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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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§2. Les acquis consolidés en droit positif

Avant toute chose, relevons que la consécration constitutionnelle de la liberté de réunion et de manifestation ne se suffit pas à elle seule, dans la mesure où les dispositions constitutionnelles restent concises et générales ; en particulier, aucune définition de la liberté de réunion n'est donnée. De sorte que cette liberté apparaît comme un concept englobant, qui recouvre tout à la fois le droit de se réunir dans un endroit de manière statique et le droit de manifester, qui suppose également une réunion d'individus mais de manière mouvante. Surtout, le manque de précisions appelle des lois de mise en oeuvre, afin de préciser l'objet de la liberté et ses modalités d'exercice. La loi de 1880 est, à cet égard, exemplaire et servira sans doute de modèle lointain au législateur contemporain.

La Constitution espagnole de 1931, quant à elle, prévoyait expressément une loi spéciale de régulation du droit de réunion à l'air libre395(*) mais, pour les raisons rappelées, celle-ci n'a jamais vu le jour. La Constitution de 1978 n'innove donc pas en invitant, sans le dire, le législateur à intervenir. Une loi organique de 1983 sur le droit de réunion a ainsi été adoptée pour développer les préceptes constitutionnels. Comme elle l'indique dès son premier article, « le droit de réunion pacifique et sans armes, reconnu à l'article 21 de la Constitution, s'exercera conformément aux dispositions de la présente loi organique »396(*). À la Constitution les grands principes, à la loi organique les conditions précises d'exercice ou, comme a pu le dire le Tribunal suprême espagnol, « le contenu propre du droit de réunion »397(*).

Au regard de l'histoire constitutionnelle espagnole, trois régimes principaux de restriction à la liberté de manifestation sont concevables, classés en fonction du degré d'atteinte à la liberté. De ce point de vue, tout d'abord, le régime le plus attentatoire est celui de l'autorisation préalable, c'est-à-dire celui en vertu duquel pour manifester ou se réunir, il faut y être autorisé par l'administration. Par nature, contraire à l'idée même de liberté, puisqu'on est libre seulement si on est autorisé à l'être, ce régime peut s'aggraver en fonction de son champ d'application, autrement dit en fonction des types de réunions qui en sont frappées, s'aggraver aussi s'il n'existe par ailleurs aucun contrôle juridictionnel de la décision de l'administration refusant l'autorisation. Sous Franco, toutes les réunions publiques ou les manifestations devaient être autorisées et il n'y avait pas d'intervention possible d'un juge398(*). Le pouvoir discrétionnaire de l'administration était par conséquent préalable et sans limites si bien que la liberté de réunion n'existait pas en réalité399(*). Le pouvoir était plus que discrétionnaire, il était arbitraire. Ensuite, le régime dit de déclaration préalable - en Espagne, l'expression est celle de « communication préalable » - est celui posé par la loi de 1880 à propos des réunions publiques400(*).

La structure complexe de la liberté de manifestation apparaît d'un triple point de vue, en ce qu'il s'agit d'un droit instrumental, de caractère politique, à la fois individuel mais aussi collectif et social. En outre, elle suppose, pour être identifiée, la réunion de trois éléments, temporel, finaliste et objectif. Quant à son caractère instrumental, relevons tout d'abord que la liberté de réunion et de manifestation produit des effets par lui-même en ce que sa vocation première est de permettre à un groupe d'individus de se réunir ou de manifester, autrement dit de se réunir de manière mouvante. Mais, à s'en tenir à cette conception étroite, on passe à côté de ce qui fait l'âme de la liberté de réunion et de manifestation, c'est-à-dire l'instrument, le support, le vecteur offrant un terrain d'épanouissement à d'autres libertés. La réunion ou la manifestation sont en effet des canaux d'extériorisation, au premier chef de la liberté d'opinion et d'expression, mais au second plan d'autres droits fondamentaux, tels que les droits politiques ou la liberté syndicale. Ainsi que l'a souligné le Tribunal suprême, le droit de réunion se révèle être « un instrument de la liberté d'expression », « une technique qui a comme finalité d'exprimer des idées, d'extérioriser des problèmes et de défendre des intérêts »401(*). Ce droit figure ainsi, dans une large mesure, le « point de rencontre des libertés individuelles»402(*).

Ce droit403(*) présente, ensuite et au surplus, un caractère politique, qui souligne son instrumentalisation. De ce point de vue, cette dernière est d'autant plus marquée que la liberté de réunion et de manifestation opère plus particulièrement dans le champ politique. Elle permet l'expression politique et dans une certaine mesure la participation politique en offrant aux individus la possibilité de manifester une idée, une opinion, qui prendra souvent la forme d'une revendication ou d'une contestation à l'endroit du pouvoir politique. C'est pourquoi, comme a pu le préciser le Tribunal constitutionnel, « la reconnaissance du droit de réunion par la Constitution 1978 manifeste la volonté de consacrer un élément déterminant de l'État démocratique et de l'État de droit »404(*). Reconnaître le droit de réunion et de manifestation, c'est reconnaître un pilier indispensable au système démocratique qui impose la liberté d'expression et la liberté des supports d'expression. À travers l'échange d'idées et d'opinions qu'il offre, le droit de réunion permet à l'ensemble social d'exprimer une position ou une revendication et, par conséquent, d'influencer la prise de décision par le pouvoir politique.

Enfin, le droit de réunion comporte une double face : « c'est un droit individuel quant à ses titulaires et un droit collectif quant à son exercice »405(*). C'est, en effet, en premier lieu, une liberté d'ordre individuel, reconnue comme droit subjectif de la personne, et un droit qui est donc opposable. Le titulaire du droit est, prima facie, la personne, entendue concrètement, qui dispose d'un droit-liberté aussi classique que précieux dans une société démocratique. Cependant, dans son exercice, le droit est aussi, en second lieu, une liberté d'ordre collectif puisque, évidemment, on ne peut se réunir ou manifester seul. Il importe qu'il y ait un minimum de participants à l'acte de réunion ou de manifestation. Le nombre minimum de participants a, d'ailleurs, été fixé à 20 personnes par la loi organique de 1983406(*), sans que le Tribunal constitutionnel ne trouve à y redire. Et parce que la liberté de réunion ou de manifestation permet une expression collective, elle revêt aussi un caractère social, fortement souligné à l'occasion de l'instauration de la Seconde République en 1931407(*).

Perçue de nouveau sous son angle instrumental, la réunion ou la manifestation joue une fonction sociale en étant support d'une opinion ou d'une revendication partagée et renforcée grâce à l'expression collective, en structurant aussi le mouvement collectif, apparaissant comme un marqueur social particulièrement visible. Sous cet angle, s'éclaire à nouveau la méfiance naturelle du pouvoir politique à l'égard de la liberté de réunion, qui sera d'autant plus forte que le régime sera autoritaire. Expression collective et revendicative, la réunion, et plus encore la manifestation, représente une arme potentiellement déstabilisante pour le pouvoir en place. Beaucoup de dirigeants ont reculé face au pouvoir de la rue, et la frontière entre l'expression collective pacifique et l'expression collective belliqueuse peut s'avérer poreuse ; les souvenirs d'une manifestation se transformant en émeute, voire en insurrection, alimentent cette crainte. Dans les régimes autoritaires, la suspicion permanente, le contrôle rapproché et la censure systématique deviennent le mode de fonctionnement ordinaire pour éviter qu'un mouvement collectif contestataire ne mette en cause le régime et ses dignitaires.

* 395 Après avoir énoncé qu' « Est reconnu le droit de se réunir pacifiquement et sans arme », l'article 38 de la Constitution précisait en effet que : « Une loi spéciale régira le droit de réunion à l'air libre et le droit de manifester ».

* 396 Ley Orgánica 9/1983, de 15 de julio, reguladora del derecho de reunión (BOE núm. 170, de 18 de julio), modificada por la Ley Orgánica 4/1997, de 4 de agosto; por la Ley Orgánica 9/1999, de 21 de abril, por la Ley Orgánica 9/2011, de 27 de julio y por la Ley Orgánica 8/2014, de 4 de diciembre, information disponible sur http://seguridadmotociclistas.org/wp-content/uploads/2016/05/El-derecho-de-manifestaci%C3%B3n-y-reuni%C3%B3n.pdf, consulté le 23 juillet 2019 à 08 heures 26'.

* 397 Tribunal Suprême, Op. cit.

* 398ALACRAZ (H.) et LECUCQ, Op. cit, p. 5.

* 399Ibidem.

* 400ALCARAZ (H.) et LECUCQ (O.), Op. cit, p. 5.

* 401 Tribunal suprême, 3ème Chambre, 26 juin 1991, cité par Arribas, p. 26.

* 402 SORIANO DÍAZ (R.), In Comentarios a la Constitución española, tomo II, Madrid, Edersa, 1997, op. cit.

* 403 La langue espagnole utilise le terme « derecho » là où le français lui préfère l'expression « liberté de réunion ». Sans ignorer cette nuance, ni les distinctions théoriques qu'elle peut recouvrir, par commodité nous utilisons indifféremment les deux vocables.

* 404 Décision déjà citée, Arrêt 115/1985 du 11 octobre 1985.

* 405 Décision déjà citée, Arrêt 85/1988 du 28 avril 1988.

* 406Article 1-2 du Décret, Op. cit.

* 407ALACRAZ (H.) et LECUCQ, Op. cit, p. 5.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus