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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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Section 2. La légitimité de la norme de protection de la liberté de manifestation et la nécessité de sa mise en oeuvre

L'institution des normes aux fins de régenter les rapports sociaux demeure une tâche ardue et complexe. Non seulement la norme qui régit le groupe social doit refléter un certain idéal et bénéficier d'une adhésion quasi-automatique de ses destinataires c'est qui fonde sa légitimité (§1), mais aussi les autorités publiques à différents niveaux doivent en faciliter la mise en oeuvre, éventuellement par l'adoption des mesures d'application nécessaires à son effectivité (§2).

§1. La bonne réception de la norme par ses destinataires

La théorie du droit aborde généralement la question de la légitimité de la norme sous l'angle de la validité813(*). Nous partageons la position du positivisme juridique selon laquelle elle n'est pas une condition de la validité814(*). En revanche, la légitimité de la norme favorise son effectivité, pareillement « la légitimité du pouvoir est le fondement (du) devoir d'obéissance »815(*) des sujets de droit. Or, la légitimité du pouvoir passe largement par celle des normes juridiques. Au-delà, comme l'exprime Michel Troper, « dire d'une institution qu'elle est "légitime", c'est dire qu'il est juste qu'elle existe et qu'on doit lui obéir »816(*). Par le vecteur de l'obéissance et de l'adhésion à la norme, sa légitimité constitue une condition de son effectivité.

1. Aperçu du problème

Alors que le positivisme kelsénien a mis de côté l'étude de la légitimité817(*), « il faut insister sur le fait que ce concept est nécessaire à l'explication du fonctionnement des règles de droit car la légitimité est un facteur important de l'effectivité »818(*). Surtout, le droit positif a lui-même cherché à promouvoir la légitimité. En effet, certaines normes secondaires positives ont pour finalité de renforcer la légitimité des normes primaires. Il est donc non seulement possible, mais aussi nécessaire, d'étudier l'apport de ces normes secondaires tournées vers la légitimité sur le plan de l'effectivité de la norme.

Dans cette perspective, il convient de repartir de la pensée de Max Weber sur la légitimité. Celui-ci en a identifié les fondements. Parmi eux, il y a selon lui « l'autorité qui s'impose en vertu de la « légalité », en vertu de la croyance en la validité d'un statut légal et d'une « compétence » positive, fondée sur des règles établies rationnellement, en d'autres termes l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obligations conformes au statut établi »819(*). Ainsi, la légitimité peut notamment revêtir un « caractère rationnel, reposant sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu'ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens (domination légale) »820(*). C'est la légitimité légale-rationnelle821(*). Selon cette approche, l'ordre juridique a « pour effet de contribuer à produire une forme de légitimité indépendante des systèmes moraux et politiques »822(*). Pour autant, cela implique simplement que « la domination s'exerce à l'aide de ce principe de légitimité »823(*). Cela ne signifie pas que la légalité, la validité d'une norme est suffisante pour qu'elle soit légitime. Il convient par conséquent de dépasser la légitimité légale-rationnelle pour identifier d'autres facteurs de légitimité. Il ne s'agit pas de contester les conclusions de Max Weber, mais simplement d'admettre que « la légalité ne peut résumer à elle seule l'exercice du pouvoir et faire de la conformité au droit l'unique source de légitimité»824(*).

On doit paraphraser Beccaria « lorsqu'il affirme que toute loi qui ne sera pas établie sur la base des sentiments ineffaçables du coeur de l'homme, rencontrera toujours une résistance à laquelle elle sera contrainte de céder »825(*).

Si la mobilisation de la norme par ses destinataires est indispensable pour que celle-ci puisse déployer ses effets, elle n'est pas suffisante. L'essentiel se joue une fois que l'action en justice a été admise. La réception de la norme par le juge revêt alors une grande importance.

L'interprétation n'est certes pas le monopole du juge. Celle qui en est faite par les autorités en charge de l'application de la norme et par ses destinataires est en effet importante. Ainsi la norme peut-elle produire des effets en dehors de toute saisine du juge et par conséquent en dehors de toute interprétation du juge. Cependant, l'interprétation qui est délivrée par le juge s'impose en principe sur celle qui est effectuée aussi bien par l'auteur de la norme que par les autorités en charge de son application ou par ses destinataires.

Au stade de la réception de la norme, trois rapports d'implication entre un élément du système juridique et l'effectivité de la norme peuvent être mis en évidence. Tout d'abord, l'accès à la justice qui est conféré aux destinataires de la norme leur permet de jouer un rôle actif sur le plan de la primauté du droit sur le fait et in fine de l'effectivité. En mobilisant la norme devant le juge, ils permettent à ce dernier de lui donner effet. L'accès à la justice constitue donc indirectement une condition de l'effectivité. Ensuite, une fois soumise au juge, la norme fait l'objet d'une interprétation qui influence directement son effectivité. Par cette interprétation, le juge est en mesure de déplacer le curseur des effets de la norme, du moins dans le cadre de son application contentieuse. L'interprétation constitue ainsi également une condition de l'effectivité. Elle est d'ailleurs d'autant plus remarquable qu'elle agit directement sur le degré d'effectivité. Enfin, l'effectivité est aussi conditionnée par les pouvoirs dont dispose le juge pour assurer la portée pratique de son interprétation.

Néanmoins, ces trois rapports d'implication ne sont pas stricts. En effet, les trois conditions ici mises en évidence sont imbriquées, si bien que les limites de l'une affectent la portée des autres. La capacité de l'interprétation à influencer le degré d'effectivité est doublement conditionné, d'un côté par l'accès à la justice, de l'autre par les pouvoirs du juge. Le juge ne peut pas interpréter une norme s'il n'est pas préalablement saisi et son interprétation peut demeurer purement théorique s'il ne dispose pas des pouvoirs nécessaires pour en assurer la portée concrète sur la réalité. Les limites qui affectent l'accès à la justice et les pouvoirs du juge tendent ainsi à conférer une souplesse certaine aux trois rapports d'implication mis en évidence. L'accès à la justice, l'interprétation et les pouvoirs du juge sont ainsi des conditions relatives de l'effectivité.

Ainsi convient-il d'élargir l'assise démocratique de la norme et, une fois celle-ci appliquée, d'en évaluer l'impact social c'est-à-dire mettre en évidence des résultats, escomptés ou constatés, de la norme.

La légitimité démocratique des normes composant un ordre juridique résulte traditionnellement, dans un régime démocratique, de la participation de tous à la définition de la volonté générale. En effet, « le pouvoir politique, les règles qu'il édicte ne peuvent avoir d'autre fondement légitime que la volonté des individus »826(*). L'article 5 de la Constitution congolaise du 18 février 2006 tente une combinaison des deux principales conceptions de la souveraineté populaire et nationale en précisant que « la souveraineté nationale appartient au peuple. Tout pouvoir émane du peuple qui l'exerce directement par voie de référendum ou d'élections et indirectement par ses représentants ».

Ce régime de démocratie semi-directe laisse cependant une large part aux mécanismes de représentation. En dehors des rares cas dans lesquelles les normes résultent du référendum, leur légitimité repose sur des mécanismes de représentation. Ces derniers présentent cependant d'importantes limites qui conduisent à relativiser leur capacité à fonder la légitimité des normes. Outre la marginalisation des autres mécanismes démocratiques827(*), ils présentent un risque de confiscation du pouvoir par les représentants. Les limites des mécanismes représentatifs sont cependant suffisamment connues sans qu'il soit besoin de s'y étendre davantage.

L'élargissement de l'assise démocratique de la norme ne passe pas par l'abandon des mécanismes représentatifs, mais par un double mouvement : leur renforcement d'une part, et leur dépassement d'autre part.

L'évaluation des normes vise à mesurer leurs résultats. Il s'agit ainsi de savoir si les objectifs fixés sont susceptibles d'être atteints c'est l'évaluation a priori ou s'ils ont été atteints - c'est l'évaluation a posteriori. L'évaluation normative se rapproche ainsi de la mesure de l'efficacité des normes sur la société. Elle peut être définie comme « l'ensemble des analyses basées sur l'emploi de méthodes scientifiques et portant sur la mise en oeuvre et les effets d'actes législatifs »828(*). Il en va de même pour les autres variétés de normes.

En principe, l'évaluation porte en premier lieu sur les effets juridiques de la norme. Son entrée en vigueur, l'adoption de ses actes d'application, son contenu déontique, la jurisprudence y afférant, sa cohérence globale, sa pratique, sont passés au crible. La doctrine a insisté sur l'importance de ce type d'appréhension. Ainsi, « une évaluation de l'application pratique de règles juridiques passe d'abord par un travail de description et d'analyse de leur contenu, de leurs articulations internes et avec les autres composantes de l'ordre juridique d'appartenance, des opérations ou situations qu'elles tendent à ou peuvent autoriser, favoriser, dissuader »829(*). Dans ce contexte, une évaluation de l'article 26 de la constitution du 18 février 2006 s'impose. Il y a plus d'une décennie que la liberté de manifestation a été consacrée, sans que la loi portant mesures d'application ne soit formellement promulguée. Cette carence favorise une imprécision persistante sur la portée de l'information écrite préalable à toute manifestation sur les voies publiques ou en plein air instituée par le constituant de 2006, avec comme conséquence une faiblesse de production jurisprudentielle ; la cohérence globale s'en sort affectée notamment par les difficultés d'interprétation de la règle de l'article 26 tant par le juge, par l'administration que par les citoyens, le tout débouchant par une confusion dans la pratique des manifestations publiques en RDC.

En second lieu, sont évalués les effets de la norme sur la société dans son ensemble, pas seulement ses effets à l'intérieur de l'ordre juridique. C'est la partie la plus délicate. Il s'agit d'évaluer les effets budgétaires, économiques, sociaux ou encore environnementaux d'une norme. En l'espèce, il s'agit des réparations civiles incombant à l'État à l'issu de l'exercice par les citoyens de leur liberté de manifester.

Après l'élargissement de l'assise démocratique de la norme, l'évaluation constitue donc un second gisement de légitimité. En effet, « on ne peut plus désormais ignorer que le pouvoir trouve aussi sa justification dans ses réalisations »830(*), au point « de faire de l'efficacité un critère de légitimité (...). On n'obéit pas seulement pour ce que sont les règles qui conditionnent l'action, mais aussi pour ce qu'on pense que sont les résultats de cette même action »831(*). Certains auteurs affirment même que « désormais, ce n'est plus la comparaison avec les termes de la loi qui légitime l'action de l'État, mais c'est le différentiel mesuré entre le but visé par une politique publique et les effets observés dans la réalité du terrain »832(*).

Ainsi, la légitimité « ne réside plus dans la seule légalité de la norme ni dans les valeurs qu'elle incarne, mais bien dans l'efficacité de ses effets »833(*). C'est une des conditions pour « remporter l'adhésion »834(*). La mesure de l'efficacité de la norme, de ses résultats, influence sa légitimité et in fine son effectivité.

La France a connu une « institutionnalisation tardive et inachevée »835(*) de l'évaluation des décisions publiques. En République Démocratique du Congo, pareil mécanisme n'a pas encore vu le jour. A notre connaissance, aucun dispositif général de l'évaluation normative n'existe dans notre système juridique, ce qui constitue un vide que des réformes futures pourraient bien combler.

* 813 TROPER (M.), Le droit et la nécessité, Paris, Léviathan, PUF, 2011, pp. 48 et s.

* 814Idem, p. 52.

* 815 BOBBIO (N.), Sur le principe de légitimité, 1967, réed., Droits, n° 32, 2000, p. 149, cité par BETAILLE (J.), op. cit, p. 379.

* 816 TROPER (M.), Le droit et la nécessité, Op. cit., p. 47. Au-delà des travaux de théorie du droit, la sociologie montre que « l'efficacité d'une norme est fortement corrélée avec sa légitimité », GAVINI (Chr.), L'efficacité des normes - Enquête en contrepoint, working paper, Fondation pour l'innovation politique, novembre 2006, p. 41).

* 817 « Pour réagir contre les jusnaturalistes qui accordaient une place centrale à la légitimité, critère de la validité des normes, Kelsen a exclu la légitimité (...) à la fois du droit comme ensemble de normes et de la science du droit » (COHENDET (M.-A.), Légitimité, effectivité et validité, in Mélanges Pierre Avril, La république, Paris, Montchrestien, 2001, p. 213).

* 818Idem, p. 212.

* 819 WEBER (M.), « Le savant et le politique », 1919, Plon, 1959, p. 114.

* 820 WEBER (M.), Économie et Société, 1921, Plon, 1971, Chap. 3, cité par BETAILLE (J.), Op. cit, p. 379.

* 821 Sur les différentes approches de la légitimité par Weber, V. NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G.), Introduction à la science politique, Op. cit., p. 100.

* 822 TROPER (M.), Op. cit, p. 54.

* 823 DURAN (P.), Légitimité, droit et action publique, L'année sociologique, 2009, 59, p. 306, cité par BETAILLE (J), Op. cit, p. 379.

* 824Idem.

* 825 BECCARIA (C.), Op. cit, p. 11.

* 826 MANIN (B.), « Volonté générale ou délibération ? Esquisse d'une théorie de la délibération politique », Le Débat, 1985, n° 33, p. 74.

* 827 MANIN (B.), Principes du gouvernement représentatif, 1995, rééd., Paris, Flammarion, 1996.

* 828 MADER (L.), L'évaluation législative - Pour une analyse empirique des effets de la législation, Lausanne, Payot, 1985, p. 44.

* 829 JEAMMAUD (A.) et SERVERIN (E.), Evaluer le droit, Paris, Dalloz, 1992, p. 263.

* 830 DURAN (P.), Légitimité, droit et action publique, Op. cit., p. 304.

* 831Idem, p. 304.

* 832 FLÜCKIGER (A.), « L'évaluation législative ou comment mesurer l'efficacité des lois, Revue européenne des sciences sociales », 2007, n° 138, p. 84.

* 833 JOUANNET (E.), « A quoi sert le droit international ? Le droit international providence du XXIème siècle », RBDI, 2007, p. 37.

* 834Idem, p. 38.

* 835 DELAUNAY (B.), « Décision publique évaluée et performance », in ALBERT (N.) (dir.), « Performance et droit administratif », AFDA, Lexis Nexis, 2010, p. 120.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo