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Les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts en Touraine entre 1789 et 1914


par Brice Langlois
Université François-Rabelais de Tours - Master II Histoire de l'art 2017
  

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INTRODUCTION

« Le goût des Beaux-Arts en France est comme une plante exotique que des hommes intelligents s'efforcent d'acclimater malgré l'indifférence publique »1.

Le discours de Léon Lagrange (1828-1868) semble rendre compte du climat ambivalent dans lequel sont plongés les Beaux-Arts et leurs institutions en France au tournant de la seconde moitié du XIXe siècle. Quand d'un côté l'élite intellectuelle du pays s'efforce de donner les clés et le goût des arts, les masses populaires paraissent s'en désintéresser. Néanmoins le discours de Lagrange paraît quelque peu pessimiste vis à vis de la réalité qui l'entoure.

Aussi, l'histoire de l'art a privilégié - et privilégie toujours pour une part - le discours esthétique en confrontant les révolutions picturales aux préceptes académiques, perdant de vue les réalités historiques, sociales et politiques contemporaines à l'époque des artistes et de la création des oeuvres d'art. Il est alors essentiel de s'intéresser comme le fait déjà Lagrange en 1861, aux sociabilités artistiques et aux institutions non-officielles qui participent au développement du goût pour les arts en région, à l'instar des sociétés d'encouragement artistique et autres académies, cercles ou sociétés des Amis des Arts, dans l'objectif de restituer le plus fidèlement possible la réalité de l'époque. Ainsi, cette étude vise à reconstituer le plus exhaustivement possible l'histoire des sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts en Touraine entre 1789 et 1914, dans l'objectif de mettre en lumière les spécificités de ce territoire, en ce qui concerne l'activité artistique et culturelle résultant de l'action de ces sociétés.

À l'évidence les termes de sociétés d'encouragement ou d'émulation artistique concentrent de nombreuses formes de regroupements pour les arts. En France, ces derniers naissent au XVIIe siècle. Mais c'est principalement au siècle suivant, et plus particulièrement durant sa seconde moitié, que se développent les sociétés d'amateurs qui prennent la forme d'académies2. Si ces dernières privilégient la pluridisciplinarité, s'intéressant autant, sinon plus

1 LAGRANGE, Léon, « Des sociétés des Amis des Arts en France. Leur origine, leur état actuel, leur avenir », in Gazette des Beaux-Arts, t. IX, 1er mars 1861, p. 291.

2 JUSTIN, Émile, Les sociétés royales d'agriculture au XVIIIe siècle, Saint-Lô, Imp. Barbareaux, 1935.

ROCHE, Daniel, Le siècle des Lumières en province : Académies et Académiciens provinciaux 1680-1789, Paris, Mouton, 1978.

QUÉNIART, Jean, Culture et société urbaine dans la France de l'Ouest au XVIIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1978.

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aux progrès de l'agriculture qu'aux choses d'art, elles sont une première étape dans la construction des identités des futures sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts. En pleine Révolution, en septembre 1789, l'architecte Charles de Wailly (1730-1798) créée à Paris la première Société des Amis des Arts en lançant un Projet d'engagement patriotique, pour les Arts de l'Académie de Peinture, de Sculpture et Gravure. Constituée officiellement en mars 1790, la Société ouvre dès le 13 juillet de la même année une première exposition en marge du Salon, qui semble-il ne remporte pas le succès espéré3. Toutefois la Société des Amis des Arts de Paris fonde les principes des activités des futures sociétés d'émulation artistique qui s'ouvrent dans toutes les provinces de France au cours du XIXe siècle : encouragement des artistes vivants français par le biais d'expositions dans lesquelles sont vendues un certain nombre d'oeuvres aux particuliers et aux sociétaires, organisation de loteries et attribution de bourses et de prix aux jeunes talents.

La Révolution marque un tournant dans l'histoire des sociétés artistiques, en leur faisant cesser presque toute activité durant plusieurs années. Ainsi, c'est sous le Consulat (1799-1804) et encore davantage à la Restauration (1815-1830) puis sous la Monarchie de Juillet (18301848) que sont fondées un grand nombre des sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts dans toutes les provinces de France à l'exemple de celle d'Avignon en 1827, de Strasbourg et Marseilleen 1832, du Havre en 1833, de Nancy et Rouen l'année suivante jusqu'à celle de Bordeaux en 18514. Mais c'est surtout sous la Troisième République (1871-1940) que le nombre de sociétés artistiques se multiplie. Sur l'ensemble des 368 sociétés correspondant avec le Comité des sociétés des Beaux-Arts des départements et la Commission de l'inventaire général des richesses d'art de la France en 1886, cinquante sont consacrées exclusivement au développement des arts5. Il est possible que l'augmentation massive du nombre de sociétés résulte de la délégation progressive des affaires culturelles par l'État aux collectivités territoriales, qui elles-mêmes font reposer les activités culturelles sur les sociétés d'érudits et d'artistes.

3 SANDT, Udolpho van de, La Société des Amis des Arts (1789-1798) un mécénat patriotique sous la Révolution, Paris, ENSBA, 2006.

SANDT, Udolpho van de, « Les collections de la Société des Amis des Arts », in PRETI-HAMARD, Monica (éd.), SÉNÉCHAL, Philippe (éd.), Collections et marché de l'art en France 1789-1848, actes de colloque, Rennes, décembre 2003, Presses universitaires de Rennes/Institut national d'histoire de l'art, 2005, p. 73-86.

4 MARTIN-FUGIER, Anne, La vie d'artiste au XIXe siècle, Paris, Éd. Louis Audibert, 2007, p. 155.

5 MOULIN, Raymonde, « Les bourgeois amis des arts », in Revue française de sociologie, t. XVII, 1976, p. 386.

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Si Paris est à la France la capitale artistique, Tours est à l'Indre-et-Loire l'épicentre des arts. En Touraine, les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts se concentrent presque toutes, sinon exclusivement en la préfecture. Outre les sociétés musicales qui se développent considérablement dans tout le département à partir de la seconde moitié du XIXe siècle à l'instar des sociétés littéraires, ces dernières s'apparentant essentiellement à des cercles de divertissement où les jeux sont au coeur des activités, les autres villes de Touraine ne voient guère se créer des sociétés savantes consacrées au développement et à la protection des Beaux-Arts6. Néanmoins si les sociétés artistiques de Tours entretiennent un rapport très étroit à l'urbain, elles ont aussi un rayonnement étendu à l'ensemble du département et de la région.

L'histoire des sociétés d'émulation artistique tourangelles paraît correspondre à celle des autres sociétés en France. La première société à laquelle cette étude fait référence est la Société Royale d'Agriculture de la généralité de Tours fondée le 24 février 1761 par arrêté du Conseil d'état du roi7. Dissoute à la Révolution, elle renait une première fois en mars 1806 sous le titre d'Académie de Tours, puis une seconde fois en mai de la même année sous la dénomination de Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire8. Jusqu'à la création de la Société Archéologique de Touraine en 1840 (ann. 2.1.1), cette société semble être la seule à participer à la promotion et la défense des Beaux-Arts en réfléchissant notamment à l'organisation d'expositions artistiques dès 1835. Si la Société Archéologique manifeste un intérêt particulier pour les études monumentales, elle participe également à la promotion des arts en Indre-et-Loire en organisant des expositions, à l'instar de la Société des Amis des Arts de Tours fondée en 1841, peu de temps avant l'ouverture de l'exposition des produits des arts et de l'industrie9.

Presque concomitamment à l'organisation de l'Exposition nationale de 1881 organisée par la ville de Tours avec le concours de l'État10, un quatuor d'amateurs et artistes membres

6 Dossiers administratifs des associations créées et autorisées avant janvier 1881, Tours, A.D., 4M 169-173.

7 LAURENCIN, Michel, « La Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du département d'Indre-et-Loire : du siècle des Lumières à l'époque contemporaine », in Mémoire de l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Touraine, t. XXIII, 2010, p. 91-123.

8 Registre de délibération de l'Académie de Tours créé par arrêté de M. Pommereul, préfet d'Indre-et-Loire du Ier Nivose an XIV de la République française, Tours, A.M., 48Z 1, f° 10.

9 [ANONYME], « Société des Amis des Arts à Tours », Journal d'Indre-et-Loire, n° 50, 9 avril 1841, p. 1.

10 VILLE DE TOURS, Exposition des Beaux-Arts de la ville de Tours, Tours, Imp. Ernest Mazereal, 1881, Paris, A.N, F21 541.

VILLE DE TOURS, Exposition des Beaux-Arts de la ville de Tours. Section de l'art rétrospectif, Tours, Imp. Ernest Mazereal, 1881, Paris, B.N.F, 8-V-4655.

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des commissions d'organisation et de récompense de l'exposition se réunit pour fonder la Société des Amis des Arts de la Touraine. Celle-ci ne tarde pas à s'employer au développement du goût pour les arts, en organisant des concerts et des expositions secondées par des loteries et des prix pour les meilleurs artistes et les jeunes talents de l'école des Beaux-Arts et du conservatoire de Tours. La Société des Amis des Arts poursuit partiellement son entreprise jusqu'en 1946 11 , bien que la Première puis la Seconde Guerre mondiale affaiblissent considérablement son action. Si au cours de notre étude notre attention se portera aussi sur d'autres regroupements pour les arts, nous pouvons déjà constater que nous avons à faire à de multiples typologies de sociétés.

Dès la seconde moitié du XIXe siècle, les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts attirent l'attention et font l'objet d'études comme dans la série d'articles de Léon Lagrange consacrée aux sociétés des Amis des Arts et publiée dans La Gazette des Beaux-Arts, et plus tard sous la forme d'un livre12. Retraçant sommairement l'histoire des sociétés les plus influentes du XIXe siècle, à l'exemple de celles de Marseille, Bordeaux, Rouen et Lyon, Lagrange s'emploie également à prodiguer des conseils susceptibles d'améliorer leur champ d'action, leur rayonnement et leur réception auprès du public. Par ailleurs, Lagrange attire l'attention sur les expositions d'art et de curiosités en province ainsi que sur les expositions rétrospectives, dans d'autres articles publiés dans la Gazette des Beaux-Arts13. À l'instar de Lagrange, Jules Maret-Leriche et Auguste Chirac s'emploient à rendre compte du développement des expositions, bien que leurs propos soient davantage recentrés sur Paris et l'organisation des Salons14.

Les historiens de la première moitié du vingtième siècle paraissent se désintéresser des questions artistiques et sociologiques liées au développement des sociétés d'encouragement aux

11 S.A.A., « Séance du du 9 mai 1946 », Procès-verbaux de la commission administrative 1914-1946, f 217, Tours, A.D., T1406.

12 LAGRANGE, Léon, « Des sociétés des Amis des Arts en France. Leur origine, leur état actuel, leur avenir », in Gazette des Beaux-Arts, t. IX, 1er mars 1861, p. 291-301 ; t. X., 1er avril 1861, p. 29-47, 15 avril 1861, p. 102-117, 1er mai 1861, p. 158-168 ; 15 mai 1861, p. 227-242,

LAGRANGE, Léon, Des sociétés des Amis des Arts en France, Paris, J. Claye, 1861.

13 LAGRANGE, Léon, « Des expositions provinciales d'objets d'art et de curiosité », in Gazette des Beaux-Arts, t. II, 15 avril 1859, p. 93-109.

LAGRANGE, Léon, « Exposition rétrospective de tableaux de maîtres anciens », in Gazette des Beaux-Arts, t. XX, 1er mai 1866, p. 573-577.

14 CHIRAC, Auguste, Des expositions gratuites au point de vue du progrès et de la bienfaisance. Propagation du travail national appel, aux arts, à l'industrie, au travail à l'horticulture, à l'agriculture, Paris, Imp. Vallée, 1866, Paris, B.N.F., VP-11750.

MARET-LERICHE, Jules, Les expositions d'art au XIXe siècle, Paris, Imp. Schiller, 1866, Paris, B.N.F., V-45938.

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Beaux-Arts durant le XIXe siècle. Ainsi, il semble qu'il faille attendre 1976 pour que Raymonde Moulin, sociologue et auteure majeure sur la question des sociétés artistiques, propose une première étude globale sur le fonctionnement de ces regroupements pour les arts15. S'ensuivent dans la décennie 1990, des études spécifiques à des villes ou des régions menées essentiellement dans le cadre de travaux de deuxième et troisième cycle universitaire16. Dominique Dussol soutient notamment sa thèse en 1994 sur l'action de la Société des Amis des Arts de Bordeaux. Dans celle-ci, il tente de recontextualiser la naissance des salons bordelais dans leur milieu local, mais également dans le mouvement général des expositions des sociétés des Amis des Arts pour dégager les spécificités propres au terreau girondin17. Dans l'objectif de faire redécouvrir le dynamisme culturel ainsi que les tenants et les aboutissements de la production artistique « dans les régions modérées »18, Nicolas Buchaniec consacre quant à lui sa thèse, aux expositions dans le nord de la France19. Publiée aux Presses universitaires de Rennes en 2010, cette étude propose de s'intéresser à la question des salons de province alors que durant longtemps les historiens « convaincus du retard de la province dans le domaine des arts et de l'insignifiance de son rôle dans la diffusion et le commerce de l'art contemporain [É] ont ignoré les salons artistiques qui se multiplient sur l'ensemble du territoire national dans la seconde moitié du XIXe siècle »20. L'étude de réseaux artistiques provinciaux paraît paradoxale face à l'actualité scientifique qui privilégie, comme le font remarquer Laurent Houssais et Marion Lagrange, « une approche nationale et internationale »21. Il ne faut cependant pas

15 MOULIN, Raymonde, op. cit., 1976.

16 CRÉTIN-NICOLO, Olivia, La Société des Amis des Arts de Nantes 1890-1920, mémoire de maîtrise, sous la direction d'Alain Bonnet, Université de Nantes, 2003.

MARTY, Florian, Les Amis des Arts à Limoges sous le Second Empire, mémoire de master 1, sous la direction de Jean-Roger de Soubiran, Université de Poitiers, 2011.

17 DUSSOL, Dominique, La Société des Amis des Arts de Bordeaux 1851-1939, thèse de doctorat, sous la direction de Dominique Rabereau, Université Michel-de-Montaigne-Bordeaux-III, 1994.

DUSSOL, Dominique, Art et bourgeoisie : La Société des Amis des Arts de Bordeaux 1851-1939, Bordeaux, Le Festin, 1997.

18 MOULIN, Raymonde, « Préface », in HOUSSAIS, Laurent (éd.), LAGRANGE, Marion (éd.), MOULIN, Raymonde (éd.) et alii, Marché(s) de l'art en province, actes de colloque, Bordeaux, Bibliothèque municipale, 30 janvier et 1er février 2008, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010, p. 7.

19 BUCHANIEC, Nicolas, Les expositions dans le Nord de la France dans la seconde moitié du XIXe siècle (18701914), thèse de doctorat, sous la direction de François Robichon, Université de Lille-III, 2006.

20 BUCHANIEC, Nicolas, Salons de province : les expositions artistiques dans le nord de la France 1870-1914, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 17.

21 HOUSSAIS, Laurent, LAGRANGE, Marion, « Le sol ingrat de la province » in HOUSSAIS, Laurent (éd.), LAGRANGE, Marion (éd.), MOULIN, Raymonde (éd.) et alii, Marché(s) de l'art en province, actes de colloque, Bordeaux, Bibliothèque municipale, 30 janvier et 1er février 2008, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010, p. 9.

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omettre que les sociétés artistiques entretiennent en dehors des villes et des régions qui leur sont propres, des rapports avec leurs consoeurs, ce qui est la preuve de transferts culturels transrégionaux. Ainsi dans le colloque Marché(s) de l'art en province, l'étude des interactions transrégionales et transnationales des sociétés artistiques bénéficie d'une grande attention. Anne-Doris Meyer, chargée de mission aux Musées de la Ville de Strasbourg, pose notamment la question des transferts culturels entre la France et l'Allemagne et s'intéresse de surcroît à la notion de nationalisme au travers de l'examen particulier des actions de la Société des Amis des Arts de Strasbourg22.

Depuis 2015 un intérêt scientifique plus général naît à propos des sociétés des Amis des Arts en France. En effet, le programme lancé à l'Institut national d'histoire de l'art (INHA) sous la direction de Frédérique Desbuissons, maître de conférences en histoire de l'art moderne et contemporaine à l'Université de Reims Champagne-Ardennes, et intitulé Sociétés des Amis des Arts, vise à « proposer une première cartographie et procurer à la communauté scientifique les matériaux et les outils facilitant l'étude [de ces sociétés] »23. Pour ce faire le programme entend constituer une base de données répertoriant l'ensemble des sociétés artistiques françaises et les sources permettant leur étude.

Si ce programme réunit une communauté de chercheurs autour de la problématique des sociétés des Amis des Arts en province, il reste tout, ou presque, à faire sur le strict sujet des sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts en Touraine. En effet la bibliographie paraît inexistante, bien que des travaux universitaires menés dans le cadre de master se soient déjà attelés à brosser le portrait de certaines sociétés savantes tourangelles, de leurs actions et des protagonistes qui les constituent. En s'intéressant aux collectionneurs du Val-de-Loire au XIXe siècle, Martine Augouvernaire défriche la première la question des réseaux intellectuels tourangeaux24. Elle consacre dans son mémoire un court chapitre aux expositions tourangelles et cite notamment celles organisées par la Société Archéologique et la Société des Amis des Arts de la Touraine. À la suite Nathalie Bénâtre en consacrant son mémoire de maîtrise à

22 MEYER, Anne-Doris, « Entre art et politique la Société des Amis des Arts de Strasbourg (1870-1918), in HOUSSAIS, Laurent (éd.), LAGRANGE, Marion (éd.), MOULIN, Raymonde (éd.) et alii, op. cit., 2010, p. 7987.

23 INHA, « Les Sociétés des Amis des Arts, 1789-1914 », 26 février 2015. Disponible sur : https://www.inha.fr/fr/agenda/parcourir-par-annee/en-2015/mars-2015/les-societes-des-amis-des-arts.html. Consulté le 27/02/2017.

24 AUGOUVERNAIRE, Martine, Collectionneurs, Amateurs, et curieux au XIXe siècle en Indre-et-Loire, mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine, sous la direction d'Isabelle Brelot, Université François Rabelais de Tours, 1992, p. 141-143.

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l'histoire du musée des Beaux-Arts de Tours de ses origines à 1910, propose également une synthèse sur les expositions organisées par les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts25. Une partie de son étude vise à rendre compte de la politique d'acquisition de la ville à l'occasion des expositions organisées par les sociétés artistiques. Quant à François Védrine son mémoire se propose de reconstituer l'histoire de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire entre 1820 et 188026. Toutefois, son travail se focalise exclusivement sur la thématique agricole et omet entièrement les actions de la section artistique de la société. Plus récemment, Clémence Brogard en proposant une étude sur l'exposition rétrospective de Tours de 1873, s'intéresse à la question des réseaux et à la participation d'un certain nombre de membres de la Société Archéologique de Touraine dans l'organisation de cette exposition27.

Des érudits locaux se sont confrontés également à l'histoire des sociétés savantes et artistiques du département d'Indre-et-Loire, à l'exemple de Pierre Audin, docteur en histoire et membre de la Société Archéologique et de l'Académie de Touraine, qui a réalisé une étude sur l'histoire de la Société Littéraire et Artistique de Touraine visant à rendre compte de son influence sur la vie culturelle locale28. Michel Laurencin, professeur honoraire de chaires supérieures et membre de plusieurs sociétés savantes tourangelles, a quant à lui publié une étude sur l'histoire de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire, de sa formation à son état actuel29. Si la question des sociabilités artistiques en Indre-et-Loire paraît susciter l'intérêt des chercheurs, il semble néanmoins qu'aucune étude globale menée sur un temps long n'a jusqu'aujourd'hui été réalisée. C'est donc avant tout grâce à une prospection nécessaire et rigoureuse dans différents services d'archives publiques que les informations pour mener à bien ce travail ont pu être réunies.

Aux Archives municipales de Tours, aux Archives départementales d'Indre-et-Loire comme aux Archives nationales de France, les documents récoltés proviennent pour l'essentiel

25 BENÂTRE, Nathalie, Un musée de Province au XIXème : le musée des Beaux-Arts de Tours dès origines à 1910, mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine, sous la direction d'Alain Corbin, Université François Rabelais de Tours, 1988.

26 VÉDRINE, François, La Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire (1820-1880), mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine, sous la direction de Claude-Isabelle Brelot, Université François-Rabelais de Tours, 1993.

27 BROGARD, Clémence, Une exposition rétrospective en province : Le cas de l'exposition des Beaux-Arts de Tours en 1873, mémoire de master 1 d'histoire de l'art contemporaine, sous la direction de France Nerlich, Université François-Rabelais de Tours, 2016.

28 AUDIN, Pierre, « La Société Littéraire et Artistique de la Touraine. Soixante ans de vie culturelle provinciale », in Mémoires de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine, t. XXI, 2008, p. 137-153.

29 LAURENCIN, Michel, « La Société d'Agriculture... », op. cit., 2010, p. 91-123.

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de fonds concernant les sociétés savantes et les expositions locales30. Il convenait de débuter cette recherche par la constitution d'un corpus de sociétés artistiques du département d'Indre-et-Loire. Pour ce faire, les répertoires d'inscription de la préfecture et les dossiers administratifs se sont révélés des sources utiles, bien qu'aucun ne concerne les années antérieures à 185231. Il faut constater que le corpus de sources est inégalement réparti en fonction des sociétés. Lorsque certaines sont à peine représentées à l'exemple de la Société Artistique et Philanthropique des Joyeux Amis32, d'autres sont documentées abondamment, à l'instar de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire dont les Archives municipales de Tours conservent l'ensemble des fonds depuis sa création jusqu'à sa dissolution33.

Les documents administratifs représentent une grande part des sources réunies pour constituer cette étude. Ces archives nous renseignent essentiellement sur la date, les motivations et le contexte de création des sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts en se présentant notamment sous la forme de demandes d'autorisation de constitution. À ces documents, s'ajoutent les registres des délibérations des Conseils municipaux de la ville de Tours34. Ils sont une source précieuse, puisque conservant à l'écrit les débats autour de l'organisation des expositions tourangelles, les rapports des commissions d'organisation et les propositions de certains citoyens au sujet du développement des Beaux-Arts en Touraine. En outre, la correspondance entre les sociétés artistiques, les représentants des municipalités et des services administratifs, tel que le Ministère de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, nous renseigne sur le quotidien des associations35. De nombreuses demandes d'allocations, de mise à disposition de locaux et attributions d'oeuvres d'art ont ainsi été recueillies. Ces documents témoignent finalement de la proximité entre les instances administratives et les sociétés ainsi que des situations précaires et du peu de moyens de certaines associations.

30 Expositions d'art et d'industrie, Tours, A.M., 2F boîte 14

Sociétés savantes d'Indre-et-Loire, Tours, A.M., 2R 401/1 et 2R 401/2. Sociétés savantes, Tours, A.D., 4T 1398.

Expositions en province, Pierrefitte-sur-Seine, A.N., F/21/4085 et F/21/541.

31 « Police 1800-1940 : Associations, cercles et sociétés », Tours, A.D., 4M 168 à 265.

32 MARCHAL, F. (président) : Lettre au maire de Tours au sujet du prêt de la salle du manège pour l'organisation d'une exposition, 20 novembre 1891, Tours, A.M., 2R 401/2.

33 Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire, Tours, A.M., 48Z.

34 Tours, A.M., série 1D.

35 Expositions en province (Neuilly-Wassy) et divers : patronage des Beaux-Arts, prêts et éventuellement achats d'oeuvres d'art. 1879-1935 : Tours (Indre-et-Loire), Pierrefitte-sur-Seine, A.N., F/21/4085.

Expositions en province, Tours (Indre-et-Loire), Pierrefitte-sur-Seine, A.N., F/21/541.

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À cela, il faut ajouter également le traitement de données propres à certaines sociétés. Les procès-verbaux de séances d'assemblées générales et de commissions administratives ainsi que les registres de comptabilité sont utiles pour restituer le fonctionnement de la Société des Amis des Arts de la Touraine36. Pour la Société Archéologique et la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres, les documents utiles recueillis par nos soins sont moins nombreux, quoique le dépouillement rigoureux de leurs Annales ait permis de reconstituer leurs actions sur le territoire tourangeau37. De surcroît, les documents édités par les sociétés à l'occasion de leurs expositions, à l'instar des livrets, des catalogues et des albums, représentent des sources d'information non négligeables. Ils indiquent principalement les artistes et les oeuvres exposées, proposent dans certains cas des reproductions photographiques38 et nous renseignent parfois sur les prix de vente grâce à des inscriptions manuscrites39. Cependant, toutes les expositions ne bénéficient pas de la publication d'un catalogue.

Pour constater le rayonnement des sociétés artistiques, et particulièrement la réception de leurs expositions, la presse de l'époque se révèle être une source importante. L'essentiel des articles qui leur sont consacrés sont extraits des quotidiens locaux, à l'instar de La Petite France, du Courrier et du Journal d'Indre-et-Loire, dans lesquels les sociétés trouvent régulièrement des soutiens bienveillants à leurs égards. Par ailleurs les revues locales spécialisées dans le domaine des arts lancées à l'initiative de sociétés ou d'individus leur étant liés, comme La Touraine, La Revue littéraire de Touraine ou encore L'Écho littéraire et artistique Tours-Paris sont des sources importantes puisque renseignant au plus près sur les activités culturelles de la région. Mais il convient également d'élargir la recherche sur la réception des expositions à la presse artistique nationale, compte tenu de la visibilité importante des sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts. Les quotidiens spécialisés dans le domaine des arts à l'exemple de L'Artiste, de La Chronique des Arts et de la Curiosité, du Courrier de l'art

36 S.A.A., Procès-verbaux de la commission administrative 1914-1946, Tours, A.D., T1406.

S.A.A., Procès-verbaux des assemblées générales 1926-1931, Tours, A.D., T1407.

S.A.A., Registre de comptabilité, Tours, A.D., T1408. S.A.A., Comptes-rendus, Tours, Imp. Juliot, 1881-1892.

37 S.A.T., Annales, t. I-XC, Tours, Imp. Deslis, 1838-1910. S.A.S.A.B.L., Annales, t. I-XC, Tours, Imp. Deslis, 1821-1910.

38 PALUSTRE, Léon, Album de l'exposition rétrospective de Tours, Tours, Ed. Georget-Joubert, 1873. PALUSTRE, Léon, Album de l'exposition rétrospective de Tours (1890), Tours, Mame, 1890.

39 S.A.A., Exposition de 1882, cat. exp., Tours, Hôtel de ville, Tours, Imp. Rouillé-Ladevèze, 1882, Pierrefitte-sur-Seine, A.N., F/21/541.

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ou du Journal des Artistes sont des sources d'informations précieuses sur l'organisation des expositions en Touraine par les sociétés d'émulation artistique.

À l'évidence, la Touraine profite d'un riche héritage artistique dont ses habitants sont conscients et semblent très fiers au XIXe siècle. C'est en effet dans cette province que l'art de la Renaissance française a éclos et que des grands noms qui composent depuis l'histoire de l'art national se sont imposés. Toutefois, au XIXe siècle, malgré ce passé artistique glorieux et un nombre d'artistes et de collectionneurs toujours plus croissant, l'activité artistique de la Touraine ne semble reposer que sur quelques institutions publiques, à l'exemple du musée et de l'école des Beaux-Arts de Tours, ainsi que sur un très faible nombre d'établissements privés spécialisés dans la vente d'oeuvres d'art. La population n'a donc que rarement l'occasion de se confronter à la production artistique vivante, puisque les artistes locaux ne profitent guère de structures leurs permettant de se faire connaître des amateurs. Parallèlement les artistes étrangers au département d'Indre-et-Loire et particulièrement parisiens souffrent d'un marché de l'art très concurrentiel. La formation des sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts en Touraine semble pallier toutes ces carences. Pour autant, toutes ne sont pas formées sur le même modèle et n'envisagent pas de la même manière l'émulation artistique dans le département. Dès lors, les sociétés peuvent-elles s'appréhender comme des institutions complémentaires aux établissements publics existants et sur quels paramètres économiques, culturels, identitaires et historiques, les sociétés de Beaux-Arts tourangelles s'appuient-elles pour encourager l'émulation artistique de leur territoire ?

Le premier chapitre de ce mémoire sera l'occasion de présenter l'histoire des sociétés savantes et artistiques du département d'Indre-et-Loire dans l'objectif de montrer notamment l'évolution quantitative - peut-être qualitative également - des regroupements pour les arts. Cette partie sera aussi l'occasion de remettre dans son contexte la vie culturelle de Tours. Aussi, nous examinerons la naissance de la première Société des Amis des Arts en Touraine, du projet de formation jusqu'à son instauration dans la ville. Faisant un saut dans le temps, nous nous attacherons à retracer les réseaux d'érudits qui ont mené à la création de la Société des Amis des Arts de la Touraine, puis la renaissance de la section artistique de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire, avant de conclure sur l'élargissement des périmètres artistiques en nous intéressant à la question de la création de la Société Photographique de Touraine.

Le deuxième chapitre de ce travail sera consacré plus spécialement au fonctionnement des sociétés savantes et artistiques d'Indre-et-Loire. Il sera l'occasion de présenter

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l'organisation hiérarchique des associations et de mettre en évidence la création de leurs statuts, tout en abordant leurs ressources budgétaires et l'implantation de leurs sièges sociaux qui résultent régulièrement de la bienveillance des autorités publiques. Nous montrerons ensuite quels sont les rapports qu'entretiennent les sociétés entre elles et avec la population, dans l'objectif de mettre en exergue leur rôle dans la vie culturelle de la ville.

Enfin, le dernier chapitre de ce mémoire sera consacré à l'étude des expositions organisées par les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts, qui sont de toute évidence les événements les plus marquants de la vie artistique en province. Nous présenterons tout d'abord la défense de l'identité artistique tourangelle entreprise par les sociétés au cours de leurs expositions, qu'elles soient rétrospectives ou consacrées à la promotion de l'oeuvre des artistes vivants d'Indre-et-Loire. La présence des artistes étrangers et principalement parisiens au cours des manifestations de Beaux-Arts de Touraine sera étudiée à la suite, pour comprendre notamment comment elle est appréhendée par le public tourangeau en général et les artistes de la localité en particulier. Après un bref rappel des institutions du marché de l'art à Tours au XIXe siècle, la dernière partie de ce chapitre sera consacrée à l'intérêt commercial des expositions sociétales pour les artistes locaux comme pour les artistes étrangers.

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CHAPITRE I. L'ÉVOLUTION DES SOCIÉTÉS ARTISTIQUES EN TOURAINE ENTRE 1789 ET 1914

I) Du balbutiement à l'émergence des sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts dans le département d'Indre-et-Loire

A. La Révolution en Touraine : une période de réorganisation des institutions artistiques

À tous les points de vue, qu'ils soient politiques, administratifs, économiques, géographiques ou culturels, la Révolution marque un tournant sans précédent dans l'organisation de la France en général et de ses provinces en particulier. À cette occasion sont créés, le 26 février 1790, les quatre-vingt-trois départements qui structurent désormais le territoire. La province de Touraine devient département d'Indre-et-Loire mais Tours reste néanmoins le chef-lieu du département et conserve de ce fait son rôle de capitale politique et économique, justifiée autant par la présence des administrations que des nombreux commerces. Il semble toutefois que la Révolution mette à mal la vivacité des affaires culturelles du département, conduisant à un contexte paradoxal de déclin mais aussi de développement du domaine artistique. Ainsi, comme le fait remarquer à juste titre Francis Démier dans son ouvrage de référence sur la France du XIXe siècle, la Révolution instaure un climat contradictoire dont l'acquisition de la liberté du peuple est souvent prise comme prétexte pour dissimuler les débordements du pouvoir autoritaire de la jeune République40, à l'exemple de la suppression des académies et des sociétés littéraires.

a) De la dissolution des académies en France en général à la fermeture de la Société Royale d'Agriculture de la généralité de Tours en particulier

Ayant l'ambition de réduire à néant les institutions dont les origines remontent à l'Ancien Régime, la Convention dans son assemblée du 8 août 1793 décide d'abolir « toutes les académies ou sociétés littéraires patentées ou dotées par la nation »41 et vote seulement quatre jours plus tard la confiscation de leurs biens mobiliers, puis immobiliers le 24 juillet suivant42.

40 DÉMIER, Francis, La France du XIXe siècle 1814-1914, Paris, Éditions du Seuil, 2000, p. 53.

41 GRÉGOIRE, Henri (dit Abbé Grégoire), Décret d'abolition des académies, 8 août 1793, in CHALINE, Jean-Pierre, Sociabilité et érudition les sociétés savantes en France, Paris, Éd. C. T. H. S, 1998, p. 39.

42 BERGOT, François, Trésors de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, Bonsecours, Éditions point de vue, 2009, p. 6.

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Ce décret d'abrogation n'est qu'une étape dans la longue suite de vives attaques prises au dépend des académies, qui sont alors l'un des seuls avatars des progrès de l'agriculture, des sciences et de l'art en région.

C'est à partir du rapport que soumet l'abbé Grégoire (1750-1831) en 1793 qu'est votée la fermeture des académies qui portent « encore l'empreinte du despotisme, ou dont l'organisation heurte l'égalité, [ont] échappé à la réforme générale »43. Le reproche majeur de la Convention à l'égard des académies résulte surtout de l'ancienneté de leurs fondations et de leurs statuts élitistes voire exclusivement aristocratiques puisque « les patriotes y sont presque toujours en minorité »44.

Si le discours de Grégoire conduit à la dissolution des académies, il semble déjà que quelques mois auparavant en Touraine s'impose un courant qui leur est réfractaire. Pierre-Louis-Athanase Veau-Delaunay (1751-1814), avocat au barreau de Tours et deuxième suppléant d'Indre-et-Loire à la Convention45, présente le 6 février 1793 devant le Conseil général, un projet allant dans le sens de la fermeture des académies locales. Peut-être prend-il l'exemple de la Société Académique d'Écriture, de Vérification et d'Institution Nationale de Tours affiliée à celle de Paris46 ? Plus probablement c'est à la Société Royale d'Agriculture de la généralité de Tours qu'il s'attaque, puisque composée de l'élite locale du département : « Cet établissement ne peut plus subsister chez des hommes libres et éclairés [...] Gardons-nous de créer une académie privilégiée quand il s'agit de former une société républicaine »47. À sa fondation en 1761, le bureau de la Société d'Agriculture est constitué en effet de 20 membres titulaires issus essentiellement de la noblesse d'épée (20%). Les officiers de l'administration (20%) ainsi que les membres du clergé régulier et séculier (15% chacun) représentent aussi une part importante de l'effectif de la société48. Il semble que ces pourcentages correspondent aux proportions générales des académies de province49. À l'échelle nationale, les académiciens sont

43 GRÉGOIRE, Henri (dit Abbé Grégoire), Ibidem., in AUCOC, Léon, L'Institut de France et les anciennes académies, Paris, Plon, 1889, p. 3.

44 GRÉGOIRE, Henri (dit Abbé Grégoire), Ibidem, in LAURENCIN, Michel, « La Société d'agriculture... », Ibid., p. 95.

45 ROBERT, Adolphe (éd.), BOURLOTON, Edgar (éd.), COUGNY, Gaston (éd.), Dictionnaire des parlementaires français, t. V, Paris, Bourloton éditeur, 1891, p. 500.

46 [ANONYME], Almanach royal, Paris, Imp. De Testu, 1792, p. 515-516.

47 Registre de délibération du Conseil général, 6 février 1793, Tours, A.M., 1D7, in LAURENCIN, Michel, « La Société d'agriculture... », op. cit., 2010, p. 95.

48 LAURENCIN, Michel, « La Société d'agriculture... », op. cit., 2010, p. 94.

49 ROCHE, Daniel, op. cit., 1978.

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des amateurs issus de noblesse récente ou de la bourgeoisie constituée principalement de professions libérales, administratives, médicales ou techniques. De fait, la Société Royale d'Agriculture exclut manifestement de ses rangs les classes sociales les plus populaires. A priori, les mesures prises lors de la Convention réduisent à néant la Société Royale d'Agriculture de la généralité de Tours. Néanmoins, il semble déjà que dès les premières années de la Révolution, cette société subisse de plein fouet des difficultés majeures. La tenue de sa dernière réunion en décembre 1790 le confirme50.

b) À l'origine de l'émulation artistique en Touraine : la création de l'école de dessin et du

musée de Tours

Malgré la disparition des sociétés savantes et littéraires, les activités artistiques et culturelles ne sont pas totalement annihilées dans le département d'Indre-et-Loire. En effet, l'école de dessin poursuit ses activités tandis que se construit dans le même temps les fondements du futur musée de Tours. Ces deux entités culturelles ont un dénominateur commun : Charles-Antoine Rougeot (1740-1797).

Né à Paris vers 1740, ce fils de tapissier s'installe à Tours où il travaille dans un premier temps auprès de son oncle, le « Sieur Roussel, archiviste du chapitre de Saint-Gatien »51. Jusqu'en 1778, Rougeot garde sa fonction d'archiviste comme activité principale, avant d'ouvrir une école gratuite de dessin dans son atelier de la Belle-Fontaine, situé à proximité de la cathédrale. L'école se compose en tout et pour tout d'une « vaste salle, bien éclairée et chauffée, [présentant] une grande table circulaire et académique, c'est à dire garnie de bancs, de pupitres et d'accessoires »52. Là, il reçoit trois fois par semaine entre une quarantaine et une soixantaine de jeunes artistes. Aujourd'hui les années de formation de ce professeur de dessin sont inconnues, malgré plusieurs études dont certaines sont relativement récentes53. Il est probable qu'il reçoit à la fois une formation de maître-tapissier à l'instar de son père et une

50 VÉDRINE, François, op. cit., 1993, p. 9.

51 LAURENT, Félix, « Mémoire sur l'école de dessin de Tours au dix-huitième siècle d'après les archives de l'hôtel de ville de Tours », Réunion des Sociétés Savantes des Beaux-Arts, volume VIII, Paris, Plon, 1884. p. 394.

52 Procès-verbal de la session du Conseil du département, 14 nov. 1790, Paris, A.N., cote non mentionnée, in BÉNÂTRE, Nathalie, op. cit., 1988, p. 14.

53 GILET, Annie, « De l'école de dessin au musée, histoire d'une collection », in Dessins XVe-XXe siècle. La collection du musée de Tours, cat. exp. Tours, Musée des Beaux-Arts de Tours, Tours, imp. Mame, 2001, p. 11-

22.

LAHALLE, Agnès, Les écoles de dessin au XVIIIe siècle. Entre arts libéraux et arts mécaniques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 71-72.

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éducation littéraire comme le suggère son activité au scriptorium tourangeau54. Il est possible que Rougeot cherche à imiter les nombreuses écoles de dessin qui sont ouvertes depuis parfois plusieurs décennies dans plusieurs villes de françaises telles que Aix (1765), Lyon (1756) ou Marseille (1752) et même à proximité de Tours, à l'instar de Poitiers (1771), Nantes (1757) et Le Mans (1759). L'initiative individuelle de Rougeot constitue incontestablement au dynamisme artistique de la Touraine, d'autant que son projet est soutenu, seulement un an après l'ouverture de l'école, par des personnalités influentes de la ville dont les maires, Michel Banchereau et Benoit de la Grandière (1733-1805). Dès la fondation de l'école, il semble que Rougeot destine essentiellement son enseignement à la formation des futurs ouvriers des manufactures de soieries tourangelles, comme en témoigne sa lettre à l'intendant de la Généralité de Tours, François Pierre du Cluzel (1734-1783).

Je crois la ville de Tours plus susceptible que beaucoup d'autres, d'une école gratuite de dessin, non seulement pour [l'utilité] de différents artisans qui peuvent en profiter, mais encore pour y former des dessinateurs dans la fabrique des étoffes de soye55.

La production de la soie participe activement à l'économie générale de la ville. En effet, Tours développe cette activité depuis la fin des années 1470, soit près d'un demi siècle « avant que ne se créent à Lyon, les premiers ateliers de fabrication de la soie »56. Devenu école académique de peinture, sculpture, architecture et arts analogues en 1781, l'atelier de Rougeot ne peut que profiter aux « dessinateurs qui seront formés dans cette école pour le goût particulier des ouvrages de cette manufacture » comme l'écrit du Cluzel au comte d'Angiviller le 3 avril 178057. Si en tant que directeur-perpétuel Rougeot continue l'enseignement de la figure, il confie à ses collaborateurs l'instruction de l'ornementation et de la fleur, de l'architecture et de la géométrie, ainsi que de la coupe de la pierre, matières propres au développement des arts industriels de la région.

Si depuis 1778 les soyeux de la ville participent à la remise des récompenses destinés aux ouvriers et aux élèves de l'école, en 1782, une « classe d'amateurs » concourt à la prospérité et

54 MILLET, Audrey, « Charles-Antoine Rougeot et Jean-Jacques Raverot : itinéraire d'une famille au sein des écoles de dessin de Tours (1776-1826) », in ENFERT, Renaud d', FONTENEAU, Virginie, Espace de l'enseignement scientifique et technique. Acteurs, savoirs, institutions XVIIe-XXe siècles, Paris, Hermann, 2011, p. 110.

55 ROUGEOT, Charles-Antoine : Lettre adressée à l'intendant de la Généralité de Tours François Pierre du Cluzel, 31 juillet 1780, Tours, A.D., série C 348 in GILET, Annie, op. cit., 2001, p. 12.

56 COUDOUIN, André, « L'âge d'or de la soierie à Tours 1470-1550 », in Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, Vol. 88, n° 1, 1981, p. 43.

57 DU CLUZEL, François-Pierre : Lettre adressée au directeur des bâtiments du roi le comte d'Angiviller, 3 avril 1780, Tours, A.D., série C 348, in GILET, Annie, op. cit., 2001, p. 13.

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à l'émulation de l'établissement de Rougeot. Ainsi, chacun des membres contribuent à hauteur de 12 livres à la « distribution de prix, de modèles, d'instruments et d'outils aux élèves, propres aux états qu'ils exercent »58. Les protagonistes les plus influents de la localité y sont associés à l'exemple « du duc et de la duchesse de Choiseul, de l'intendant du Cluzel, de son S. A. S. Mgr le duc de Penthière, de Mgr l'archevêque de Tours, de M. le comte d'Estaing, de M. le duc de Luynes, Messieurs de l'église de Tours et de l'église de Saint-Martin, l'abbaye royale de Marmoutier, le Corps de la manufacture, celui des orfèvres »59. Si la bienveillance de ces amateurs pour les élèves de l'école de dessin apparaît comme une action philanthropique, elle n'est à l'évidence pas entièrement désintéressée. Figurer sur cette liste est en effet gage de distinction sociale. La Révolution ne paraît pas mettre à mal le concours de la classe d'amateurs, bien que son action diminue déjà notablement l'année suivant sa création, en raison des décès d'un certain nombre de personnages figurant parmi les plus importants, comme l'intendant du Cluzel.

Si de la Révolution découle le terme « vandalisme », elle conduit également à la notion de conservation du patrimoine. La loi du 16 septembre 1792, portant sur la sauvegarde des objets d'art provenant des maisons royales et des édifices nationaux, est à l'origine de la création d'un certain nombre de musées dont celui de Tours, qui doit beaucoup à l'initiative de Rougeot 60 . La publication, le 6 octobre 1792, d'un arrêté départemental disposant du recensement des monuments des sciences et des arts, conduit Charles-Antoine Rougeot et son gendre Jean-Jacques Raverot (1760-1842), peintre en miniature, à établir les premiers inventaires des oeuvres saisies susceptibles de constituer les premières collections du musée de Tours. Dans un premier temps les oeuvres sont conservées dans un dépôt avant de les présenter officiellement au public à partir de 1795. À son ouverture les tensions de la Révolution sont encore palpables, comme le fait remarquer l'un des membres du Conseil général révolutionnaire de la commune de Tours :

Quelques citoyens trouvoient mauvais qu'on exposa dans les musées des tableaux et autres monuments des arts, portant des signes de royauté et de féodalité, ou qui représentoient des sujets

58 ROUGEOT, Charles-Antoine : Lettre au Conseil de la Compagnie, 19 juillet 1782, in LAURENT, Félix, « Mémoire sur l'école... », op. cit., 1884, p. 397.

59 [ANONYME], École gratuite et académique de dessin et arts analogues établie dans la ville de Tours, Prospectus pour la formation d'une Classe d'Amateurs de ladite École, Tours, imprimerie F. Vauquer-Lambert, 1782.

60 BÉNÂTRE, Nathalie, op.cit., 1988, p. 15.

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relatifs à la religion Romaine [É] Même on avoit entendu quelques militaires menacer de couper à coup de sabre certains tableaux s'ils les retrouvoient exposés à vue »61.

Le zèle révolutionnaire est toujours bien présent lorsque le musée s'installe dans une partie de l'Archevêché, tout comme l'École Centrale, la bibliothèque, et l'école de dessin. Toutefois, il semble que ses collections sont dans un premier temps des outils propres à l'enseignement pour les jeunes artistes de la ville. Son ouverture relativement précoce témoigne cependant de la fertilité du terreau artistique tourangeau, bien que son développement se fasse davantage durant la première moitié du XIXe siècle. Si la fermeture des académies tourangelles est une brèche dans le développement des arts en Touraine, la continuité des activités de l'école de dessin et la création du musée résultent au contraire d'une volonté d'encourager les activités artistiques.

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