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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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Section 2. La liberté de manifestation : un droit constitutionnel dont les modalités d'exercice postulent l'intervention du législateur

Le constituant congolais de 2006 recourt, à l'instar de ses prédécesseurs, à la formule traditionnelle de proclamer l'adhésion et l'attachement du peuple congolais à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, ainsi qu'aux instruments juridiques internationaux des droits de l'homme, manifestant ainsi sa ferme détermination à instaurer un régime démocratique. Son action sera concrétisée au titre II de la Constitution qui organise les droits humains, les libertés fondamentales et les devoirs du citoyen et de l'État. Une véritable charte sociale de plus de 50 articles, qui se fonde sur une répartition trilogique reprenant les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels et les droits collectifs comportant souvent des innovations.658(*)

Dans le chapitre relatif aux droits civils et politiques, le constituant s'est en premier lieu inspiré de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Pacte International relatif aux droits civils et politique659(*), en retenant la quasi-totalité des droits y consacrés. Mais, il réserve la jouissance des droits politiques aux seuls congolais, sauf, exceptions établies par la loi. La Constitution du 18 février 2006 innove également en instituant la parité homme-femme dans les institutions nationales, provinciales et locales. Si la consécration constitutionnelle de cette révolution est un problème résolu, son respect demeure une autre question à laquelle le temps permettra de répondre. En effet, notre constat est que même au sein d'organisations féministes, la culture féministe semble encore étrangère, le zèle féministe disparaît chaque fois au contact d'événements660(*).

La consécration de la liberté de manifestation en République Démocratique du Congo semble diviser la doctrine voir les acteurs. Prévue par l'alinéa 4 de l'article 26 de la Constitution congolaise, la loi portant mesures d'application ressemble à un messie dont la venue semble controversée. Pour certains, elle doit d'être considérée comme déjà promulguée et ce en vertu de l'article 140 de la même Constitution qui recommande de considérer qu'à défaut de promulgation de la loi par le Président de République dans les délais constitutionnels, la promulgation est de droit. Plusieurs personnes sembleraient être de cet avis. À leur nombre figure Paul-Gaspard Ngondankoy qui ne cesse d'évoquer les différentes dispositions contenues dans la très célèbre « loi-proposition de loi ».

Par ailleurs, les autorités publiques recourent constamment au même texte de loi. C'est le cas du Gouverneur de Kinshasa qui convoque les organisateurs de la manifestation et autres services afférents des réunions de préparation, conformément à une disposition contenue ladite « loi-proposition de loi ». Il faut souligner que, même en recourant à ce texte, seules les dispositions favorables au Régime sont appliquées.661(*)

Un autre courant suggère par contre, d'attendre sa promulgation formelle par le Président de la République et, dans l'entre-temps, le recours au Décret-loi du 29 janvier 1999 sur les manifestations publiques, conformément à l'article 221 de la Constitution qui prévoit que « pour autant qu'ils ne soient pas contraires à la présente Constitution, les textes législatifs et réglementaires en vigueur restent maintenus jusqu'à leur abrogation ou leur modification ».

§1. La consécration législative : un vide à combler par une loi portant mesures d'application de la liberté de manifestation

La liberté de manifestation a été une conquête du constitutionnalisme du XIXe siècle, le constitutionalisme africain ayant pris la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789 comme modèle d'organisation politique de l'État662(*). La plupart des constitutions du continent étudiées réservent au législateur et à lui seul, le pouvoir de prendre les mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de manifestation663(*).

1. La consécration constitutionnelle de la liberté de manifestation

En République Démocratique du Congo, la Constitution promulguée depuis treize ans a habilité le législateur à déterminer les mesures d'application de la liberté de manifestation. Législateur ne s'est malheureusement pas acquitté de ce devoir constitutionnel durant près de 7 ans. Ce mutisme du législateur congolais devant une habilitation constitutionnelle, a été de nature à maintenir le flou et par conséquent obstruer à l'exercice de la liberté. Pourtant, la liberté de manifestation affirmée par l'article 26 de la Constitution matérialise l'esprit libéral ayant animé le constituant congolais de 2006 devrait être inscrite parmi les priorités de l'agenda du parlement.

2. La proposition de loi portant modalités d'exercice de la liberté de manifestation

En 2013, une proposition de loi portant mesures d'application de la liberté de manifestation a été déposée sur le bureau du Président de l'Assemblée nationale. Le destin de cette initiative législative est malheureusement très controversé, par ce qu'elle connait un parcours législatif très complexe. D'abord, elle connaitra un retard dans le processus de son adoption, parce que plusieurs fois programmée lors de l'ouverture de sessions parlementaires, mais sans faire l'objet d'examen, ensuite, déposée pour promulgation au Cabinet du Président de la République, elle ne sera pas promulguée et sera renvoyée pour une seconde lecture au Parlement, en violation de l'article 140 de la Constitution664(*). Depuis son adoption et sa transmission après la seconde délibération, la proposition de loi n'a jamais été promulguée, nonobstant le dépassement du délai constitutionnel.

Si les juristes à l'instar de Paul-Gaspard Ngondankoy considèrent que cette proposition de loi est promulguée de plein droit665(*), il faut qu'une telle considération trouve un mécanisme juridique d'accompagnement pour qu'une loi ayant connu une telle trajectoire soit effective. Par son acte, l'autorité de promulgation lance un mot d'ordre à toutes les administrations de l'État d'appliquer la norme et confère à celle-ci la force obligatoire. Cette prérogative est réservée à l'exécutif dans tous les États modernes. A partir de 1795 en France, le chef de l'État recourt à son pouvoir de promulgation pour pouvoir empêcher l'entrée en vigueur des lois qui méconnaissent la Constitution en la forme. Cette dimension de la formalité promulgatoire a été clairement mise en lumière par le Constituant de l'an III, puisque celui-ci a expressément subordonné son accomplissement au constat de « l'observation des formes prescrites »666(*).

A l'aune du droit positif congolais, cette idée ne repose pas sur un fondement solide en ce sens que le chef de l'État ne peut utiliser son pouvoir de promulgation comme un veto contre l'oeuvre du législateur. La navette législative prévue par la constitution permet au Président de la République de dénoncer les inconstitutionnalités dont seraient entachées les lois.

En effet, la Constitution du 18 février 2006 n'est pas la première à consacrer des mécanismes atypiques de promulgation des lois. Le pouvoir de promulgation a longtemps été utilisé par le Chef de l'État pour bloquer les textes de loi qui lui paraissent défavorables. C'est cette triste expérience qui conduira le constituant de 1994 à consacrer la promulgation par le pouvoir législatif667(*). Il se pose ici la question de la publication du texte promulguée par l'organe législatif, le journal officiel relevant du Président de la République. Pour une réforme complète en cette matière, le Constituant aurait dû étendre l'influence de l'organe législatif sur le journal officiel en vue d'assurer la publication des lois promulguées par le législatif.

L'abandon de la solution du constituant de 1994 par le constituant de 2006 au profit de la promulgation de plein droit pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Il sied de relever que depuis le XVIIIe siècle, la promulgation semble se justifier par le souci du constitutionnalisme d'assurer la prééminence formelle de la Constitution, de façon à éviter l'arbitraire, outre de l'exécutif, du législatif. Cette considération a pu être occultée par le principe de séparation des pouvoirs, sur lequel la promulgation s'est trouvée fondée au XIXe siècle668(*). Mais, au travers de ce principe, c'est bel et bien la Constitution qu'il s'agissait de faire respecter : puisque, historiquement, la séparation des pouvoirs n'a elle-même d'autres finalités que d'éviter le despotisme des gouvernants, en leur imposant le respect des principes fondamentaux inscrits dans le texte suprême669(*).

Dans ce contexte, la promulgation ne saurait être détournée de sa fonction originale de servir de garantie de la prééminence formelle de la Constitution pour satisfaire les appétits politiciens insatiables des acteurs politiques.

Parce qu'il s'agit d'une oeuvre législative, nous suggérons que des réformes soient opérées dans le sens de reconnaître au parlement en cas de dépassement du délai constitutionnel de promulgation la possibilité de transmettre une loi adoptée qu'il estime avoir respecté le parcours normal conformément à la Constitution et aux lois de la République, au Journal Official, pour publication, en vue de son exécution et de son opposabilité aux citoyens.

A défaut d'une telle démarche, une référence à la Cour Constitutionnelle peut aussi amener à régler la question. Il suffit pour cela que les présidents des chambres reçoivent la compétence de saisir la Cour constitutionnelle aux fins de constater la carence législative et la promulgation de droit, s'il y a dépassement du délai constitutionnel de promulgation. La Cour constitutionnelle ainsi saisie devra rendre un arrêt constatant la promulgation de droit et ordonner la publication de la loi concernée au journal officiel.

Le constituant béninois a adopté la même solution. On peut lire au sixième alinéa de l'article 57 de la loi n° 90-32 du 11 Décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin : « (...) Si après ce dernier vote, le président de la République refuse de promulguer la loi, la Cour constitutionnelle, saisie par le président de l'Assemblée nationale, déclare la loi exécutoire si elle est conforme à la Constitution ». Parmi les 4 pays étudiés dans cette thèse, les clauses de suspicion n'existent que dans les constitutions africaines alors que les vieilles démocraties ne s'en servent pas. L'on ne peut s'empêcher de constater que ces clauses de suspicion sont symptomatiques d'une carence démocratique et démentent l'euphorie démocratique de certains États africains.

En ce qui concerne la saisine de la Cour constitutionnelle par les présidents des chambres parlementaires, le contexte congolais me semble tout à fait particulier, du fait de la coïncidence de deux majorités, parlementaire et présidentielle. Dans l'hypothèse de coïncidence de majorités, il faut retenir qu'il est difficile de voir aboutir une initiative de dissidence à la volonté du Président de la République. D'où la nécessité que cette compétence des présidents des chambres s'exercent en dehors de tout conflit. Après les élections du 30 décembre 2018, la configuration politique a connu une mutation : même si une large majorité a été constituée entre le CACH et le FCC, le rafistolage de ladite majorité s'est réalisé non sans peine. Le président de la République aujourd'hui ne peut se targuer d'une majorité au parlement, la majorité dans la majorité lui étant, si pas hostile, non acquise.

Revenant à la loi de mise en oeuvre de l'article 26 de la Constitution du 18 février 2006, le vide législatif créé délibérément par les pouvoirs publics congolais depuis 2006 mérite une réflexion.

* 658 Il en est par exemple de l'autonomisation de certaines libertés dont la liberté de manifestation, de l'élimination des limitations constitutionnelles relativement à cette liberté, etc.

* 659 MBATA MANGU (A.), Perspectives du Constitutionnalisme et de la démocratie en République Démocratique du Congo sous l'empire de la Constitution du 18 février 2006, in Mélanges à l'honneur de Marcel Antoine LIHAU, Bruxelles-Kinshasa, Bruylant - P.U.K., 2006, p. 203.

* 660Idem, p. 204.

* 661 En septembre 2016, deux réunions étaient organisées en termes de préparatifs aux manifestations convoquées par l'opposition. La première a eu lieu à l'Hôtel de Ville et la deuxième au siège des FONUS, un parti d'opposition.

* 662 SIERRA CADENA, La liberté de manifestation dans l'espace public latino-américain : la dimension historico-constitutionnelle, Op. cit., p. 2.

* 663NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G.), La liberté de manifestation à l'épreuve des faits, Op. cit, p. 72.

* 664 Aux termes de cette disposition, « Le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours de sa transmission après l'expiration des délais prévus par les articles 136 et 137 de la Constitution. Ces articles prévoient les délais de 6 jours à dater de l'adoption pour la transmission au Président de la République d'une loi adoptée, et de 15 jours pour la promulgation ou, éventuellement, pour le renvoi du texte à promulguer aux fins d'une seconde délibération. En l'espèce, le texte sera renvoyé à l'Assemblée nationale par Président de la République plus d'une année après que le lui ait transmis pour promulgation.

* 665NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G.), La liberté de manifestation à l'épreuve des faits, Op. cit, p. 72.

* 666 ANDRIEUX (T.), cité in FENET (P.-A.), Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, T. 6, Paris, éditions au Dépôt Rue Saint-André-des-Arcs, 1827, p. 232.

* 667L'alinéa 4 de l'article 40 de l'Acte constitutionnel de la transition du 9 avril 1994 dispose que « Le Président de la République le promulgue dans les délais définis ci-dessus. A défaut, la loi est promulguée par le Président du Haut Conseil de la République-Parlement de Transition ».

* 668 DUCROCQ (Th.), De la formule actuelle de promulgation des lois, Revue générale du droit, 1877, p. 6 ; THORIN (E.), Cours de droit administratif, T. 1, Paris, 1881, p. 18, n° 21.

* 669 BOTTINI (F.), La promulgation des lois parlementaires, in Revue française de droit constitutionnel, 2008/4 (n° 76), pp. 761-784.

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