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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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3. Les conditions de la responsabilité civile de l'État

Les caractères évoqués ci-haut excluent les dommages résultant d'attentats, d'actes isolés ou d'opérations de commando préméditées , encore que la distinction ne soit pas toujours évidente, les dommages résultant d'occupation de locaux par des grévistes entrant le plus souvent dans le champ d'application de la loi ; l'autre élément à prendre en compte est le caractère prévisible (l'autorité de police aurait dû prendre ses précautions).

A titre de conditions de la responsabilité, l'on doit retenir le lien de causalité, direct et certain, entre les crimes ou délits perpétrés à cette occasion et le dommage allégué ; le nombre de personnes concernées, même si, depuis quelque temps, le juge paraît moins exigeant, se contentant du caractère public, non contesté, de l'attroupement et du lien direct de causalité susmentionné.

La mise en oeuvre de ce régime spécial est toutefois très encadrée et subordonnée à la réunion de quatre conditions cumulatives : l'existence d'un attroupement ou d'un rassemblement, c'est-à-dire un groupe agissant de manière collective et spontanée, la commission d'un crime ou d'un délit au sens pénal ; l'usage de la violence ou de la force ouverte ; un préjudice direct et certain.

En droit congolais, cette tentation n'est pas moins présente, du moins à lire le texte qui régit spécialement la responsabilité civile des pouvoirs publics en cas de trouble. Dès lors, il devient indiqué d'examiner les deux régimes juridiques. En effet, la réparation des dommages causés par les troubles (émeutes, pillages, grèves et attroupements) peut être envisagée soit selon le droit commun de la responsabilité civile (articles 258 à 260 du code civil livre III), soit selon le régime spécifique de la responsabilité des pouvoirs publics en cas de troubles.

En France, le régime de responsabilité à raison des dommages résultant d'attroupements et rassemblements est celui de la responsabilité sans faute de l'État, désormais codifié à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée ».

Le principe posé en droit congolais est que l'État est civilement responsable des dégâts et dommages causés aux personnes et à leurs biens par quiconque lors d'une manifestation déclarée, quitte à ce qu'il use de son action récursoire contre les organisateurs612(*). Pour les juristes formés à l'école du Droit civil, il s'agit là d'une exception notable au sacrosaint principe de la responsabilité civile individuelle posé par l'article 258 du Code civil, livre III, et qui ne se justifie ici que par des considérations d'ordre public qui entourent la liberté de manifestation. 

La règlementation introduit cependant une limite, mieux, une condition préalable pour que la responsabilité civile de l'État soit retenue : la manifestation en cause doit avoir été préalablement déclarée conformément aux exigences rappelées plus haut. C'est ce que prévoit implicitement, l'alinéa 1er de l'article 21 en édictant que « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages causés aux personnes et à leurs biens lors d'une manifestation préalablement déclarée »613(*).

C'est là que réside, pour les organisateurs d'une manifestation, l'intérêt de la déclaration préalable614(*). Celle-ci n'est pas qu'un devoir imposé par la loi ; c'est aussi une garantie contre les risques encourus en cas de dégâts et de dommages provoqués par la manifestation. Car, comme le précise la loi, en cas de non-déclaration de la manifestation ou dans d'autres cas à préciser (sic), cette responsabilité civile incombera aux organisateurs615(*). Il y a là, donc, un régime de transfert de responsabilité de l'État vers les organisateurs de la manifestation. En dehors de cette hypothèse cependant, la responsabilité civile de l'État demeure de principe, pourvu que la manifestation publique ait été préalablement déclarée616(*).

Selon notre appréhension, ce conditionnement est sous-tendu par l'idée qu'il n'est pas raisonnable de reprocher à l'administration de n'avoir pas encadré une manifestation dont elle ignorait complètement l'organisation ou la tenue. Ce fondement est pourtant fragile : en sa qualité de garante de l'ordre public ayant à sa disposition les services de sécurité617(*) et de renseignement, l'administration est censée, sinon anticiper, s'enquérir des faits et évènements ayant une incidence sur l'ordre public. A ce sujet il a été jugé que « l'administration (pouvoirs publics) commet une faute toutes les fois qu'elle manque à son devoir général de prudence que l'administré est en droit d'attendre d'une administration normalement diligente (...). Elle est en faute, pour avoir omis de prendre les mesures nécessaires destinées à éviter que se produise une situation préjudiciable, qu'elle est chargée d'empêcher »618(*).

Qu'en est-il de la responsabilité civile de l'État pour des dommages causés lors d'une manifestation qui, bien que préalablement déclarée, a été interdite et que les manifestants ont bravé l'interdiction ? L'administration est-elle en droit de tirer prétexte de la mesure d'interdiction pour décliner toute responsabilité ? Nous parions pour la négative pour des raisons évoquées précédemment. D'ailleurs, pour les cas des manifestations interdites, l'inattention des pouvoirs publics est inexcusable au motif qu'ayant été informée, l'administration manquera cruellement à ses devoirs si elle ne prend pas les précautions nécessaires pour faire respecter la décision d'interdiction ou, en cas de tenue de la manifestation interdite, pour prévenir les débordements.

Retournant au droit français, on doit noter que la responsabilité sans faute de l'État peut ainsi être mise en cause pour des dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. Néanmoins, sa mise en oeuvre est de plus en plus restrictive et revient souvent à faire supporter aux collectivités victimes l'intégralité du préjudice, sur la base d'une distinction aléatoire entre faits « spontanés »619(*) et faits « prémédités620(*)».

* 612 Art. 21 de la loi SESSANGA, Op. cit.

* 613 Lire la loi du 24 décembre 2015 portant mesures d'application de la liberté de manifestation, Inédite.

* 614 La jurisprudence a contribué à éclairer ce cadre légal en jugeant, de manière constante, qu'un acte perpétré « dans le cadre d'une action concertée et avec le concours de plusieurs personnes », ne pouvait pas être considéré comme ayant été commis par un attroupement ou un rassemblement (TC, 15 janvier 1990, Chamboulive et autre c/Commune de Vallecalle, n° 02607).

* 615 Art. 22 de la loi SESSANGA, Op. cit.

* 616 Ainsi, un tel régime de responsabilité sans faute pour attroupement ne peut s'appliquer que si le dommage trouve sa source dans « des agissements plus ou moins spontanés et inorganisés issus de mouvements de foule. Il ne concerne aucunement des actions comme celle de la présente espèce, froidement préméditées et soigneusement mises au point par un petit groupe de personnes, qui constituent en réalité des opérations de « commando », de même nature que ces actions criminelles de droit commun couramment désignées sous le nom de « hold up » (Concl. L. Charbonnier, sur TC, 15 janvier 1990, Chamboulive et autre c/Commune de Vallecalle, n° 02607, Rev. Fr. Droit adm. 7 (4), juillet-août 1991 p. 551).

* 617Aux termes de l'alinéa 3 de l'article 91 de la Constitution, « le Gouvernement dispose de l'administration publique, des Forces armées, de la Police nationale et des services de sécurité ».

* 618 Élis., 14 août 1964, R.J.C., 1965, p. 178, cité par KANGULUMBA MBAMBI (V.), « Réparation des dommages causés par les troubles en droit positif congolais. Responsabilité civile des pouvoirs publics et assurance des risques sociaux (Emeutes, pillages, grèves et attroupements) », Bruxelles, RDJA, 2000, p. 71.

* 619 Plus récemment encore, dans l'affaire de la commune de Saint-Lô, la Haute juridiction a constaté que les dégradations sur la voie publique commises à l'occasion d'une manifestation présentaient un caractère organisé et prémédité mais qu'elles avaient été commises dans le cadre d'une manifestation sur la voie publique convoquée par plusieurs organisations syndicales à laquelle avaient participé plusieurs centaines d'agriculteurs. Elle a jugé que dans la mesure où les dégradations n'ont pas été commises « par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits », la responsabilité de l'État pour attroupement était engagée (Conseil d'État, 7 décembre 2017, Commune de Saint-Lô, n° 400801; Conseil d'État, 3 octobre 2018, Commune de Saint-Lô, n° 416352).

* 620 Comme par exemple l'interception d'un camion transportant de la viande par un groupe d'une soixantaine de personnes, et le déversement du chargement du camion sur un parking, arrosé de carburant et rendu impropre à la consommation, « eu égard notamment au caractère prémédité de ces actions » (Conseil d'État, 26 mars 2004, Sté BV Exportslachterij Apeldoorn ESA, n° 248623).

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