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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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B. Le contrôle des interdictions

Pour la Cour européenne des droits de l'homme874(*), les menaces pour la sécurité ou l'ordre public doivent être suffisamment caractérisées pour justifier une interdiction. La « nécessité » de l'interdiction s'apprécie au regard d'un « besoin social impérieux », qui rend impossible l'exercice de la liberté de manifester. Le caractère légal ou illégal de la manifestation dans le droit interne de l'État concerné n'entre pas en considération. La Cour refuse de se laisser enfermer par la qualification par le droit interne. C'est ainsi que le fait, pour les autorités turques, de requalifier une conférence de presse tenue par des militants kurdes en manifestation interdite n'a pas pour effet de faire sortir ce rassemblement du champ d'application de l'article 11 de la Convention875(*). Au contraire, des mesures radicales d'interdiction, en l'absence de violence, desservent la démocratie, voire la mettent en danger876(*).

Si les risques de troubles à l'ordre public ne sont pas établis, dès lors que la manifestation s'annonce pacifique, l'interdiction sera jugée non conventionnelle, parce que sa nécessité ne sera pas prouvée.

La Cour européenne a considéré que la décision du Maire de Varsovie d'interdire un défilé visant à protester contre les discriminations à l'égard des minorités homosexuelles ne reposait pas sur une nécessité. La mairie justifiait cette interdiction par le fait que les organisateurs du rassemblement n'avaient pas fourni de « plan d'organisation de la circulation », et que les manifestants risquaient de se heurter à d'autres militants défendant des idées opposées.

La Cour rejette chacun de ces arguments et observe qu'aucun « plan d'organisation de la circulation » n'était exigé des organisateurs de rassemblement. Il appartenait aux autorités de police de garantir l'ordre public lors d'une manifestation dont rien ne laissait supposer le caractère non pacifique877(*). En outre, elle a appliqué de manière combinée les articles 11 et 14 de la Convention, pour juger qu'est discriminatoire ce refus opposé par le maire à une association militant en faveur des homosexuels, d'organiser un défilé et des rassemblements, en vue de protester contre les discriminations878(*).

Dans le même sens, la Russie a été condamnée pour avoir interdit des manifestations au soutien de la cause homosexuelle. Le Maire de Moscou avait régulièrement interdit l'organisation de « gay pride » au motif que l'homosexualité serait contre-nature, invoquant des risques de troubles entre les manifestants et leurs opposants c'est-à-dire le contre manifestants. La Cour a rappelé que la liberté de réunion s'exerce même si elle risque de « gêner ou offenser des personnes opposées aux idées ou revendications », exprimées lors de la manifestation. S'agissant des troubles, le risque de violence était réduit et donc insuffisant pour justifier une interdiction879(*).

En ce sens, les autorités excèdent leur marge d'appréciation, lorsque l'opposition à une réunion pacifique ne repose pas sur « un véritable risque prévisible d'action violente, d'incitation à la violence ou de toute autre forme de rejet des principes démocratiques »880(*). Le placement en détention de deux hommes, durant plus de cinq jours pour les empêcher de manifester contre la tenue d'un sommet G8, alors qu'ils n'encouraient aucune poursuite pénale, constituait une violation, tant de leur droit à la sûreté, qu'à leur liberté de réunion pacifique881(*).

La Hongrie a également été condamnée sur le fondement de la violation de l'article 11 au sujet de l'interdiction d'une manifestation projetée par un groupe de 20 personnes en vue d'afficher leur mécontentement face au non-paiement de leurs créances par une société privée, devenue insolvable882(*). Les vingt participants projetaient de rester alignés en silence sur le trottoir devant la maison du Premier ministre, lieu suffisamment vaste pour laisser passer les autres piétons pendant la manifestation.

Compte tenu des circonstances de l'espèce, il n'est pas certain que les manifestants aient effectivement gêné le trafic routier ou la circulation des bus et rien ne permet de dire qu'ils auraient été violents ou présentaient un danger pour l'ordre public. La Cour rappelle que l'interdiction des manifestations peut poursuivre le but légitime de prévenir le désordre et de protéger les droits d'autrui, mais ici l'interdiction était disproportionnée et n'était pas nécessaire.

Les positions de la Cour démontrent à suffisance combien les troubles à l'ordre public constituent le seul motif valable d'interdiction d'une manifestation. Le contrôle des interdictions ne trouve sa vraie substance que lorsqu'il consiste en un contrôle des motifs de l'interdiction. Le juge constitutionnel béninois est très actif en cette matière, de même que le tribunal constitutionnel espagnol et le juge administratif français. Le juge administratif et constitutionnel congolais devraient suivre l'exemple de leurs homologues d'autres pays pour jouer véritablement leur rôle de vivier de la démocratie et du constitutionnalisme en RDC.

* 874Ibidem.

* 875Cour européenne des Droits de l'Homme, 27 juin 2006 dans l'affaire Cetinkaya c. Turquie, req. n° 61353/00.

* 876Cour européenne des Droits de l'Homme, 2 octobre2001dans l'affaire Stankov c. Bulgarie, Op. cit.

* 877Cour européenne des Droits de l'Homme, 3 mai 2007 dans l'affaire Baczkowski et a. c. Pologne, requête no 1543/06.

* 878Idem.

* 879 Cour européenne des Droits de l'Homme, 21 oct. 2010 dans l'affairev Alekseyev c. Russie, req. no 4916/07 ; L'Europe des libertés, janv. 2011, n° 34, obs. U. Kilinc, « A propos de l'interdiction du maire de Moscou à l'encontre de la Gaypride » ; C. Picheral, « Droit de revendiquer ouvertement son homosexualité et de promouvoir le respect envers les minorités sexuelles », JCP G, 8 nov. 2011, n°45, p. 2122.

* 880Cour européenne des Droits de l'Homme, 2 octobre 2001 dans l'affaire Stankov c. Bulgarie, req. no 29225/95.

* 881Cour européenne des Droits de l'Homme, 1er décembre 2011 dans l'affaire Schwabe et M.G. c. Allemagne, req. no 8080/08 et 8277/08.

* 882Cour européenne des Droits de l'Homme, 7 octobre 2008 dans l'affaire Patyi et a. c. Hongrie, req. n° 5529/05.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe