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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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Section 1. La hiérarchie des normes : une exigence de l'effectivité de la liberté de manifestation

Kelsen affirmait déjà que « le droit est un certain ordre, une certaine organisation de la force »638(*). Cet ordre postule que les normes au sein du système obéissent à une certaine hiérarchie fondée sur les autorités qui en sont auteurs.

L'ordre juridique est « l'ensemble, structuré en système, de tous les éléments entrant dans la constitution d'un droit régissant l'existence et le fonctionnement d'une communauté humaine »639(*). Les normes sont ainsi organisées à l'intérieur de l'ordre juridique. Ce dernier forme un tout dont les normes sont les parties. Dès lors, la cohérence de l'ordre juridique peut être définie comme l'« harmonie, (le) rapport logique, (l') absence de contradiction dans l'enchaînement des parties de ce tout »640(*). Un ordre juridique cohérent est donc celui dans lequel il existe une harmonie des rapports entre les normes et surtout une absence de contradiction entre elles.

L'absence de contradiction entre les normes constitue une condition juridique de l'effectivité de la norme641(*). Celle-ci peut en effet être menacée par une contradiction entre cette norme et une norme inférieure car, le cas échéant, les effets de l'une contreviendront à ceux de l'autre, au risque d'une neutralisation réciproque de leurs effets respectifs, voire d'une domination de la norme inférieure sur la norme supérieure642(*). En principe, les critères de validité retenus dans le cadre de l'ordre juridique doivent permettre d'assurer sa cohérence, et ainsi de préserver l'effectivité de la norme. En organisant l'absence de contradictions entre les normes, la cohérence de l'ordre juridique contribue à préserver l'effectivité de la norme, elle en est donc l'une des conditions juridiques643(*).

Le modèle d'organisation de l'ordre juridique proposé par Hans Kelsen, fondé sur une hiérarchie entre les normes de cet ordre, semble en principe en mesure d'assurer sa cohérence. Il repose sur une « norme fondamentale » supposée644(*), distincte de la Constitution, qui unifie l'ensemble des normes de l'ordre juridique. Le principe suivi par Kelsen, déduit de la loi Hume, est que « la validité d'une norme ne peut avoir d'autre fondement que la validité d'une autre norme »645(*). De cette norme fondamentale découle, théoriquement, la validité de l'ensemble des normes d'un ordre juridique, formant ainsi une hiérarchie. Ainsi, l'ordre normatif n'est pas « un complexe de normes en vigueur les unes à côté des autres, mais une pyramide ou hiérarchie des normes qui sont superposées, ou subordonnées les unes aux autres, supérieures ou inférieures »646(*).

Le modèle kelsénien a fait l'objet de nombreuses objections théoriques647(*). Cependant, il propose une structure cohérente de l'ordre juridique. Organisé sur la base du principe de la hiérarchie, il est théoriquement à même d'éviter les contradictions entre les normes. « Cette structure rigoureusement hiérarchisée de l'ordre juridique (...) contribue puissamment à maintenir la cohésion de l'ordre juridique »648(*). Par conséquent, il peut être retenu comme hypothèse de référence permettant de comprendre en quoi la cohérence de l'ordre juridique constitue une condition de l'effectivité.

En outre, la confrontation du modèle théorique de Kelsen au droit positif peut permettre d'évaluer l'influence de la cohérence de l'ordre juridique sur l'effectivité. L'analyse du droit positif montre en effet la relativité de la cohérence de l'ordre juridique. Paul Amselek a ainsi mis en évidence que « la réalité (...) est beaucoup plus complexe, plus enchevêtrée que le schéma kelsénien ne le laisse paraître »649(*). Le pluralisme juridique contemporain renforce la pertinence de cette critique. Il semble établi que la hiérarchie des normes « ne permet assurément pas d'appréhender le pluralisme juridique régnant aujourd'hui »650(*) de sorte que ce pluralisme est susceptible de perturber la cohérence de l'ordre juridique. Par conséquent, le dépassement, par le droit positif651(*), du modèle kelsénien, constitue probablement un facteur d'incohérence de l'ordre juridique et in fine une menace sur l'effectivité de la norme.

Il faut affirmer avec Raphaël Paour652(*) que « la représentation du droit comme étant constitué d'un ensemble de normes hiérarchisées confère certaines des ressources dont ils disposent. Celles-ci doivent être identifiées et leur efficacité évaluée afin de déterminer dans quels cas il existe effectivement une corrélation entre la place d'une norme dans la hiérarchie et le pouvoir de son auteur ». Léon Odimula considère que « la pensée juridique est dominée par la représentation du système juridique comme étant une structure hiérarchique, linéaire et arborescente. Ce système est hiérarchique en tant que ses organes et normes sont placées dans une situation de supériorité ou de subordination, les uns par rapport aux autres653(*) ».

L'État, création juridique par excellence, repose essentiellement sur l'existence de cet ordre juridique cohérent. La République Démocratique du Congo ne déroge pas à cette règle chère au constitutionnalisme et à l'idée d'un État de droit démocratique. Théoriquement, l'ensemble du système juridique de la RDC est constitué d'un corps de règles hiérarchisées au sommet desquelles trône la Constitution du 18 février 2006. Cette affirmation trouve tout son fondement lorsque le constituant de 2006 pose le principe de la purge automatique et celui de la nullité de plein droit de tout acte déclaré non conforme à la constitution aux articles 221 et 168, alinéa 2. Par la volonté du constituant, la Constitution du 18 février 2006 est hissée au sommet de l'ordre juridique congolais et ne tolère, du moins sur le plan du principe, aucune rébellion de l'une ou de l'autre norme654(*).

C'est cette arborescence qui est mis en exergue par Léon Odimula lorsqu'il affirme que les différents maillons [du système juridique] dérivent d'une même source, ou mieux s'engendrent à partir d'un foyer de création originelle unique655(*). La Constitution du 18 février 2006 qui constitue ce foyer de création au cas congolais, renforce le régime de reconnaissance, de protection et de promotion des droits fondamentaux, ainsi que celui de l'exercice des libertés publiques. Elle consacre plus de 50 de ses articles aux droits et libertés fondamentaux656(*). Le législateur est investi par le constituant soit de déterminer les mesures d'application des certains droits spécifiques, soit de fixer les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques657(*).

* 638 KELSEN (H.), Théorie pure du droit, 2e éd., (1960), trad. EISENMANN (Ch.), Paris, LGDJ, - Bruylant, 1999, p. 195.

* 639 LEBEN (Ch.), Entrée « ordre juridique » in ALLAND (D.) et RIALS (St.), (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, p. 1113.

* 640 LEBEN (Ch), Op. cit., p. 1114.

* 641 BETAILLE (J.), Op. cit, p. 69.

* 642 BETAILLE (J.), Op. cit, p. 69.

* 643Idem p. 78.

* 644 Pour Kelsen, « la norme qui constitue le fondement de la validité d'une autre norme est par rapport à celle-ci une norme supérieure. Mais il est impossible que la quête du fondement de la validité d'une norme se poursuive à l'infini (...). Elle doit nécessairement prendre fin avec une norme que l'on supposera dernière et suprême » (KELSEN (H.), Théorie pure du droit, 2e éd., (1960), trad. EISENMANN (Ch.), Paris, Bruxelles, LGDJ, Bruylant, 1999, p. 194). La norme fondamentale n'est pas posée, mais supposée. « En tant que norme suprême, il est impossible que cette norme soit posée, elle ne pourrait être posée que par une autorité, qui devrait tirer sa compétence d'une norme encore supérieure, elle cesserait donc d'apparaître comme suprême. La norme suprême ne peut donc être que supposée. Sa validité ne peut plus être déduite d'une norme supérieure » (KELSEN (H.), ibidem, p. 194). La « supposition » de la norme fondamentale a été critiquée. Paul Amselek explique que « si l'on remonte ainsi les degrés de la hiérarchie de l'ordre juridique, à un certain moment on arrive à un échelon dernier au bord du vide » (AMSELEK (P.), Une fausse idée claire : la hiérarchie des normes juridiques, in Mélanges en l'honneur de Louis Favoreu, Renouveau du droit constitutionnel, Dalloz, Paris, 2007, p. 986). Pour Jacques Chevallier, « il est en effet paradoxal de prétendre fonder la validité de l'ordre juridique positif, c'est-à-dire son caractère obligatoire, sur une norme qui n'est qu'"hypothétique" » (CHEVALLIER (J.), L'ordre juridique, in CHEVALLIER (J.) et al., Le droit en procès, PUF, Paris, 1983, p. 18). D'une logique implacable, le raisonnement de Kelsen trouve ainsi ses limites une fois arrivé au sommet de la pyramide. En revanche, pour Michel Troper, « il n'y a (...) rien de surprenant à ce que le théoricien du droit formule lui-même cette hypothèse » (TROPER (M.), La pyramide est toujours debout ! Réponse à Paul Amselek, RDP, 1978, p. 1533).

* 645 KELSEN (H.), Théorie pure du droit, Op. cit., p. 193.

* 646Idem, p. 200.

* 647 AMSELEK (P.) et TROPER (M.), (RDP, 1978, p. 5 et 1523) ; AMSELEK (P.s), « Une fausse idée claire...», Op. cit., p. 983 ; « Kelsen et les contradictions du positivisme juridique », APD, t. 28, 1983, p. 271.

* 648 CHEVALLIER (J.), L'ordre juridique, Op. cit., p. 17.

* 649 AMSELEK (P.), « Réflexions critiques autour de la conception Kelsénienne de l'ordre juridique », RDP, 1978, p. 13.

* 650 ALBERTON (Gh.), « De l'indispensable intégration du bloc de conventionalité au bloc de constitutionnalité », RFDA, 2005, p. 258. Dans le même sens, SIMON (D.), « De la pyramide Kelsénienne à un pluralisme juridique ordonné ? », Europe, mai 2008, p. 2.

* 651 Sur la hiérarchie des normes, v. QUERMONNE (J.-L.), L'évolution de la hiérarchie des actes juridiques en droit public français, thèse, droit, Caen, 1952 ; LACHAUME (J.-Fr.), La hiérarchie des actes administratifs exécutoires en droit public français, thèse, droit, LGDJ, 1966 ; DE BECHILLON (D.), Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l'Etat, thèse de droit, Economica, 1999.

* 652 PAOUR (P.), Les contraintes juridiques de la hiérarchie des normes, Revus [Online], 21 | 2013, Online since 25 February 2014, connection on 11 october 2018. URL : http://journals.openedition.org/revus/2755 ; DOI : 10.4000/revus.2755.

* 653ODIMULA LOFUNGUSO (L.), La justice constitutionnelle et la juridicisation de la vie politique en droit positif congolais, Paris, L'Harmattan, RDC, 2016, pp. 73-74.

* 654 ODIKO LOKANGAKA (Ch.), La systématisation du droit de manifester dans l'espace public en République Démocratique du Congo, in Cahiers africains des Droits de l'Homme et de la démocratie, 23e année, numéro 062, Volume I, Janvier - Mars 2019, p. 44.

* 655ODIMULA LOFUNGUSO (L.), La justice constitutionnelle et la juridicisation de la vie politique en droit positif congolais, Op. cit, p. 74

* 656Articles 6 et 11 à 61 de Constitution du 18 février 2006 de la RDC, Op. cit.

* 657 Article 122 point 1 de la Constitution du 18 février 2006 de la RDC, Op. cit.

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