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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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2. Nos propositions

Si l'incohérence du système juridique demeure un vice congénital qui affecte la bonne jouissance de la liberté de manifestation, il faut admettre qu'une thérapie adaptée peut bien y remédier. Nous avons ainsi suggéré que, de lege ferenda, pour éviter que le silence du législateur n'attente constamment à la jouissance d'autres droits comme il a été le cas avec la liberté de manifestation, d'une part les réformes puissent compléter le mécanisme de l'article 140 de la Constitution en reconnaissant à la Cour constitutionnelle la possibilité de constater la promulgation de droit d'une loi ayant réalisé un parcours législatif régulier en l'occurrence la loi Sesanga et d'enjoindre au Journal officiel de la publier en vue de son opposabilité ; d'autre part, au regard du caractère immédiat et contraignant des droits fondamentaux, la Cour constitutionnelle, saisie par le Procureur général ou par toute personne, devrait déclarer l'inconstitutionnalité par omission du législateur dans un domaine donné relatif aux droits fondamentaux ; cette déclaration devant avoir pour effet l'inscription prioritaire de la question à l'ordre du jour de la session en cours ou de la prochaine session de l'Assemblée nationale.

§2. Le renforcement des sanctions comme condition d'effectivité

« Une règle n'est pas juridique parce qu'elle est sanctionnée ; elle est sanctionnée parce qu'elle est juridique »728(*). Ainsi, la sanction n'est pas le critère qui permet d'identifier une obligation juridique729(*) mais elle est une norme dont la fonction est d'assurer le respect d'une autre norme. En assurant le respect de cette autre norme, elle contribue aussi à son effectivité.

1. Position du problème

S'appuyant sur la distinction opérée par H.L.A. Hart entre les normes primaires et les normes secondaires730(*), Norberto Bobbio a montré que l'apparition des sanctions, en tant que normes secondaires, était la manifestation du passage d'un système juridique simple à un système juridique complexe. Ainsi, l'établissement de sanctions juridiques est rendu nécessaire par l'insuffisance des sanctions sociales dans les systèmes juridiques « simples » et marque ainsi le passage à un système « complexe »731(*). Il s'en suit que la fonction de la sanction est bien d'assurer le respect des normes primaires. On admet ainsi traditionnellement que la menace de la sanction « constitue un des moyens les meilleurs et les plus simples d'assurer le respect effectif des obligations »732(*), ou encore que la sanction « a pour fonction d'assurer la réalisation de la règle juridique »733(*). Dès lors que le respect de la norme contribue en principe à son effectivité, il est possible de retenir, comme Denys de Bechillon que « la promesse d'une punition, quelle qu'en soit la teneur, vise bien à assurer l'effectivité de la norme »734(*).

Néanmoins, la contribution de la sanction à l'effectivité de la norme dépend de la façon dont elle assure sa propre fonction. Ainsi, une sanction relative a nécessairement une influence relative sur l'effectivité. Pour tenter d'évaluer la contribution des sanctions à l'effectivité de la norme, il convient d'abord d'identifier les différentes catégories de normes secondaires qui assurent un rôle de sanction dans l'ordre juridique. Dès lors que l'on retient une approche fonctionnelle de la sanction, celle-ci peut être définie comme une norme juridique secondaire dont la fonction est d'assurer le respect d'une norme juridique primaire735(*). Sur la base de cette définition, trois catégories de sanction peuvent être identifiées.

La première est constituée par le droit répressif, c'est-à-dire les normes secondaires ayant pour fonction de « punir » le non-respect d'une norme primaire736(*). Selon Jacques Mourgeon, la punition permet ainsi d'éviter la violation d'une norme, « soit a priori, par l'effet intimidant qu'elle produit, soit a posteriori, en réduisant les possibilités de la renouveler »737(*). Néanmoins, si l'on en adopte une définition large, la sanction ne se limite pas à la répression.

La seconde catégorie est constituée par le droit de la responsabilité, c'est-à-dire les normes secondaires traduisant l'« obligation de répondre d'un dommage devant la justice et d'en assumer les conséquences »738(*). Si la responsabilité a pour fonction principale la réparation, elle contribue au respect de la norme. Les normes établissant un système de responsabilité s'attachent, au-delà de la réparation, « à établir les conséquences de la violation des normes primaires »739(*). Néanmoins, cela n'est en principe le cas que des mécanismes de responsabilité fondés sur la violation d'une norme primaire, ce qui implique d'exclure ceux qui ne le sont pas, notamment les régimes de responsabilité sans faute740(*).

La troisième catégorie regroupe un ensemble de procédés dont la fonction est d'invalider des normes contraires à celles qui leurs sont supérieures. Ainsi, la nullité « sanctionne l'irrégularité originelle d'un acte juridique par une décision juridictionnelle »741(*). En droit public interne, c'est par exemple l'annulation qui remplit en principe cette fonction.

Le droit public connaît chacune de ces trois catégories mais l'obligation juridique y présente certaines spécificités. L'État est à la fois la source et sujet de l'obligation juridique. Cela impose de distinguer, pour l'étude de la sanction en droit public, deux situations : celle où l'État sanctionne et celle où il est lui-même sanctionné.

En premier lieu, un des attributs essentiels de la puissance publique est d'imposer des obligations et, par conséquent, d'infliger des sanctions en cas de conduite contraire. Cela est essentiellement l'objet du droit répressif742(*). Selon Beccaria, l'idée de la répression est inhérente à la nature humaine743(*).

En second lieu, la puissance publique peut elle-même être sanctionnée si elle ne satisfait pas à ses obligations. L'ordre juridique est en effet « source de contrainte, d'obligation, pour les organes de l'État »744(*). Néanmoins, « la sanction du droit public est plus difficile à organiser, car ici l'État est en cause et il ne sera pas enclin à se condamner lui-même »745(*). En effet, l'État étant l'administrateur du droit répressif, il ne saurait s'auto-sanctionner, comme en témoigne l'irresponsabilité pénale des personnes morales soutenue en droit congolais746(*). Pour autant, si la « répression » envers l'État reste exclue, sa personnification permet de lui infliger certains types de sanctions. Les normes qu'il adopte peuvent être invalidées et il peut voir sa responsabilité engagée.

Sur le plan théorique, la sanction de la norme contribue en principe à son respect et, par ce biais, à son effectivité. En tant que norme secondaire, sa fonction est d'inciter au respect d'une norme primaire747(*). En droit public, cette fonction est occupée, directement ou indirectement, par la répression, l'invalidation et la responsabilité748(*). Or, le respect de la norme lui permet en principe de produire des effets sur la société. La sanction constitue donc une condition juridique de l'effectivité de la norme.

Néanmoins, « loin de nous offrir l'image d'un système parfaitement ordonné, l'ensemble des sanctions consacrées par le droit se présente sous la forme d'un réseau diversifié aux articulations multiples et complexes »749(*) et la place de l'État au centre du droit public complexifie ce schéma. D'un côté, la répression du non-respect des normes de droit public à l'égard des personnes privées n'est pas toujours dissuasive. De l'autre, aucune « répression » n'est appliquée à l'État. Seuls des moyens indirects de sanction permettent d'assurer le respect des normes de droit public par la puissance publique.

La fonction de sanction de l'invalidation de la norme et de la responsabilité de la puissance publique n'est que secondaire, leurs fonctions primaires étant respectivement le contrôle de la « légalité » au sens large et la réparation des préjudices. Les conséquences de l'absence de validité d'une norme sont parfois faibles et les conditions d'engagement de la responsabilité en limite logiquement la fonction de sanction.

Cette dimension du problème mérite aussi d'être examinée à l'aune, non seulement du droit congolais, mais aussi des réalités quotidiennes dans les plusieurs secteurs de la vie publique. La Constitution congolaise du 18 février 2006 a pris une position non équivoque en faveur du respect dû aux décisions de justice. Cependant, la force de la sanction de la norme s'en trouve fragilisée lorsque l'exécution des décisions judiciaires est souvent entravée par le pouvoir exécutif.

A plusieurs reprises, les décisions de la Cour constitutionnelle réhabilitant les gouverneurs de province déchus par des motions de censure irrégulières et celles du Conseil d'État infirmant des décisions des Cours d'appel ont manqué de recevoir exécution parle vice-premier ministre et ministre de l'intérieur et par la Commission électorale nationale indépendante, pour des raisons inavouées.

Par conséquent, la « rareté » et le « caractère souvent non dissuasif de la sanction » font que « le couple prescription-sanction n'a rien de constant (...). Dans la réalité les non-applications ou les violations du droit ne sont pas toutes sanctionnées »750(*). La contribution de la sanction de la norme à son effectivité est donc relative. Le lien entre sanction et effectivité n'est pas un rapport d'implication strict mais il est au contraire souple. Ainsi, si la sanction « constitue un moyen irremplaçable de réalisation du droit »751(*), elle « n'est pas une condition suffisante d'effectivité »752(*). L'effectivité de la norme est aussi fonction de sa légitimité.

* 728 MARTY (G.) et RAYNAUD (P.), Introduction à l'étude du droit, 2e éd., Dalloz, 1972, n° 34.

* 729 Comme l'explique Denys de Béchillon, « Une norme juridique ne cesse pas d'être juridique lorsqu'elle n'est pas respectée. Le crime n'abroge pas le code pénal ». Dans le cas contraire, cela reviendrait à affirmer que « l'effectivité de ladite règle conditionne directement sa juridicité » (De BECHILLON (D.), Qu'est-ce qu'une règle de droit ?, Odile Jacob, 1997, Paris, p. 61). Dans le même sens, v. VIRALLY (M.), La pensée juridique, 1960, Ed. Panthéon Assas, LGDJ, 1998, p. 68 ; MAMPUYA KANUNK'a-TSHIABO (A.), Kinshasa, MEDIASPAUL, 2016, p. 138. Un autre écueil consiste à définir la sanction par la contrainte. Or, la sanction est avant tout une obligation juridique et ne se concrétise pas nécessairement par la contrainte. Ainsi, « la sanction n'est pas l'usage de la force, mais une obligation juridique qui naît d'une obligation violée ou non exécutée » (LAQUIEZE (A.), entrée « sanction », in ALLAND (D.) et RIALS (S.)(dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, p. 1383). La contrainte ne saurait dès lors définir la sanction. (V. VIRALLY (M.), La pensée juridique, 1960,op. cit., p. 70 ; De BECHILLON (D.), Qu'est-ce qu'une règle de droit ?, Op. cit., p. 68. Philippe Jestaz distingue quant à lui la contrainte du « tarif », entendu comme la sanction au sens large (JESTAZ (Ph.), La sanction ou l'inconnue du droit, Paris, Dalloz, 1986, p. 197).

* 730 Selon Hart, les normes primaires « prescrivent à des êtres humains d'accomplir ou de s'abstenir de certains comportements » (H.L.A. HART, Le concept de droit, Publications des Facultés Universitaires Saint Louis, Bruxelles, 1976, p. 105).

* 731 BOBBIO (N.), Nouvelles réflexions sur les normes primaires et secondaires, 1968, in Essais de théorie du droit, Bruylant LGDJ, Paris, 1998, p. 169. L'auteur décrit les sociétés primitives comme un système simple, établissant des normes primaires sans les assortir de sanctions juridiques.

* 732 VIRALLY (M.), La pensée juridique, Op. cit., p. 68.

* 733 BARRIERE (L.-A.), « Propos introductifs », in MALLET-BRICOUT (B.) (dir.), La sanction, L'Harmattan, Paris, 2007, p. 13.

* 734 De BECHILLON (D.), Qu'est-ce qu'une règle de droit ?, Op. cit., p. 61.

* 735 Cette définition se rapproche d'autres définitions proposées en doctrine. Gérard Cornu considère qu'au sens large, la sanction est « toute mesure - même réparatrice - justifiée par la violation d'une obligation ». Dans un sens plus large encore, il s'agit de « tout moyen destiné à assurer le respect et l'exécution effective d'un droit ou d'une obligation », CORNU (G.), entrée « sanction », in Vocabulaire juridique, op. cit., p. 845).

* 736 La punition est la « sanction destinée non pas à indemniser la victime, mais à faire subir au coupable une souffrance dans sa personne ou ses biens », CORNU (G.), entrée « punition », in Vocabulaire juridique, op. cit., p. 745). V. Michel DEGOFFE, La sanction à caractère punitif selon le Conseil constitutionnel, in MALLET-BRICOUT (Bl.) (dir.), Lasanction, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 47.

* 737 MOURGEON (J.), La répression administrative, thèse, droit, Paris, LGDJ, 1967, p. 21.

* 738 CORNU (G.), Entrée « responsabilité, in Vocabulaire juridique, Op. cit., p. 821.

* 739 DUPUY (P.-M.), Entrée « responsabilité, in ALLAND (D.) et RIALS (S.) (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 1342.

* 740 Un régime de responsabilité fondé sur la violation d'une norme, laquelle est en général considérée comme une faute, a pour conséquence d'alourdir les conséquences de cette violation et contribue ainsi à sanctionner l'auteur de la violation. En revanche, la responsabilité sans faute n'est pas, sur le plan juridique, lié à la violation d'une norme. La seule norme dont ce régime renforce l'effectivité est celle qui prescrit que tout dommage doit être réparé. Au-delà de cela, la responsabilité pour faute, du moins lorsque cette faute est constituée par la violation d'une norme, contribue, en alourdissant les conséquences de cette violation, à dissuader les destinataires de la norme de la violer. Ainsi, la responsabilité contribue au respect de la norme et donc, en principe, à son effectivité.

* 741 POUYAUD (D.), Entrée « nullité », in ALLAND (D.) et Stéphane RIALS (sous la dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Op. cit., p. 1088, cité par BETAILLE (J.), Op. cit, p. 169.

* 742 BETAILLE (J.), Op. cit, p. 169.

* 743BECCARIA (C.), Des délits et des peines, traduit de l'italien par COLLIN de PLANCY, Paris, Éditions du Boucher, 2002, p. 11. Pour cet auteur, les principes fondamentaux du droit de punir sont à retrouver dans le coeur humain.

* 744 CHEVALLIER (J.), L'obligation en droit public, APD, t. 44, 2000, p. 183.

* 745 TERRE (Fr.), Introduction générale au droit, 9e éd., Précis, Dalloz, 2012, p. 95, BETAILLE (J.), Op. cit, p. 169.

* 746 NYABIRUNGU mwene SONGA (R.), Traité de droit pénal général congolais, 2e éd, Kinshasa, EUA, 2007, p. 252.

* 747 BETAILLE (J.), Op. cit, p. 321.

* 748Ibidem.

* 749 OST (Fr.) et VAN DE KERCHOVE (M.), De la pyramide au réseau - pour une théorie dialectique du droit, Publ. Des Facultés universitaires de Saint Louis, 2002, p. 221.

* 750 CUBERTAFOND (B.), La création du droit, Paris, Ellipses, 1999, pp. 102-103.

* 751 BETAILLE (J.), Op. cit, p. 321.

* 752 BETAILLE (J.), Op. cit, p. 321.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote