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Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à  l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en son genre, produit de la rationalité économique


par Grégory Ode
Université de Paris I Panthéon - Sorbonne - Master d'économie 2005
  

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La confiance éthique : les fondements économiques de la monnaie

Comme nous venons de le voir, l'institution monétaire repose en partie sur une confiance dite « symbolique ». Cette dernière rappelle que la monnaie doit être appréhendée comme un fait institutionnel qui s'enracine au coeur même d'une communauté. Mais, la monnaie est avant tout un fait institutionnel à finalité économique. Dans un langage philosophique, nous dirions plutôt que la monnaie est un fait socialement construit selon un processus d'assignation de fonction agentive à un objet dont la finalité est de faciliter les transactions au sein de l'économie marchande. Ainsi, dans les sociétés modernes, la monnaie joue un rôle économique fondamental qui peut, synthétiquement, se résumer aux trois fonctions que les économistes lui reconnaissent traditionnellement : unité de compte, moyen de paiement et réserve de valeur. Toujours est-il que, dans l'optique qui est la nôtre, la monnaie parvient à assumer ces fonctions dans le temps uniquement dans le cas où elle est en mesure de canaliser la confiance des individus. En effet, il ne faut pas oublier que la monnaie n'est jamais définitivement institutionnalisée.

A ce titre, en marge de la confiance symbolique, la monnaie prend appui sur une confiance dite « éthique ». En se référant à l'analyse de Michel Aglietta et André Orléan, la confiance éthique se distingue de la confiance symbolique dans le sens où elle fait nullement référence à la communauté. En un certain sens, on pourrait dire qu'il s'agit d'une confiance « objective ». En outre, elle révèle les fondements économiques de l'institution monétaire. Selon Michel Aglietta et André Orléan, la confiance éthique se fonde sur une prédominance de l'individualisme et de la maximisation du bien-être individuel. Dans cette perspective, l'instrument clef se veut être la politique monétaire, outil économique dont la charge est dévolue à la banque centrale, institut responsable de la monnaie. Selon Michel Aglietta et André Orléan, la confiance éthique tend à prendre de plus en plus d'ampleur dans un contexte socio-économique marqué par le dépassement des frontières nationales et par le développement d'un esprit individualiste :

« L'autonomie de la personne humaine élève le bien-être individuel à la position de valeur prépondérante vis-à-vis des symboles de la souveraineté. La foi dans l'appartenance commune est sapée par le désir d'autonomie de la personne [...] En mal de souveraineté, la politique monétaire doit faire preuve de sa légitimité. Mais cette légitimité, si elle est subordonnée à l'autonomie de la personne humaine, ne peut se recommander d'aucune autorité collective. Elle échappe à toute source symbolique [...] Dans l'ordre économique, cet impératif catégorique stipule de conformer l'action collective à la maximisation du bien-être individuel »75(*).

Toujours en se référant à Michel Aglietta et André Orléan, la confiance éthique peut être subdivisée en trois principaux principes. Le premier est un principe de garantie qui renvoie au maintien du pouvoir d'achat de la monnaie dans le temps :

« Le premier et le plus connu est un principe de garantie. C'est l'intégrité de l'unité de compte dans le temps. On l'appelle encore `l'ancrage nominal' [...] Les garanties dont on parle ici ne sont pas liées à l'évaluation du risque de crédit spécifique du débiteur. Elles résultent d'un risque général de liquidité sous la forme d'une incertitude sur le pouvoir d'achat futur de la monnaie. C'est le retour de la rivalité sur l'expression de la richesse dont la solution est précisément la garantie officielle »76(*).

Le principe de garantie présuppose que la politique monétaire doit être conduite en oscillation entre deux cas polaires qui, s'ils étaient franchis, risqueraient de remettre en cause la légitimité de la monnaie ; il s'agit de l'hyper-inflation et de la trop grande rareté de la monnaie. Dans cette optique, la banque centrale a pour tâche de maintenir la valeur de la monnaie dans le temps afin de préserver l'unité de compte :

« Nous aboutissons ainsi à une conception dans laquelle la monnaie est le principe d'organisation de toute l'économie. La banque centrale en est le pivot [...] Maintenir la pérennité de la confiance entre les écueils qui résultent des attentes contradictoires à l'égard de la liquidité est la responsabilité de la banque centrale ; La conduite de la banque centrale ne peut être improvisée ; elle s'inspire d'une doctrine monétaire » ; « La première finalité de la politique monétaire de la banque centrale est donc de garantir l'intégrité de l'unité de compte afin de supprimer l'incertitude sur le pouvoir d'achat futur de la monnaie »77(*).

En somme, le principe de garantie implique de limiter les tensions hyper inflationnistes tout en ne menant pas une politique monétaire trop austère qui empêcherait un financement judicieux et adapté de l'économie. Un affaiblissement significatif de la valeur de la monnaie peut potentiellement dégénérer en crise violente, ou, dans une moindre mesure, provoquer chez les agents des comportements de méfiance visant à substituer des actifs monétaires contre des actifs « réels » plus sûrs et plus liquides, tels les paquets de cigarettes à Berlin en 1945 après l'effondrement du Mark. Dans les cas d'inflation extrêmes, des mouvements de panique similaires aux paniques financières peuvent survenir78(*), engendrant un rejet massif et violent de la monnaie officielle, ce qui tend à rendre l'économie extrêmement instable et affaiblie :

« Les désordres d'une inflation qui s'accélère au point de devenir incontrôlable ne sont pas imaginaires. L'Allemagne de la république de Weimar les a vécus et ils ont fait le lit du nazisme. L'Argentine, autrefois le pays le plus prospère d'Amérique du sud, souffre aujourd'hui de la faim tandis que sa monnaie fond à vue d'oeil »79(*).

Le second principe, composante de la confiance éthique, est un principe de croissance qui stipule que la politique monétaire est un outil économique important au service de la prospérité et du bien-être individuel :

« Le second principe est un principe de croissance. Il fait partie d'un ordre civique et postule que la politique monétaire doit permettre à la société de mobiliser toutes ses ressources pour créer des richesses. C'est donc une source de légitimité tournée vers l'avenir en ce qu'elle est une promesse de prospérité future. Elle s'exprime par une exigence de plein-emploi »80(*).

Ainsi, la politique monétaire, comprise comme un tout avec ses orientations et ses finalités, se veut être une composante essentielle qui influence le degré de confiance sociale accordé à la monnaie. Selon Michel Aglietta, la politique monétaire ne doit pas avoir pour seule finalité la stabilité des prix81(*). Elle doit permettre également d'amortir les fluctuations économiques et de conduire l'économie vers la croissance. Dès lors, une politique monétaire menée de façon trop restrictive risquerait de déprimer la confiance, remettant ainsi en cause la légitimité et la souveraineté de la monnaie :

« La stabilité des prix n'est pas le seul souci de la politique monétaire ; la robustesse de la structure des dettes, l'amortissement des fluctuations cycliques pour préserver la régularité de la croissance et le niveau de l'emploi en sont d'autres [...] Lorsque la confiance est détruite, l'économie monétaire est soumise à des conflits qui font voir que l'envers de la confiance est la violence. Ce n'est pas le remplacement d'un équilibre par un autre. Car les agents déclenchent des processus d'indexation contradictoires. Tout se passe comme s'ils rejetaient l'unité de compte officielle et cherchaient à évaluer leurs projets sur la base d'unité de compte privées »82(*).

Dans cette optique, le ciblage de l'inflation, qui consiste pour la banque centrale à définir une plage d'inflation tolérée à l'intérieure de laquelle est menée la politique monétaire, se veut être une variable essentielle pour le maintien de la confiance car si elle est trop importante, elle engendre une dévaluation de la monnaie avec une perte de sa valeur, et, si elle est trop faible, elle empêche la politique monétaire de s'adapter efficacement à la conjoncture et notamment d'absorber les chocs économiques :

« La cible d'inflation doit être judicieusement choisie. Elle ne doit pas être trop élevée pour que les agents économiques aient confiance dans l'unité de compte. Mais, elle ne doit pas être trop basse pour que la banque centrale donne une visibilité et une force d'adhésion à ses actions concrètes : le plein emploi soutenable [...] La stratégie du plein emploi soutenable doit donc trouver une zone de viabilité macroéconomique qui soit une référence pour réguler le crédit [...] Pour influencer la conjoncture, la banque centrale doit encore disposer des indicateurs d'alerte pour détecter le plus tôt possible les déviations qui menacent de rompre la balance des risques en faisant pencher la conjoncture soit vers l'effervescence financière, soit vers l'insuffisance de crédit »83(*).

Le principe de croissance revêt une importance capitale car, comme nous le verrons plus loin, il enferme ce qu'on peut légitimement appelé un « arbitrage social » mettant en balance les risques et contraintes liés à l'inflation d'un côté, et, la nécessité de « laisser filer » sans excès l'inflation afin de mener une politique monétaire active et pragmatique de l'autre côté. Cet arbitrage s'effectue relativement à une certaine conception de l'économie et de la société qu'ont les responsables monétaires. Ainsi, une politique monétaire stricte demeure, selon les termes de Denis Clerc, « la plus efficace des politiques » de lutte contre l'inflation. Effectivement, puisque la monnaie « est la matière première des échanges, en restreindre l'expansion revient à limiter l'importance des échanges et, du même coup, à créer des difficultés d'écoulement de la production »84(*). Mais, la contrepartie d'une politique monétaire d'austérité réside quasi inéluctablement dans une diminution du niveau de l'emploi :

« La politique monétaire est donc une arme à double tranchant : même si elle n'agit pas sur les causes profondes de l'inflation, elle contribue incontestablement à en limiter l'ampleur lorsqu'elle devient restrictive. Mais, elle accentue en même temps les difficultés économiques et aggrave le chômage. Un arbitrage est nécessaire, entre plus d'inflation et plus de chômage, arbitrage qui renvoie à l'appréciation [...] des bienfaits et des méfaits de l'inflation et au caractère plus ou moins contraignant du rythme chez nos partenaires »85(*).

Enfin, le troisième et dernier principe est un principe de justice qui concerne essentiellement l'accès au crédit :

« Le principe de justice est le troisième. Il comporte bien des facettes et il est le plus mal défini au regard des critères de légitimité de la politique monétaire. Un aspect primordial en est certainement l'accès au crédit. Dans le capitalisme, il est très inégalitaire. Toutefois, la banque centrale ou la législation en matière financière peuvent moduler les réglementations de manière à faire évoluer les systèmes financiers dans le sens d'une combinaison des marchés et des banques qui élargisse l'accès au crédit. La libéralisation financière a incontestablement amélioré sensiblement cet accès [...] Cette revendication de l'accès au crédit n'est pas sans incidence sur la politique monétaire. Car la dynamique du crédit liée à la hausse des prix des actifs (actions, terrains et immeubles, biens rares et précieux, etc.) est sujette à des emballements qui sont des facteurs de mauvaise gestion des risques. Il doit donc y avoir toute une réglementation et une supervision prudentielles qui ont une influence sur la gestion privée des risques »86(*).

Au final, la confiance symbolique et la confiance éthique ne doivent pas être pensées comme deux types de confiance indépendants l'un de l'autre. Les confiances éthique et symbolique s'articulent logiquement et déterminent, ensemble, la souveraineté de la monnaie. Néanmoins, il est vrai que la confiance éthique semble la plus appropriée dans un contexte où l'économique occupe une place de premier ordre et où les frontières du marché ont depuis longtemps débordé le cadre national. Ainsi, les principales banques centrales se sont érigées, au cours des dernières années, en banques centrales indépendantes du pouvoir politique87(*). Il semble cohérent et pertinent d'interpréter cette évolution comme une avancée supplémentaire dans la rationalisation qui touche les activités économiques, sociales et politiques des sociétés contemporaines. En effet, le pouvoir monétaire s'élève aujourd'hui en pouvoir « autonome », délié des pressions politiques et sociales qui peuvent émaner des membres de la communauté et, plus précisément, de la sphère politique. La gestion de la banque centrale appelle donc à une objectivité à la fois en matière de procédure et de décision. Par ailleurs, la confiance éthique semble être en phase avec l'avènement de l'individualisme qui touche les sociétés modernes. Ces dernières sont effectivement caractérisées par une montée de l'individualisme souvent accusée d'entraîner un affaiblissement du lien social, avec une progression de l'égoïsme, de la déviance et de l'exclusion. Le risque est donc que l'individualisme ne conduise à faire de la société une somme d'individus uniquement préoccupés par leurs désirs et par leur ego, une société atomisée dans laquelle les liens seraient désolidarisés et déconnectés de toute attache hiérarchique.

Toutefois, qu'on ne s'y trompe pas. La monnaie reste un fait institutionnel enraciné dans le social qui, comme on l'a dit, est attaché à une souveraineté politique, à une nation et à un ensemble de valeurs collectives. Ainsi, on ne trouve pas d'exemple, mis à part le cas de l'euro qui sera examiné plus tard, où la monnaie ne coexiste pas avec une batterie de symboles rappelant l'attachement à une même communauté. Dans les sociétés démocratiques, cela serait d'ailleurs dangereux car le fait monétaire serait alors tributaire du seul jugement direct et impartial des agents économiques. Ainsi, la confiance symbolique constitue la béquille nécessaire de l'institution monétaire lorsque celle-ci se trouve en perte de résultats économiques. Enfin, l'indépendance des banques centrales est un fait à relativiser dans la mesure où, en pratique, la plupart des banques centrales sont amenées à rendre des comptes au politique. Cela peut prendre des formes et des degrés variés, comme nous le verrons par la suite. A ce titre, il convient de souligner que même si les sociétés modernes tendent à s'individualiser, le sentiment patriotique reste quelque chose de prégnant, comme le démontre la montée des extrémismes politiques et autres mouvements, contestataires ou non, invoquant l'appartenance communautaire. De ce fait, la confiance symbolique ne doit pas être sous-estimée au risque de dénaturer la monnaie.

Ceci étant, comme cela a été dit lors de l'introduction, une analyse théorique de la monnaie, aussi hétérodoxe soit-elle, doit être susceptible d'éclairer la réalité afin de démontrer la part de pertinence qu'elle contient, si pertinence il y a. C'est pourquoi, l'analyse qui a été menée jusqu'à lors va maintenant être appliquée à l'euro, monnaie unique européenne, entrée en vigueur au 1er janvier 1999. Le but recherché n'est à l'origine pas d'effectuer absolument une critique de l'euro, mais de souligner les spécificités, l'originalité et les points faibles d'une monnaie qui constitue un enjeu d'une envergure exceptionnelle pour l'ensemble d'un continent, ou presque.

* 75 Idem, p. 211, 212.

* 76 Ibid. p. 212, 213.

* 77 Michel Aglietta, Le renouveau de la monnaie in L'économie mondiale 2003 (précédemment cité) : p. 98 ; 99.

* 78 Voir sur ce point l'ouvrage de John Kenneth Galbraith : Brève histoire de l'euphorie financière, Seuil, Paris, 1992.

* 79 Denis Clerc, Inflation et croissance, Syros/Alternatives, Paris, 1989 : p. 106.

* 80 Michel Aglietta et André Orléan, La monnaie entre violence et confiance (précédemment cité) : p. 213.

* 81 La stabilité des prix permet de maintenir la valeur de la monnaie calculée par rapport à un numéraire réel : un panier de biens.

* 82 Michel Aglietta, Le renouveau de la monnaie in L'économie mondiale 2003 (précédemment cité) : p. 101.

* 83 Idem, p. 103.

* 84 Denis Clerc, Inflation et croissance (précédemment cité) : p. 145.

* 85 Idem, p. 146.

* 86 Michel Aglietta et André Orléan, La monnaie entre violence et confiance (précédemment cité) : p. 214.

* 87 Il paraît faussé d'énoncer une indépendance totale des banques centrales vis-à-vis du politique car il subsiste, comme nous le verrons ultérieurement, des liens multiples entre la sphère politique et la banque centrale. Le premier de ces liens réside dans le fait que le politique institue juridiquement l'indépendance de la banque centrale. Le politique, compris au sens large, a entériné cette indépendance. Le corollaire en est qu'il peut à tout moment, s'il le souhaite, inverser le processus.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille