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Le bouddhisme theravada, la violence et l'état. Principes et réalités

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par Jacques Huynen
Université de Liège - DEA Histoire des religions 2007
  

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L'imaginaire pâli

Les textes que nous venons de présenter, ainsi que quelques autres127(*) dessinent les contours principaux de ce que Collins appelle, utilisant un mot français, the pâli imaginaire ( l'imaginaire pâli ). Essayons avant de poursuivre d'en résumer et préciser brièvement les traits. La fonction originelle de l'état y est définie, dans l'Aggañña Sutta, comme celle du « maintien de l'ordre » et de la défense des plus faibles contre les plus forts, soit dans le cadre d'une république (Éloge des Vajji dans le Mahâparinibbâna Sutta) soit dans celui de la monarchie éclairée du Cakkavatti. Notons qu'à ces devoirs le Cakkavatti ajoute celui de respect et protection des brahmines, renonçants et, dans la perspective bouddhiste, de leurs héritiers, les bhikkhu ou moines bouddhistes. Dans des conditions optimales, par la modération des besoins, des désirs et de la consommation l'abondance est réalisée (Cakkavatti Sutta) et la justice assurée (Sumangala Jâtaka).

L'idéologie démocratique telle qu'elle domine en Occident depuis la dernière guerre, peut nous disposer à être séduits par la théorie du contrat social qu'esquisse l'Aggañña Sutta, ou par l'apologie de la démocratie tribale à laquelle se livre le Bouddha dans le Mahâparinibbâna Sutta mais avec l'Adhammika Sutta et le Bhikkhâparampara Jâtaka, s'ouvrent des perspectives que l'on peut à la suite de Collins, qualifier d'utopiques : une bonne gouvernance exerce une influence positive sur le cours régulier des astres et des phénomènes naturels ; elle élimine aussi toute violence au point que les cours de justice se vident. L'utopie ira d'ailleurs jusqu'à réduire le caractère transcendant, inconditionné, du nirvâna en introduisant le concept de « nirvâna-sur-terre » dans le sens quasiment augustinien de « société parfaite ». Dans les textes narratifs il est déjà considérablement concrétisé (COLLINS, p 292) même s'il n'y est pas encore assimilé à un lieu, une ville royale (IDEM, p. 291), ou un État idéal comme il le sera parfois ultérieurement128(*).

Cependant, parallèlement à cet optimisme se fait jour un pessimisme radical relativement à toute possibilité d'exercer le pouvoir sans avoir recours à la violence (le Mûgapakkha Jâtaka et le personnage du prince Temiya). Ce pessimisme justifie la sécession et le retrait du monde des renonçants. Mais cette solution n'est plausible qu'au risque pour le Dhamma sasana, le bouddhisme institutionnel, de se rendre lui-même non-pertinent dans le cadre de communautés et sociétés productrices et reproductives (Collins, p. 565). Il doit donc intégrer la violence-- tâche pas facile, étant donnés les postulats de base de sa sotériologie. C'est pourtant ce que fait tant bien que mal le Mahâvamsa en affirmant la légitimité de la violence lorsqu'est en jeu la défense du Dhamma.

Pour COLLINS, si l'imaginaire pâli pré-moderne fut d'abord l'idéologie d'une élite, que rien ne menaçait immédiatement, en se répandant spatialement et sociologiquementvers l'extérieur et vers le bas, dit COLLINSet devenant une religion pour les masses de la pointe sud de Ceylan au Cambodge, elle s'exposait aussi à de nouveaux dangers auxquels ne l'avait pas préparé sa matrice originelle.

Est-ce à ces défis, absents du milieu où se développa la première idéologie, que répond un texte comme le Mahâvamsa ? Ou ce dernier a-t-il subi l'influence d'un mahâyanad'après ses Écritures, moins opposé à la violence contre les ennemis du Dharmaqui fut brièvement présent au Sri Lanka précisément peu de temps avant la composition de l'épopée ainsi que le suggère SCHMITHAUSEN129(*) ?

La tension entre la non-violence radicale des principes et leur aboutissement dans le Mahâvamsa peut nous sembler insurmontable mais, afin de nous garder de toute réaction ethnocentrique, rappelons-nous que la non-violence également radicale des Évangiles n'a pas empêché Thomas d'Aquin, un peu plus d'un millénaire plus tard, de formuler sa théorie de la « juste guerre », qu'évoquent d'ailleurs les milieux nationalistes singhalais à l'appui de la répression armée de l'insurrection tamoule.

Comme chacun sait les utopies peuvent rester actives même après un échec et celles qu'expriment nos textes ont influencé et influencent encore les discours de justification et de légitimation des idéologies de tous les états de tradition de tradition theravada, qu'il s'agisse de républiques pluralistes (Sri Lanka), d'états marxistes (Laos, Cambodge), de dictatures (Myanmar) ou de monarchies (Thaïlande).

Quoi qu'il en soit, si nous savons que dans l'empire d'Asoka malgré la préférence manifeste de ce dernier pour le bouddhisme, celui-ci n'y fut jamais religion officielle--les autres « religions » étaient aussi protégées par l'état--et qu'il en fut sans doute de même dans les autres états indiens qui par la suite favorisèrent le bouddhisme, avec le Mahâvamsa et l'idéologie qui le sous-tend, pour la première fois dans l'histoire du bouddhisme indien, autour du royaume singhalais d'Anurâdhapura, un peuple, une nation et un état de culture indienne s'y identifient étroitement sinon exclusivement. Cette caractéristique devait par la suite devenir un des traits distinctifs de l'imaginaire pâli sur toute l'aire où il finirait par s'imposer. Dès lors c'est le modèle du Cakkavatti bouddhiste, protecteur du Dhamma et du sangha qui jusqu'à la colonisation, sera privilégié et assurera la fortune du theravada en Indochine. Au point qu'on peut se demander si sa survie est possible en dehors de cette association étroite avec un état, seul capable de fédérer, éventuellement de manière autoritaire, l'extrême indépendance des lignées (nikâya) monastiques.

* 127 COLLINS (p. 357- 383) mentionne d'autres textes--post-canoniques--qui entrent également dans le cadre de l'utopie pâli : l'Anâgatavamsa (XII-XIII EC), dont il traduit le titre par « Histoire du futur », le Dasabodhisattuppattikathâ et le Dasabodhisattuddesa, concernant dix bouddhas qui succéderont à Metteyya, et le Mâleyyadevattheravatthu traduit en français par E.Denis (1963), ainsi que le Jinakâlamâli (Thaïlande, XVIe). Dans ces textes, dans l'Anâgata particulièrement, apparaît une notion de progrès à travers les cycles car Metteyya doit s'efforcer moins longtemps et plus facilement que Gautama l'a fait pour arriver au but. La félicité qu'il connaît et qu'il répand autour de lui surpasse en étendue et en intensité celle qu'a connue « notre » Bouddha, comme s'il était plus « évolué » que ce dernier.

* 128 COLLINS (p. 585) classe ces perspectives utopiques dans une ou plusieurs des catégories suivantes: Âge d'Or, Arcadie, paradis, cité idéale, pays de Cocagne, millénium.

* 129 op.cit. p 57-58.

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