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Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à  l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en son genre, produit de la rationalité économique


par Grégory Ode
Université de Paris I Panthéon - Sorbonne - Master d'économie 2005
  

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III. Les éléments inéluctables de fragilité de l'euro : la nécessité de poursuivre l'intégration économique, sociale et politique européenne

L'euro se veut être une monnaie « apatride », née dans les marchés. Bien accepté globalement par les consommateurs européens, cet enthousiasme « naïf » contraste avec les inquiétudes multiples concernant, directement ou indirectement, l'euro. Construit sur une base libérale et dépourvue de charge symbolique, l'euro fait prédominer l'économique sur les autres domaines de la vie sociale. L'absence de consistance politico-sociale lui confère une certaine fébrilité de fond. De ce fait, sa pérennité demeure, assez largement, tributaire des performances économiques de la zone euro.

A. Les éléments de fébrilité économique de la zone euro : une menace prégnante pour la souveraineté de la monnaie européenne

Comme on l'a vu au cours de la première partie de cette réflexion, la confiance éthique implique le maintien de la valeur de la monnaie dans le temps. Mais, au-delà, elle suppose également que la politique monétaire, s'inscrivant dans un cadre macroéconomique plus large, est un outil important au service de la croissance et de la prospérité. Cela est particulièrement vrai pour l'euro, issu d'un processus rationnel de coopération, dans la mesure où sa raison d'être ne repose que sur des espérances de bien-être. Or, nous allons voir que la légitimité économique de l'euro est entachée de plusieurs inquiétudes tenant à un ensemble d'éléments qui conduisent à douter du bien-fondé actuel de la zone euro.

Le déficit décisionnel et démocratique de la BCE

Le Conseil des gouverneurs se veut être l'organe directeur de la BCE. C'est une instance qui arrête les décisions importantes en matière de politique monétaire. En outre, sa composition met en évidence des éléments à la fois propices à l'unification et sources de divergences. Aussi, la question de l'efficacité du fonctionnement de la BCE et, plus précisément, du Conseil des gouverneurs, paraît cruciale car c'est l'efficience même de la politique monétaire européenne qui en dépend. Or, comme on l'a vu précédemment, la politique monétaire est une composante primordiale qui agit sur la légitimité d'une monnaie. Ceci étant, en se référant à l'analyse de Robert Raymond, le Conseil des gouverneurs demeure une instance ambivalente. En effet, composé d'un « centre », le Directoire, et d'une « périphérie », les gouverneurs des banques centrales nationales, il ressort de cette dualité des forces « centripètes » et des forces « centrifuges » :

« La constellation formée par le réseau des banques centrales nationales et, à son centre, la BCE, est par construction animée de forces contradictoires, les unes centripètes et les autres centrifuges »159(*).

A en suivre le raisonnement de Robert Raymond, les forces centripètes sont les éléments qui tendent à coordonner, dans une cohérence d'ensemble, les décisions et actions en matière de stratégies et de politique monétaires au sein de la zone euro. Le premier de ces éléments centripètes s'avère la zone euro elle-même car, au regard de la BCE, elle forme un seul et même espace dont les décisions s'appliquent de manière homogène. Les spécificités locales ne sont donc pas prises en compte. De ce fait, la BCE assimile la zone euro à un pays. Cela est particulièrement susceptible de poser problème en cas de choc économique asymétrique dans le sens où, comme nous le verrons prochainement, la zone euro reste un ensemble hétérogène qui ne peut en aucun cas être considérée comme un pays unique. Ensuite, le deuxième des éléments centripètes réside dans le fonctionnement hiérarchique et méthodique de la BCE. Ainsi, le Conseil des gouverneurs prend les décisions de politique monétaire tandis que le Directoire est chargé de mettre en oeuvre ces décisions en donnant les instructions nécessaires aux banques centrales de l'eurosystème qui exécutent. Ces dernières appliquent de manière décentralisée les décisions arrêtées par le Conseil des gouverneurs, ce qui induit malgré tout un risque technocratique potentiel. Enfin, le dernier des éléments centripètes cités consiste en l'intégration déjà bien avancée du marché des capitaux et des économies de la zone euro. Là encore, nous verrons que cette intégration reste insuffisante et appelle à un renforcement du processus d'intégration.

Ce faisant, coexistent à côté des forces centripètes des forces centrifuges persistantes qui tendent à désorganiser la gouvernance monétaire européenne. Tout d'abord, demeure un risque technocratique lié à la difficile dépossession, pour les banques centrales nationales, de leurs activités antérieures. Quoiqu'il en soit, le risque technocratique reste difficile à éliminer dans une structure aussi ample que celle de l'eurosystème qui opère par décentralisation dans l'exécution des tâches. De même, la bonne connaissance des structures économiques, sociales et politiques nationales sont autant d'informations précieuses que possèdent les gouverneurs des banques centrales, le tout étant d'établir une coopération optimale entre l'ensemble des membres de la BCE. Enfin, le principe « un membre, une voix », de rigueur au sein du Conseil des gouverneurs, risque, avec l'entrée dans la zone euro de nouveaux pays, d'instaurer de plus en plus un certain brouillage lors de la prise de décision monétaire, notamment à cause de l'hétérogénéité des pays concernés. Cela pourrait nuire au bon fonctionnement de la BCE. En pratique, aujourd'hui encore, lorsqu'un ou quelques gouverneurs minoritaires ne sont pas d'accord avec les autres, ils finissent finalement par se rallier à la majorité. Mais, augmenté de dix membres, ce qui devrait arriver à terme, on peut se demander comment vont se délier les désaccords au sein du Conseil des gouverneurs. Par ailleurs, l'augmentation du nombre des gouverneurs va conduire à rendre minoritaires les membres du Directoire ainsi que les gouverneurs des « grands pays » :

« Le conseil des gouverneurs, qui définit la politique monétaire de la zone, comprend, outre les six membres du directoire, les douze gouverneurs des banques centrales nationales. Chacun y dispose d'une voix, sans aucune pondération selon la taille de son économie. L'Allemagne n'y pèse pas plus lourd que le Portugal, ni la France que la Grèce. Ainsi, les taux d'intérêt sont dictés par une majorité de petits pays qui connaissent le plus souvent une inflation plus forte que la France et l'Allemagne, bien que ces deux pays représentent la moitié du PIB de la zone. L'élargissement de l'euro aux nouveaux membres entrés dans l'Union en mai 2004 ne fera qu'aggraver ce problème, en augmentant le nombre de petits pays inflationnistes » 160(*).

Réforme oblige, le Conseil des gouverneurs s'est entendu le 5 décembre 2002 sur les transformations à envisager une fois la zone euro élargie à vingt-sept membres. A ce titre, il est prévu que le nombre de droits de vote soit limité à vingt et un : six droits de vote permanents (Directoire) et quinze droits de vote pour les gouverneurs des banques centrales qui siégeront selon un système de rotation. Toutefois, la réforme ne dit pas comment les « grands pays » vont parvenir à davantage se faire entendre que les « petits pays ». Or, il paraît difficile d'imaginer que les décisions de la France ou de l'Allemagne pèsent le même poids que celles de pays comme la Roumanie, la Finlande ou la Lituanie, avec tout le respect que l'on peut avoir pour ces pays. De même, le nombre de votants semble toujours élevé, au risque de compromettre la capacité décisionnelle de la BCE.

Ainsi, le déficit décisionnel qui pèse sur le fonctionnement de l'eurosystème peut, à terme, induire des risques de blocage pouvant conduire à une remise en cause de l'union monétaire. Non seulement les problèmes de gouvernance de la BCE pourraient nuire à certains pays en particulier, mais, plus globalement, c'est l'ensemble de la zone euro qui pourrait pâtir de cette carence décisionnelle :

« La BCE se trouve actuellement dans l'état où était la Réserve fédérale américaine (la FED) dans les années 1920. Juridiquement, c'est bien la première institution fédérale européenne parmi une mosaïque de nations disparates. Politiquement, ce n'est pas une instance qui a la capacité opérationnelle de mener une politique centralisée » ; « Le processus de décision qui élabore la politique monétaire conduit à des réponses retardées de la BCE et à des réponses qui manquent de sensibilité aux puissants canaux de transmission financiers des perturbations internationales. C'est ainsi qu'en 2001 la BCE est restée l'arme aux pieds dans un retournement cyclique global, observant sans bouger la plus profonde et la plus rapide action anticyclique que la FED ait menée dans son histoire »161(*).

A titre comparatif, en ce qui concerne le mode de fonctionnement de la FED, seulement un tiers des banques fédérales de réserve participe au Federal open market committe, l'organe de décision en matière de politique monétaire. De même, seule la Banque fédérale de New York assure la mise en oeuvre des décisions prises au FOMC, au lieu de chaque banque centrale nationale pour l'eurosystème. Cela dit, la FED semble mener une politique monétaire plus pragmatique et réactive que la BCE.

De surcroît, le déficit démocratique de la BCE, détachée de tout contrôle populaire, alimente les critiques envers une institution qui, seule, assume la responsabilité de l'euro. En effet, en vertu des statuts qui la fondent, la BCE paraît intouchable et éloignée de toute responsabilité populaire. Comparativement, à la différence de la BCE, la FED doit annuellement informer le Congrès américain sur les objectifs annuels de sa politique, ainsi que sur les moyens utilisés et les résultats obtenus. Son indépendance semble ainsi maîtrisée ; elle rend des comptes aux représentants de la nation qui, au pire des cas, peuvent infléchir les orientations stratégiques et les agissements d'une institution qui reste malgré tout soumise à un contrôle démocratique souverain et effectif, ce qui n'est pas le cas de la BCE. Effectivement, cette dernière n'est assujettie à aucune forme de souveraineté démocratique, en considérant que le Parlement européen n'est pas une instance démocratique souveraine162(*). Dès lors, relativement à ses importantes prérogatives, la BCE semble titulaire d'une indépendance trop prononcée :

« Aucune procédure n'institutionnalise sa responsabilité, puisqu'il n'existe pas de source de souveraineté démocratique vis-à-vis de laquelle la BCE pourrait rendre compte de l'exécution de sa mission. Dans ce vide institutionnel la BCE est seule face aux intérêts privés et ne peut se prévaloir que d'une légitimité d'ordre éthique qu'elle a bien du mal à faire reconnaître »163(*).

« En Europe, en revanche, les comptes rendus de la BCE se cantonnent à son devoir d'information ; les critiques, d'où qu'elles viennent, n'ont pas de prise sur elle. Ainsi, le désaveu de sa politique par une majorité de parlementaires européens le 5 juillet dernier n'a-t-il eu aucune conséquence... »164(*).

Ainsi, l'euro repose sur une confiance d'ordre éthique et, l'institution qui en est responsable, semble exempte de toute légitimité et appréciation démocratiques. Cela paraît regrettable quand on sait l'importance du rôle de la banque centrale eu égard au maintien de la légitimité de l'unité de compte.

* 159 Ibid. p. 118.

* 160 Article de Sandra Moatti publié au sein de la revue Alternatives économiques, dossier spécial euro intitulé : Pourquoi l'euro ne tient t-il pas ses promesses, n° 239, septembre 2005 : p. 55, 56.

* 161 Michel Aglietta, Espoirs et incertitudes suscités par l'euro in L'argent (précédemment cité) : p. 247 ; 248.

* 162 Le Parlement européen est l'unique instance politique de l'Union européenne dont les membres sont élus au suffrage universel direct. Il représente ainsi les 459 millions d'habitants des Etats membres de l'Union. Le nombre de députés qui y siègent par pays est proportionnel à la population de chaque pays. Le Parlement a essentiellement une fonction législative en co-décision avec le Conseil de l'Union. Mais, il reste non souverain politiquement. D'une part, il ne dispose pas seul du pouvoir législatif qu'il partage avec le Conseil de l'Union. D'autre part, il ne possède pas un pouvoir absolu de décider en dernier ressort ; il n'est pas maître de son organisation et de ses décisions.

* 163 Idem, p. 248.

* 164 Sandra Moatti, Pourquoi l'euro ne tient pas ses promesses in Alternatives économiques (précédemment cité) : p. 53, 54.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams