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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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2. Notre proposition

La loi Sessanga prévoit plus d'incriminations contre les manifestants que contre les autorités publiques reconnues pour leurs attitudes hostiles à la liberté. Des recherches précédentes sur le contentieux administratif ont déjà suggéré la pénalisation du refus d'exécuter la décision de la juridiction administrative753(*). Au regard des attitudes souvent réfractaires des autorités administratives face aux libertés fondamentales, pareille suggestion ne ferait que vivifier l'État de droit en RDC.

Cependant, la spécificité de la liberté de manifestation et les contraintes temporelles de son exercice exigent une mise en oeuvre systématique des poursuites pénales contre les autorités administratives pour rébellion et pour refus d'obtempérer. Ce recours systématique aux mécanismes pénaux devrait être facilité par une activité intense des organisateurs des manifestations et des parquets civils qui seraient tenus de réagir, sous peine de sanction, devant toute dénonciation par voie de presse. En outre, nous pensons qu'il faille décourager les interdictions intempestives des manifestations publiques par la déchéance de l'autorité administrative récidiviste.

En clair, la mesure viserait toute autorité administrative dont au moins trois décisions consécutives d'interdiction seront annulées par le juge administratif à l'occasion du contrôle de la légalité, de la nécessité, de l`opportunité ou de la proportionnalité. Ce renforcement de sanctions pourra permettre aux libertés publiques de connaitre leur âge d'or et ainsi parvenir à leur effectivité.

§3. La mise en place de voies de recours juridictionnels adaptées à la protection des droits fondamentaux

A côté des garanties juridictionnelles ordinaires visant la protection de la liberté de manifestation, il existe en droit français, espagnol comme en droit béninois, des recours spéciaux en la matière (1). Le droit congolais comporte lui aussi des pareils recours, perfectibles toutefois à l'aune du droit comparé (2).

1. Analyse comparée des recours juridictionnels spéciaux en matière de protection de la liberté de manifestation

La Cour constitutionnelle est comme toute autre juridiction de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif considérée comme première protectrice des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens, parmi lesquels on peut citer le très célèbre droit de manifester754(*). Cependant, elle est juge de tout acte administratif, règlementaire ou non, susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés publiques.755(*) Ce sont celles qui résultent du contrôle juridictionnel des lois que les juridictions constitutionnelles peuvent exercer, à la différence des juridictions ordinaires et cela sous les différentes formes possibles : contrôle abstrait (a priori et a posteriori), contrôle concret sur renvoi du juge ordinaire.

La pauvreté de la jurisprudence constitutionnelle en matière de protection de la liberté de manifestation en République Démocratique du Congo incite à une référence au droit comparé pour comprendre l'impact du juge en l'occurrence constitutionnel dans l'affirmation du droit de manifester.

L'importance attachée aux droits fondamentaux au sein des démocraties libérales contemporaines a conduit la France, l'Espagne, Bénin et la République Démocratique du Congo à mettre en place des voies de recours spécialement aménagées pour en assurer l'effectivité. Ces recours témoignent de la place privilégiée du juge en matière de défense des droits et libertés, existent non seulement devant le juge ordinaire, c'est-à-dire judiciaire et administratif (A) mais aussi devant le juge constitutionnel (B).

A. Les procédures d'urgence spécialisées dans la protection des droits fondamentaux devant le juge ordinaire

Définies par Maria Fernanda Maçãs comme « des procès principaux, autonomes et indépendants [...] dont le dénominateur commun réside dans le besoin urgent d'obtenir une décision »756(*), les procédures d'urgence ne se limitent pas exclusivement au domaine des droits fondamentaux. Au contraire, la plupart de ces procédures existent en dehors de toute finalité de protection des droits et libertés, même si elles peuvent faire bénéficier à ces derniers de leurs avantages757(*). Les systèmes juridiques contemporains ont toutefois tendance à consacrer des voies de recours reposant sur des principes de célérité et de simplicité dont la fonction exclusive est la protection des droits de la personne humaine contre l'action de l'administration. C'est par exemple le cas de l'Espagne où la Constitution758(*)« consacre le droit, pour toute personne détenue, à comparaître dans les plus brefs délais devant la justice et à bénéficier de l'appréciation impartiale d'un juge quant à la légalité de sa privation de liberté ».

En revanche, il existe, en France et sur la péninsule ibérique, des procédures d'urgence présentant un champ d'application beaucoup plus étendu puisque susceptibles de protéger, sinon l'ensemble des droits fondamentaux, au moins une grande majorité d'entre eux. Ces procédures permettent à tout justiciable estimant que l'un de ses droits fondamentaux a été violé de saisir le juge ordinaire afin que celui-ci adopte, le plus rapidement possible et lorsque l'urgence le justifie, les mesures nécessaires en vue de faire cesser l'atteinte constatée.

De tels dispositifs se révèlent être de précieux instruments de protection des droits fondamentaux car, si les mécanismes de garantie ordinaires permettent de sanctionner les atteintes portées aux droits et libertés, ces derniers se distinguent généralement par une procédure complexe et relativement lente, si bien que la protection est souvent octroyée avec un certain retard759(*). Or, en matière de droits fondamentaux, les conséquences d'un retard excessif sont souvent désastreuses, ne serait-ce qu'en raison du fait que le rétablissement de la liberté à laquelle il a été porté atteinte est parfois impossible. En Espagne notamment, cette voie de droit spécifique prend le nom de procédure sommaire et prioritaire, en France elle répond à l'appellation de référé-liberté fondamentale qui a été copié en RDC.

A.1. La procédure sommaire et prioritaire espagnole

En Espagne, « lorsque l'on a, à affaire à un droit de premier rang et seulement dans ce cas, l'article 53-2 de la Constitution dispose que le plaignant a le droit de demander protection au juge ordinaire en utilisant une procédure spéciale fondée sur les principes de priorité et d'urgence »760(*). Spécialement aménagée pour protéger les droits et libertés consacrés par les articles 14 à 29 de la Constitution761(*), cette procédure d'urgence, également dénommée recours d'amparo ordinaire, a longtemps fonctionné sur la base d'un système « transitoire »762(*)organisé par la loi du 26 décembre 1978 relative à la protection juridictionnelle des droits fondamentaux de la personne763(*). Actuellement, ce sont les lois régulatrices de chaque ordre juridictionnel qui en règlementent l'exercice. De sorte qu'il n'existe pas une procédure sommaire et prioritaire commune à l'ensemble des contentieux mais une procédure spécifique pour chaque ordre juridictionnel envisagé. Pour s'en tenir à la matière administrative, le recours juridictionnel spécialisé est organisé par les articles 114 à 122 de la loi de régulation de l'ordre juridictionnel contentieux-administratif764(*). Caractérisée par l'urgence, la procédure mise en place déroge largement aux principes directeurs du droit administratif. La règle du recours administratif préalable obligatoire est écartée, les délais de procédure sont pour la plupart écourtés et, une fois l'instruction terminée, le tribunal dispose de cinq jours pour rendre sa décision. Sa finalité est de permettre à toute personne, estimant qu'une action ou une inaction de l'administration porte atteinte à l'un de ses droits fondamentaux, de saisir le juge afin que celui-ci, dans les délais les plus brefs, constate l'illégalité et adopte toutes les mesures nécessaires au rétablissement ou à la préservation de la permission altérée765(*).

Au Portugal, la création d'une procédure d'urgence spécialisée dans la protection des droits fondamentaux a été rendue possible grâce à la révision constitutionnelle du 20 septembre 1997766(*). Cette dernière ajoute un cinquième alinéa à l'article 20 de la Constitution ainsi libellé : « Afin de défendre les droits, libertés et garanties personnelles, la loi assure aux citoyens des procédures judiciaires caractérisées par leur rapidité et leur priorité, en vue d'obtenir la tutelle effective et en temps utile des tribunaux contre des menaces ou violations de ces droits ». Cette célérité dans les procédures les rapproche au référé-liberté français.

A.2. Le référé-liberté commun à la France et à la RDC

Consacré à l'article L. 521-2 du Code de justice administrativefrançaispar la loi du 30 juin 2000767(*), le référé-liberté fondamentale768(*)est à l'origine d'un bouleversement de taille car, pour la première fois au sein de l'ordre juridique français, apparaît une procédure juridictionnelle dont la fonction principale et permanente est la protection des droits et libertés qui relèvent de la catégorie des libertés fondamentales. Certes, la voie de fait, théorie jurisprudentielle dégagée en 1935 par le Tribunal des conflits769(*), constitue également une voie de recours spécifique destinée à protéger les droits et libertés770(*). Toutefois, apparue sous l'ère de l'État légal, « les libertés visées [par cette théorie] étaient celles protégées par le législateur et les atteintes censurées celles de l'administration. Le contexte de la voie de fait est donc celui de la défense des libertés publiques et non celui des droits fondamentaux »771(*).

En revanche, avec l'introduction du référé-liberté fondamentale, c'est un mécanisme de garantie spécialement aménagé pour la protection des droits de la personne humaine qui est mis en place. Ce dernier prévoit la possibilité pour toute personne physique ou morale, française ou étrangère, de droit privé ou de droit public d'obtenir, dans un délai record de quarante-huit heures, la sanction d'une atteinte grave et manifestement illégale portée par l'administration à l'une de ses libertés fondamentales. Pour ce faire, il suffit de faire état d'une situation d'urgence. Sachant que, sur ce point, le juge administratif des référés fait preuve d'une grande souplesse puisque, le plus souvent, la reconnaissance d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale vaut reconnaissance de l'urgence772(*). Susceptible d'ordonner « toutes mesures » nécessaires à la sauvegarde de la liberté, le juge dispose de pouvoirs particulièrement étendus. Il peut se limiter à la suspension de la décision contestée, mais également prononcer des injonctions, au demeurant assorties d'astreintes773(*). Ce faisant, le référé-liberté fondamental, à l'identique des procédures d'urgence ibériques, favorise un renforcement sensible de la protection des droits fondamentaux offerte par le juge. Renforcement intensifié en Espagne et en France par l'existence d'un recours constitutionnel spécialisé dans la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.

En RDC, le référé-liberté est consacré pour la première fois dans la loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions administratives. En son article 283, le législateur organique indique que « Lorsqu'une décision administrative porte gravement atteinte et de manière manifestement illégale à une liberté publique et/ou fondamentale, le juge des référés saisi par une demande en référé-liberté peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la liberté. Le juge des référés se prononce dans les quarante-huit heures lorsqu'il statue sur une demande en référé-liberté ». Jusqu'au moment de la rédaction de ces lignes, le référé-liberté n'est pas encore actionné dans le domaine de la liberté de manifestation, ce qui limite notre analyse en la matière.

* 753OMEONGA TONGOMO (B.), Le contrôle juridictionnel de l'administration et l'État de droit, Thèse,Op. cit., p. 370.

* 754Lire en ce sens l'article 150 de la Constitution congolaise du 18 février 2006 de la RDC, Op. cit.

* 755Ceci résulte de l'interprétation de l'article 49 in fine de la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2003 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle et de l'article 168, alinéa 2 de la Constitution du 18 février 2006, déjà citée.

* 756 FERNANDA MAÇS (M.), As formas de tutale urgente previstas no código de processo nos tribunais administrativos, in A reforma da justiça administrativa, Coimbra editora, Boletim da Faculdade de direito, Universidade de Coimbra, 2005, p. 211.

* 757 C'est par exemple le cas de la procédure de sursis à exécution. Cette voie de recours permet de protéger les droits fondamentaux dès lors que l'acte administratif dont l'exécution est suspendue porte atteinte à un droit ou une liberté de valeur supralégislative. Mais ceci demeure une fonction secondaire. Pour une approche concrète de cette problématique, le lecteur pourra se référer à la thèse de Pierre Cambot à travers laquelle l'auteur démontre dans quelle mesure le mécanisme du sursis à exécution participe à la protection d'un droit fondamental déterminé : la liberté individuelle (La protection constitutionnelle de la liberté individuelle en France et en Espagne, Economica, P.U.A.M., coll. droit public positif, Paris, 1998, pp. 437 et ss).

* 758 En Espagne, elle est consacrée par l'article 17-4 du texte constitutionnel.

* 759 GARCÍA MORILLO (J.), La protección de los derechos fundamentales, Op. cit., p. 44.

* 760 BON (P.), Les droits et libertés en Espagne. Eléments pour une théorie générale, Op. cit., p. 66.

* 761 En somme, les libertés protégés dans le cadre de la procédure sommaire et prioritaire sont les mêmes que celles couvertes par le recours d'amparo constitutionnel, exception faite de l'objection de conscience qui peut seulement être invoquée en matière d'amparo constitutionnel.

* 762 Régime transitoire lié à l'absence de loi organique développant la procédure spéciale prévue par l'article 53-2 de la Constitution et conduisant la loi organique du 3 octobre 1979 relative au Tribunal constitutionnel à affirmer que, tant que ne seront pas développées les dispositions de l'article 53-2, la procédure sommaire et prioritaire fonctionnera sur la base de la loi du 26 décembre 1978 relative à la protection des droits fondamentaux de la personne. BON (P.), « La protection constitutionnelle des droits fondamentaux : aspects de droit comparé européen », op. cit., p. 257).

* 763 Loi n° 62-1978 du 26 décembre 1978, B.O.E. du 3 janvier 1979, p. 76.

* 764 Loi n° 29-1998 du 13 juillet 1998, B.O.E. du 15 août 1979, p. 25.

* 765 ENÉRIZ OLAECHEA (F.-J.), La protección de los derechos fundamentales y las libertades públicas en la Constitución Española, Op. cit., pp. 421-422 ; MARTÍN REBOLLO (L.), Nueve puntos sobre el procedimiento de protección de los derechos fundamentales en la nueva Ley de la jurisdicción contencioso-administrativa, in MONTORO CHINER (M.-J.) (Coord.), La justicia administrativa. Libro homenaje al Prof. Dr. D. Rafael Entretena Cuesta, Atelier, Barcelona, 2003, pp. 279-289.

* 766 Loi constitutionnelle n° 1-97 du 20 septembre 1997, D.R. série I du 20 septembre 1997, p. 5130.

* 767 Art. 6 de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, J.O. du 1 juillet 2000, p. 9948.

* 768 Pour une approche approfondie du mécanisme de référé liberté fondamentale, le lecteur pourra utilement se référer à : « Rapport du groupe de travail du Conseil d'Etat sur les procédures d'urgence », R.F.D.A., 2000, p. 941 ; BACHELIER (G.), Le référé-liberté, R.F.D.A., 2002, p. 261.

* 769 T.C., 8 avril 1935, Action française, Rec. p. 1226.

* 770La voie de fait est « constituée en cas d'atteinte grave à une liberté ou à la propriété privée, soit lorsqu'une décision administrative est manifestement insusceptible de se rattacher au pouvoir de l'administration, soit en cas d'exécution forcée d'une décision, même légale, lorsque l'administration n'a manifestement pas le pouvoir d'y procéder » (CANIVET (G.), « Protection juridictionnelle des libertés et droits fondamentaux par le juge judiciaire », in RENOUX (T.-S.), Protection des libertés et droits fondamentaux, La Doc. fr., Les notices, Paris, 2007, pp. 52-53).

* 771 REDOR (M.-J.), Garantie juridictionnelle et droits fondamentaux, Op. cit, p. 95.

* 772 V. par ex. : C.E., 15 février 2002, Hadda, Rec. p. 45.

* 773 Sur ces questions, v. BROYELLE (C.), Les mesures ordonnées en référé, R.F.D.A., 2007, p. 73.

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