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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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Section 1. Le cadre juridique de protection de la liberté de manifestation en France

La question de la liberté de manifestation est au coeur des débats en France, qualifiée de « patrie des droits de l'homme ». L'adoption récente de la loi anticasseurs au lendemain des manifestations des « gilets jaunes » démontre à suffisance son actualité et l'intensité de la surveillance dont fait l'objet cette liberté en France (§1). En plus de l'examen de la situation française, la présente section s'emploie à analyser les régimes juridiques de la liberté de manifestation dans ce pays (§2) dans la perspective d'une analyse comparative avec le droit congolais.

§1. Le droit de manifester en France : une liberté sous les signes de méfiance

En France, la liberté de manifestation occupe une place particulière au sein de la catégorie des libertés fondamentales. Elle offre un visage singulier, traduisant la méfiance des pouvoirs publics. « On n'en rappellera ici que les principes, ceux qu'il est nécessaire de connaître pour suivre la présente argumentation », car dans le détail, il s'agit d'un droit complexe, finalement peu étudié, fait de pièces successives mal emboîtées dont l'analyse exigerait un ample développement.349(*)

Non seulement cette liberté fait l'objet d'une consécration en demi-teinte mais, en outre, son régime semble davantage placé sous le signe de l'ordre que celui de la liberté. Car aucun texte ne la consacre officiellement, si ce n'est un décret sur la sécurité publique.350(*) C'est par la jurisprudence qu'elle a été affirmée et en suite connu son essor. Les dernières années, la situation de la liberté de manifestation s'est positivement améliorée au point de la classée parmi les libertés les mieux protégées. C'est à travers l'instauration de la procédure de référé-liberté permettant en toute célérité d'arrêter toutes formes de violations des droits fondamentaux par un contrôle rapide des restrictions portées contre les libertés par le juge administratif.351(*)

1. La protection inachevée

Si la liberté de manifestation est certes reconnue à un niveau supralégislatif, les textes et jurisprudences qui la consacrent ne parlent pas de liberté de manifestation ni même de manifestation. Dans l'ordre constitutionnel, la liberté de manifestation ne bénéficie pas d'une consécration textuelle352(*). Aucun élément du bloc de constitutionnalité ne reconnaît expressément une telle liberté. Un article en ce sens figurait dans le projet de Constitution du 19 avril 1946mais ce projet ne fut pas adopté.353(*)Il a fallu attendre une décision de 1994 pour voir le Conseil constitutionnel consacrer un timide « droit d'expression collective des idées et des opinions »354(*), qui revient à reconnaître la liberté de manifester sous la forme d'une définition.

Le texte dont ce droit est issu n'est pas mentionné par le Conseil. Il paraît peu probable qu'il ait entendu le créer totalement sans aucune assise textuelle car telle n'est pas l'orientation de sa jurisprudence355(*). En cas de création d'une nouvelle norme constitutionnelle, le Conseil s'efforce toujours de la rattacher à un texte, serait-ce de façon artificielle. Dans le cas du droit à l'expression collective des idées et des opinions, le texte correspond, selon la plupart des auteurs356(*), à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, aux termes duquel « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions (...) pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi ».357(*) L'énoncé évoque la notion de manifestation d'une opinion. Il s'avère suffisamment large pour inclure la notion de manifestation au sens de défilé. Un rattachement aux articles 2 et 4 de la DDHC serait également envisageable.

Le même constat d'une reconnaissance en demi-teinte s'impose au niveau international. Là encore, sont absentes tant les notions de manifestation que de liberté de manifestation. L'article 11 de la convention européenne reconnaît un droit « de réunion pacifique ». L'article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques parle du « droit de réunion pacifique ». La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne retient une formule proche en évoquant « la liberté de réunion pacifique ».358(*)L'expression « liberté de manifestation » n'est pas expressément359(*) utilisée, comme si elle suscitait une certaine méfiance. Ce sentiment se trouve conforté par l'analyse de son régime.

2. Un régime placé sous le signe de l'ordre public et méfiance

Par rapport aux autres libertés (notamment la liberté d'association et la liberté de réunion, qui comme elles ont en commun d'amener des personnes à se rassembler), la liberté de manifestation peut être qualifiée de liberté « surveillée » au sens où son régime est placé sous le signe de la sécurité.

Cela est d'autant évident que le régime qui l'organise trouve sa place non pas dans une loi sur la liberté de manifestation ou dans le code des relations entre le public et les administrations mais dans le code de la sécurité intérieure.360(*) De façon significative, elle figure dans un Chapitre premier intitulé « Prévention des atteintes à l'ordre public lors de manifestations et de rassemblements ». Ce choix n'est pas anodin et révèle une certaine perception de la liberté de manifestation.

Cette orientation n'est d'ailleurs pas nouvelle et existe depuis la consécration de cette liberté. Le premier texte qui l'organise, à savoir le décret-loi du 23 octobre 1935, codifié en 2012 dans le code de la sécurité intérieure,361(*) s'intitule décret-loi « portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l'ordre public »362(*). La philosophie et les inspirations sont différentes de « grandes lois » relatives aux libertés sous la troisième République, loi sur la presse, loi sur la liberté d'association, loi sur la liberté syndicale.363(*) Cette différence s'explique par le contexte dans lequel ce texte a été édicté. Adopté en réaction aux affrontements du 6 février 1934,364(*) il visait, dans l'esprit des rédacteurs, non pas à consacrer une liberté publique ou à reconnaître un droit de manifester mais plutôt à garantir l'ordre public. L'idée sous-jacente est la suivante : les manifestations représentent un risque, il faut le contenir.

L'orientation « sécuritaire » de la liberté de manifestation, c'est-à-dire le fait qu'elle soit, plus que d'autres, placée sous le signe de la sécurité se comprend et n'apparaît en tout état de cause pas anormale. En effet, un usage dévoyé de cette liberté est porteur d'un danger plus important et plus immédiat que d'autres libertés. Plus important car il provoquera des blessés voire des morts. Plus immédiat car les dégâts, pertes humaines, blessures, dégradations sont instantanés. La dangerosité potentielle de cette liberté se situe incontestablement un cran au-dessus d'autres libertés : si l'on prend le cas de la liberté d'association, un usage dévoyé de celle-ci aboutira, dans le pire des cas, à la constitution de groupements ayant un objet contraire à l'ordre public (s'il y a lieu, l'association sera dissoute). Un usage dévoyé de la liberté d'expression conduira à un outrage, une injure, une diffamation ou, dans le pire des cas, un appel à la haine ou à la violence. Même dans ces cas de figure, le risque ou la dangerosité n'est ni immédiat ni instantané.365(*) La plus grande dangerosité potentielle de la liberté de manifestation, par rapport à d'autres libertés, justifie qu'elle fasse l'objet d'une surveillance plus étroite.

Au demeurant, il convient de relativiser la prégnance de l'ordre dans le régime de la liberté de manifestation. Et ce pour trois raisons : primo, son exercice est soumis à un régime de déclaration et non pas d'autorisation,366(*)un arrêté soumettant les manifestations à la délivrance d'une autorisation préalable est illégal,367(*)secundo, certaines manifestations sont dispensées de l'exigence d'une déclaration préalable,368(*)tertio, en pratique, de nombreuses manifestations ne sont pas déclarées,369(*)contrairement à ce que prescrit la loi et le fait d'organiser une manifestation sans déclaration, alors même qu'il est puni par la loi370(*), ne donne quasiment jamais lieu à poursuites371(*). De même, la puissance publique ne donne pour ainsi dire jamais l'ordre de disperser des manifestations non déclarées ou interdites, estimant que le trouble à l'ordre public qui en résultera risquerait d'être plus important que celui résultant du non-respect de la loi.372(*) Cela signifie, et c'est incontestablement un signe de libéralisme, que l'autorité publique laisse se dérouler ces rassemblements qui, de fait, ne se trouvent même pas soumis à l'exigence d'une déclaration mais relèvent du régime d'exercice des libertés le plus favorable, à savoir le régime répressif : la liberté s'exerce sans autorisation ni même déclaration.373(*)

Il résulte de ce qui précède que l'orientation « sécuritaire » de la liberté de manifestation mérite d'être relativisée. En outre, dans une perspective dynamique, il est particulièrement notable que la protection juridictionnelle dont elle bénéficie soit passée au cours des dernières années du néant à l'effectivité.

* 349TURPIN (D.), Libertés publiques et droit fondamentaux, Paris, Edition du Seuil, 2004, p. 562.

* 350Idem.

* 351Le BOT (O.), La liberté de manifestation en France : un droit fondamental sur la sellette ?, Op. cit., p. 33.

* 352Idem.

* 353 Article 16 Constitution du 19 avril 1946 de l'EIC, reconnaissant « le droit de défiler librement sur la voie publique ».

* 354Cour Constitutionnelle, décembre n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, Loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité, cons. 16.

* 355Le BOT (O.), La liberté de manifestation en France : un droit fondamental sur la sellette ?, Op. cit., p. 36.

* 356PICARD (E.), Op. cit., p. 155.

* 357Article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyende 1789.

* 358 Lire article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, in Journal officiel des Communautés européennes, 30 mars 2010.

* 359 Les formules utilisées servent néanmoins de fondement à sa reconnaissance jurisprudentielle. V. CEDH, 5 mars 2009, Barraco c/ France, n° 31684/05, §. 39, indiquant que ce droit de réunion pacifique « englobe la liberté de manifestation ».

* 360 Art. L. 211-1 et s du Code de sécurité intérieure, disponible sur http://codes.droit.org/CodV3/securite_interieure.pdf, consulté le 23 juillet 2018 à 15 h 47'.

* 361Décret-loi du 23 octobre 1935, codifié en 2012 dans le Code de la sécurité intérieure au Benin.

* 362 Ce qui faisait dire à Barthélémy que « La rue est le domaine de l'ordre, plus que de la liberté » (BARTHELEMY (J.), Précis de droit public, 1937, rééd. 2007, Paris, Dalloz, p. 115).

* 363 Une proposition avait toutefois été faite en ce sens en 1907. V. La proposition de loi d'A. Lefas visant « à introduire dans les moeurs le droit de manifestation, en s'inspirant des mesures et des précautions législatives qui ont introduit dans nos moeurs la liberté de réunion » (Documents parlementaires, Chambre des députés, J.O., 1907, annexe n° 695, p. 81).

* 364 Ainsi que cela résulte de l'exposé des motifs de la loi habilitant le gouvernement à édicter le décret-loi, « l'ordre dans la rue est nécessaire à la vie sociale, à la paix intérieure et au fonctionnement normal des services publics ». L'adoption du texte doit permettre à l'État « d'être au courant des manifestations projetées et de prendre toutes mesures commandées par les circonstances » (Documents parlementaires, Chambre des députés, JO, 1935, annexe n° 4142, p. 127).

* 365 Le BOT (O.), La liberté de manifestation en France : un droit fondamental sur la sellette ?, Op. cit, p. 35.

* 366L'article L. 211-1 du CSI soumet les manifestations « à l'obligation d'une déclaration préalable ». En vertu de l'article L. 211-2, « La déclaration est faite à la mairie de la commune ou aux mairies des différentes communes sur le territoire desquelles la manifestation doit avoir lieu, trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation. À Paris, la déclaration est faite à la préfecture de police. Elle est faite au représentant de l'État dans le département en ce qui concerne les communes où est instituée la police d'État. / La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par trois d'entre eux faisant élection de domicile dans le département ; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l'heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s'il y a lieu, l'itinéraire projeté. / L'autorité qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement un récépissé ».

Ce régime va au-delà du standard européen, qui admet un régime d'autorisation préalable (Com. EDH, 10 oct. 1979, Rassemblement jurassien c/ Suisse, n° 8191/78, § 3).

* 367CE, Sect., 4 févr. 1938, Nicolet, Lebon, p. 128.

* 368 L'étude la plus complète et la plus récente est celle de HUBRECHT (H.-G.), « Le droit français de la manifestation », in La manifestation, Presses de la F.N.S.P., 1990, pp. 181-206.

* 369 L'article L. 211-1 du CSI dispense de l'obligation de déclaration préalable « les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux ». Il s'agit en pratique des « sorties » suivantes : processions religieuses, défilés à caractère corporatiste ou associatif (sapeurs-pompiers, fanfare, carnaval), manifestations mémorielles (armistice, fête nationale).

* 370 Voir ce constat dressé tout au long de son fascicule par Didier Perroudon, contrôleur général de la Police nationale, in Précis de droit pénal et de procédure pénale, v° « Manifestations », 2010, not. n° 32 et 54, 81.

* 371 L'article 431-9 du Code pénal incrimine « le fait : 1° D'avoir organisé une manifestation sur la voie publique n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration préalable dans les conditions fixées par la loi ; 2° D'avoir organisé une manifestation sur la voie publique ayant été interdite dans les conditions fixées par la loi ; 3° D'avoir établi une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l'objet ou les conditions de la manifestation projetée ».

* 372 V. PERROUDON (D.), Op. cit, souligne « que les organisateurs sont très rarement poursuivis de ce fait.

* 373 Le BOT (O.) ; La liberté de manifestation en France : un droit fondamental sur la sellette ?, Op. cit, p. 36.

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