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Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à  l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en son genre, produit de la rationalité économique


par Grégory Ode
Université de Paris I Panthéon - Sorbonne - Master d'économie 2005
  

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L'objectif de stabilité des prix est-il conforme aux objectifs de croissance et de prospérité ?

L'euro est ancré sur un principe directeur qui s'impose à la BCE : la stabilité des prix. Ce principe singularise la BCE des autres principales banques centrales en ce qu'elle est la seule à avoir pour seul objectif final la stabilité des prix. Dans cette perspective, nous avions conclu que la BCE opère une gestion de la monnaie qui s'apparente aux principes monétaristes. Ceci étant, il reste à savoir si ce principe qui fait de la lutte contre l'inflation une priorité est conforme aux promesses de croissance qui fondent la légitimité de l'euro. La doctrine monétariste appelle à une inflexibilité monétaire qui n'est pas neutre sur l'économie. La rigidité monétaire permet, certes, de réduire l'inflation, mais engendre un durcissement qui influe inéluctablement sur la croissance et l'emploi :

« Le monétarisme repose sur une évidence : l'inflation a besoin de toujours plus de monnaie pour se développer. De cette évidence, les monétaristes tirent une conclusion simple : moins de monnaie implique moins d'inflation. Comme toutes les idées simples, cette conclusion comporte une part de vrai. Mais elle passe sous silence une autre évidence : moins de monnaie entraîne des conséquences aussi sur la croissance, donc sur l'emploi. On ne lutte pas contre l'inflation sans en payer le prix. Que l'inflation soit pour partie un phénomène monétaire, certes [...] Mais elle n'a pas que cet effet : la monnaie fouette l'activité économique, si bien que l'émission de monnaie provoque à la fois croissance et inflation » ; « Dès lors, il faut choisir entre un peu moins d'inflation et un peu moins de croissance économique »165(*).

De la sorte, en ancrant ses principes d'action sur ceux du monétarisme, le traité et, par extension, la BCE, semble avoir opéré un arbitrage entre inflation et croissance. En érigeant l'inflexibilité monétaire comme principe fondamental de la politique monétaire, le traité supprime toute possibilité d'intervention active par la monnaie. La conséquence en est que, dans les faits, la BCE est jugée moins réactive et pragmatique que la FED. La FED mène, conformément à son triple objectif final de plein-emploi, stabilité des prix et modération des taux d'intérêt, une politique monétaire discrétionnaire que l'on peut qualifier d'active et de pragmatique. Si la stabilité des prix est une composante de son objectif final, cet objectif est appréhendé sur le long terme et ne constitue pas une « fin en soi » pour la FED :

« A partir de ses analyses et de ses actions, la Réserve fédérale a su persuader les marchés que la maîtrise de l'inflation est pour elle un impératif sans être une fin en soi » ; « Ayant un triple objectif final [...] elle est habilitée à mener des opérations de fine tuning en fonction de la conjoncture. Elle ne privilégie plus, comme lors des périodes keynésianiste et monétariste, un objectif particulier. Elle a conduit ses interventions avec réactivité et pragmatisme, réunissant à obtenir, au cours de la décennie 1980-1990, une large confiance de la part des agents économiques et des marchés financiers »166(*).

Il en de même pour la BOJ qui tente activement de faire face à la crise qui touche le Japon depuis les années 1990. Elle mène à ce titre une politique de taux d'intérêt bas, fournissant d'importantes liquidités à l'économie japonaise. En outre, elle a promis de jouer pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort si le système monétaire japonais venait à connaître une nouvelle crise. Enfin, de par la crainte qui s'est installée sur l'ensemble du système bancaire nippon167(*), elle a même décidé à l'automne 2002 de racheter des actions détenues par les banques commerciales.

Il en ressort qu'à la différence des autres grandes banques centrales, la BCE semble résolument faire de la lutte contre l'inflation son cheval de bataille, les autres objectifs de la politique monétaire étant marginaux. Théoriquement, la relation entre inflation et chômage a été représentée par la courbe de Philipps, courbe construite à partir de données empiriques concernant la Grande-Bretagne entre 1851 et 1957. Cette courbe relie dans une relation inverse le niveau des salaires à celui du chômage. Lorsque le niveau des salaires augmente, celui du chômage baisse. Ou, lorsque le niveau du chômage baisse, les salaires augmentent. Néanmoins, dès lors qu'on admet que le niveau des salaires est représentatif de celui des prix, on obtient une relation inverse entre inflation et chômage et, deux grandes lectures de la courbe sont possibles. La première revient à dire que lorsque le chômage baisse, les salariés sont en position de force pour négocier leurs salaires et, la hausse de ces derniers se répercute sur les prix, engendrant de l'inflation. Une deuxième lecture met plutôt l'accent sur l'effet positif de l'inflation sur l'emploi, celle-ci devenant alors une « arme du plein-emploi » selon les termes de Denis Clerc. Dans les faits, cette courbe a fait l'objet de controverses dues aux contradictions empiriques qui ont été observées : relance budgétaire par création de monnaie inefficace, montée du chômage non concomitante à la désinflation, etc. Néanmoins, au lieu la remettre en cause, Denis Clerc énonce une troisième lecture possible de la courbe de Phillips :

« Cette fameuse courbe doit-elle alors être jetée aux orties ? Sans doute pas, car elle peut être interprétée d'une autre manière encore. La quasi-totalité des expériences de `désinflation' se sont bien traduites par une hausse du chômage [...] On peut alors avancée que la Courbe de Phillips ne décrit pas le fonctionnement effectif d'une économie capitaliste, mais le sacrifice qui doit être consenti - en termes d'emplois ou de prix - pour améliorer l'un des indicateurs, toutes choses étant égales par ailleurs. Concrètement, cela signifie que le fait que les prix augmentent n'implique pas que le chômage diminue ou inversement : des événements extérieurs [...] peuvent jouer, qui produisent hausse ou baisse des prix sans que les prix varient [...] Mais si les autorités nationales veulent réduire le rythme de l'inflation, il leur faudra mettre en oeuvre des politiques qui auront un coup en terme d'emplois »168(*).

Dès lors, le chômage apparaît comme le prix à payer pour toute autorité publique qui se risquerait de faire de la lutte contre l'inflation sa priorité :

« Faire baisser le taux de chômage, ou tout simplement en ralentir la montée, se paye d'une inflation accrue. C'est ce que J. Tobin et A. Okun [...] appellent le `ratio de sacrifice' : on n'a rien sans rien »169(*).

En France, dans le passé, tous les plans désinflationnistes se sont traduis par du chômage : plan Pinay de 1952, plan Gaillard de 1957, plan Pinay-Rueff de 1959, plans Giscard de 1963 et 1969, plan Fourcade de 1974, plan Barre de 1976, plan Delors puis Bérégovoy de 1982-1984, etc. Dans cette même optique, la politique de désinflation française menée de 1982 à 1986 s'est traduite par une variation positive du taux de chômage de 42 %.

Enrichi de l'expérience inflationniste qui déstabilisa l'économie mondiale dans les années 1970, le traité de Maastricht, en privilégiant la lutte contre l'inflation, a d'une certaine manière effectué un véritable choix de société en érigeant le principe de stabilité des prix au rang de principe prééminent. Cet arbitrage implique des conséquences économiques et sociales fortes. D'ailleurs, on peut penser que l'indépendance de la BCE et sa non inscription au sein du débat démocratique paraissent à ce titre « nécessaires ». En guise de parenthèse, cela amène justement à se demander si le politique ne constitue t-il pas un garde fou nécessaire face à la pleine expression de l'économique ? Est-il raisonnable que l'économique tende à s'affranchir complètement du politique au nom de la rationalité ? Ceci étant, on peut à juste titre regretter que la BCE soit mise à l'écart du champ démocratique. En outre, l'arbitrage réalisé par le traité et appliqué à la lettre par la BCE, fait peser sur la zone euro le poids d'une politique monétaire stricte et intangible :

« Ce n'est pas que le traité ignore le coût dans l'immédiat, des politiques monétaires restrictives. Plutôt, le demi-siècle qui a suivi la deuxième guerre mondiale et, en particulier, le second choc pétrolier ont enseigné que de tels effets sont temporaires. Or c'est naturellement un axiome qui, à court terme, ne s'impose pas à l'esprit des citoyens [...] La rédaction catégorique du traité et du statut de la BCE qui lui est annexé repose sur d'autres postulats. Tout d'abord l'inflation est implicitement analysée comme un phénomène monétaire auquel une banque centrale a, dans une large mesure, le pouvoir de mettre bon ordre. La BCE est ainsi investie d'une responsabilité majeure à ce titre »170(*).

D'ailleurs, cette rigueur amène à différencier la BCE des autres banques centrales, comme on vient de le voir. Ce faisant, elle risque de faire de l'euro une monnaie mal perçue des européens :

« Ce décalage de puissance entre l'autorité monétaire européenne et l'autorité proprement politique - à la source de débats autour de l'absence de politique budgétaire centralisée au niveau de l'Union - est susceptible de nourrir, à l'égard de l'euro, une défiance propice à des mobilisations politiques contre lui, dès lors qu'il sera perçu comme une monnaie déflationniste et antisociale, étrangère aux préoccupations des citoyens-consommateurs dans les Etats membres »171(*).

Par ailleurs, le passage à la monnaie unique a renforcé l'unification des marchés de capitaux européens, ce qui les soumet encore plus au risque systémique dont la manifestation maximale en est la spéculation hors du réel suivie de la panique généralisée lorsque la dynamique spéculative prend fin172(*). De telles situations peuvent vite se transformer en récession en contaminant l'ensemble de l'économie. Dans ce cas, le rôle du prêteur en dernier ressort s'avère essentiel. Ce dernier a notamment pour mission d'apporter une aide d'urgence à des banques jugées trop importantes pour être mises en faillite. Surtout, il s'agit de relancer l'économie et rétablir la confiance lorsqu'une crise bancaire et/ou financière survient et que les comportements privés sont impuissants. De ce point de vue, l'euro inquiète de par le conservatisme des autorités monétaires :

« L'euro permet donc le développement de marchés de capitaux dont les tailles et les interdépendances se rapprochent de celles des marchés du dollar. Or, les événements de ces dernières décennies ont montré que ces marchés sont vulnérables au risque systémique [...] Au Etats-Unis la réglementation et la supervision des marchés ont été affaiblies par l'idéologie de la libéralisation à outrance. Mais la banque centrale joue à plein son rôle de prêteur en dernier ressort [...] Les marchés de l'euro souffrent d'un divorce total entre l'intégration rapide des activités financières et le conservatisme de la régulation prudentielle »173(*).

Ainsi, le principe statutaire de stabilité des prix empêcherait la BCE d'infléchir sa politique monétaire en cas de crise bancaire et/ou boursière qui toucherait la zone euro. Du moins, rien ne dit qu'elle serait apte et encline à le faire. Sur ce point, encore, apparaît une différenciation prégnante entre la BCE et la FED :

« Le déclenchement d'une crise bancaire ou boursière en Europe, qui ferait souhaiter une réduction des taux d'intérêt, mettrait en cause l'orientation de la politique monétaire, qui est sous la responsabilité exclusive du Conseil des gouverneurs. De ce point de vue, la BCE ne se voit attribuer aucune obligation d'agir si elle juge que la baisse du loyer de l'argent compromettrait la stabilité des prix [...] Cela différencie l'Eurosystème du Système fédéral de Réserve, lequel se voit attribuer deux objectifs concurrents : la lutte contre l'inflation et l'optimisation de la croissance »174(*).

L'objectif de stabilité des prix, si contraignant, constitue donc un principe fort qui oblige la politique monétaire à la rigueur. Assez décrié dans les faits, il a également conduit à strictement encadrer les politiques budgétaires nationales ; telle était la principale raison d'être du pacte de stabilité et de croissance. Dès lors, ses conséquences sur l'économie de la zone euro ne peuvent se limiter à celles d'une politique monétaire rigoureuse. C'est l'ensemble du policy mix européen qui se voit pénalisé.

* 165 Denis Clerc, Inflation et croissance (précédemment cité) : p. 43 ; 44.

* 166 Denise Flouzat, Les stratégies monétaires (précédemment cité) : p. 87 ; 89, 90.

* 167 Les banques commerciales, submergées de créances douteuses, prêtent peu à des entreprises elles-mêmes douteuses.

* 168 Denis Clerc, Inflation et croissance (précédemment cité) : p. 50.

* 169 Idem, p. 52.

* 170 Robert Raymond, L'euro et l'unité de l'Europe (précédemment cité) : p. 59.

* 171 Bruno Théret, L'euro en ses tristes symboles. Une monnaie sans âme ni culture (précédemment cité).

* 172 Voir John Kenneth Galbraith, Brève histoire de l'euphorie financière (précédemment cité).

* 173 Michel Aglietta, Espoirs et incertitudes suscités par l'euro in L'argent (précédemment cité) : p. 244.

* 174 Robert Raymond, L'euro et l'unité de l'Europe (précédemment cité) : p. 115.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote