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Le renouvellement du journalisme environnemental au prisme de la décroissance


par Guillaume Lemonnier
Sciences Po Lyon  - Master 1 AlterEurope, Études européennes et internationales 2020
  

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II. Être journaliste et militant décroissant : un dilemme ou une solution pour la cause écologique ?

A) La construction d'une légitimité alternative pour sortir de ce dilemme

1. Déconstruire le récit du mythe journalistique

Le mythe professionnel du journalisme neutre et apolitique conduit à la marginalisation des journalistes qui sont considérés comme engagés ou militants. Les journalistes environnementaux qui souhaiteraient donc traiter la question écologique - tout en étant engagés - verraient donc leur discours discrédités ou censurés, comme je l'évoquaisau tout début pour le cas d'Hervé Kempf. Néanmoins, les problématiques autour de ce mythe professionnel ne concernent pas que les journalistes environnementaux mais toute la profession journalistique.Il convient donc d'évoquer quelques aspects historiques et sociologiques qui ont structuré ce mythe.

Selon la sociologue Eugénie Saitta, ce mythe s'est construit en partie grâce à des phases de dépolitisation du journalisme. Elle identifie la première phase de dépolitisation au début des années 1980. Cette première phase s'exprime par « un désengagement militant et partisan ou, pour reprendre le terme de Juhem58(*), d'une «neutralisation« des quotidiens français de gauche qui se désolidarisent des positionnements des partis qu'ils avaient soutenus jusque-là ». Selon elle, « (...) jusqu'au tournant des années quatre-vingt, la PQN française était polarisée :  «Une presse de gauche« comprenant le Monde, Le nouvel Observateur, Le Canard Enchaîné, Libération, L'Humanité (...) », qui « s'opposait à une presse de «droite« incluant Le Figaro, France Soir, L'Aurore, Le Point et l'Express »59(*). Les années 1980 sont marquées par un désenchantement politique qui touchent toutes les strates du système médiatique. Pour Eugénie Saitta, ce désenchantement politique au sein des médias s'exprime à travers plusieurs choses. Tout d'abord, il y a un effet générationnel. Selon elle, « «l'ancienne« génération de journalistes » issue du baby-boom « a été socialisée à la politique dans un contexte différent ».Un contexte où l'antagonisme politique entre la gauche et la droite était fortement marqué. Quant à la génération suivante, « (...) elle entretient une familiarisation à la politique qu'elle considère «négative« caractérisée par des alternances successives, des dysfonctionnements (cohabitations, affaires politico-financières impliquant d'ailleurs parfois des journalistes, etc.) et un amenuisement du sentiment d'appartenance partisan »60(*). Si cette appartenance partisane est moindre, c'est également parce que le recrutement des journalistes ne va plus se faire sur une base partisane, comme c'était le cas auparavant. C'est également la fin des journalistes spécialisés au sein des grands journaux, les « rubricards » qui restaient des années sur un même thème, une même rubrique. A partir des années 1980, on va avoir l'apparition de journalistes flexibles, qui touchent à tout, avec pour effet, une certaine déconnexion avec le terrain empirique, partisan.

Par ailleurs, les changements du modèle économique du journalisme ont aussi participé à l'avènement de ce mythe professionnel. On pourra ici évoquer la place grandissante des acteurs privés dans le marché de l'information. Pierre Bourdieu a notamment fait remarquer que le degré d'autonomie d'un journaliste « (...) dépend d'abord du degré de concentration de la presse (qui, en réduisant le nombre d'employeurs potentiels, accroît l'insécurité de l'emploi) (...) »61(*). Ce nouveau modèle économique se modélise par une situation de propriété oligopolistique (des journaux) et une place croissante de la publicité en tant que manne financière. Cela conduit à des effets structurels de neutralisation d'un journaliste militant, au profit d'un journaliste « neutre », « objectif » et qui ne remet pas en cause les intérêts économiques et politiques qui l'entourent dans son champ.

Ce mythe professionnel ainsi que la place grandissante de la publicité au sein du journalismeont été un point d'accroche pour l'apparition de nombreux médias alternatifs écologiques comme Reporterre, Silenceou La Décroissance. Par exemple, avant de créer le journal La Décroissance, Vincent Cheynet et Bruno Clémentin avaient créé une association en 1999 dénommée Casseurs de pub, puis une revue éponyme annuelle. La présentation internet de l'association révèle cette critique du modèle journalistique actuel mais également la critique de la figure du journaliste « mainstream », aseptisé et « cassé » par la publicité.

Voici par exemple quelques phrases que l'on peut trouver sur le site internet de l'association62(*) en guise de présentation :

Sommes-nous des « casseurs », des gens « pas bien dans leur tête », comme s'emploient à le faire croire les publicitaires ? Non, bien sûr. Au contraire, nous menons un combat non-violent fondé sur l'argumentation. Si nous sommes des « Casseurs de pub », c'est parce que la pub est une machine à casser.

Une machine à casser la nature, l'humain, la société, la démocratie, la liberté de la presse, la culture et les cultures, l'économie ou encore l'éducation.

La pub est une machine à casser la liberté de la presse. Aujourd'hui, la presse, la radio, la télévision vivent de la pub que payent les multinationales pour y montrer leurs produits. Résultat : les journalistes ne critiquent que très exceptionnellement la pub ou la logique des multinationales. Les journalistes ou les intellectuels qui peuvent s'exprimer largement sont ceux qui collaborent à cette logique. Ceux qui la refusent n'ont plus la parole que dans des médias confidentiels. Pourquoi ne lit-on plus d'articles comme celui-ci dans les journaux les plus connus ? Les journalistes des médias dominants décrivent ceux qui contestent la pub comme des « extrémistes ». Ainsi, la pub transforme la presse en catalogue publicitaire qui noie la presse libre et indépendante.

On aperçoit donc les bases d'un cheminement intellectuel qui les amènerait à se fondre dans un militantisme plus large et plus radical qui est celui de la décroissance. Mais on retrouve également, comme je l'évoquais, une critique très forte à l'égard de la figure du journaliste mainstream. Les termes utilisés sont lourds de symbolique, ils assimilent les journalistes des médias dominants à des collaborateurs de l'ordre établi, un ordre régi par la publicité. Et ceux qui contesteraient cet ordre ou qui refuseraient de se fondre dans cette « neutralité » supposée seraient dépeints comme des « extrémistes » ayant tribune dans des « médias confidentiels ».

* 58 JUHEM Philippe, « Alternances politiques et transformation du champ de l'information en France après 1981 », Politix, vol. 14, n°56, 2001, p. 185-208

* 59 SAITTA Eugénie, « Les transformations des rapports entre journalisme et politique » in LEVEQUE Sandrine (dir.), RUELLAN Denis (dir.), Journaliste engagés, Presses universitaires de Rennes, « Res Publica », 2010 p. 33.

* 60 SAITTA Eugénie, ibid., p. 39

* 61 BOURDIEU Pierre, « L'emprise du journalisme » in: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 101-102, mars 1994, p. 4.

* 62Casseurs de pub [Internet]. [Cité le 17 mars 2020]. Disponible sur: http://www.casseursdepub.org/index.php?menu=pourquoi

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