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Le bouddhisme theravada, la violence et l'état. Principes et réalités

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par Jacques Huynen
Université de Liège - DEA Histoire des religions 2007
  

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Le Sangha et les minorités : Sri Lanka et Birmanie

On se rappelle que dans le Mahâvamsa, (Ve EC) le roi Dutthagamani, tourmenté par la culpabililité d'avoir massacré un grand nombre de Tamouls se voit répondre par huit arhats, moines « parfaitement illuminés », qu'en fait il n'a tué qu'un homme et demi : un moine, et un laïc respectant les cinq préceptes, le statut des autres, en tant que mécréants et malfaiteurs, n'étant pas supérieur à celui d'animaux.

Ainsi que l'a prétendu Walpola Rahula169(*), les moines au Sri Lanka ont toujours été des acteurs politiques. Ces acteurs ont parfois été violents ou ont incité à la violence. Au XVIIIe, le mahanayake et le sangharaja du chapitre Malwatte de l'ordre de haute caste Siyam Nikaya conspirèrent contre le deuxième roi de la lignée indienne et hindoue des Nayakkar, Kirti Sri Rajasinghe, l'accusant d'être un hérétique tamoul pour s'être enduit le front de cendres, symbole d'allégeance à Siva (TAMBIAH, 1992, p. 162 et 164). Le complot fut déjoué et le roi se montra indulgent. Des moines participèrent aux mouvements de protestation contre les Hollandais en 1760 ; de tels mouvements devaient également avoir lieu en 1816 à Kandy, contre les Britanniques, un an seulement après la signature de l'accord entre ces derniers et les notables locaux, et se répéter jusqu'en 1848 (TAMBIAH, 1992, p. 100).

Au XIXe EC dans les campagnes se développa le mythe et le culte de Diyasêna, bouddhiste singhalais qui tuerait tous les chrétiens et autres mleccha (barbares, non-bouddhistes) pour restaurer la gloire du bouddhisme170(*).

Nous ne pouvons pas dans le cadre de ce mémoire retracer toute l'histoire du Sri Lanka. Mais afin de comprendre les éruptions de violence qui font sa triste spécificité parmi les autres pays theravada, depuis une quarantaine d'années, un certains nombres de points de repères, dates et faits doivent être fournis.

Rappelons d'abord qu'à l'encontre du Laos, du Cambodge et du Myanmar où la colonisation, avec ce que cela implique de déculturation, n'a duré qu' un ou deux siècles au maximum, la période coloniale au Sri Lanka s'ouvre en 1505 pour se terminer en 1948, couvrant ainsi quatre siècles et demi. A la fin de cette période qui vit se succéder les Portugais, les Hollandais et finalement les Britanniques, les bouddhistes singhalais constituaient encore une grosse majorité (entre 70 et 80%) de la population mais une majorité au statut menacé et développant un « complexe de minorité »171(*)qui a fait comparer leurs réactions à celles des bhumiputra indonésiens et malaisiens. Dans leur cas, il sera cependant plus exact de parler de buddhaputra172(*).

Leur base économique repose alors, comme avant la colonisation, sur la propriété terrienne, grande, moyenne ou petite cependant que l'utilisation de la langue singhalaise est menacée par l'extension de celle de l'anglais, que l'Université, l'enseignement, la politique et l'Administration est contrôlées par les chrétiens, singhalais ou tamouls, ainsi que par une frange de bouddhistes occidentalisés et anglophones, que les hautes castes tamoules monopolisent les professions libérales, et que 7% de musulmans contrôlent une large partie du commerce et des échanges internationaux.

Dhammapala, ce fervent anagarika, respectant huit préceptes, portant la tunique blanche des upasaka, et fondateur de cette interprétation puritaine du bouddhisme que l'on qualifia de « bouddhisme protestant » contribua sans doute à l'animosité de la nouvelle bourgeoisie singhalaise à l'encontre de la concurrence musulmane, à l'origine des émeutes de 1915. Suite à ces émeutes il devait envoyer de Calcutta au Secrétaire d'État pour les Colonies une lettre demandant l'établissement d'une commission royale pour enquêter sur les causes de ces émeutes dont il attribuait la responsabilité aux musulmans :

The Muhammadans, an alien people who in the early part of the nineteenth century were common traders, by Shylockian methods became prosperous like the Jews. The Sinhalese, sons of the soil, whose ancestors for 2, 358 years had shed rivers of blood to keep the country from alien invaders,...today...are in the eyes of the British only vagabonds... The alien South Indian Muhammadan comes to Ceylan, sees the neglected, illiterate villagers, without any experience in trade, without any knowledge of any kind of technical industry, and isolated from the whole of Asia on account of his language, religion and race, and the result is that the Muhammadan thrives and the sons of the soil go to the wall.173(*)

Mais certains moines avant même l'indépendance furent aussi actifs sur des thèmes « de gauche ». Boose Dhammarakhita et Udanadawela Siri Saranankara furent actifs dans la politique syndicale et les grèves des années 20, sous la direction de A.E.Goonesinha. Saranankara devait même devenir vice-président du Parti Communiste et recevoir le Prix Lénine (TAMBIAH, 1992, p.100).

Après l'indépendance, en 1948, les premières questions cruciales auxquelles seront confrontés les bouddhistes singhalais, et leurs porte-voix traditionnels, les bhikkhus, seront la «question linguistique»174(*) et celle de la singhalisation (nationalisation) des écoles libres chrétiennes (catholiques et protestantes) jusqu'alors subventionnées par l'État.

De 1950 à 1956 l'action des milieux monastiques, dont le Vénérable Walpola Rahula, auteur de L'Enseignement du Bouddha, bien connu du public francophone, se concentrera sur la revendication de la légitimité pour les moines de faire de la politique, droit que l'interprétation traditionnelle du Vinaya leur déniait. Ce droit étant dès 1956 considéré comme acquis, tant par les milieux monastiques que laïcs, de 1956 à 1960 les moines prennent massivement parti pour le SLFP (Sri Lanka Freedom Party) de S.W.R.D.Bandaranaïke, leader d'une coalition de gauche, le MEP(Mahajana Eksath Peramuna: People's United Front) dont le programme comprend la nationalisation des écoles confessionnelles subventionnées, en majorité chrétiennes et la singhalisation de l'administration et de l'enseignement.

La vie politique a donc depuis l'indépendance pris une tournure de plus en plus « communautariste » c'est-à-dire fondée sur les appartenances ethnique et religieuse et cela malgré l'importance des partis marxistes, souvent alliés aux partis singhalais d'inspiration bouddhiste. Cette dernière constante en elle-même, à savoir l'alliance récurrente de partis bouddhistes, voire de partis dirigés par des moines, avec des partis reconnaissant explicitement la légitimité de la violence dans la lutte pour arracher le contrôle de l'état aux ennemis de classe présente un paradoxe difficile à éluder175(*)même si l'on tient compte du fait que cette alliance est plutôt soutenue par les deux ordres monastiques, Amarapura et Ramanya, qui recrutent aussi dans les castes moyennes et inférieures. L'ordre Siam Nikaya, où ne sont acceptés que des membres de la haute caste des Goyigama (propriétaires terriens) ainsi d'ailleurs que l'Église catholique, également richement dotée en biens immobiliers, soutiennent en général l'UNP, parti que nous appellerions libéral de centre droit.

Au cours de la campagne électorale de 1956, opposant ce dernier parti au MEP (Mahajana Eksath Peramuna : People's United Front) coalition de gauche comprenant le parti marxiste VLSSP, le Basha Peramuna (Language Front) et des indépendants de gauche, S.W.R.D. Bandaranaïke, leader du SLFP (Sri Lanka Freedom Party) force principale de cette coalition avait promis qu'en cas de victoire, il appliquerait les recommandations176(*) exprimées en 1954 par le Buddhist Committee of Inquiry (Commission d'enquête bouddhiste). Ces recommandations visaient à restaurer pour le bouddhisme des conditions équitables de compétition avec les réseaux d'écoles chrétiennes hérités de la période coloniale et fournissant leurs élites à l'état et au secteur privé. Elles préconisaient entre autres l'instauration d'un système d'enseignement officiel. Pour cela Bandaranaïke fut identifié dans certaines couches populaires à Diyasêna, le pourfendeur de mleccha mentionné plus haut. Mais après la victoire du MEP, en 1958, devant l'opposition des Églises chrétiennes et les difficultés d'application rapide de la recommandation, il déclara devant le All-Ceylon United Bhikkhu Congress (Congrès général des moines ceylanais) :

While I try to safeguard the rights of Buddhism I cannot aim a death-blow at others. It is not only the Catholics but also some Buddhists who are opposed. If schools like Ananda College177(*) or St. Joseph College were taken over [...] vast sums would have to be paid in compensation for their lands and buildings.178(*)

S.W.R.D Bandaranaïke fut assassiné par un moine le 25 septembre 1959 sur les ordres d'un autre moine, politicien, Buddharakkhita dont le Eksath Bhikkhu Peramuna (United Monks Front) avait grandement contribué à la victoire de Bandaranaïke en 1956.

Ce crime choqua l'opinion publique et suscita l'opposition d'une partie d'entre elle à l'engagement de moines en politique. Mais cette opposition ne put arrêter la politisation du milieu monastique même si l'on y vit les éléments conservateurs en son sein se manifester d'avantage. Dès lors en effet, dans une troisième phase, de 1960 à 1980, les moines se partagèrent entre les deux grands partis le SLFP (gauche) et l'UNP (United National Party) de centre droit et libéral. Ce qui n'empêcha pas le passage des lois linguistiques et relatives à l'enseignement. Mais de droite ou de gauche les moines sont presque tous d'accord sur un point : leur mission de sauvegarde du Sri Lanka comme conservatoire de l'orthodoxie theravada (TAMBIAH, 1992, p. 103).

La désapprobation du public ne devait pas non plus mettre un terme à la perpétration par des moines d'actes violents, parfois même contre des moines de différentes convictions politiques. Avant 1959 déjà on avait relevé leur participation occasionnelle à des incidents violents. En 1956 un groupe de bhikkhu protesta contre un clause permettant aux individus qui avaient effectué leur scolarité en tamoul ou anglais de passer dans ces langues les examens ouvrant à la carrière administrative et ce jusqu'en 1967. Des troubles éclatèrent à Colombo puis se répandirent à l'Est, à Batticoloa et dans la vallée de la Gal Oya de population mixte, Singhalais et Tamouls. Ces troubles firent une centaine de blessés à Colombo, et dans l'Est entre 20 et 200 morts, suivant les sources. Ainsi en mars 1958 une flotte de bus flambant neufs fut envoyée dans le Nord, munis de plaques en caractères singhalais. Les Fédéralistes tamouls les repeignirent pour y substituer des caractères tamouls. En réponse, dans le Sud, des bandes de Singhalais forcèrent les commerçants tamouls à repeindre leurs enseignes en caractères singhalais. A Colombo les choses empirèrent rapidement et deux foules de « peintres-lettreurs », dont l'une conduite par des moines, parcoururent systématiquement la ville oblitérant tout ce qu'ils pouvaient trouver comme caractères tamouls (TAMBIAH, 1992, p. 49). En avril-mai de la même année dans la région de Polonaruwa, en territoire mixte et pas très loin de la « frontière linguistique » avec le Nord-Est, des travailleurs agricoles singhalais qui avaient été déplacés du Sud-Ouest dans le cadre de la politique de revalorisation et re-singhalisation de cette zone aride s'affrontèrent avec des travailleurs tamouls également déplacés par le gouvernement. Il y eut des douzaines de victimes et parmi les éléments incitateurs furent arrêtés des criminels connus qui pour s'acquitter de leur sinistre tâche, s'étaient tondu le crâne et avait revêtu la tunique jaune du Bouddha (TAMBIAH, 1992, p. 54). A Kutunegala, également dans le Sud, des moines organisèrent une manifestation pour protester contre l'arrestation d'un Singhalais qui avait lapidé des devantures tamoules (TAMBIAH, Ibidem, p.55). A Jaffna et Batticaloa, dans le Nord, les Tamouls répondirent en espèce, incendiant et tuant. Il y eut onze victimes (Ibidem, p. 56). Précisons cependant que les moines ne jouèrent dans certains de ces incidents qu'un rôle d'incitateurs ; la majorité des participants actifs furent, dans la zone aride, les colons paysans ou travailleurs saisonniers singhalais et ailleurs des propriétaires du bus, qui venaient d'être nationalisés, des petits commerçants et des notables qui se sentaient menacés par un projet de coopératives polyvalentes subventionnées par l'état (Ibidem, p. 56). Dans la partie tamoule de l'île les fauteurs de troubles se recrutèrent parmi diverses catégories de fraudeurs (propriétaires de bateaux), dont l'intérêt était de se solidariser avec la cause tamoule, et de jeunes diplômés sans perspectives(Ibidem, p. 57).

Le meurtre de S.W.R.D Bandaranaïke qui constitua le point d'orgue de cette période troublée, devait ouvrir une troisième période, de calme relatif (1960-77) et de désinvestissement temporaire des milieux monastiques. Leurs principales revendications avaient été satisfaites et leurs allégeances politiques connut une première diversification, se partageant entre le SLFP et l'UNP. Ce calme fut cependant perturbé en 1971, par des troubles de caractère social et antigouvernemental, orchestrés par le JVP (Janatha Vimukhti Peramuna).

Reprise des troubles en 1981179(*)

Si les revendications singhalaises avaient été satisfaites, dans la nouvelle configuration issue de la « révolution » de 1956-60, de la reconnaissance du bouddhisme non comme religion d'étatce à quoi s'opposèrent toujours les composantes laïques des différentes coalitionsmais comme « religion de la majorité », en 1972, les Tamouls étaient nettement perdants. Cependant la population tamoule elle-même avait rarement initié des pogromes anti-singhalais. Le chômage des jeunes diplômés, les quotas d'admission dans les universités, qui favorisaient les buddhaputra singhalais, l'installation de colons singhalais dans la zone aride du Nord-centre, confinant au territoire à majorité tamoule, et la déclaration du TUFL (Tamil United Liberation Front) en faveur d'un état tamoul séparé conduisirent une partie de la jeunesse tamoule à l'insurrection armée dans le Nord. Ses premières victimes furent souvent, comme elles le sont encore parfois, des politiciens et policiers tamouls considérés comme collaborateurs. L'armée, quasiment monopole singhalais, fut envoyée pour réprimer l'insurrection dans le Nord et occuper le terrain. R.Jayawardene (de l'UNP revenu au pouvoir en 1977) fit passer le Prevention of Terrorism Act, visant essentiellement le TULF et le JVP singhalais. Dès lors l'enchaînement de réactions qui devait mener à la reprise de la guerre était en marche. La Bibliothèque de Jaffna fut incendiée en 1981 et les élections de district perturbées, de fréquentes escarmouches entre l'armée et les insurgés, et des actions punitives de civils singhalais à l'encontre de civils tamouls s'ensuivirent. Les événements les plus graves, dont les conséquence devaient provoquer l'intervention de l'armée indienne dans le Nord, furent déclenchés par la mort de treize jeunes soldats singhalais pris dans une ambuscade du LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam). Les pogromes anti-tamouls qui suivirent à Colombo, dans le Sud et dans le centre, firent entre 350 (sources gouvernementales) et 2 000 victimes (sources tamoules). Les milieux monastiques n'y furent impliqués que marginalement (TAMBIAH, 1992, p. 75). En effet les enjeux n'étaient plus strictement religieux et culturels mais politiques et territoriaux. Mais, à peu d'exceptions près, les moines que ce soit en privé ou en public soutinrent l'effort de guerre de l'armée dans le Nord et ne protestèrent pas contre les agressions de civils tamouls.

A partir de là de plus en plus fréquemment, des militants tamouls s'en prirent à des temples ou monastères bouddhistes, à des moines et à des civils. En 1986, tous les moines passagers d'un bus revenant d'un pèlerinage dans le centre furent massacrés à Arantawala. En 1987 des civils singhalais en pèlerinage furent attaqués dans le voisinage de l'Arbre Bo de Anuradhapura, centre de la zone de repeuplement de l'ancien royaume du même nom, célébré dans le Mahâvamsa.

L'activisme des moines fut donc réactivé se nourrissant à présent de nouveaux thèmes :

l'opposition à toute négociation avec le LTTE et les fédéralistes tamouls en général, l'opposition à toute autonomie administrative pour les provinces du Nord et de l'Est, et enfin l'opposition à la présence de l'armée indienne dans ces provinces où elles avaient été appelées en 1987.

Sur ces thèmes c'est avec le JVP--au programme égalitariste, populiste, nationaliste, et bouddhiste--que dès 1971180(*)les moines militants s'opposèrent non plus tant aux Tamouls qu'au gouvernement (TAMBIAH, Ibidem, p. 95 et sq). Cette solidarité s'explique en partie par les origines rurales communes des adhérents du JVP et des jeunes moines des Amarapura et Ramañña nikayas. Deux autres thèmes les mobilisent : la lutte contre le consumérisme et contre la zone de libre-échange promue par l'UNP.

Leurs cibles sont dès lors surtout singhalaises, et liées à l'UNP. Dans le sangha lui-même des fissures apparaissent. Certains moines plus âgés, par exemple le Mahanayake (supérieur général) du chapitre Asgiriya du Siyam Nikaya, cherchèrent à assouplir leur position sur l'intervention indienne dans le Nord et à se désolidariser de leurs jeunes collègues JVP (TAMBIAH, Ibidem, p. 97-98). Cela fut considérés par certains de ces jeunes moines comme une trahison et entraîna leur complicité et même leur collaboration dans des actes de violence et des meurtres dont furent victimes des moines « modérés ». La répression contre le JVP n'épargna pas ces jeunes moines dont certains furent traités sans cérémonie, chassés, dégradés, arrêtés, torturés et parfois tués. Le JVP répondit par l'escalade en envoyant des menaces de mort aux membres de l'establishment monastique dont plusieurs durent fuir l'île.

A la fin des année 80 et au début des années 90, le vent tourna contre le JVP (TAMBIAH, Ibidem, p. 99) et le gouvernement Premadasa en élimina physiquement le Politburo. Quant aux moines membres du JVP beaucoup ont été exécutés, d'autres ont défroqué, certains sont devenus informateurs, d'autres se sont enfuis dans les jungles en compagnie de leurs camarades laïcs où ils n'ont sans doute pas pu survivre longtemps.

Au cours des années 90 la guerre s'intensifie; ces années sont entre autres marquées par le retrait de l'armée indienne enlisée dans le Nord, l'assassinat de Rajiv Gandhi et du Président Premadasa par le LTTE, l'accession au pouvoir de Chandrika Kumaratunga (SLFP) en 1994 et l'ouverture de pourparlers qui échouent en 1995. Les attentats du LTTE reprennent et les troupes gouvernementales prennent Jaffna. L'état d'urgence est déclaré dans tout le pays. En 1998, le LTTE attaque le Temple de la Dent, sanctuaire bouddhiste le plus sacré du pays. En 2000 le LTTE contrôle Elephant Pass, un col stratégique entre le Nord et le Centre. En 2001 un attentat frappe l'aéroport international de Negombo. La Norvège s'entremet et un accord de cessez-le-feu est conclu en 2002. Les négociations commencent en décembre et le principe d'une autonomie des provinces du Nord et de l'Est est accepté. En 2003 le LTTE craignant d'être marginalisé par d'autres groupements politiques tamouls, se retire des négociations et reprend sa campagne terroriste. Cependant le LTTE perd de plus en plus ses soutiens internationaux181(*). En août 2005, le Ministre des Affaires étrangères, Lakshman Kardigamar, un Tamil, est assassiné par les Tigres. Malgré une déclaration de 2006 suivant laquelle ils s'estiment encore engagés par le cessez-le-feu, les attentats du LTTE se multiplient. L'Union Européenne le classe sur la liste des organisations terroristes.

Retour des moines en politique

Dès la fin du règne de Chandrika Kumaratunga, jugée trop conciliante vis-à-vis du LTTE et des intermédiaires norvégiens, émerge une nouvelle formation politique animée par des moines : le JHU (Jathika Hela Urumaya) dont le programme défend le patrimoine national et religieux du Sri Lanka. Concrètement, à l'opposition à toute autonomie des provinces du Nord-Est qui faisait déjà partie du programme du JVP, il ajoute deux thèmes accentuant son caractère droitier: 1. il milite pour que soit votée une loi interdisant les « conversions immorales » (unethical conversions), en général du bouddhisme au christianisme, prétextant que ces conversions sont achetées 2. il s'oppose à ce que les fonds versés par la communauté internationale suite au tsunami de décembre 2004 parviennent aux victimes tamoules par l'intermédiaire du LTTE.

En prévision des élections de 2005 Mahinda Rajapakse, candidat du SLFP, afin de s'assurer les bonnes grâces du JHU, s'engage à adopter une position plus ferme vis-à-vis du LTTE. Les deux parties signent un accord en douze points où figurent le rejet du fédéralisme comme base d'un accord de paix avec le LTTE, ainsi que la dénonciation des accords de cessez-le-feu et de gestion conjointe des fonds versés suite au tsunami (d'après World Socialist Website, 21 septembre 2005, signé Wije Dias).

Mahinda Rajapakse, ancien Premier de Chandrika Kumaratunga, élu président en novembre 2005, reprend l'offensive dans le Nord et s'empare de Vakarai et de l'embouchure de la Mahawali, soit la plus grande partie des installations portuaires de Trincomalee. Parmi les Tamouls pris entre les deux feux beaucoup choisissent de fuir vers les territoires contrôlés par l'armée singhalaise. À l'heure qu'il est, en mai 2007, l'armée du Sri Lanka contrôle la plus grande partie de l'Est et poursuit sa pression sur le Nord. Cependant la Grande-Bretagne et les USA menacent de couper leur aide au gouvernement du Sri Lanka accusé de bombarder sans discrimination installations et zones d'habitation civiles, de n'avoir aucune politique pour l'après-victoire, et en général de sacrifier la diplomatie à une stratégie uniquement militaire.

Birmanie

A propos de la Birmanie TAMBIAH écrit (1992, p. 100)

The participation of monks in rebellion and millenial movements in precolonial times against the British raj, and subsequently in postindependance times, is not new. Burma has perhaps the most impressive evidence of this. Examples are the Saya San rebellion in the 1930s and the most recent uprisings in 1988 (continuing to this day) by the students and young monks of Rangoon and Mandalay against an oppressive military regime.

La Birmanie partage avec Ceylan d'avoir été colonisée, bien que plus brièvement. Faut-il y chercher --par contraste avec la Thaïlande--l'explication du caractère révolutionnaire, combinant nationalisme, marxisme et religion, de l'activisme des moines dans ces deux pays alors qu'en Thaïlande cet activisme s'avère souvent conservateur et anti-communiste. Notons aussi en passant qu'au Laos les communistes se sont emparés du pouvoir sans que les moines y contribuent et qu'au Cambodge les Khmères rouges se distinguèrent par leur anticléricalisme féroce.

Par rapport aux minorités c'est surtout la présence d'une minorité musulmane relativement importante qui provoqua des troubles avant même la fin de la période coloniale. En 1938, les musulmans furent accusés de « voler » des femmes birmanes (bouddhistes). Le 26 juillet, une réunion sur ce thème fut organisée par des « moines politiques » à la pagode du Shwe Dagon, suivie d'une manifestation qui se dirigea vers le quartier indien où elle se transforma en émeute visant les musulmans indiens. En quelques jours toute la région de Rangoon était en proie à une hystérie anti-musulmane et anti-indienne. Il fallut quelque temps avant que l'ordre soit rétabli182(*).

En 1948, les dirigeants birmans avaient choisi de tenter de faire de leur pays nouvellement indépendant non pas un royaume bouddhiste mais une république laïque moderne. Cependant en 1950 cette option fut contestée par le très pieux Premier Ministre U Nu qui déclara son ambition de faire de la Birmanie un pays constitutionnellement bouddhiste183(*). Mais U Nu ne fut pas toujours cohérent. Sans doute fut il victime d'une logique suivant laquelle une proposition peut être à la fois vraie et fausse, dépendant du point de vue auquel on se place, ou du moment où elle est formulée, logique qui en politique fonctionne moins qu'en d'autres domaines. En effet en dépit de cette intention déclarée (Trevor LING, 1979, p. 129) U Nu refusa en 1954 d'exclure l'enseignement de l'islam et du christianisme des écoles de l'État ainsi que le lui demandait une faction de moines intégristes, se fondant sur le fait que chrétiens et musulmans payaient aussi des taxes. Ce refus provoqua un tollé à l'échelle nationale et c'est sur la prière des leaders musulmans, craignant que se répètent les émeutes et pogromes de 1938 que U Nu céda aux pressions de ces moines intégristes. Cette attitude tolérante au sujet de l'enseignement des religions minoritaires lui valut l'opposition des moines mais ne l'empêcha pas de faire du bouddhisme la religion de l'État en 1961. Le caractère erratique et indécis de sa politique ainsi que sa gestion de l'insurrection des minorités ethniques, particulièrement Karènes et Chan, sont à l'origine du coup de 1962 qui devaient porter les généraux bouddho-marxistes du général Ne Win au pouvoir.

De nos jours encore, sous une dictature militaire qui ne se réclame plus du marxisme, certains milieux monastiques continuent de s'inquiéter de la croissance démographique des musulmans et de leur hypergamie. En 1975, suite à la laïcisation des écoles de l'État, le Vénérable U Panditâbhivamsa, né en 1921 et sans doute témoin sinon acteur des événements de 1938, inaugura des « camps culturels » consacrés à la formation au bouddhisme et à la culture birmane mais aussi à la mise en garde des jeunes contre la « stratégie musulmane d'expansion par le mariage ». Ces camps d'été se poursuivent sous le gouvernement militaire, d'abord avec son soutien actif puis, après que le Vénérable y eût laissé la parole à Aung Sang Su Kii, simplement tolérés. Ces camps, d'après le Vénérable Vivekananda, moine d'origine allemande, touchent chaque année entre 120 000 et 200 000 jeunes. Nous avions nous-même remarqué la tension entre jeunes moines et musulmans en 1998 ; Vivekananda nous confirme qu'il y a encore eu des affrontements au cours des cinq dernières années soit depuis 2002.

* 169 S.J.TAMBIAH, Buddhism Betrayed : Religion, Politics and Violence in Sri Lanka. Univ. of Chicago Press, 1992., p. 102.

* 170 GOMBRICH, Buddhism transformed, 1988, p. 203

* 171 S.J.TAMBIAH, op.cit., p. 33

* 172 Cf Sarath AMUNUGAMA. «Buddhaputra and Bhumiputra? Dilemmas of Modern Sinhala Buddhist Monks in Relation to Ethnic and Political Conflict» in Religion, 21 (1991): 115-39.

* 173 Ananda GURUGE, ed. Return to Righteousness: A Collection of Speeches, Essays, and Letters of the Anagarika Dharmapala. Colombo: Government Press, 1965, p. 540, cité par S.J.TAMBIAH, 1992, p. 8.

* 174 Où ils jouent un rôle que nous pouvons comparer à celui que joue le clergé catholique flamand en Belgique au même moment.

* 175 Voir à ce sujet, Donald Eugène SMITH, Ed., South Asian Politics and Religion, Princeton University Press, 1966, p. 484, et tous les chapitres consacrés au Sri Lanka dans cet excellent ouvrage qui bien que datant déjà, offre un tableau très complet du terreau dans lequel s'enracinent les événements postérieurs, particulièrement les débuts du terrorisme tamoul, les pogromes anti-Tamouls de 1983 et la récente reprise de la guerre en 2006.

* 176 Voir The Betrayal of Buddhism, Dharmavijaya Press, Balagoda, 1956.

* 177 Une faculté bouddhiste privée.

* 178 D.E.SMITH, p. 482.

* 179 TAMBIAH, op. cit. (1992), pp. 66 et sq.

* 180 On aurait retrouvé des stocks d'armes à destination des insurgés dans certains monastères ,cf TAMBIAH, 1992, p. 96.

* 181 La Grande-Bretagne l'avait déjà placé sur sa liste d'organisations terroristes en 2001.

* 182 Trevor LING, 1979, p. 88.

* 183 Ibidem, p. 106-107.

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