WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2. Le contrôle des actions répressives

Si les autorités nationales jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour estimer les risques d'atteinte à l'ordre public, il n'en demeure pas moins que les actions répressives, comme les actions préventives, soient examinées à l'aune de leur nécessité, de leur proportionnalité et de leur caractère raisonnable.

A. Le contrôle des poursuites engagées

Les menaces pour la sécurité ou l'ordre public doivent être suffisamment caractérisées pour justifier les poursuites pénales et judiciaires engagées contre les participants et les sanctions qui leur sont infligées. Dans l'arrêt Ezelin883(*), la sanction disciplinaire infligée à un avocat qui avait participé à une manifestation a été jugée contraire à l'article 11, une telle restriction au droit de manifester ne présentant aucun caractère de « nécessité ». Pour apprécier la proportionnalité de la mesure, la Cour européenne des droits de l'homme prend en considération la nature des manifestations. Elle met en balance les impératifs de l'ordre public et « ceux d'une libre expression par la parole, le geste ou même le silence, des opinions de personnes réunies dans la rue ou d'autres lieux publics ». Elle se livre à un contrôle approfondi des mesures d'interdiction, estimant que les idées politiques qui contestent l'ordre établi par des moyens pacifiques doivent pouvoir s'exprimer, tant par la liberté de réunion que par d'autres moyens légaux.

En revanche, il est possible d'interpeller un chauffeur routier qui bloque la circulation dans le cadre d'une opération « escargot ». Dans l'arrêt du 5 mars 2009 Barraco contre France", il a été jugé que la condamnation du requérant constitue « une ingérence des autorités publiques dans son droit à la liberté de réunion pacifique, qui englobe la liberté de manifestation ». Pour autant, l'ingérence a une base légale (art. L. 412-1 du Code de la route) et est ainsi « prévue par la loi » au sens de l'article 11, §2, de la Convention. Cette ingérence poursuivait l'un des buts énoncés à l'article 11 : à savoir la protection de l'ordre et la protection des droits et libertés d'autrui. La condamnation pénale du requérant n'apparaît pas disproportionnée au regard des buts poursuivis. Pour la Cour, « l'obstruction complète du trafic va au-delà de la simple gêne occasionnée par toute manifestation sur la voie publique ».

Une même solution sera apportée, quelques années plus tard, dans l'arrêt de Grande chambre du 15 octobre 2015, Kudrevicius et a. contre Lituanie884(*). Cinq agriculteurs avaient été condamnés pour émeute à une peine privative de liberté de 60 jours avec sursis pour avoir organisé le blocage des trois autoroutes pendant quarante-huit heures. Soulignant que la liberté de réunion est « un droit fondamental dans une société démocratique » et rappelant son lien étroit avec la liberté d'expression, la Cour, classiquement, examine les griefs sous l'angle de l'article 11, qui est la lex specialis. Elle estime que les requérants, qui ont été condamnés pour atteintes à l'ordre public causées par les barrages routiers et non pour des actes de violence, peuvent se prévaloir de la protection de l'article 11. Elle observe que leur condamnation constitue bien une ingérence dans leur droit à la liberté de réunion, qui poursuivait le but légitime de « la protection des droits et des libertés d'autrui », spécialement du droit de circuler sans contrainte sur les voies publiques, mais elle va considérer que cette ingérence est proportionnée au but poursuivi.

Dans le prolongement de l'arrêt Barraco, cet arrêt marque la frontière entre la gêne occasionnée par toute manifestation pacifique sur la voie publique, notamment par la perturbation de la circulation, que les autorités nationales doivent tolérer pour ne pas vider de son contenu la liberté de manifestation, et son débordement constitué par un blocage complet de la circulation, que les autorités peuvent réprimer885(*). En l'espèce, la Cour relève que les agriculteurs avaient été autorisés à manifester dans des lieux déterminés et que le déplacement des manifestations vers les autoroutes a constitué une violation flagrante des autorisations données.

Lorsque les perturbations intentionnelles dépassent par leur ampleur celles qu'implique l'exercice normal de la liberté de réunion pacifique, elles peuvent être considérées comme des « actes répréhensibles », justifiant des sanctions, y compris pénales. Ainsi, « le blocage quasi total de trois autoroutes importantes, au mépris flagrant des ordres de la police et des intérêts et droits des usagers de la route, s'analyse en un comportement qui, tout en étant moins grave que le recours à la violence physique, peut être qualifié de répréhensible. Les sanctions prises étaient justifiées par des motifs pertinents et suffisants. La condamnation des requérants pour émeute a donc ménagé un juste équilibre entre les buts légitimes de la défense de l'ordre et la protection des droits et libertés d'autrui d'une part, et les impératifs de la liberté de réunion d'autre part, et n'a pas méconnu l'article 11.

La Cour européenne des droits de l'homme fournit ainsi beaucoup de recettes au droit congolais relativement à la liberté de manifestation. Les poursuites et sanctions disciplinaires engagées contre les fonctionnaires pour avoir pris part à une manifestation publique sont récurrentes en RDC. Pareilles décisions doivent connaitre la censure du juge administratif, pourvu que les victimes de ces traitements en saisissent le juge compétent.

* 883Cour européenne des Droits de l'Homme, 26avril 1991 dans l'affaire Ezelin c. France, Op. cit.

* 884Cour européenne des Droits de l'Homme, 15 octobre 2015 dans l'affaire Kudrevicius et a. c. Lituanie, req. n° 37553/05 ; F. Sudre, « Droit de la Convention européenne des droits de l'homme », JCP G, n° 3, 18 janv. 2016.

* 885SUDRE (F.), Droit de la Convention européenne des droits de l'homme,Op. cit. p. 78.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille