., « Séance du 19 novembre 1915 », Procès-verbaux de la commission administrative 1914-1946, op. cit., f 4.

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Outre les prix distribués annuellement, la Société des Amis des Arts attribue exceptionnellement des bourses aux élèves commençant à s'illustrer en dehors des frontières régionales. Ainsi, lorsque Pierre (1902-1986) et Jean Pasquier (1903-1992) réussissent le premier examen d'entrée au Conservatoire national de musique de Paris en 1915, leur mère requiert auprès de la société un « secours nécessaire pour lui permettre de faire donner à ses enfants plusieurs leçons par un des maîtres de la grande école de musique afin de les mettre à même d'arriver au succès complet »281. La Société des Amis des Arts consent à accorder une aide financière de 200 francs dans le but « d'encourager les arts en Touraine »282. Jean Pasquier obtient en juin 1917 une deuxième médaille au concours du Conservatoire national de musique de Paris dans la classe de violon de Firmin Touche (1875-1957). Ce succès participe au « plus grand honneur de l'école de musique, à qui, [É], la Société des Amis des Arts continue, malgré la guerre à offrir des prix annuels »283. Les Amis des Arts s'appréhendent alors comme des interlocuteurs privilégiés de l'encouragement de la culture en Touraine en accordant à la fois des récompenses annuelles, mais également des bourses, lorsqu'il s'agit de représenter les arts et les artistes locaux outre les strictes frontières de la localité.

Les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts veillent avec beaucoup d'attention aux études des jeunes artistes les plus prometteurs du département. La Société d'Agriculture, Sciences, Arts, et Belles-Lettres suit les progrès et favorise notamment le développement de la carrière de Marie-Louise Pichot (1885-1947). Née à Rouen, cette jeune artiste s'installe avec ses parents à Ballan dans les années 1900284. C'est à cette période qu'elle se fait connaître de la Société d'Agriculture en exposant aux Salons tourangeaux. Dès 1906, Marie-Louise Pichot reçoit la protection de la société. L'association sollicite auprès du Conseil général le versement d'une allocation pour que la jeune artiste poursuive ses études à Paris285. Cette bourse de 300 puis de 500 francs lui est accordée durant deux années à partir de 1907. Marie-Louise Pichot entre à l'École des Beaux-Arts de Paris en 1908, où elle suit les leçons de Paul Gervais (18591936) et Henri Royer (1869-1938) et expose cette même année deux toiles au Salon des artistes

281 Ibid, f4-5.

282 Ibidem.

283 S.A.A., « Séance du 10 novembre 1917 », Procès-verbaux de la commission administrative 1914-1946, op. cit., f 6.

284 « Pichot Marie-Louise », Allgemeines Künstlerlexikon, [en ligne] : https://www-degruyter-

com.ezproxy.inha.fr:2443/view/AKL/ 00073047?rskey=cBL1pY&result=1&dbq 0=Marie-Louise+Pichot&dbf 0=akl-fulltext&dbt 0=fulltext&o 0=AND, consulté le 24/04/2017.

285 S.A.S.A.B.L, « Rapport sur les travaux de la société pendant l'année 1906 », Annales, t. LXXXVII, Tours, L. Péricat, p. 76.

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français286. De surcroît, la Société d'Agriculture continue d'encourager localement cette jeune artiste, en lui achetant des oeuvres à l'occasion des expositions annuelles, à l'exemple d'un Paysage en avril 1907 pour la somme de 150 francs287.

À l'évidence, les actions déployées par les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts ont une double mission. Lorsque les sociétés artistiques du département d'Indre-et-Loire participent à l'émulation des jeunes artistes de la région en organisant des expositions et des concours, en achetant des oeuvres et en participant à la distribution des récompenses des écoles des Beaux-Arts et du conservatoire de Tours, elles s'efforcent à la fois de démontrer le terreau inouï de la Touraine en matière de formation et de production artistique et de développer le goût des arts chez leurs concitoyens. Mais pour parvenir à cela, les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts doivent se constituer un public et s'intégrer dans le quotidien culturel local. Ainsi elles organisent un ensemble varié d'activités au cours des expositions pour toucher un plus vaste champ de la population et se donner une visibilité plus importante. Les sociétés artistiques de Touraine semblent démocratiser les arts et les savoirs et s'appréhendent alors comme les interlocuteurs privilégiés de la culture dans le département.

B. Un pour tous et tous pour un : la coopération des sociétés pour le développement de la vie culturelle locale

Si les sociétés artistiques et savantes du département d'Indre-et-Loire organisent chacune leurs propres manifestations, elles ne semblent pas témoigner d'hostilité ou de concurrence les unes envers les autres. Au contraire, ces dernières entretiennent des rapports courtois, en raison notamment de la participation concomitante de la majorité de leurs membres au quotidien de plusieurs d'entre elles. Cette proximité conduit régulièrement les sociétés à coopérer dans l'objectif de participer ensemble à l'émulation artistique à laquelle chacune aspire.

a) La création de La Touraine, revue littéraire, artistique, scientifique, et mondaine du

Centre et de l'Ouest au secours de la visibilité des sociétés du département d'Indre-et-Loire

La Société Littéraire et Artistique de la Touraine dispose d'une revue particulière à partir d'octobre 1907. Toutefois celle-ci ne concerne à l'évidence que les propres intérêts de la

286 S.A.S.A.B.L., « Séance du 13 juin 1908 », Annales, t. LXXXVIII, Tours, L. Péricat, p. 51.

287 S.A.S.A.B.L., « Séance du 11 mai 1907 », Annales, t. LXXXVII, Tours, L. Péricat, p. 45.

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société288. Suivant le regroupement de l'essentiel des associations dans l'hôtel de la rue des Halles (ann. 4.2), la parution de La Touraine à partir d'octobre 1912 témoigne de l'intention des sociétés de se regrouper pour accroître leur visibilité289. Créé à l'initiative de la Société Littéraire et Artistique avec le concours de l'Association artistique tourangelle fondée en 1911 par Louis Chollet290 et qui vise à organiser en plein air des représentations théâtrales à l'instar de la Renaissance artistique tourangelle291, ce mensuel est soutenu par l'ensemble des sociétés du département. Il propose notamment d'offrir aux associations une visibilité plus importante auprès des amateurs et des érudits de la région.

[É] quelques amis devisaient sur les charmes de la Touraine. Celui-ci vantait les délices de ses vallées verdoyantes et de ses coteaux harmonieux agrémentés de châteaux princiers ; celui-là rappelait avec enthousiasme les noms étincelants des grands hommes qui ont illustré les arts et les lettres, les Fouquet, les Colombe [É], un troisième faisait valoir les féconds résultats et les riches promesses de l'heure présente. Mais comment se fait-il - observa l'un des amis - qu'avec tant de mérites infiniment variés notre province en soit réduite à envier telle autre de ses voisines l'avantage de posséder une Revue qui, chaque mois, enregistre les faits et gestes de la Touraine artistique, littéraire, scientifique et mondaine 292?

Sous la métaphore de la discussion des trois amis, il faut comprendre les échanges entretenus au sujet de l'institution d'une publication artistique commune entre la Société Littéraire et Artistique de la Touraine et deux autres sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts du département. En raison des indices donnés sur les champs d'intérêts des ces trois associations, il est fort à parier que ce soit dans un premier temps la Société des Amis des Arts et la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres qui se joignent à la Société Littéraire pour la formation de la revue mensuelle La Touraine, d'autant que toutes sont logées dans l'hôtel de l'Union des sociétés artistiques et savantes de Tours, ce qui facilite par là-même les échanges. La fonction de secrétaire général à la fois de la Société Littéraire et Artistique et de la Société des Amis des Arts par le rédacteur en chef de la revue, Horace Hennion, participe de surcroît au travail collaboratif des deux sociétés. Un certain nombre des membres de ces associations sont présents dans le comité de rédaction, à l'exemple de Jacques Drake del

288 [ANONYME], « Une fée intime », La Touraine littéraire et artistique, n° 3, Tours, Imp. Salmon, 3ème trimestre 1908, p. 49.

289 AUDIN, Pierre, op. cit., 2008, p. 138-144.

290 « Paris et départements », Le Ménestrel, vol. 77, n° 30, 29 juillet 1911, p. 239.

291 Statuts de la Renaissance artistique tourangelle, Tours, A.D., 4M 206.

292 [ANONYME], « Au lecteur », La Touraine, revue littéraire, artistique, scientifique, et mondaine du Centre et de l'Ouest, n° 1, 15 octobre 1912, p. 1.

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Castillo, président de la Société des Amis des Arts, ou encore de Charles Vavasseur (18671950), président de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres, rejoint par l'abbé Louis-Auguste Bosseboeuf (1852-1928) et Édouard Gatian de Clérambault (1833-1917), présidents de la Société Archéologique de Touraine. La revue profite d'un réseau de contributeurs locaux important résidant aux quatre coins du département mais aussi plus largement dans la région, à l'instar de Julia Daudet (1844-1940), veuve de l'écrivain Alphonse Daudet (1840-1897), femme de lettres, et propriétaire du château de la Roche à Chargé ou de Lucie Félix-Faure-Goyau (1866-1913), écrivaine, poétesse et propriétaire du château de Chanteloup à Amboise. Le comité de rédaction est présidé par un comité d'honneur de prestige composé notamment des prix de Rome, Victor Laloux, François Sicard, François-Benjamin Chaussemiche et Camille Alaphilippe293.

Le comité de rédaction de La Touraine n'est à l'évidence pas précurseur en ce qui concerne l'édition d'une revue artistique locale. Des revues spécialisées dans le domaine des arts sont éditées en Indre-et-Loire à partir de 1840. Publiée mensuellement, La Jeune Touraine : journal artistique et littéraire semble être la première publication artistique du département294. Si elle est relativement modeste, puisque se composant en tout et pour tout de deux feuilles de texte, d'une planche gravée et d'une demie-feuille de musique, cette publication s'inspire manifestement de la presse artistique en plein développement à Paris sous la Restauration en raison de l'essor du Salon295. À la fin du XIXe siècle et particulièrement après 1881, année de promulgation de la loi sur la liberté de la presse, d'autres publications artistiques voient le jour en Indre-et-Loire, à l'instar de La Revue littéraire de Touraine éditée par Auguste Chauvigné à partir de 1885. Néanmoins, l'essentiel des journaux artistiques ne sont édités que durant quelques années. Ces publications éphémères conduisent à l'absence de presse artistique dans le département dans la première décennie du XXe siècle, outre L'Écho littéraire et artistique Tours-Paris édité à partir de 1903.

La Touraine veut « constituer à la fois une tribune d'enseignement et un organe de décentralisation et de régionalisme »296 commun à toutes les sociétés. Des articles sont ainsi

293 Ibidem.

294 La Jeune Touraine : journal artistique et littéraire, n° 1, Tours, Imp. Pornin, Juillet 1840, Paris, Bibliothèque nationale de France, JO-223.

295 LEMAIRE, Gérard-Georges, « La naissance de la presse artistique et le Salon », L'oeil, n° 564, décembre 2004, p. 88-89.

296 [ANONYME], « Au lecteur », La Touraine, revue littéraire, artistique, scientifique, et mondaine du Centre et de l'Ouest, n° 1, 15 octobre 1912, p. 1-2.

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publiés sur le patrimoine architectural, littéraire et artistique local dans le but d'encourager la culture régionale. La revue permet également de rendre compte du terreau fertile de la Touraine en ce qui concerne la production des Beaux-Arts, puisque publiant annuellement des rapports sur les oeuvres des Tourangeaux exposées dans les différents salons artistiques parisiens.

L'intérêt pour les arts locaux est mis en exergue dans les deux couvertures distinctes de la Touraine (fig. 13 et 14) livrées par des artistes tourangeaux dont Élisabeth Sonrel (18741953). Élève de Jules Lefebvre (1836-1911), elle est déjà une artiste confirmée lorsqu'elle oeuvre à l'illustration de la seconde couverture de la revue. Elle reçoit en effet une médaille de troisième classe en 1895, puis une médaille de bronze à l'Exposition universelle de 1900297. La première couverture convoque une iconographie traditionnelle mettant en valeur les armes de Tours (fig. 13). Elles sont entourées de branches de lauriers et de phylactères symbolisant à la fois les arts plastiques et la littérature et reposent sur une colonne cannelée d'ordre dorique sur laquelle est assise une muse tenant en sa main droite un exemplaire de la revue. De son index gauche, la muse invite le spectateur à contempler une vue de Tours d'où émerge un lever de soleil. La publication et la lecture de La Touraine semble conduire à la renaissance des arts en ce territoire. L'illustration proposée par Élisabeth Sonrel (fig. 14) est quant à elle plus consensuelle. Elle s'inscrit pleinement dans son oeuvre, puisque présentant des caractéristiques formelles d'inspiration préraphaélites, mais conserve la vue de Tours qui permet de marquer géographiquement le lieu d'intérêt et de diffusion de la revue.

Ce mensuel artistique illustré « se propose également d'être l'organe public des Sociétés tourangelles artistiques, littéraires et scientifiques qui n'ont pas une revue en propre »298. Dès lors La Touraine permet de donner une visibilité matérielle aux sociétés qui ne bénéficient pas de l'édition des comptes rendus de leurs assemblées générales et de leurs diverses manifestations. Ces sociétés trouvent dans cette revue « une tribune toute naturelle pour la défense de leurs intérêts et l'exposé de leurs desiderata »299. La revue publie ainsi régulièrement dans les « Échos », les actualités et les promotions des manifestations organisées par les sociétés locales. En tout, ce sont au moins seize sociétés du département d'Indre-et-Loire à

297 FOUCHER-ZARMANIAN, Charlotte, La Vierge, la dame, la muse : une approche des représentations du féminin dans le Symbolisme d'Élisabeth Sonrel (1874-1953), mémoire de master II d'histoire de l'art contemporaine, sous la direction de Pascal Rousseau, Université François-Rabelais de Tours, 2008.

FOUCHER-ZARMANIAN, Charlotte, « Élisabeth Sonrel (1874-1953) : une artiste symboliste oubliée », Bulletin des Amis de Sceaux. Société d'histoire locale, n° 25, 2009, p. 1-27.

298 Ibid., p. 2.

299 Ibidem.

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l'exemple de la Société Photographique, de la Société des Amis des Arts, de l'Institut tourangeau ou des Amis du Vieux Chinon ainsi que des départements voisins dont la Société des Amis des Arts de Loir-et-Cher et la Société des Lettres, Sciences et Arts du Saumurois qui participent à cette publication et bénéficient de sa visibilité auprès des amateurs. La revue est vendue 0,60 centimes de franc l'exemplaire ou 6,50 francs l'abonnement annuel.

À l'évidence la Première Guerre mondiale a raison de l'entreprise éditoriale de la Touraine. Publiée jusqu'en juin 1914, la revue est la résultante de la coopération de plusieurs sociétés savantes et artistiques d'Indre-et-Loire et des départements environnants. Les vingt-un numéros que comprend la revue tourangelle démontrent une volonté d'émulation artistique que chacune des associations défend en son territoire.

b) Le regroupement des sociétés au service de la pédagogie et de la mémoire régionale : l'instruction des jeunes artistes à l'érection des statues des grands hommes

Si la collaboration des sociétés savantes et d'encouragement aux Beaux-Arts dans la revue La Touraine tend à leur apporter une diffusion plus importante auprès d'un lectorat éclairé, elle intervient également à des fins pédagogiques à plus fort rayonnement, lorsque les sociétés se regroupent pour ériger sur le domaine public des statues à la gloire des grands hommes de la nation. Dans ce XIXe siècle pédagogique et moralisateur, les monuments aux personnages illustres « ne sont pas seulement le témoignage de la reconnaissance publique, ils servent à montrer aux générations nouvelles, comme un exemple, leur vie et leur oeuvre » 300, insiste l'artiste et homme politique, Étienne Dujardin-Beaumetz (1852-1913), brillant orateur en matière d'inauguration de monuments publics dont les propos résument assez justement ici les motivations guidant à la statuomanie. Sous ce terme, les commentateurs de l'époque et particulièrement les plus réticents désignent la multiplication des statues dans le paysage urbain de la France du XIXe siècle301. Ce mouvement prend racine à la suite de la Révolution et fait fortune jusqu'aux prémisses de la Seconde Guerre mondiale.

L'intégration des monuments dans les villes résulte de l'action de plusieurs acteurs : les municipalités, le Ministère de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes ainsi que les sociétés savantes et artistiques. Cependant se sont fréquemment ces dernières qui sont les relais de l'initiative politique des conseils municipaux et qui portent à elles seules l'organisation de

300 DUJARDIN-BEAUMETZ, Étienne, « Discours à l'inauguration du monument Eugène Froment à La Rochelle », Discours prononcés de 1905 à 1911, Paris, P. Dupont, in AGULHON, Maurice, « La statuomanie et l'histoire », Ethnologie française, nouvelle série, t. VIII, n° 2, 1978, p. 149.

301 PESSARD, Gustave, Statuomanie parisienne, étude critique sur l'abus des statues, Paris, Daragon, 1912.

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la levée des fonds nécessaires à l'érection des statues en place publique. Sur le strict territoire tourangeau, les sociétés savantes et artistiques sont en charge de nombreuses souscriptions. Il semble qu'à quelques exceptions, l'organisation et le financement de la réalisation des monuments est l'affaire de comités d'initiative réunissant les sociétés locales. En effet, dès 1898 la Société Littéraire et Artistique de Touraine sollicite auprès de la municipalité une subvention pour la réalisation d'une statue de Pierre Ronsard (1524-1585), d'après les moulages de son ancien monument funéraire du prieuré de Saint-Côme, conservés à la bibliothèque et au musée de Tours, au musée de la Société archéologique, aux Archives d'Indre-et-Loire et au musée de Blois302. Si la ville se porte favorable, le projet est continuellement repoussé. Ainsi la Société Littéraire et Artistique fonde elle-même en 1911, le Comité Ronsard et recueille « l'adhésion de la Société Archéologique de la Touraine, la Société des Amis des Arts de la Touraine, la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-lettres d'Indre-et-Loire, la Société Photographique, la Société de Géographie de Tours »303 ainsi que du Syndicat d'Initiative d'Indre-et-Loire304. Les protagonistes des bureaux de chacune des sociétés orchestrent la récolte des fonds, en sollicitant la bienveillance de leurs réseaux et de personnalités influentes de la sphère artistique. Le dramaturge Edmond Rostand (1868-1918), le musicien Camille Saint-Saëns (1835-1921) et l'historien de l'art Paul Vitry (1872-1941) figurent parmi les membres du comité d'honneur de la commission chargée de l'érection de la statue de Ronsard. L'exécution du monument est confiée au sculpteur Georges Delpérier (1865-1936). Dans un premier temps une maquette est réalisée305. Delpérier la présente au Comité Ronsard et l'expose au Salon des artistes français en 1912 (fig. 15.). Suivant la bonne réception de son projet, Delpérier exécute un plâtre grandeur nature l'année suivante, avant de livrer le monument définitif le 16 novembre 1924 (fig. 16) pour le 400e anniversaire de la naissance de Ronsard306.

Entre 1843 et 1934 les sociétés tourangelles participent au financement et à l'organisation de comités de souscription d'au moins onze statues : celle de René Descartes (1596-1650) en 1843, de Grégoire de Tours (538-594) et de François Rabelais (1493-1553) en 1849, d'Honoré de Balzac (1799-1850) en 1887, de Pierre-Fidèle Bretonneau (1778-1862), d'Armand

302 CHAIGNE, Bernard, « L'inauguration du monument de Ronsard, dans le jardin des Prébendes », Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, t. XLI, 1985, p. 257.

303 « Allocution de M. L. Paul-Boncour », La Touraine littéraire et artistique revue illustrée organe de la Société Littéraire et Artistique de la Touraine, n° 17-18, quatrième trimestre 1911, p. 270.

304 HENNION, Horace, « A Pierre de Ronsard », La Touraine, n° 1, 15 octobre 1912, p. 5.

305 Ibidem.

306 CHAIGNE, Bernard, op. cit., 1985, p. 258.

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Trousseau (1801-1867) et d'Alfred Velpeau (1795-1867) en 1888, d'Honorat de Bueil de Racan (1589-1670) en 1905, de Jules Baric (1825-1905) en 1906, de Pierre Ronsard en 1912, d'Alexandre Ripault en 1913, de Charles Bordes (1863-1909) en 1920 et de Charles-Jean Avisseau (1796-1861) en 1934. À l'évidence, l'essentiel de ces monuments sont édifiés sous la Troisième République. Et pour cause, elle apparaît dans « l'histoire comme le régime statuomanique par excellence » 307 en raison de son libéralisme, de sa laïcité et de son patriotisme la conduisant à honorer « à la fois les grands hommes de l'idée philosophique et révolutionnaire mais aussi ceux qui furent de bons serviteurs pour la France [É] quelle que soit leur époque » 308. À l'exception des monuments aux docteurs Bretonneau, Trousseau et Velpeau ainsi qu'à Grégoire de Tours, tous sont des représentations de littérateurs ou artistes - bien que Rabelais et Descartes soient également hommes de science - natifs de Touraine ou ayant exercé leurs arts dans la région, compte tenu des intérêts essentiellement artistiques des sociétés à l'origine des projets.

Si les travaux de Descartes sont devenus le patrimoine de la France, de l'Europe, du monde entier, son berceau appartient à la Touraine. C'était donc à la Touraine de prendre l'initiative d'une tardive réparation à sa mémoire. Elle le fait aujourd'hui, en réclamant le concours de tous les admirateurs de l'immortel fondateur de la philosophie moderne, pour élever une statue à celui qui, tour à tour jugé digne d'une sépulture royale et des honneurs du Panthéon, attend encore un monument durable qui atteste un souvenir reconnaissant de la postérité309.

À l'instar de la Société Archéologique, qui en 1843 réfléchit à faire élever dans la ville une statue en l'honneur de Descartes - statue qui est réalisée par Emilien de Nieuwerkerke (1811-1892) en 1848, présentée au Salon l'année suivante310 et livrée à la ville de Tours en 1852 (fig. 17) - les sociétés savantes et d'encouragement aux Beaux-Arts prennent à coeur le devoir de mémoire qu'elles s'imposent. Ainsi dans un souci d'émulation artistique du territoire, les sociétés s'efforcent de rendre hommage aux artistes qui ont participé à l'écriture de l'histoire de l'art régionale et nationale. Si ces monuments ont une valeur mémorielle pour la population tourangelle, ils lui sont également des sources d'enseignement et d'inspiration à prendre dans la vie et l'oeuvre des personnages statufiés.

307 AGULHON, Maurice, op. cit., 1978, p. 149.

308 Ibidem.

309 S.A.T., « Rapport sur la proposition d'élever à Tours une statue à René Descartes », Mémoires, t. II, Tours, Imp. Mame, p. 211.

310 [ANONYME], Explication des ouvrages de Peinture, Sculpture, Architecture, Gravure et Lithographie des artistes vivants, exposés au Palais des Tuileries le 15 juin 1849, Paris, Vinchon, 1849, [en ligne], Musée d'Orsay, Base Salons : http://salons.musee-orsay.fr/index/notice/209652 consulté le 02/05/2017.

Outre l'érection de monuments en l'honneur des grands artistes de la région, certains membres des sociétés tourangelles se regroupent pour dispenser un enseignement de l'histoire artistique du département. L'Institut tourangeau est fondé dans ce but en 1910 par Camille Enlart (1862-1927), conservateur du musée de sculpture comparée du Trocadéro. Il regroupe une vingtaine de conférenciers appartenant aux diverses sociétés savantes de la région. Ces érudits sont disposés à « vulgariser, d'une façon méthodique, impartiale et désintéressée, les notions de l'histoire de l'art en même temps que celles des lettres et des sciences, au point de vue Tourangeau » 311 (ann. 2.5.2.1). Les conférences de l'Institut semblent suivies par un auditoire varié composé de protagonistes de différentes classes sociales en vertu de droits d'entrée relativement faibles. Ainsi l'Institut tourangeau s'appréhende comme une institution à part entière dans le paysage culturel du département, d'autant qu'il se propose également de participer à l'enseignement de l'histoire de l'art de la Touraine aux élèves de l'école des Beaux-Arts de la ville. Dès lors la mission pédagogique des sociétés et de leurs membres s'inscrit également sous la forme de conférences.

Le regroupement des sociétés et des membres les constituant paraît nécessaire à l'émulation artistique du département. En effet, la collaboration des associations conduit indubitablement à développer les manifestations artistiques en Touraine et les initiatives pédagogiques, en raison de la combinaison des forces intellectuelles et des moyens financiers de chacune des sociétés. De fait, il semble que les actions communes des associations artistiques permettent d'instaurer un climat favorable pour le développement de l'art en région qui prennent notamment la forme d'expositions.

311 BONCOURT, Paul : Lettre adressée au maire de Tours au sujet de la mise à disposition d'une salle pour la tenue de conférences, 1er juillet 1914. Tours, Archives municipales, 2R 401/2.

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CHAPITRE III. LES EXPOSITIONS : LE GRAND THÉÂTRE DE LA VIE ARTISTIQUE LOCALE

I) Les expositions : des manifestations participant à la promotion du patrimoine ancien, de la production contemporaine régionale et à l'insertion de l'art parisien en Touraine

A. Mettre en lumière les mérites de la production régionale et (re)constituer une école tourangelle

À la Révolution et encore davantage sous l'Empire, la centralisation « a rendu impossible [É] la réorganisation des centres provinciaux comme foyers de manifestations d'art »312, compte tenu de la concentration des institutions culturelles et des artistes à Paris affirme Philippe Burty. À l'évidence les expositions organisées par les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts sont les grandes manifestations artistiques des départements au XIXe et au début du XXe siècle. Elles s'appréhendent ainsi comme les éléments majeurs de la décentralisation des affaires culturelles en région, engagée à partir des régimes politiques suivants. Si Tours peut sembler souffrir de la concurrence artistique parisienne, en raison de sa proximité géographique, il paraît toutefois que la faible distance séparant les deux villes participe à l'émulation des affaires culturelles de la préfecture d'Indre-et-Loire. En effet, les artistes parisiens sont nombreux à faire parvenir en Touraine leurs travaux lors de certaines expositions sociétales. Néanmoins, les sociétés de la province tourangelle ne concèdent pas à Paris son hégémonie artistique. Les expositions sont effectivement pour elles, l'occasion d'insister sur les caractéristiques et les particularités du sol et de l'art tourangeaux dans le souci de « rester autre »313. Dès lors, les érudits locaux semblent s'efforcer de conserver cette identité culturelle symbolique et spécifique propre à la Touraine dans leurs publications, mais également lors de l'organisation des expositions.

312 BURTY, Philippe, « L'Exposition de Bordeaux », op. cit., p. 465, in BONNET, Alain, « La Société des Amis des Arts de Nantes : l'action sur le marché de l'art local », in HOUSSAIS, Laurent, LAGRANGE, Marion, op. cit., 2010, p. 32.

313 HOUSSAIS, Laurent, LAGRANGE, Marion, Marché de l'art en province, op. cit., 2010, p. 10.

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a) La Touraine : un héritage culturel inouï propice à la construction d'une école artistique

locale

Deux fois capitale à la Renaissance, d'abord sous le règne des Valois au XVe siècle puis sous le règne d'Henri III (1551-1589 ; 1574-1589) entre 1584 et 1588, Tours jouit d'une riche histoire politique dont elle tire un patrimoine artistique important, à l'instar de la Touraine en général, terre d'accueil de la royauté depuis Charles VII (1403-1461 ; 1422-1461) jusqu'à François Ier (1494-1547 ; 1515-1547). Dans l'introduction de son ouvrage consacré à l'histoire des arts en Touraine publié en 1870, Charles de Grandmaison (1824-1903) commence par démontrer la jeunesse de l'histoire de l'art en province. Cependant il semble conclure que si la discipline est à son balbutiement autant en Touraine que dans les autres régions, les oeuvres et les artistes du jardin de la France sont d'une toute autre valeur que celles et ceux des autres provinces, en vertu de leur importance dans l'histoire de l'art de la Renaissance française.

L'histoire des arts est encore à faire, en Touraine, comme dans presque toutes les provinces de France. Tours, cependant, a été au Moyen Âge et à la Renaissance un des grands centres artistiques de la France. Mais de cette école qui a compté dans son sein Fouquet, Poyet, Bourdichon, Michel Colombe, les Juste, c'est à dire, les plus grands peintres et les plus grands sculpteurs de la Renaissance française, qui a produit tant de chefs-d'oeuvre d'orfèvrerie dont la délicatesse et l'élégance n'ont jamais été surpassées, qui a semé sur les rives de la Loire, du Cher et de l'Indre, tant de magnifiques et délicieuses constructions; de cette école, on ne connaît que quelques noms glorieux entre tous, mais qui apparaissent isolés comme de rares colonnes au milieu d'un désert jadis couvert de monuments314.

L'histoire de l'art en Touraine ne semble reposer jusqu'alors que sur quelques noms illustres. Ainsi dans son ouvrage, Charles de Grandmaison s'emploie à exhumer des archives les noms des artistes tourangeaux oubliés, dans l'objectif de proposer une étude sur la formation des artistes et sur la généalogie de la diffusion des formes la plus exhaustive possible. Il détermine par ailleurs ce qui a conduit à ne retenir notamment, que les noms de Jean Fouquet (1420-1481), de Jean Poyet (1465-1503), de Jean Bourdichon (1456-1520), de Michel Colombe (1430-1515) et des frères Juste, qui presque tous profitent d'études monographiques en cette fin du XIXe siècle. À eux seuls, ces artistes semblent régir l'ensemble de l'histoire de l'art de la Touraine, mais également les histoires plus générales de l'art de la Renaissance et de l'art national français. Ainsi Ernest Giraudet n'hésite pas à défendre « le rôle important que la

314 GRANDMAISON, Charles de, Documents inédits pour servir à l'histoire des arts en Touraine, (Paris, J. B. Dumoulin, 1870), Nogent le Roi, Librairie des Arts et Métiers-Éditions, 1997, p. I.

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Touraine remplit dans l'histoire de notre art national »315 dans l'étude qu'il consacre aux artistes tourangeaux depuis la période médiévale jusqu'à la première moitié du XIXe siècle. La construction de ce discours idéologique autour des artistes tourangeaux de la Renaissance conduit à faire de cet héritage un terreau propice au développement artistique et à la formation d'une école tourangelle. Ainsi comme le souligne Georges Jolais, membre la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres « Jehan Fouquet, François Clouet, Bourdichon [É] ont laissé derrière eux toute une pépinière de jeunes qui sont en train de rendre à l'École de Tours son ancienne splendeur »316. De fait, la jeune génération d'artistes de la région est inscrite dans cet héritage culturel pour la distinguer de la production artistique parisienne vivante et se débarrasser « des idées préconçues qui tendent à faire croire que seul Paris a le monopole du beau »317.

La Société Archéologique de Touraine s'inscrit également dans ce contexte de revalorisation et de redécouverte de la production et du patrimoine artistique ancien de la région, en organisant des expositions rétrospectives. Si l'exposition de 1887 (4.2) est plus spécialement dévolue à l'art religieux en raison de la célébration du jubilé du pape Léon XIII (1810-1903 ; 1878-1903), les exhibitions de 1873 et de 1890 convoquent des oeuvres de toutes les écoles européennes et les confrontent à celles de l'école nationale française. Ces expositions prennent à l'évidence pour modèle l'exposition Art Treasures of the United Kingdom ouverte à Manchester en 1857 et organisée par un groupe d'industriels et d'hommes d'affaires locaux convaincus que les « trésors d'art du Royaume-Uni étaient, par leur nature, leur quantité et leur intérêt, supérieurs à ceux des collections du continent »318. Les érudits anglais cherchent visiblement à mettre en lumière la valeur des collections réunies sur le sol national ainsi que les spécificités de leur art insulaire en recourant aux prêts des collectionneurs de la patrie. La Société Archéologique semble suivre un raisonnement analogue. Ainsi en 1873 et 1890, elle présente le riche patrimoine artistique ancien conservé dans les collections particulières locales. À l'instar des organisateurs de l'exposition de Manchester, Léon Palustre met en exergue le

315 GIRAUDET, Ernest, « Les artistes tourangeaux : architectes, armuriers, brodeurs, émailleurs, graveurs, orfèvres, peintres, sculpteurs, tapissiers de haute lisse. Notes et documents inédits », Mémoire de la Société Archéologique de Touraine, t. XXXIII, Tours, imp. Rouillé-Ladevèze, 1885, p. VI.

316 JOLAIS, Georges, « Dans les cercles de Paris : les expositions », Annales de la Société d'Agriculture, sciences arts et belles lettres, t. LXXVIII, Tours, Imp. Deslis, 1898, p. 60.

317 Ibidem.

318 FINKE, Ulrich, « The Art-Treasures Exhibition » in HASKELL, Francis, The Ephemeral Museum Old Masters Paintings and the Rise of the Art Exhibition, New Haven, London, Yale University Presse, 2000, (Le musée éphémère : Les maîtres anciens et l'essor des expositions, trad. de l'anglais par Pierre-Emmanul Dauzat, Paris, Gallimard, 2002, p. 116).

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prestige des collections tourangelles dans l'introduction de l'Album de l'exposition rétrospective de 1890.

La Touraine, incontestablement, figurerait toujours au premier rang ; car, dans cet admirable pays, où les propriétés sont disputées par les favorisés de la fortune, il y a, pour ainsi dire, continuel apport d'oeuvres remarquables.

La Touraine est semble-t-elle exceptionnelle en ce qui concerne la qualité des oeuvres conservées dans les collections particulières. Des oeuvres des grands maîtres de l'art français sont ainsi exposées à l'exposition de 1873, à l'exemple d'un Portrait de Madame de Châteauroux par Jean-Marc Nattier (1685-1766) (fig. 18), de L'évanouissement d'Amphitrite par François Boucher (1703-1770) (fig. 19) et de quelques céramiques de Bernard Palissy (1510-1589) (fig. 20). À leurs côtés, des oeuvres des artistes tourangeaux sont exposées. À l'évidence ce sont les céramiques de Charles-Jean Avisseau qui sont les plus nombreuses (fig. 21). Prêtées par son fils, Joseph-Édouard (1831-1911) ainsi que par d'autres amateurs comme Charles Seller319, les oeuvres de Charles-Jean Avisseau sont directement confrontées aux oeuvres des maîtres anciens, dont le concept remonte à l'Italie de la Renaissance et s'est au fil du temps appliqué à tous les artistes ayant vécu avant la Révolution320. Si Avisseau connaît un certain succès auprès des habitants de Tours et même des souverains européens, à l'exemple de la princesse de Talleyrand (1762-1834) qui lui passe la commande d'une large assiette pour le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV (1795-1861), il ne bénéficie assurément pas de la même reconnaissance que Jean-Marc Nattier et François Boucher - bien que ces derniers ont été redécouverts assez récemment après avoir été oubliés complétement à la période néo-classique - et surtout de Bernard Palissy, dont il tire son inspiration. Peut-être est-il possible de considérer que cette exposition concomitante des oeuvres d'Avisseau, mort seulement douze ans auparavant, à celles d'artistes inscrits et reconnus dans l'histoire de l'art nationale, participe à la légitimation de son oeuvre en l'inscrivant dans une histoire universelle de l'art. Cela favorise par ailleurs la reconstruction d'une école tourangelle en jouant sur les spécificités locales. Ainsi les nombreux suiveurs de Charles-Jean Avisseau, à l'instar de son fils, de Joseph Landais (1800-1883), d'Auguste-François Chauvigné (1829-1904), d'Auguste-Alexandre Chauvigné

319 [ANONYME], Catalogue de l'Exposition rétrospective d'objets d'art, Tours, Imp. J. Bousrez, 1873, p. 67-68.

320 HASKELL, Francis, op. cit., 2002, p. 21.

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(1855-1929), de Léon Brard (1830-1902) et d'Armand-Louis-Henri Carré-de-Busserolle (1823-1909), participent à la construction de cette école321.

b) La constitution d'une école tourangelle au XIXe siècle grâce aux expositions sociétales

Avisseau apparaît comme l'un des artistes les plus fameux de la Touraine au XIXe siècle. Il tourne autour de lui une émulation particulière, dont les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts ne sont pas innocentes, puisqu'organisant des manifestations artistiques en tout genre à propos de cet artiste. La Société Littéraire et Artistique organise notamment entre 1902 et 1904 une soirée musicale et dramatique en l'honneur de Charles-Jean Avisseau, durant laquelle Horace Hennion déclame notamment un poème intitulé Avisseau le potier de Tours322. Aussi en 1934, une statue en l'honneur de l'artiste et de ses suiveurs est érigée dans le parc Mirabeau à l'occasion des Jeux Floraux, grâce à une souscription orchestrée par la Société Littéraire et Artistique. Toutefois les expositions organisées par les sociétés de Beaux-Arts de Tours participent également à la valorisation de l'oeuvre d'Avisseau et de ses suiveurs auprès des amateurs. En effet, les oeuvres de ces artistes reprenant la formule de Bernard Palissy sont régulièrement présentées au public dans les expositions sociétales et sont l'une des attractions et des fiertés artistiques de Touraine depuis le milieu du XIXe siècle jusqu'au début du XXe siècle.

[É] n'oublions pas de mentionner avec orgueil les produits de la poterie de Tours. En effet, notre ville seule peut fournir aujourd'hui des vases en terre émaillée, qui sont capables de rivaliser avec les chefs-d'oeuvre de Bernard Palissy, ou plutôt qui les dépassent sous plusieurs rapports. M. Avisseau, l'habile et persévérant artiste, [É] expose un grand nombre de plats et de vases323.

À l'évidence les propos de ce rédacteur du Journal d'Indre-et-Loire publiés en 1847 à l'occasion de l'exposition organisée par la Société Archéologique de Touraine ne sont pas dénués d'ardeur régionaliste. Pour autant, ils semblent faire écho au discours défendu par les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts de Tours, tout au long du XIXe et jusqu'au début du XXe siècle, au sujet de la production locale en général. Les sociétés d'émulation artistique sont effectivement des avatars essentiels du développement de l'art dans la région, en encourageant et impulsant la carrière des artistes du département au cours des expositions. Ainsi, les

321 GENDRON, Christian, « Les imitateurs de Bernard Palissy », Albineana, Cahiers d'Aubigné, vol. 4, n° 1, 1992, p. 201-206.

322 Affiche de la soirée à Charles-Jean Avisseau organisée par la Société Littéraire et Artistique, Tours, A.M., 2R 401/2.

323 [ANONYME], « Exposition de tableaux et d'objets d'art. Premier article. », Journal d'Indre-et-Loire, n° 124, 11 septembre 1847, p. 2.

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expositions peuvent s'appréhender comme des tremplins nécessaires dans la carrière des artistes originaires de la région, mais aussi comme des étapes incontournables à la constitution d'une école artistique. En 1847, la Société Archéologique semble être à l'origine du développement de la carrière de Julien-Léopold Lobin. Né à Loches et formé à Paris dans l'atelier d'Hippolyte Flandrin (1809-1864), Lobin présente à l'exposition une série de trois peintures de genre historique, dont Léonard de Vinci peignant le portrait de la Joconde au milieu des musiciens (fig. 22). Remportant un succès critique dans la presse locale324, Lobin se voit confier l'année suivante, la direction de l'Atelier de vitraux peints de Tours créé en 1847 par l'abbé Preuilly, membre éminent de la Société Archéologique de Touraine325. Ainsi de 1848 à 1904, l'Atelier Lobin se présente comme l'un des établissements artistiques majeurs du paysage de Touraine. Il s'appréhende comme un élément essentiel de l'école de Tours, en raison de sa dynamique et du nombre d'artistes formés en son sein, à l'instar de Ferdinand Pitard et du successeur Lucien-Léopold Lobin, tous deux membres fondateurs de la Société des Amis des Arts de la Touraine.

Dans les expositions organisées par cette société la question de la constitution d'une école tourangelle semble encore plus prégnante. Si les expositions de 1882 et 1889 sont ouvertes également aux artistes parisiens, celles de 1885, 1886 et 1887 sont strictement réservées à leurs membres. Dès lors un cercle d'artistes locaux se constitue à Tours. Paul Gagneux (-1892), Ferdinand Pitard, René-Louis Damon (1854-1934) ou Louis Muraton (1850-1919) sont les artistes récurrents des expositions de la Société des Amis des Arts de la Touraine. L'acquisition de leurs toiles par la municipalité au cours des expositions semble participer à la fondation officielle d'un art tourangeau. La municipalité achète plusieurs oeuvres de ce cercle d'artistes au cours des Expositions nationales de 1881 et 1892 dont les Fleurs variées de Grégoire Chapoton (fig. 23) sous la recommandation de Félix Laurent (ann. 2.3.1.1)326. La ville acquiert également des oeuvres lors des expositions de la Société des Amis des Arts, à l'exemple du tableau intitulé L'Alsace de Ferdinand Pitard exposé en 1887 (fig. 24) (ann. 2.3.2). Ce tableau paraît inédit dans l'oeuvre de ce peintre de portrait. En effet Pitard ne traite que rarement des scènes de genre d'inspiration historique et n'exprime de fait qu'exceptionnellement son patriotisme, comme il peut le faire au travers de L'Alsace. Dans cette oeuvre, Pitard fait

324 [ANONYME], « Exposition de tableaux et d'objets d'art. Quatrième article. », Journal d'Indre-et-Loire, n 123, 9 septembre 1847, p. 2.

325 IRLANDES, Alain, BLONDEL, Nicole, DORÉ, Catherine et alii, L'atelier Lobin : l'art du vitrail en Touraine, Chambray-les-Tours, C. L. D., 1994, p. 23.

326 LAURENT, Félix (conservateur du musée) : Lettre adressée au maire de Tours au sujet de l'acquisition par la ville d'oeuvres provenant de la loterie de l'exposition nationale de 1892, 14 mars 1893, Tours, A.M., 2R1 boîte 223.

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référence à l'annexion de l'Alsace-Lorraine depuis la signature du traité de Francfort en mai 1871 et au durcissement de la politique de l'Empire allemand envers les territoires rattachés327. Pour l'artiste « il ne s'agit pas [É] d'une affaire commerciale, mais de l'honneur qu'on obtient après un travail acharné quand la réussite semble avoir souri à vos constants efforts »328. Il n'hésite donc pas à concéder à la municipalité l'achat de son tableau pour la somme de 500 francs329 alors qu'il le propose initialement au tarif de 1 200 francs pour le musée, voire 2 000 francs pour un amateur330. Les achats pour le musée sont manifestement une forme de reconnaissance du travail de ces artistes, tandis que l'accrochage de leurs oeuvres au sein de l'institution muséale rend compte publiquement de la production de l'école locale.

La section artistique de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres semble avoir conscience du rôle qu'elle joue dans le paysage artistique local et dans la renaissance d'une école tourangelle, en précisant que « c'est aux sociétés artistiques d'Indre-et-Loire qu'il appartient de mettre en relief nos compatriotes »331. Les salons organisés par cette dernière favorisent et « font appel à tous les artistes tourangeaux » 332 qu'ils soient confirmés ou débutant. Si la société s'efforce d'encourager les artistes locaux par le biais de l'organisation d'expositions, il semble qu'elle entend aller plus loin dans le développement de l'art tourangeau à partir de 1901, en achetant au cours de ses manifestations des oeuvres en vue de constituer un musée consacré aux Beaux-Arts de la région333. Néanmoins le musée des oeuvres locales semble rester à l'état de projet.

Par souci de régionalisme et tentative de « rester autre », les sociétés artistiques encouragent au cours de leurs expositions la production des peintres travaillant en Touraine. Elles participent par conséquent à la constitution d'une école tourangelle. Cependant les artistes originaires de Touraine et faisant carrière à Paris sont de surcroît l'orgueil des associations et de la population locale, puisque représentant l'école de Tours en dehors des frontières du

327 MOREAU, Véronique, Peintures du XIXe siècle, catalogue raisonné, musée des Beaux-Arts de Tours, château d'Azay-le-Ferron, Vol. 2, Paris, Imp. Nationale, 1999, p. 578-579.

328 PITARD, Ferdinand : Lettre adressée au maire de Tours proposant l'achat de L'Alsace par la ville pour le musée des Beaux-Arts, 12 juin 1887, Tours, A.M., 2R boîte 223.

329 PITARD, Ferdinand : Lettre au maire de Tours proposant l'achat de L'Alsace par la ville pour le musée des Beaux-Arts pour la somme de 500 francs, s. d.., Tours, A.M., 2R boîte 223.

330 PITARD, Ferdinand, Lettre... op. cit., 12 juin 1887, Tours, A.M., 2R boîte 223.

331 JOLAIS, Georges, op. cit., 1898, p. 60.

332 Ibidem.

333 CHAUVIGNÉ, Auguste, « Rapport sur les travaux de la société pendant l'année 1900 », Annales de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres, t. LXXXI, Tours, Imp. Deslis, 1901, p. 90.

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département. Ces artistes sont régulièrement célébrés à partir des décennies 1840-1850 dans les pages des quotidiens régionaux, dans des articles intitulés « Les artistes tourangeaux au Salon ». En publiant l'actualité de ces peintres, les journalistes locaux s'efforcent de démontrer le terreau fertile de la Touraine et les spécificités de l'art dans le jardin de la France. Néanmoins ces articles ne sont pas une particularité propre à l'Indre-et-Loire, puisque dans les mêmes années en Normandie, les artistes originaires de la région sont également félicités dans le but de promouvoir localement leurs oeuvres auprès des collectionneurs334.

Pour autant la définition d'artiste tourangeau, comme celle d'artiste normand comme le fait remarquer par ailleurs Dominique Lobstein, responsable de la bibliothèque du Musée d'Orsay, semble variable et parait profiter à l'émulation artistique de la région et des associations d'encouragement aux Beaux-Arts. Elle comprend à la fois des artistes nés et travaillant en Touraine, des artistes nés mais ne vivants plus dans la localité, des artistes d'origine tourangelle mais n'ayant jamais habité la région et des artistes issus d'autres départements mais étant considérés comme tourangeau, en raison de l'exposition régulière de leurs oeuvres dans le département. Tel est le cas de Grégoire Chapoton, lorsque la Société des Amis des Arts s'emploie à faire acquérir par la ville l'une de ses natures-mortes en 1887. Jacques Drake del Castillo définit sous ces termes l'identité particulière de l'artiste : « M. Chapoton pendant quatre années de suite a exposé à Tours, il peut donc être considéré comme un véritable artiste tourangeau, quoiqu'il ne réside pas constamment ici »335 (ann. 2.3.1.1). Dès lors Grégoire Chapoton apparaît comme un peintre tourangeau d'adoption. L'identité tourangelle est également attribuée à Georges Moreau (1848-1901). Fils du célèbre médecin aliéniste Jacques Moreau (1804-1884), Georges Moreau dit « de Tours » n'est tourangeau que de son côté paternel et ne semble fréquenter la Touraine qu'à de rares occasions. Pour autant son origine tourangelle suscite l'attention de la Société des Amis des Arts. En effet, la société sollicite auprès de la ville de Tours l'achat de L'Égyptologue (fig. 25)336. La toile est présentée en 1882 à l'occasion de la première exposition de la Société des Amis des Arts. Elle remporte une fortune critique importante, si ce n'est que son fond sombre et son large cadre lui sont

334 LOBSTEIN, Dominique, « Les artistes normands au Salon : un outil de promotion locale des artistes normands exposant dans les salons parisiens », in HOUSSAIS, Laurent (éd.), LAGRANGE, Marion (éd.), MOULIN, Raymonde (éd.) et alii, op. cit., 2010, p. 89-100.

335 DRAKE DEL CASTILLO, Jacques : Lettre adressée au maire de Tours au sujet de l'achat, du tableau de Grégoire Chapoton, 24 juin 1887, f 2, Tours, A.M., 2R1 boîte 223.

336 Registre des délibérations du Conseil municipal de la Ville de Tours. Séance du 6 novembre 1882, Tours, A.M., 1D 72.

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reprochés337. L'acquisition de ce tableau par la ville est soutenue par la presse qui met également en lumière l'identité tourangelle de l'artiste338.

À l'évidence les expositions des sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts participent activement à l'émulation des artistes locaux et à la reconstitution d'une école tourangelle. Manifestement cette école à laquelle aspire l'ensemble des sociétés, prend son origine symbolique dans l'art de la Renaissance, qui est à la fois représentatif de l'art régional et de l'art national français. Ainsi les érudits et les membres des sociétés artistiques s'efforcent d'inscrire la jeune génération dans la lignée des grands artistes de la Renaissance tourangelle. Toutefois la définition d'artiste tourangeau est poreuse et semble pouvoir s'appliquer à bon nombre de protagonistes en vue de représenter la Touraine sur la scène artistique nationale et internationale. Si les expositions des artistes locaux en général et de la Société des Amis des Arts de la Touraine de 1885 et 1886 en particulier remportent l'appréciation du public, il semble néanmoins que cette restriction à la production tourangelle soit rapidement désapprouvée. Dès 1887 les Amis des Arts subissent de vives critiques quant aux choix des oeuvres et des artistes exposés. La presse pointe notamment l'aspect redondant des expositions de la société, compte tenu de la place récurrente de certains artistes locaux au détriment de la présence d'artistes étrangers et principalement parisiens. Dès lors la Société des Amis des Arts s'affère à compenser la présence répétitive de ces artistes en ouvrant sa dernière exposition à l'ensemble des artistes.

B. Les expositions des oeuvres des artistes parisiens : des événements inédits en Touraine

À l'évidence une minorité d'expositions sociétales en Touraine proposent la présentation d'oeuvres d'artistes parisiens. L'essentiel des expositions sont en effet consacrées à l'exhibition de la production de Touraine, mais également des départements environnants à l'instar de la Sarthe, de la Loire-Inférieure, du Loiret, de la Vienne, de l'Indre, du Maine-et-Loire et du Loir-et-Cher339. Seules les expositions de 1853, 1882 et 1889 organisées par les sociétés des Amis

337 VAN KELLER, « Salon de Tours. Exposition de Peinture. La peinture de genre et de fantaisie. Lettre II », Journal d'Indre-et-Loire, n° 257, 1er novembre 1882, p. 2.

D. C., « Exposition de la Société des Amis des Arts de la Touraine », Chronique des Arts et de la Curiosité, n°32, 28 octobre 1882, p. 247.

338 VAN KELLER, « Salon de Tours. Exposition de Peinture. La peinture de genre et de fantaisie. Lettre II », op. cit, p. 2.

339 [ANONYME], « Exposition des produits des arts et de l'industrie », Journal d'Indre-et-Loire, n° 76, 2 juin 1841, p. 1.

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des Arts du département d'Indre-et-Loire, ainsi que les Expositions nationales de Tours de 1881 et 1892, accueillent des oeuvres des artistes de Paris. En conséquence le public, mais aussi une partie des artistes locaux ne sont que rarement confrontés à la production artistique de la capitale. Celle-ci diffère à n'en pas douter de la production régionale, puisque Paris est évidemment au XIXe, voire jusqu'à la première moitié du XXe siècle, l'épicentre des arts en France et en Europe. Dès lors, il convient de s'intéresser à la réception et la perception en Touraine de l'art vivant de la capitale.

a) L'invitation des artistes parisiens en Touraine : entre mise en exergue du « grand genre »

et renversement de la hiérarchie

À première vue, la circulation des oeuvres et des artistes ne semble s'effectuer qu'à sens unique entre Paris et la Touraine, en raison de l'attraction culturelle de la capitale française. Malgré la proximité géographique et le développement des réseaux de transports, la Touraine ne reçoit qu'à de rares exceptions la production artistique parisiennne, alors que les artistes tourangeaux sont toujours plus nombreux à faire la démarche inverse, du fait de la présentation de leurs oeuvres au Salon. Dès lors les expositions artistiques parisiano-tourangelles s'appréhendent comme des événements majeurs en Indre-et-Loire. La présence des artistes parisiens en Touraine réside en partie de la médiatisation des expositions d'Indre-et-Loire dans la presse artistique nationale. Si pour l'exposition de 1853, cette information n'a pu être vérifié, pour les expositions de la Société des Amis des Arts de la Touraine, des annonces sont publiées dans Le Courrier de l'art et dans la Chronique des arts et de la curiosité. Ainsi en 1882, les artistes et les marchands parisiens sont avertis à partir du 22 juillet - soit près de deux mois et demi avant l'ouverture de l'exposition - des conditions nécessaires à remplir pour l'envoi et l'exposition de leurs oeuvres. L'annonce précise notamment l'obligation de déposer les tableaux « du 1er au 15 août (dernier délai) chez M. Pottier, rue Gaillon, 14, représentant de la Société »340 à Paris. Si l'annonce advient relativement tard, elle précise par ailleurs le recours à la société de Charles Pottier pour l'expédition des oeuvres vers Tours. Emballeur de tableaux et d'objets d'art, Charles Pottier est régulièrement missionné entre 1880 et 1930 pour le transport des oeuvres des artistes parisiens vers les salons de province française, mais également vers les expositions à l'étranger. La Société des Amis des Arts de Lyon, celle de Cherbourg ou celle de Saint-Quentin par exemple, ont recours aux services de son entreprise en 1884341. Le dépôt des

340 [ANONYME], « Concours et expositions », Chronique des arts et de la curiosité, n° 25, 22 juillet 1882, p. 191.

341 [ANONYME], « Expositions prochaines », Le Courrier de l'art : chronique hebdomadaire des ateliers, des musées, des expositions, des ventes publiques, n° 46, 14 novembre 1884, p. 549.

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oeuvres des artistes de Paris invités à prendre part à l'exposition est finalement reculé au 1er septembre, en raison du peu de temps qui était imparti342.

Lorsque sont organisées à Tours les expositions des travaux des artistes locaux et parisiens, les commentateurs des quotidiens régionaux n'hésitent pas à exalter la valeur des oeuvres envoyées depuis Paris. Tel est le cas de ce rédacteur du Journal d'Indre-et-Loire, qui en 1853, attire l'attention du public sur l'exposition de la Société des Amis des Arts de Touraine.

Elle comprend environ trois cents tableaux remarquables des meilleurs maîtres vivants, et l'élite de ceux qui ont figuré à la dernière exposition de Paris. Disposée avec beaucoup d'intelligence et de goût par la commission chargée de présider à son arrangement, elle offre une collection comme il

n'en a point encore en province, et un ravissant spectacle pour tous ceux qui ont l'amour des Beaux-Arts343.

L'exposition de 1853 est une manifestation de Beaux-Arts inédite en Touraine de part la provenance et le nombre d'oeuvres exposées. Elle est la première à proposer aux tourangeaux de se confronter à l'art vivant parisien et international. Ainsi bon nombre d'oeuvres exposées lors des derniers Salons sont présentées à l'exposition de la Société des Amis des Arts, à l'exemple de La mort de Charles le Téméraire (fig. 26) par Charles Houry344 (1829-1898) présentée au Salon de 1852345. Peintre d'origine belge, Houry se forme dans l'atelier de Léon Cogniet (1794-1880) tout en débutant parallèlement une carrière de peintre sur porcelaine à la manufacture de Sèvres. Il commence à exposer au Salon à partir de 1850. Son tableau est célébré dans les colonnes du Journal d'Indre-et-Loire en reconnaissant notamment qu'il y « règne [É] un ton sombre et mélancolique très-bien approprié à la scène qui y est représentée »346. Manifestement le journaliste tourangeau omet l'origine belge de Charles Houry et l'insère dans l'école française, à l'inverse d'Arsène Houssaye (1815-1896), qui l'année précédente l'inscrivait dans l'école artistique belge347. La mort de Charles le Téméraire est exposée dans l'église des Minimes (ann. 4.1) au côté d'autres peintures d'histoire et de genre

342 [ANONYME], « Concours et expositions », Chronique des arts et de la curiosité, n° 27, 19 août 1882, p. 207.

343 [ANONYME], « Tours. Exposition de Peinture », Journal d'Indre-et-Loire, op. cit., 8 septembre 1853, p. 2.

344 [ANONYME], « Exposition de Tableaux aux Minimes. Premier article. », Journal d'Indre-et-Loire, n° 220, 17 septembre 1853, p. 1.

345 [ANONYME], Explication des ouvrages de peinture, sculpture, gravure, lithographie et architecture des artistes vivants, exposés au Palais-Royal, Paris, Vinchon, 1852, [en ligne], Musée d'Orsay, Base Salons : http://salons.musee-orsay.fr/index/exposant/87364 Consulté le 13/05/2017.

346 [ANONYME], « Exposition de Tableaux aux Minimes. Premier article. », op. cit, p. 1.

347 HOUSSAYE, Arsène, « Salon de 1852. Autre point de vue », L'Artiste, 5ème série, t. VIII, 1er mai 1852, p. 98.

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historique, dont les deux tableaux d'Ary Scheffer (1795-1858) intitulés Macbteh consultant les sorcières (fig. 27) et Les Saintes Femmes. L'ensemble de ces toiles historiques semble remporter l'adhésion des commentateurs de l'époque, comme en témoigne les rapports de l'exposition qui commencent immanquablement par examiner ces peintures.

Nous ne prétendons en rien classer les peintres dont nous allons nous entretenir avec nos lecteurs dans un ordre d'importance et de mérite; nous nous bornons à examiner successivement les tableaux qui ont fixé notre attention, en donnant le pas au genre le plus sérieux, à l'école dite historique, école de plus en plus abandonnée et à laquelle il faudra pourtant bien revenir348.

Si ce journaliste se défend de toute opinion sur la valeur esthétique et artistique des différents genres de peinture, en recourant à l'argument traditionnel de la hiérarchie des genres, il semble néanmoins attaché à débuter son examen par la peinture d'histoire, genre tendant à disparaître au profit de la peinture de genre historique et plus encore des genres mineurs, tels que le paysage et la nature-morte. Il semble de surcroît engager les peintres à renouer avec la peinture d'histoire. Dès lors il s'oppose au discours d'un certain nombre de critiques parisiens à commencer par Louis Clément de Ris (1820-1882), qui dans sa revue du Salon de 1852, se heurte à l'entêtement de certains peintres à perpétuer ce genre de peinture349. À son déclin à Paris, la peinture historique n'est pas plus pratiquée par les artistes en région et particulièrement en Touraine au XIXe siècle, à cause de ses dimensions colossales, qui peinent à la faire entrer dans les intérieurs des collectionneurs. Le discours de ce journaliste apparaît dès lors comme une exception. Si pour les organisateurs de l'exposition la présentation d'oeuvres du « grand genre » est à l'évidence prestigieuse, il semble néanmoins que ces derniers n'ont pas vocation à insuffler en Touraine une production dont les peintres ne trouveraient pas d'amateurs, d'autant que l'école municipale des Beaux-Arts de Tours placée sous la direction de Jean-Charles Henri Raverot (1793-1869), continue à prodiguer une formation en lien étroit avec la production manufacturière de soierie. De fait, la peinture d'histoire n'est pas le but ultime vers lequel tendre pour la jeune génération d'artistes tourangeaux.

Si en 1853 la peinture d'histoire est encore représentée par quelques grands maîtres de l'art vivant, au cours des expositions suivantes organisées à Tours, elle est supplantée entièrement par les paysages, les portraits, les natures-mortes et a fortiori les oeuvres de genre

348 [ANONYME], « Tours. Exposition de Peinture », op. cit., 8 septembre 1853, p. 2.

349 CLÉMENT DE RIS, Louis, « Le Salon », L'Artiste, 5ème série, t. VIII, 15 avril 1852, p. 82.

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qui semblent être l'apanage « du génie français »350. Dès lors les artistes de Paris envoient principalement des oeuvres de genres mineurs dans les salons de province, à l'instar des artistes locaux qui exposent principalement des paysages et des natures-mortes. Les tableaux de chevalet sont en effet l'essentiel des oeuvres présentées à l'exposition de 1853, mais surtout de 1882 et 1889. Il semble de cette manière que la production vivante ne correspond plus à la hiérarchie instaurée au XVIIe siècle par l'Académie. L'exposition massive des tableaux de paysages et de genre tend à instaurer une nouvelle hiérarchie, faisant ainsi de ces peintures d'agrément les genres les plus goûtés par le public et les artistes. Ce retournement résulte essentiellement d'une volonté mercantile et d'adaptation au goût. En effet, les oeuvres de genre comme les paysages sont des genres particulièrement appréciés des collectionneurs pour leur faculté décorative, comme en témoigne le discours de ce journaliste, à propos du tableau de Beaume intitulé Les Amateurs et exposé en 1853 :

Cette petite toile, qui rappelle à plus d'un égard les sujets favoris de notre célèbre Meissonier, doit convenir à toutes les personnes qui se plaisent à orner leur demeure d'oeuvres artistiques d'un aspect agréable, et nous serions étonnés qu'elle quittât Tours351.

Néanmoins certains artistes de genres mineurs parmi les plus avancés, s'appréhendent à l'instar des grands peintres d'histoire comme des célébrités nationales. Ainsi en exposant en 1882 l'une des toiles de sa série des Souvenirs d'Écosse, Gustave Doré (1832-1883) fait figure de maître du paysage parmi le corpus de paysagistes réunis (ann. 3.1). Par ailleurs, la somme de 6 000 francs352 nécessaire à l'acquisition de son tableau le distingue des prétentions marchandes de l'ensemble des peintres, qu'ils soient tourangeaux ou parisiens, bien que ces derniers vendent généralement leurs oeuvres à des tarifs plus dispendieux, en raison de leur célébrité mais également du coût de la commission des marchands qui les représentent et des frais liés à l'envoi de leurs oeuvres.

b) Les artistes parisiens, des modèles « du bon goût » pour les tourangeaux ?

Événements relativement rares en Touraine, les expositions invitant les artistes vivants de la capitale peuvent s'appréhender comme des compléments pédagogiques éphémères aux collections du musée de Tours, qui ne comprennent guère d'oeuvres contemporaines jusqu'à la

350 VAN KELLER, « Salon de Tours. Exposition de Peinture. La peinture de genre et de fantaisie. Lettre II », op. cit, p. 2.

351 [ANONYME], « Exposition de Peinture. Troisième article. », Journal d'Indre-et-Loire, n° 227, 25 septembre 1853, p. 2.

352 S.A.A., Exposition de 1882, op. cit., 1882, p. 39.

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fin du XIXe siècle. Ainsi en 1853, peu d'oeuvres d'artistes vivants sont exposées au sein de l'institution muséale de Tours, comme le souligne sévèrement Léonce de Pesquidoux (18291900) dans ses Études sur les musées : « L'école moderne est représentée par un petit tableau de Delacroix È353. Les Comédiens ou Bouffons arabes d'Eugène Delacroix déposés par l'État en 1848 (fig. 28), est en effet l'un des seuls tableaux contemporains d'artistes vivants de stature nationale conservés au musée de Tours, outre notamment L'âme exilée (fig. 29) de Charles Lefebvre (1805-1882) présentée au Salon de 1842354 ainsi qu'un paysage de François-Louis Français (1814-1897) déposé en 1852355. Au milieu du XIXe siècle, la collection d'oeuvres contemporaines du musée municipal de Tours ne semble se résumer qu'à quelques tableaux. Il faut attendre le troisième voire le quatrième quart du XIXe siècle et l'avènement de la Troisième République, pour que les tourangeaux profitent régulièrement d'envois de l'État pour avoir connaissance de la production de leurs contemporains de Paris.

L'organisation de ces expositions d'oeuvres d'artistes vivants parisiens s'imposent dès lors comme des événements culturels de grande importance pour les visiteurs tourangeaux, qui pour l'essentiel ne se confrontent que rarement à cette production artistique. Les artistes parisiens jouissent de surcroît d'une solide réputation en province, en raison de la dynamique artistique qui anime la capitale au XIXe siècle. Ces artistes semblent ainsi être accueillis dans les expositions et au sein des sociétés artistiques de province et de Touraine en particulier, comme des modèles d'exemplarité. L'attribution régulière du titre de membre honoraire à ces artistes en témoignent. Elles participent incontestablement à assurer la renommée des sociétés artistiques les recevant. Si en 1882, la Société des Amis des Arts de la Touraine octroie à Charles Busson (1822-1908) et Emmanuel Lansyer (1835-1893) la qualité de membre honoraire356, puisque tous les deux représentent le succès artistique de la Touraine à Paris, c'est en 1887 que le nombre d'attribution de cette distinction honorifique à des artistes parisiens s'accroit considérablement. Jean Béraud (1849-1939), Paul-Albert Besnard (1849-1934), Carolus-Durand (1837-1919) ou Henry Lerolle (1848-1929) par exemple, reçoivent la charge de membre honoraire de la Société des Amis des Arts de la Touraine en 1887357, bien qu'elle

353 PESQUIDOUX, Léonce, Voyage artistique en France. Études sur les musées d'Angers, de Nantes, de Bordeaux, de Rouen, de Dijon, de Lyon, de Montpellier, de Toulouse, de Lille, etc., etcÉ, Paris, Michel-Lévy, 1857, p. 139.

354 VITRY, Paul, Le Musée de Tours, Paris, H. Laurens, 1911, p. XXXII.

355 Ibid., p. XVIII.

356 S.A.A., Compte-rendu de l'année 1882, op. cit., 1883, p. 26.

357 S.A.A., Compte-rendu de l'année 1887, op. cit., 1888, p. 39.

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n'organise pas avant 1889 une exposition ouverte aux artistes parisiens. Par ces attributions, il s'agit probablement pour la société de s'inscrire dans une dynamique artistique et compenser par la même, les critiques à laquelle est soumise sa dernière exposition, qui ne présente que des oeuvres des artistes locaux.

Comme le fait remarquer à juste titre Nicolas Buchaniec, l'idée de confrontation des artistes débutants, principalement provinciaux, aux artistes arrivés, essentiellement parisiens, est un leitmotiv tendant à faire des expositions des événements bénéfiques pour la population et les artistes en devenir de province 358. Ainsi lorsque s'ouvre en 1841 la première exposition de Beaux-Arts en Touraine composée exclusivement d'oeuvres d'artistes de la région, la critique parisienne déplore « l'absence d'oeuvres capitales, de tableaux de nos maîtres » qui conduit à la présentation de « ce débordement d'essais informes, de copies maladroites » puisqu'on « ne gagne rien à s'isoler, en fait d'art » 359. Si ce rédacteur semble se montrer sévère vis à vis de l'exposition de 1841, il s'inscrit dans l'idéologie contemporaine qui reconnaît que les jeunes artistes et les artistes de province ont tout à apprendre des oeuvres des artistes arrivés de Paris. La reconnaissance institutionnelle d'une grande part des artistes parisiens, du fait de la réception, de la présentation et de l'achat de leurs oeuvres au Salon, doit engager le public et les jeunes artistes à réfléchir sur les caractéristiques qui séparent la production locale de la production étrangère. Dès lors les organisateurs semblent inviter les artistes débutants à continuer dans cette voie du progrès, guidée par la présentation d'oeuvres d'artistes exposants au Salon. Pour autant cette démarche peut sembler vaine, compte-tenu du rejet de l'art parisien aux expositions de la Société des Amis des Arts de la Touraine après 1882.

Au début l'appel était général, la société s'était adressée à tous les artistes et l'élément étranger, parisien surtout, était venu donner son concours, donner en même temps la note de l'exposition et établir la comparaison juste avec les artistes locaux mettant chacun d'eux à la place qu'il convenait qu'il occupât naturellement. C'est alors que des froissements se sont produits, la comparaison désavantageuse ne fut plus supportable pour les orgueils despotes et pour les vanités tapageuses, elles percèrent le voile de la pointe de l'oreille et on vit peu à peu apparaitre la Cie Dupont, Dumont, Dufour, puissante et bien organisée, qui commença ses opérations élargissement et fit le vide autour d'elle à son profit360.

358 BUCHANIEC, Nicolas, Salons de province..., op. cit., p. 146.

359 J. H., « Exposition de tableaux à Tours », Journal des artistes, n° 23, 6 juin 1841, p. 356.

360 VENÇAY, Jehan de, « Le Salon de Tours », La Revue littéraire et artistique de Touraine, n° 28, 1er juin 1887, p. 220-221.

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Qualifié ironiquement de « Compagnie Dupont, Dumont, Dufour », les artistes régissant et fournissant les expositions de la Société des Amis des Arts à partir de 1885 jusqu'à 1887, semblent rejeter la présence des artistes parisiens pour n'exposer que leurs propres productions. Peut-être est-il possible d'envisager cet ostracisme des oeuvres des artistes de Paris, comme une volonté délibérée de protéger l'école artistique locale, suivant le discours développé par Léon Lagrange sur l'art national français, dans son article sur les expositions d'objets d'art et de curiosité en province. Ainsi écrit-il notamment, « l'acclimatation tue l'originalité du génie »361, avant de continuer par démontrer que les artistes aussi bien de Strasbourg, de Bordeaux que du Havre ne trouvent leur inspiration que chez les maîtres parisiens, cela conduisant à une uniformisation des pratiques artistiques dans l'ensemble des villes françaises. Ces propos ne peuvent à l'évidence s'appliquer aux artistes de Tours, qui cherchant à protéger leur foyer, se sont confortés à n'exposer que leurs propres oeuvres durant plusieurs expositions, avant de se rendre à l'évidence en 1889, que le public apprécie de surcroît la présence des artistes parisiens.

Un mouvement artistique parisien ne semble pas faire l'unanimité du public. Présenté pour la première fois en Touraine en 1882, l'impressionnisme rompt avec l'ensemble des oeuvres exposées. Des oeuvres de Claude Monet (1840-1926), Auguste Renoir (1841-1919) Alfred Sisley (1839-1899) et Eugène Boudin (1824-1898) sont en effet acceptées par la Société des Amis des Arts à prendre part à son exposition. L'exposition des oeuvres de ces peintres résulte à l'évidence de l'envoi de leur marchand Paul Durand-Ruel (1831-1922). Le critique tourangeau Van Keller écrit à propos de l'exposition des tableaux impressionnistes :

[É] on n'a pas oublié l'école tapageuse des impressionnistes. On vous a servi, mon cher ami, les maîtres du genre parmi lesquels je remarque de prime-abord M. Renoir et M. Sisley. N'achetez pas ce qu'ils vous ont envoyé : ils seraient désolés de vous vendre. Ils savent faire autre chose que ce que leur école peut imposer aux artistes, croyez-le bien362.

La réception en demie teinte à Tours des oeuvres des impressionnistes résulte partiellement de la méfiance des provinciaux en général et des tourangeaux en particulier vis à vis des oeuvres envoyées par les artistes de Paris. En effet, les oeuvres destinées à la province font régulièrement l'objet de critiques par les organisateurs des salons et les commentateurs locaux. Si ces derniers se réjouissent d'accueillir en leur territoire des oeuvres de l'élite artistique parisienne, ils ne se montrent pas moins réservés voire suspicieux quant aux qualités

361 LAGRANGE, Léon, « Des expositions provinciales d'objets d'art et de curiosité », op. cit., 15 avril 1859, p. 96.

362 VAN KELLER, « Salon de Tours. Exposition de peinture. Aperçu général. Lettre 1. », op. cit., p. 2.

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formelles de certaines toiles, envoyées selon eux, dans le but de trouver des amateurs moins cultivés, sinon moins exigeants que les collectionneurs de la capitale. Ainsi peuvent s'expliquer les propos du critique Van Keller qui n'encouragent pas les tourangeaux à l'achat des oeuvres de Renoir et de Sisley notamment. Aussi ne faut-il pas oublier la méconnaissance du public due à la jeunesse du mouvement impressionniste ainsi que la transition picturale très violente qu'il induit vis à vis de la production à laquelle les tourangeaux sont habitués jusqu'alors. Si la critique parisienne reste mesurée quant aux qualités des oeuvres impressionnistes, elle semble néanmoins plus disposée à leur reconnaître de l'intérêt, comme en témoigne les propos de ce journaliste de La Chronique des Arts et de la Curiosité passant en revue l'exposition tourangelle de 1882 : « Une place a été laissée - il faut l'avouer - à quelques noms de la secte dite intransigeante : cependant il y a bon à prendre quelquefois chez les Renoir, les Sisley, les Monet, et la Société ne doit pas être blâmée d'avoir montrée des échantillons de ce genre à son public tourangeau »363. Il semble vraisemblablement que ce soit la violence de la confrontation du public tourangeau avec les oeuvres impressionnistes, qui conduise à rejeter ce mouvement à Tours. Dès lors la négation de l'impressionnisme en Touraine fait écho au renoncement de la Société des Amis des Arts de Pau d'exposer et de faire acquérir pour son musée des oeuvres impressionnistes, à l'instar du Bureau de coton à la Nouvelle-Orléans (fig. 30) d'Edgar Degas (1834-1917) acheté par la ville en 1878364. En effet de 1876 à 1879, la société paloise présente des oeuvres de ce mouvement d'avant-garde pendant que de vives critiques sont publiées dans la presse locale.

À l'évidence la présence des artistes parisiens au sein des expositions artistiques de Tours s'appréhende comme des événements inédits pour le public tourangeau, mais également pour les artistes de la localité. En effet, les uns comme les autres semblent relativement isolés de l'émulation artistique de Paris. De fait la présentation des oeuvres des maîtres les plus fameux, conduit à la publication d'une critique favorable dans la presse locale et à l'admiration des visiteurs. Toutefois la confrontation avec l'élite artistique parisienne semble difficile pour les artistes d'Indre-et-Loire, compte tenu de la différence sensible de niveau, ce qui mène à la dissolution de l'organisation des expositions parisiano-tourangelles de 1882 à 1889, puis à leur disparition irréversible après l'ouverture de l'Exposition nationale de 1892 organisée par la

363 D. C., « Exposition de la Société des Amis des Arts de la Touraine », Chronique des Arts et de la Curiosité, n°32, 28 octobre 1882, p. 247.

364 LE COEUR, Marc « Le Salon annuel de la Société des amis des arts de Pau, quartier d'hiver des impressionnistes de 1876 à 1879 », Histoire de l'art, 1996, p. 62.

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municipalité de Tours avec le concours des amateurs de Beaux-Arts de la ville. Dès lors la vocation de décentralisation semble être mise à défaut par le sentiment régionaliste des artistes formant la Société des Amis des Arts de la Touraine, ainsi que par les dépenses nécessaires à l'organisation de ces expositions. Par ailleurs l'arrêt de l'organisation des expositions ouvertes aux artistes étrangers, met fin à la concurrence mercantile de l'art en Touraine pour les artistes du département. Ces grandes manifestations sont en effet des lieux essentiels de commerce pour les artistes et les marchands parisiens durant tout le XIXe siècle.

II) L'opportunité mercantile des salons tourangeaux

A. Le marché de l'art à Tours au XIXe siècle : un espace suffisant pour la vie des artistes et l'acquisition des collectionneurs ?

Le marché de l'art à Tours et plus largement la vie artistique en Touraine ne peuvent soutenir la comparaison avec l'émulation du foyer parisien comme il a déjà été démontré. Pourtant dans ce rapport de force et de déséquilibre entre la capitale des arts du XIXe siècle et une ville moyenne de province française, se présentent à Tours des initiatives originales tendant à compenser le manque d'institution et d'infrastructure pour les arts et leur marché. En effet, les sociétés d'émulation artistique semblent s'efforcer en organisant leurs propres salons de Beaux-Arts d'encourager la production locale en interagissant entre les artistes et les amateurs. Les sociétés artistiques doivent ainsi s'appréhender comme des protagonistes à part entière du marché de l'art en construction en Indre-et-Loire au XIXe siècle, puisque rapprochant les artistes de leur public. Pour autant c'est à Paris que la majorité des collectionneurs les plus fortunés acquièrent l'essentiel de leurs collections, tandis que c'est à Tours que les amateurs les moins aisés achètent les oeuvres qui habillent leurs intérieurs. Dès lors, faut-il comprendre que le marché de l'art à Tours est un espace insuffisant pour compléter les collections de l'ensemble des amateurs du département, puisque ne proposant à la vente que des oeuvres de qualité secondaire ou faut-il imaginer que les infrastructures commerciales ne sont pas assez développées pour représenter les artistes de la localité auprès de l'ensemble de la clientèle ? L'examen des différentes institutions du marché de l'art à Tours semble être un fil conducteur intéressant à développer pour répondre à cette question et mettre par la suite en évidence l'impact des expositions de Beaux-Arts organisées par les sociétés artistiques dans le commerce de l'art à Tours.

a) Les institutions et les acteurs du marché de l'art à Tours au XIXe siècle

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Au XIXe siècle, nombreux sont en Touraine les collectionneurs, en raison du développement de la « bric-bracomanie ». Toutefois le corpus d'amateurs tourangeaux semble relativement hétérogène, comme le démontre Martine Augouvernaire lorsqu'elle définit les différentes typologies d'amateurs en reprenant la méthode exploitée par Théophile Thoré (1807-1869) dans son fameux article brossant le portrait de l'ensemble des catégories de collectionneurs365. En effet, le collectionnisme paraît toucher un ensemble varié de personnages en Indre-et-Loire allant de l'artiste, à l'instar de Gaëtan Cathelineau réunissant à des fins pédagogiques une collection d'oeuvres de maîtres anciens principalement de l'école française366, de l'aristocrate, à l'exemple des marquis de Biencourt propriétaires du château d'Azay-le-Rideau, des grands bourgeois dont les membres des familles Mame et Gouïn, importants collectionneurs d'arts anciens et a fortiori d'arts vivants, ou encore des personnages exerçant des professions libérales et des petits bourgeois qui s'approprient la pratique de la collection, comme instrument de valorisation de leur statut social.

De tous les lieux de commerce d'objets d'art, les salles des ventes sont les institutions les plus évidentes du marché de l'art, en raison de l'ancienneté de la profession de commissaire-priseur367. Situées au 3, rue de la Harpe (ann 4.2) dans les années 1830368 avant que d'autres ne s'ouvrent rue Royale (ann. 4.2)369, puis rue des Guetteries à proximité de la gare (ann. 4.2) dans la décennie 1860 370 , les salles des ventes tourangelles accueillent les objets d'art des collectionneurs et des notables de Touraine et sont partagées par les trois études de commissaires-priseurs de Tours. Les ventes aux enchères organisées dans les hôtels des ventes se distinguent à l'évidence des vacations se déroulant en place publique et au domicile des vendeurs, ces dernières étant généralement des ventes judiciaires concernant des objets

365 AUGOUVERNAIRE, Martine, op. cit., 1992, p. 59

THORÉ, Théophile, « Les Collections particulières », Paris Guide, par les principaux écrivains et artistes de la France, t. I, Paris, Librairie internationale, 1867, p.536-551.

366 MIOCHE, Laura, Gaëtan Cathelineau (1787-1859), Artiste, collectionneur et donateur tourangeau, mémoire de master 1 d'histoire de l'art contemporaine, sous la direction de France Nerlich, Université François-Rabelais de Tours, 2010, p. 23.

367 ROUGE-DUCOS, Isabelle, Le Crieur et le Marteau. Histoire des commissaires-priseurs de Paris (1801-1945), Paris, Belin, 2013, p. 22.

368 [ANONYME], Annuaire historique, statistique et commercial du département d'Indre et Loire, Tours, Ad. Mame, 1831, p. 178.

369 MIOCHE, Laure, op. cit., 2010, p. 43.

370 PELTIER, Anne, Les commissaires priseurs et les ventes à Tours au XIXe siècle, mémoire de maitrise d'histoire contemporaine, sous la direction de Sylvie Aprile, Université François-Rabelais de Tours, 1999, p. 68.

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quotidiens et de petite valeur. Néanmoins les doubles des répertoires des commissaires-priseurs ainsi que les rares catalogues de vente encore conservés, témoignent de la carence générale des ventes aux enchères tourangelles au XIXe siècle. Les vacations à Tours ne dépassent que rarement les 5 000 francs et la moyenne des prix des tableaux se situe autour des 100 francs371, malgré quelques belles adjudications lors des rares ventes de prestige, dont la dispersion en 1888 par maître Fontaine de la collection de Marguerite Pelouze (1836-1902), propriétaire du château de Chenonceau. La collection comprenait notamment des tableaux attribués à François Clouet (1520-1572), Nicolas Poussin (1594-1665), David Téniers (1610-1685) ou Pierre Mignard (1610-1695)372. Outre la dispersion des fonds d'atelier et des lots non retirés de la loterie de l'Exposition nationale de 1881373, les ventes aux enchères concernent assurément davantage la dispersion des oeuvres des maîtres anciens plutôt que celles des artistes contemporains. Il semble donc falloir les écarter du marché de l'art vivant.

À Tours durant tout le XIXe siècle, il semble que le commerce de l'art vivant soit soutenu par une minorité de marchands de couleurs374. S'ils proposent depuis le milieu du XVIIIe siècle la vente de couleurs préparées, puis le négoce en général des fournitures pour les peintres en raison de l'abolition des corporations en 1791, peu à peu ces commerçants semblent étendre leur offre à la vente de tableaux. Plus que des marchands de couleurs, ils deviennent de véritables galeristes avant l'heure qui développent le commerce de l'art, mais aussi sa location, à l'instar des parisiens Alphonse Giroux (1776-1848) 375 et Jean-Marie-Fortuné Durand-Ruel (1865), bien que ce dernier finit par délaisser complétement la vente des fournitures au profit du commerce d'oeuvres d'art des artistes vivants, dont les oeuvres des aquarellistes anglais et des peintres de l'école de Barbizon376. À Tours néanmoins, la figure émergeante du « marchand-expert » semble moins se développer qu'à Paris. Sur les cinq marchands de couleurs recensés durant la décennie 1830, seul un, installé au 15, rue Royale (ann 4.2) paraît proposer à la fois la vente de fournitures pour les peintres mais également des « «estampes» et «autres articles de

371 Ibid. p. 37.

372 FONTAINE [commissaire-priseur], LAURENT [expert], Catalogue d'une belle collection de 68 tableaux de maîtres anciens, objets d'art et tapis d'une grande valeur artistique, le tout provenant du château de Chenonceau, appartenant à Mme Pelouze..., Tours, Imp. Mazereau, 1888.

373 [ANONYME], « Vente aux enchères », Journal d'Indre-et-Loire, n° 142, 18 juin 1882, p. 3.

374 SOFIO, Séverine, « Les marchands de couleurs au XIXe siècle, artisans ou experts ? (Paris, Tours) », Ethnologie Française, n° 165, janvier 2017, p. 75-86.

375 ROTH-MEYER, Clothilde, « Le phénomène de la location de tableaux par les marchands de couleurs parisiens au XIX », Histoire de l'art, n°58, 2006, p. 58.

376 PATRY, Sylvie (éd.), Paul Durand-Ruel le pari de l'impressionnisme, cat. exp, Paris, musée du Luxembourg, Réunion des Musées Nationaux, 2014, p. 30.

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fantaisie» » 377. La palette d'Or tenue par Marcadier se spécialise par la suite dans le commerce d'objets d'art. Ainsi en 1853, la boutique est définie comme « magasin de nouveautés et d'objets d'art » proposant à la fois « bronzes, porcelaines, cristaux, ivoires, maroquinerie [É] vente et location de tableaux à l'huile, pastels, aquarelles, sépias et mines de plomb »378. Marcadier est à l'évidence un acteur essentiel du commerce des oeuvres des artistes vivants de Tours, comme le démontrent les portraits de ce marchand et de sa famille réalisés par les artistes locaux. Cathelineau exécute notamment un portrait de son marchand de couleurs379, tout comme Lupetty peint en 1860 Le portrait de Mlle Marcadier (fig. 31). Ces portraits témoignent à l'évidence de la proximité de Marcadier avec les artistes de la localité. Cependant il est possible que ces oeuvres aient été exécutées en échange de fournitures par le marchand, ce qui est une pratique relativement courante à l'époque.

Un commerce inédit de curiosités et d'objets d'art est fondé également à Tours dans la première moitié du XIXe siècle. Ouvert le 20 mai 1828 au public après des 58 jours de travaux380, le Bazar turonien se situe au 6, rue Neuve-Saint-Martin (ann. 4.2) sur les ruines de l'ancienne abbaye démolie en 1797381. À la différence des marchands de couleurs et autres galeristes, le propriétaire du bazar, Jacquet Delahaye-Avrouin, n'achète pas en vue de revendre.

Le bazar est un entrepôt qui reçoit à commission toutes sortes de meubles antiques et modernes, mais riches et de bon goût ; toutes espèces de marchandises en pièce ou sur un échantillon ; tous objets de curiosité, d'histoire naturelle, les tableaux, gravures, émaux, porcelaines, les chefs-d'oeuvres des arts, les médailles, les manuscrits, et généralement tout ce qui entre dans le domaine de la science, de l'industrie et du commerce382.

Jacquet Delahaye-Avrouin prélève une commission de 5% sur la vente de chaque objet vendu au sein de son établissement. Les artistes et les manufactures lui confient leurs productions. Parallèlement, il propose la location d'ateliers pour les travaux de restauration, dorures et sculptures sur marbre, en plus d'un théâtre pouvant accueillir jusqu'à 250 spectateurs. Néanmoins, il semble qu'il faille davantage inscrire l'ouverture de cet établissement dans le

377 SOFIO, Séverine, op. cit., 2017, p. 81.

378 DUCHEMIN-RIBOUT, La ville de Tours et ses environs, Tours, Imp. Ladevèze, 1853, p. 53.

379 VITRY, Paul, op. cit., 1911, p. LV.

380 [ANONYME], Annuaire historique, statistique et commercial du département d'Indre et Loire, Tours, Ad. Mame et Cie, 1828, p. 206-207.

381 KILIAN, A.-J., Dictionnaire géographique universel contenant la description de tous les lieux du globe intéressants sous le rapport de la géographie physique et politique, de l'histoire, de la statistique, du commerce, de l'industrie, etc, t. X, Paris, A.-J. Kilian et Ch. Picquet éditeurs, 1833, p. 119.

382 [ANONYME], Annuaire historique..., op. cit., 1828, p. 206.

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mouvement parisien de constructions des bazars - ancêtres des grands magasins - en raison de la diversité des produits proposés. À l'évidence, cette entreprise novatrice s'inspire du Bazar français construit à Paris en 1819 par le baron Louis-Antoine Sauset (1773-1836). Le projet de Sauset était de vendre à la fois des objets de commerce et des objets d'art dans une large galerie couverte383. Le Bazar turonien est cependant une institution essentielle du commerce de l'art à Tours, comme le démontre les guides de voyage et la visite en 1829 de la Duchesse de Berry384. Les artistes tourangeaux y trouvent en effet un lieu d'exposition et de vente très fréquenté dans lequel ils peuvent régulièrement présenter leurs ouvrages au milieu d'oeuvres d'artistes d'autres départements385.

b) Les oeuvres des artistes tourangeaux de leur commerce en atelier à leur vente au cours des expositions sociétales

Malgré ces établissements spécialisés dans le commerce de l'art vivant, le marché de l'art à Tours reste peu développé durant tout le XIXe siècle. Cette lacune n'empêche pas néanmoins l'augmentation du nombre d'artistes professionnels, passant d'une dizaine vers 1830 à plus d'une cinquantaine autour de 1870386, sans compter les amateurs toujours plus nombreux à s'afférer à la pratique des Beaux-Arts. Les artistes semblent combler le manque d'établissements spécialisés dans la vente d'oeuvres d'art, en développant des stratégies commerciales originales et en participant aux expositions organisées par les sociétés pour diffuser plus largement leurs oeuvres et accroître leurs revenus.

La vente directe des oeuvres dans les ateliers est à l'évidence le moyen d'écoulement de la production le plus courant. L'atelier d'Avisseau, mais également la manufacture Lobin de vitraux peints sont régulièrement mentionnés dans les guides de voyage387. Néanmoins dans un souci de visibilité et d'attraction, les artistes organisent également dans leurs propres ateliers des expositions de leurs oeuvres. Ces expositions monographiques constituent des micros-événements dans le paysage artistique tourangeau et permettent aux artistes de se faire connaître

383 MARCO, Luc, « Le Bazar, chaînon manquant entre le magasin de nouveautés et le grand magasin : opportunités et risques au début du XIXe siècle », in Annales des Mines - Responsabilité et environnement, n°55, 2009, p. 49.

384 HUGO, Abel-Joseph, France pittoresque ou Description pittoresque, topographique et statistique des départements et colonies de la France..., t. II, Paris, Delloye, 1835, p. 103.

WALSH, Joseph-Alexis, Suite aux lettres vendéennes ou relation du voyage de S. A. R. Madame Duchesse de Berry dans la Touraine, l'Anjou, la Bretagne, la Vendée et le Midi de la France, Paris, L. F. Hivert, 1829.

385 [ANONYME], « Bazar turonien », Journal d'Indre-et-Loire, n° 2093, 13 juillet 1829, p. 1.

386 SOFIO, Séverine, op. cit., 2017, p. 77.

387 JOANNE, Adolphe, Itinéraire de Paris à Nantes et à Saint-Nazaire, par Orléans, Tours et Angers, Paris, Imprimerie générale de Ch. Lahure, 1867, p. 193.

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des amateurs, d'autant que des réclames sont publiées dans la presse locale. Ainsi en 1887, René-Louis Damon organise une exposition de ses oeuvres dans son atelier, boulevard Heurteloup388. Portraitiste confirmé puisqu'ayant déjà exposé au Salon en 1885, Damon présente ses toiles dans l'objectif de séduire de futurs amateurs et recueillir de nouvelles commandes. L'exposition de ses portraits à Tours permet à l'évidence aux amateurs d'apprécier la ressemblance vis à vis des modèles. Toutefois, les expositions en atelier semblent réservées à des artistes confirmés, en raison du coût qu'entrainent indubitablement l'organisation de l'événement et de la nécessité de posséder un local convenant à la présentation publique des oeuvres. Les expositions privées ne conduisant pas forcément à des commandes ou à des ventes, elles s'appréhendent de fait comme des investissements pour l'avenir.

Par nécessité commerciale, certains artistes organisent des tombolas ayant pour lots leurs propres oeuvres. Tel est le cas de Jean-Pierre Vallet (1809-1886) qui à deux reprises met en jeu ses tableaux. Élève de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Jean-Pierre Vallet s'installe en Touraine après avoir exposé au Salon à partir de 1840. Il exerce en plus de son métier de peintre, la profession de professeur de dessin au lycée de Tours. La mise en loterie de ses propres tableaux, d'abord en 1877 puis en 1882389 (ann. 2.4.4), résulte de la carence du marché de l'art à Tours. Malgré sa reconnaisse à l'échelle locale, comme le démontre l'acquisition du Portrait de sa mère (fig. 32) par le musée de Tours en 1885390, Jean-Pierre Vallet est contraint de recourir à un moyen de vente alternatif pour financer sa participation à l'Exposition universelle de 1878391. Il semble que les loteries soient des procédures originales d'acquisition des oeuvres d'art qui remportent du succès auprès des amateurs, du fait du coût modeste de l'achat des tickets.

Les sociétés artistiques semblent s'investir pour palier les difficultés auxquelles sont confrontés les artistes tourangeaux. Les expositions périodiques leur procurent immanquablement une visibilité auprès des amateurs, puisque constituant des événements importants du monde culturel en Touraine. Ces manifestations génèrent en effet un public

388 VALENCES, Jacques des, « Une exposition privée », La revue littéraire et artistique de Touraine, n° 27, 1er mai 1887, p. 190.

389 Préfecture d'Indre-et-Loire : Lettre adressée au maire de Tours au sujet de l'organisation d'une loterie par le sieur Vallet, 1er décembre 1877, Tours, A.M., 2J 23.

Préfecture d'Indre-et-Loire : Lettre adressée au maire de Tours au sujet de l'organisation d'une loterie à Chinon par le sieur Vallet, 15 juin 1882, Tours, A.M., 2J 23.

390 VITRY, Paul, op. cit., 1911, p. XXXVII.

391 Préfecture d'Indre-et-Loire : Lettre adressée au maire de Tours au sujet de l'organisation d'une loterie par le sieur Vallet, 1er décembre 1877, op. cit.

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nombreux et de potentiels acquéreurs. Néanmoins en 1882 durant l'exposition de la Société des Amis des Arts de la Touraine, seuls Ferdinand Bovy, René-Louis Damon, Paul Gagneux, Léon Leblanc et Charles-Alfred Lesourd vendent certaines de leurs oeuvres à des collectionneurs392. La proportion d'artistes locaux ayant vendu des oeuvres au cours de cette exposition est finalement très faible. Les cinq artistes de Tours qui ont vendu ne représentent que 1,7 % de la totalité des artistes de l'exposition et 8% de l'ensemble des artistes vendeurs. La participation annuelle aux expositions de la Société des Amis des Arts de la Touraine semble néanmoins inscrite dans le quotidien des artistes de la région, en raison de la visibilité qu'elles procurent, bien que les ventes ne soient pas toujours légion393. Ainsi lorsqu'en 1888, la société renonce à l'organisation de son exposition périodique, un corpus d'une trentaine d'artistes - parmi le noyau dur des Amis des Arts - se regroupent pour former une exposition de Beaux-Arts indépendante. Le public peut dès lors apprécier les oeuvres d'Alfred Didier, de Lucien-Léopold Lobin, de Paul Gagneux ou encore de Joseph-Édouard Avisseau en dehors des expositions de la Société des Amis des Arts.

Il semble que les loteries organisées par les sociétés soient des sources plus rémunératrices pour les artistes de la localité, puisque les commissions d'acquisition privilégient essentiellement leurs oeuvres. De fait, la Société des Amis des Arts de la Touraine acquiert presque exclusivement pour ses loteries des oeuvres du foyer artistique local, outre pour sa tombola de 1882. Ainsi de 1885 à 1888 l'ensemble des oeuvres et objets d'art mis en loterie sont des réalisations d'artistes et artisans de la région, à l'exception en 1888 de la lithographie du Bon Samaritain de Rodolphe Bresdin (fig. 11) et d'une estampe de La vie de Sainte Geneviève d'après Pierre Puvis de Chavannes, toutes les deux attribuées en 1882 par le Ministère de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes et qui à l'évidence n'ont jamais été retirées à l'issue de la tombola de la première exposition de la Société des Amis des Arts394. Le recours aux oeuvres des artistes locaux pour la constitution des lots des loteries résulte probablement d'une volonté de promouvoir un art tourangeau.

En ce sens, la Société des Amis des Arts de la Touraine propose en 1906 à la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire d'acquérir des oeuvres des

392 S.A.A., Exposition de 1882, op. cit. 1882.

[ANONYME], « Société des Amis des Arts de la Touraine », Journal d'Indre-et-Loire, n° 279, 27-28 novembre 1882, p. 2-3.

393 R.T., « Une exposition indépendante de Beaux-Arts », Revue littéraire et artistique de Touraine, n° 40, 1er juin 1888, p. 279.

394 S.A.A., Compte-rendu de l'année, op. cit., 1885 à 1888.

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artistes tourangeaux présentées durant son exposition annuelle, dans l'objectif de faire « connaître [la production tourangelle] et permettre aux artistes de tirer un légitime profit »395. Cette alliance est accueillie chaleureusement par la Société d'Agriculture de Tours qui adresse « ses plus vifs remerciements [É] à la Société des Amis des Arts pour la précieuse marque d'intérêt et de bonne confraternité dont elle fait preuve en cette circonstance »396. Il semble que la Société des Amis des Arts consacre entre 300 et 500 francs annuellement pour l'acquisition de quelques oeuvres aux expositions de Beaux-Arts de la Société d'Agriculture. Ces achats sont effectués auprès d'un ensemble varié d'artistes locaux, dont les plus confirmés sont Marie-Thérèse Duchâteau (1870-1953) ou Maurice Mathurin (1881-1965)397, qui ont déjà exposé à Paris au Salon des Artistes français et au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts.

À Tours au XIXe siècle, le marché de l'art semble peu dynamique malgré de grandes collections dans le département. À l'évidence tous les collectionneurs ne peuvent compléter leurs collections en Touraine, compte tenu du manque d'infrastructure commerciale. Dès lors les artistes s'efforcent de développer des modes de vente alternatif pour séduire un public plus nombreux. Ce sont cependant les manifestations organisées par les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts, qui participent activement au développement, à l'émulation et même à la construction d'un marché de l'art en Touraine. Si les expositions sont à l'évidence des vitrines mettant en lumière les mérites de l'identité artistique locale, elles sont par la même occasion, des événements propices à la vente des oeuvres des artistes tourangeaux. Néanmoins lors des salons de Beaux-Arts de Tours, le nombre d'acquisitions des oeuvres de ces artistes reste faible. Les artistes de Touraine peuvent toutefois compter sur l'achat de leurs oeuvres par les sociétés artistiques pour constituer les lots des tombolas. Il est probable que la faible proportion de ventes aux particuliers des oeuvres des artistes locaux lors des expositions, réside principalement de la concurrence des artistes de réputation nationale et du marché de l'art parisien.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius