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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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4. La responsabilité civile pour les dommages causés par les tiers à la manifestation

La question la plus délicate est celle de l'origine des dommages, qui ne doivent pas résulter d'une action préméditée mais spontanée, dans le feu de l'action. Ainsi, dès lors que ces dommages sont le fait de casseurs agissant en marge de la manifestation, ou résultent d'actions délibérées et organisées des manifestants, ils ne peuvent entrer dans le champ de ce régime de responsabilité621(*). Étendre le régime de responsabilité sans faute à tous les dommages survenant lors d'un attroupement ou d'un rassemblement, y compris ceux ayant pour origine des groupes d'individus n'ayant aucune volonté de manifester mais ayant pour seul objectif de casser ou piller en marge de la manifestation, remettrait en cause les fondements mêmes des objectifs de ce régime de responsabilité. Ceci vise donc la prise en charge par l'État d'un risque social bien identifié et pour lequel l'administration dispose en principe de moyens de police administrative pour l'empêcher ou le limiter.

En droit congolais, la situation ne semble pas être la même concernant les tiers. En effet, l'article 23 de la loi sus-évoquée consacre la responsabilité des tiers, c'est-à-dire les personnes non-participantes à une manifestation, lorsque celles-ci « ... entravent une manifestation » ; elles répondent civilement des préjudices causés à quiconque dans les mêmes conditions que les organisateurs ». L'écriture de la loi semble entretenir de l'amalgame en ceci que la responsabilité des organisateurs est subordonnée à une condition préalable, le défaut de déclaration. Et Ngondankoy de s'interroger si la dernière incise de l'article 23 signifie que la manifestation en cause pour les tiers doit avoir été, ici aussi, affectée d'un tel vice622(*).

Il relève qu'« a priori, une telle condition n'est pas requise puisque, tout simplement, elle ne peut s'appliquer aux tiers. En effet, comment veut-on que les tiers, qui sont vraiment tiers, déclarent une manifestation à l'égard de laquelle ils n'ont aucun lien ! A l'opposé, comment veut-on que les victimes des dégâts et dommages causés par des tiers lors d'une manifestation soient privés d'un recours parce que la manifestation a été ou non préalablement déclarée ? N'ont-elles pas, précisément, intérêt à poursuivre les tiers, même quand la manifestation a été déclarée ? »

En outre, la condition de déclaration préalable a été instituée comme fondement du transfert de la responsabilité des auteurs des faits ayant causé préjudice vers l'administration. Dans la mesure où l'administration ne sera pas tenue pour responsable des dégâts causés par les tiers, rien ne justifie le conditionnement de cette responsabilité par une quelconque déclaration.

De l'avis de Ngondankoy, nous considérons que la dernière incise de l'article 23 de la loi ne peut, logiquement, renvoyer à la condition de la déclaration préalable prévue par l'article 21. Cet article ne peut renvoyer qu'aux conditions générales de la responsabilité civile telles qu'elles sont posées par l'article 258 du Code civil, livre III. C'est, du reste, ce que prévoit l'article 22 de la même loi qui, à propos des organisateurs de la manifestation, soumet la rétention de leur responsabilité civile aux « conditions prévues par le droit commun ».

Il en résulte que les tiers ne sont pas soumis à la condition préalable et implicite de la déclaration de la manifestation pour que leur responsabilité civile soit engagée. Que la manifestation soit déclarée ou pas, ils engagent leur responsabilité civile dès lors que les conditions de l'article 258 du Code civil, livre III, sont réunies. Néanmoins, lorsque les tiers auteurs des dégâts ne sont ni identifiés ni identifiables et que les préjudices sont énormes, l'administration doit endosser sa responsabilité pour défaut de précaution. Il doit en être autant en cas d'insolvabilité avérée des auteurs des dégâts.

En somme, qu'il s'agisse de l'État, des tiers ou des organisateurs et que la manifestation soit déclarée ou pas, la responsabilité civile organisée par les articles 21 à 23 de la loi reste soumise aux conditions ordinaires du « droit commun » : la faute, le préjudice et le lien de causalité entre les deux. Autant dire que l'organisation d'une manifestation publique comporte un coût en RDC, à la fois pour l'État, les organisateurs et les tiers. D'où l'intérêt de sa réglementation.

En France, la responsabilité des communes serait engagée, celles-ci pouvaient se retourner contre les auteurs ou complices du désordre. De même, étaient prévues diverses hypothèses de partage de la réparation du préjudice avec l'État : soit, « en vertu du risque social », celui-ci contribuait pour moitié au paiement ; soit, « si la municipalité (avait) manqué à ses devoirs par inertie ou connivence avec les émeutiers ». Il pouvait exercer un recours contre la commune à concurrence de 60% des sommes ainsi mises à sa charge ; soit enfin si, au contraire, « la position de la police locale ni de la force armée, ou si elle (avait) pris toutes les mesures en son pouvoir à l'effet de prévenir ou de réprimer les troubles », l'État prenait à sa charge le paiement des frais et dommages-intérêts623(*).

Encore fallait-il que le dommage résulte de la « manifestation » elle-même, et non pas d'un « groupe d'individus détachés de la masse des manifestants et auxquels celle-ci ne s'était pas associée »624(*), et que la victime n'ait pas elle-même participé à une manifestation interdite, la responsabilité de l'État n'étant alors engagée devant le juge administratif qu'en cas de faute lourde des forces de police ayant rétabli l'ordre625(*).

Lorsque ces conditions sont remplies s'applique un régime spécial de responsabilité sans faute de l'État, plus favorable encore aux victimes que le régime de droit commun de la responsabilité sans faute dans la mesure où il n'est pas exigé que le préjudice présente un caractère « anormal et spécial »626(*). Enfin, faute de précision législative627(*), il est aujourd'hui admis que le préjudice commercial né de l'occupation de gares ou de péages d'autoroutes par des attroupements peut aussi être indemnisé.

* 621 Toutefois, récemment, le Conseil d'État a infléchi sa jurisprudence, en appliquant ce régime de responsabilité à des dégradations dont les auteurs avaient utilisé des moyens de communication ainsi que des cocktails Molotov et des battes de base-ball et avaient formé des groupes mobiles, conférant ainsi à leur action un caractère organisé, « dès lors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que cet incendie avait été provoqué par des personnes qui étaient au nombre de celles qui s'étaient spontanément rassemblées, peu de temps auparavant, pour manifester leur émotion après le décès des deux adolescents » (C.E., 30 décembre 2016, Société Covea risks, n° 386536, mentionné dans les tables du recueil Lebon).

* 622 NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G.), La liberté de manifestation à l'épreuve des faits,Op. cit., p. 45.

* 623TURPIN (D.), Libertés publiques et droits fondamentaux, Op. cit., p. 565.

* 624 C.E, sect., 09.04.1943, Sieur Lafitte.

* 625 C.E, 16 mars 1956, Epoux Domenech ; sect. 08 juillet 1960, Sieur Petit ; 05 octobre 1960, et al., renvoyant au juge judiciaire le contentieux des évènements survenus au métro Charonne en 1962 ; cité par TURPIN (D.), Libertés publiques et droits fondamentaux, Op. cit., p. 565.

* 626 Cour Administrative d'Appel de Nantes, 03.05.1995, Ministère de l'Intérieur ; CE, avis, 20 février 1998, SEtudes et construction de sièges pour l'automobile ; CE, 06.12.1999, M. Ouizille.

* 627 Et contrairement à TC, 07.06.1982, Préfet du Pas-de-Calais c/TGI de Boulogne-sur-Mer et 13.02.1984, Haut-Commissaire de la République c/CA Nouméa, niant l'existence d'un lien de causalité assez direct.

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