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Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à  l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en son genre, produit de la rationalité économique


par Grégory Ode
Université de Paris I Panthéon - Sorbonne - Master d'économie 2005
  

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Fonder l'euro sur une unité politique, sociale et économique : est-ce possible ?

Nous venons de voir que la zone euro peut difficilement être considérée comme une zone monétaire optimale au sens où l'entend Robert Mundell. En effet, alors que la mobilité du travail y est très faible, le budget communautaire quant à lui pèse peu au regard du poids économique de l'ensemble des pays de l'Union. A bien y réfléchir, il semblerait que ces données traduisent un problème de fond sérieux, qui d'ailleurs se reflète iconographiquement sur la monnaie européenne elle-même : l'absence d'une unité de fond entre des Etats et des peuples qui hésitent à se fédérer autrement que par la voie économique.

En effet, l'euro est né d'une coopération économique prolongée entre des Etats qui, au final, ont conclu qu'ils avaient rationnellement intérêt à fonder une union monétaire européenne. De l'union économique et monétaire devait peut-être éclore une union politique. Seulement voilà : aujourd'hui l'Union semble être au pieds du mur. L'absence de souveraineté politique, essentiellement, semble faire cruellement défaut. Elle empêche d'avancer dans des domaines clefs tel que le budget, la fiscalité, le contrôle démocratique des institutions européennes, etc. Comme on l'a dit précédemment, l'histoire montre que l'union monétaire suit, en principe, l'union politique. Or, l'euro s'est affranchi du politique pour constituer une union monétaire entre des Etats restés souverains politiquement et disparates sur les plans géographique, politique, social, culturel, économique et historique. Rien, a priori, ne semble rapprocher la Grèce de l'Irlande ou la France de la Finlande. Rien, si ce n'est l'économique et le monétaire. Pourtant, sur la question de l'unicité, Robert Raymond soutient la thèse de l'unité :

« En dépit de la diversité de ses peuples, de leurs cultures et de leurs langues, l'Europe occidentale forme un tout. Balayée par d'amples migrations, ravagée par des conflits internes, elle a fort heureusement été aussi le théâtre d'échanges commerciaux et intellectuels. Elle contient donc en son germe des ferments d'unité et des facteurs d'interdépendance » ; « Comme le démontre son extension géographique [...] la CEE a doté l'Europe d'un poids économique et d'un rayonnement qu'aucun pays membre n'aurait obtenu par lui-même. Des réalisations comme l'élimination des droits de douane (devenue totale en 1968), l'adoption d'un tarif extérieur commun, la mise en oeuvre d'une politique agricole commune (PAC) dès 1961, le financement collectif d'infrastructures dans les régions défavorisées ont cimenté l'union »200(*).

En fait, il est possible de prendre le contre-pied des dires de Robert Raymond en soulignant que l'économique ne crée pas nécessairement l'unité et en mettant en avant les multiples facteurs de fractionnement du territoire européen sur des domaines autres qu'économiques. Qui plus est, ce territoire dont il est question reste pour l'heure indéterminé. Nous avons au cours de cette réflexion définit la monnaie comme un « objet » socialement construit qui se fonde sur une confiance unanime de la société. Or, dans l'état actuel des choses, seule la confiance éthique légitime la monnaie unique européenne et, même de ce point de vue là, il est vrai que les performances économiques controversées de la zone euro peuvent compromettre la pérennité de la monnaie unique. De ce fait, en l'absence d'une réelle solidité de fond, la moindre crise économique devient une menace de plus pour la légitimité de la monnaie. En outre, il convient de souligner que le fractionnement multidimensionnel du territoire européen constitue une entrave pour l'attractivité de la zone euro. A titre comparatif, celle du dollar bénéficie d'une cohésion politique et nationale forte, ce qui renforce le crédit et le rayonnement du billet vert :

« Le marché intérieur de l'euro est moins attrayant que celui du dollar, en raison de différences structurelles au détriment de l'Europe [...] En se plaçant du strict point de vue de l'économiste [...] il faut accepter de voir avec lucidité que le marché américain, comparé à l'européen, est moins morcelé par des différences entre les règles par Etat de nature législative, réglementaire ou fiscale, que les pouvoirs publics savent y créer un environnement plus favorable au libre jeu des forces du marché, que les migrants s'intègrent plus harmonieusement dans la main-d'oeuvre, que le secteur public pèse moins lourdement sur les entreprises et les consommateurs, et qu'enfin il existe un gouvernement fédéral capable de donner une impulsion, et une seule, quand un problème devient grave »201(*).

Ce faisant, apparaît l'idée selon laquelle l'avenir de l'union monétaire semble fortement lié à celui de l'union politique dans la mesure où c'est certainement cette dernière qui permettra à l'union économique et monétaire de se renforcer. Inversement, c'est peut-être bien des désaccords politiques persistants, au-delà des questions économiques et monétaires, que pourrait venir l'implosion de l'union monétaire, et ce, d'autant plus que les élargissements à venir ne peuvent que compliquer l'état actuel des choses. Face à cette difficulté d'unir politiquement des pays assez disparates, Robert Raymond souligne l'importance pour le temps à venir d'intégrer au maximum le marché unique européen afin d'en faire un marché homogène et attractif, à l'instar du marché américain :

« Si l'on peut comprendre la difficulté, d'ordre politique, de passer d'une juxtaposition d'Etats à un ensemble constitutionnellement soudé et doté d'un pouvoir politique central, au moins faut-il maintenant faire en sorte que l'euro se traite sur un marché intérieur non fragmenté. C'est là le complément naturel et indispensable de la monnaie unique »202(*).

Or, pour répondre à la proposition de Robert Raymond, aussi emplie de bon sens soit-elle, le vice du raisonnement sous-jacent réside dans le fait même que le parachèvement du marché unique européen devra très certainement passer, au préalable, par un processus d'unification politique. En effet, l'harmonisation législative, fiscale, etc., exige une instance politique forte capable de substituer aux spécificités nationales des règles communautaires qui, de surcroît, doivent apparaître comme étant légitimes. Or, par ailleurs, la légitimité des règles de droit est intimement liée au principe de souveraineté populaire. De la sorte, on rejoint la thèse centrale de Jean Messiha qui consiste à dire qu'il n'y a de zone monétaire optimale qu'accompagnée d'une forme de souveraineté politique203(*) :

« Quelles sont les zones où l'unicité institutionnelle, linguistique, administrative, culturelle, monétaire est réalisée ? La réponse est à présent plus immédiate : une telle zone est un Etat-nation souverain, précisément parce que ce sont l'Etat et la nation qui garantissent l'unicité de toutes les institutions administratives, linguistiques, législatives précitées »204(*).

En somme, il apparaît que l'union économique et monétaire devra, dans le meilleur des cas, s'accompagner d'une forme de souveraineté politique qui, seule, peut véritablement pouvoir prétendre cimenter l'Union et donner une solide base institutionnelle à la monnaie unique. Dans cette optique, une Europe politique forte devrait notamment pouvoir faire progresser l'Europe sociale, restée embryonnaire depuis le traité de Rome, en permettant d'institutionnaliser le débat et de le soumettre à un processus de délibération démocratique :

« Force est de constater que l'Europe sociale se limite à un socle a minima. Jamais le social n'a constitué une priorité : l'Europe s'est construite avant tout par l'économie et la monnaie. Les directives européennes n'énoncent que des normes minimales n'imposant qu'un plus petit dénominateur commun social aux pays membres. Il s'agit donc bien, pour l'instant, d'une harmonisation par le bas, même si, dans les faits, les législations sociales sont restées en l'état »205(*).

Cela dit, l'intégration sociale revêt une grande importance en ce que le social crée des liens de solidarité entre les pays et les peuples, ce qui renforcerait la légitimité de l'Union européenne et, par extension, celle de l'euro. Alors que l'Union semble arrivée à un tournant de son histoire, épuisée sur le plan économique, l'édification d'une Europe sociale concomitante, ou non, à une union politique permettrait de redonner un souffle nouveau à la construction européenne ; ce qui la rapprocherait d'ailleurs de ses principes fondateurs qui ont prévalu au cours de l'après guerre. Nul doute également que son image serait redorée au regard des opinions européennes. Mais, pour l'heure, les systèmes sociaux européens demeurent dissemblables et cette fragmentation ouvre une voie possible à une « course au moins disant social », ce qui pourrait ruiner la recevabilité de l'Union.

Enfin, dans le contexte de globalisation actuel et, eu égard aux aspects psychologiques qui touchent la monnaie, il semble crucial que l'architecture européenne trouve à se finaliser de sorte à stabiliser l'espace économique et monétaire européen. Précisons que si le poids et la taille de l'économie européenne confèrent à l'Union, de fait, une certaine autorité sur la scène internationale, il apparaît tout aussi important que celle-ci parvienne à s'affermir sur le plan politico-institutionnel car, comme le suggère Robert Raymond, « une monnaie est un étendard, un identifiant économique et politique » dont l'attachement à un environnement stable influe sur le degré de confiance des individus. Le problème est que, pour le moment, les rivalités politiques au sein de l'Union sont prégnantes, amenant à s'interroger un peu plus sur l'avenir de l'union économique et monétaire :

« Sur le plan politique, les rivalités internes se sont aiguisées. Une première opposition s'est exacerbée entre les petits pays, qui ont intérêt à pratiquer la compétition fiscale, et les grands pays, qui ont besoin de conserver un pouvoir de régulation de la demande globale et ont intérêt à un minimum de coopération. Ce conflit envenime la situation politique et empêche en particulier l'harmonisation fiscale. Il est encore accentué par l'arrivée des pays de l'est. Le second type de conflit concerne l'orientation à long terme de l'Europe. Il oppose la vision britannique, qui veut faire de l'Europe une zone de libre échange policée, à celle des pays fondateurs, partisans d'une Europe progressant par avancées fédérales et pourvue d'une direction politique forte. Ces deux oppositions se recoupent. La vision britannique est en pleine offensive actuellement et elle trouve des alliés parmi les petits pays de la zone euro et chez les nouveaux entrants »206(*).

Cette opposition politique est aussi celle qui tend à subdiviser en deux groupes les défenseurs d'un projet de constitution européenne d'une part, pour qui l'Europe a besoin de définir un projet politique cohésif et unificateur qui trouverait une première concrétisation dans l'édiction d'une constitution européenne207(*). L'élaboration d'une constitution européenne devrait également conduire à une plus grande transparence et clarté des institutions et du fonctionnement politique de l'Union ; peut-être cette meilleure lisibilité aboutirait à davantage associer les européens au projet communautaire. D'autre part, coexistent les partisans d'une Europe a minima, lesquels prônent plutôt l'immobilisme politico-institutionnel208(*). En outre, malgré ces divergences tenaces qui risquent de se compliquer davantage avec les élargissements à venir, il n'en reste pas moins qu'il subsiste un espoir d'unité dans la volonté affichée de certains Etats de bâtir quelque chose ensemble, ce qui rappelle le « vouloir vivre ensemble », principe fondateur de la conception française de la nation.

* 200 Robert Raymond, L'euro et l'unité de l'Europe (précédemment cité) : p. 3 ; 8.

* 201 Idem, p. 129.

* 202 Ibid. p. 130.

* 203 On parle ici de souveraineté politique au sens où nous avons défini cette notion auparavant dans cette réflexion, c'est-à-dire comme la coexistence d'une autorité publique et d'une nation qui la légitime.

* 204 Jean Messiha, Souveraineté et zone monétaire optimale : construit, coïncidence ou causalité ? (précédemment cité).

* 205 Arcangelo Figliuzzi, L'économie européenne (précédemment cité) : p. 112.

* 206 Contribution de Michel Aglietta à l'article de Sandra Moatti, Pourquoi l'euro ne tient pas ses promesses in Alternatives économiques (précédemment cité) : p. 57, 58.

* 207 Les principaux Etats favorables à une avancée politico-institutionnelle sont la France, l'Allemagne, les pays du Benelux et la République Tchèque.

* 208 Il s'agit essentiellement de la Grande-Bretagne et du Danemark.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery