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Les limites de la vision occidentale du vivant

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par Mathieu Néhémie
Université Blaise Pascal - Master 2 Philosophie 2007
  

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Visions occidentales

Introduction

Afin d'entreprendre la critique de la vision occidentale du vivant et d'en comprendre les limites, il nous est nécessaire d'entamer la description de cette vision. Bien sûr l'occident, au cours de son histoire, a connu de riches débats concernant la nature de la vie et le sens philosophique à lui donner. C'est pourquoi nous préférons parler de visions occidentales. Mais il ne faut pas non plus croire que l'occident a su remettre en cause tous ses axiomes, corriger toutes ses erreurs et parcourir tout le champ des raisonnements possibles. Certaines valeurs fondamentales semblent avoir été continuellement véhiculées par la pensée occidentale malgré d'importantes évolutions culturelles, religieuses et philosophiques. Il nous faut donc rechercher aussi bien la diversité des visions occidentales du vivant que leur tronc commun.

La vie est un phénomène très général dont tout le monde à l'expérience, en conséquence, quasiment toutes les philosophies ont eu un mot à dire à son sujet. Il n'est donc pas envisageable de faire une typologie complète des différentes conceptions de la vie qu'a pu construire l'occident. Ce n'est de toute façon pas notre objet, mais celui de l'historien de la philosophie. Nous recherchons ici les lacunes de la vision occidentale actuelle, pas de dresser le tableau des erreurs qu'on pu successivement commettre les philosophes occidentaux. Bien sûr il demeure nécessaire de s'intéresser pour cela à l'histoire des valeurs de notre culture, mais l'exhaustivité n'est pas impérative. Certains philosophes ont construit des visions de la vie particulièrement originales et novatrices mais qui n'ont connu qu'une piètre postérité. Être cité dans les cours de philosophie ne signifie pas forcément avoir influencer en profondeur le paradigme occidental actuel concernant le traitement des phénomènes vivants. Il est par contre évident que Descartes compte parmi les philosophes qui ont laissé une empreinte durable et dont les idées, quoiqu'elles aient connu d'innombrables critiques, peuvent encore être décelées dans l'ossature de nos systèmes de valeurs. La conception cartésienne de la vie devra donc être traitée en raison de son influence sur notre monde contemporain, mais aussi en tant que version prototypique et radicale du mépris occidental de la vie non-humaine.

Cependant, c'est à partir d'auteurs beaucoup plus récents que s'articulera l'essentiel de notre raisonnement. L'objectif ne sera pas de trouver un maximum d'auteurs reprenant le propos de Descartes. Pas plus que nous ne pourrons retracer avec exhaustivité la masse des penseurs qui peuplérent l'occident du vingtième siècle. Le néo-darwinisme de Jacques Monod constituera un bon archétype de l'opinion généralement admise parmi les biologistes. Nous passerons ensuite en revue certains auteurs qui s'inscrivent en faux contre cette conception et nous exposerons une vision concurrente, quoique plus marginale, de l'évolution de la vie. Il s'agira de montrer que la biologie ne fait pas l'objet d'un consensus fort sur un certain nombre de problèmes.

Finalement c'est le travail de Philippe Descolla qui nous intéressera puiqu'il nous permettra de préciser le dénominateur commun de ces diverses visions occidentales du vivant. De plus il nous fournira les informations anthropologiques nécessaires pour pouvoir mieux définir le paradigme occidental par opposition avec d'autres horizons culturels qui proposent chacun une vision différente du rapport de l'homme avec les autres êtres vivants et le reste du monde en général. Enfin le propos de Descolla, en lui-même, s'avérera un bon exemple d'une vision occidentale plus ouverte et plus progressiste du vivant et du non-humain en général.

La conception cartésienne de la vie

Malgré de nombreux débats sur le sujet, les Anciens s'entendaient en général pour accorder des âmes aux bêtes, des Stoïciens, qui leur refusaient tout de même la raison, à Plutarque, qui leur constatait une intelligence similaire à l'homme. L'immortalité exceptionnelle de l'âme humaine n'est envisagée que par Platon et c'est saint Augustin qui intégrera pleinement cette idée dans le christianisme. Pourtant Montaigne, critiquant la vanité humaine, reprendra les réflexions de Plutarque sur la légitimité de l'homme à s'attribuer ainsi un statut supérieur aux autres animaux, jusqu'à se proclamer l'égal des dieux.

Lorsque survint la révolution mécaniste de Descartes, l'Europe chrétienne a déjà largement admis la supériorité de l'âme humaine. L'originalité de Descartes consiste à refuser toute forme d'âme aux bêtes en se basant sur l'analogie entre le fonctionnement biologique des êtres vivants que nous sommes alors en mesure d'étudier et les machines que l'homme est capable de construire.

« Ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes » (Descartes, Discours de la méthode, cinquième partie).

L'originalité de Descartes, dans sa physique, est de bannir les formes substantielles d'Aristote ainsi que toute forme de finalité et d'intentionnalité dans la nature. D'ailleurs, au sujet de la nature, Descartes abolit toute distinction ontologique entre le règne du vivant et celui de la matière inerte, car Dieu créa le corps organique « sans le composer d'autre matière que celle que j'avais décrite et sans mettre en lui au commencement aucune âme raisonnable ni aucune autre chose pour lui servir d'âme végétante ou sensitive » (Descartes, Discours de la Méthode, cinquième partie).

Les animaux sont de simples machines, ils ne sont rien d'autres que des portions d'étendue qui ne se distinguent de la roche que par la complexité de leur artifice. Car si l'on peut penser que le vivant se distingue de l'inerte parce qu'il est un artifice divin, les animaux étant telles de merveilleuses horloges créées par la puissance divine, il faut rappeler que Descartes fait du monde entier une horloge réglée par les bons soins du créateur. Et comme l'humain est également une forme de vie, son corps est tout autant une machine taillée dans l'étendue inanimée.

« Si je considère le corps de l'homme comme étant une machine tellement bâtie et composée d'os, de nerfs, de muscles, de veines, de sang et de peau, qu'encore bien qu'il n'y eût en lui aucun esprit, il ne se laisserait pas de se mouvoir en toutes les mêmes façons qu'il fait à présent » (Descartes, Méditation métaphysiques, Méditation sixième).

Ainsi Descartes s'autorise à imaginer que Dieu aurait pu créer un homme sans âme, une simple machine comme n'importe quel animal, qui reproduirait pourtant tous les comportements humains dont nous sommes capables. Mais Dieu a ajouté une âme à chaque corps humain. C'est cette âme dont nous avons l'expérience grâce au cogito, car elle s'autodétermine par une réflexivité fondatrice. Mais cet esprit semble inobservable dans d'autres êtres car notre propre âme ne reçoit ses perceptions que de l'étendue, par l'union de l'âme et du corps. Cependant, selon Descartes, bien que nombre d'attitudes humaines pourraient être singées par une habile machine, il est possible de déceler des signes dans le comportement humain qui attestent de la présence de cette âme.

« Il n'y a aucune de nos actions extérieures, qui puisse assurer ceux qui les examinent, que notre corps n'est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu'il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, exceptées les paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion » (Descartes, Lettre au Marquis de Newcastle).

Seul le langage peut témoigner de la présence d'une âme dans un corps sans pouvoir être correctement dupliqué par une machine ou un animal, car la raison, qui est le propre de l'âme, est nécessaire pour acceder au langage tel que Descartes le définit. Seul l'être doué de parole peut témoigner d'un ghost in the shell1(*) mais même les hommes qui, par un handicap quelconque, se trouvent dans l'incapacité de prononcer mot, sont toujours à même de communiquer par des signes équivalents d'une manière ou d'une autre.

« Toutes les choses qu'on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu'ils les peuvent faire sans aucune pensée » (Descartes, Lettre au Marquis de Newcastle).

Les animaux, malgré l'usage des signes dont ils semblent faire preuve, ne créent pas du sens dans leurs processus de communication, ils ne font qu'agir selon la disposition de leurs organes, comme lorsque nous réagissons à nos passions. Les messages qu'ils semblent envoyer sont, pour ainsi dire, inscrits dans leur machinerie, tandis que l'humain peut créer des signes nouveaux correspondant aux évènements de sa pensée. Car seule la raison permet une telle malléabilité, et seule la pensée d'une âme nécessite l'invention de nouveaux signes pour témoigner de son contenu.

En conséquence, le champ de la finalité et de l'intentionnalité ne concerne plus que l'étude de l'âme humaine et s'avère complètement hors de propos concernant le monde matériel, y compris le corps humain. Finalement, la vie n'existe plus, il ne s'agit que d'un artifice divin, une illusion qui n'a pas sa place dans une entreprise scientifique de compréhension du réel, car celle-ci ne doit concerner que l'étude de l'étendue et de sa structure géométrique.

« Car je prends ici la nature en une signification plus resserrée, que lorsque je l'appelle un assemblage ou une complexion de toutes les choses que Dieu m'a données ; vu que cet assemblage ou complexion comprend beaucoup de choses qui n'appartiennent qu'à l'esprit seul, desquelles je n'entends point ici parler, en parlant de la nature : comme, par exemple, la notion que j'ai de cette vérité, que ce qui a une fois été fait ne peut plus n'avoir point été fait, et une infinité d'autres semblables, que je connais par la lumière naturelle, sans l'aide du corps, et qu'il en comprend aussi plusieurs autres qui n'appartiennent qu'au corps seul, et ne sont point ici non plus contenues sous le nom de nature : comme la qualité qu'il a d'être pesant, et plusieurs autres semblables, desquelles je ne parle pas aussi, mais seulement des choses que Dieu m'a données, comme étant composé de l'esprit et du corps » (Descartes, Méditation métaphysiques, méditation sixième).

La nature humaine ne marque plus seulement la différence entre l'homme et l'animal mais aussi entre les mondes matériel et spirituel ; en cela que l'humain, contrairement à toutes les autres créatures, consiste dans le mixte d'une chose étendue et d'une chose pensante. Il est une passerelle entre le monde corporel, où l'on trouve les corps inertes comme les animaux (qu'il n'y a d'ailleurs plus lieu de distinguer des autres corps) et le monde des âmes et des anges. Quoique nous n'ayons pas la moindre expérience d'un de ces mondes indépendamment de l'autre, la possibilité de les penser séparément autorise Descartes à les distinguer ontologiquement.

Le cartésianisme a connu de nombreuses et vives critiques dès que son fondateur publia ses oeuvres et, par la suite, sa doctrine sera également régulièrement prise pour cible. Descartes demeure cependant exemplaire sur un certain nombre de ses conclusions ainsi que sur sa rigueur méthodique. Comme il est courant en philosophie, que l'on soit ''contre'' ou ''pour'' un auteur, c'est généralement à partir de sa doctrine que l'on construit sa réflexion. Même si l'on ne peut plus sérieusement continuer de partager plusieurs points majeurs du cartésianisme, comme la conservation du mouvement, l'indifférence de l'étendue au mouvement, l'espace et le temps absolus, l'influence d'une âme immatérielle sur le corps ou encore la preuve de l'existence de Dieu à partir de ses attributs, Descartes demeure un philosophe majeur puisque son système constitue une sorte de socle pour les débats philosophiques concernant une gamme assez large de sujets.

Les débats qui animent les sciences cognitives concernant le sens ontologique à donner à l'esprit par rapport au corps en constituent un bon exemple sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. Il nous paraît évident que c'est à Descartes que l'on doit la formulation des termes du problème, à savoir la définition de l'esprit comme conscience réflexive et le corps comme structure matérielle inanimée. Toutes les recherches en neurologie sont en ce sens hantées par l'étude cartésienne de l'âme et du corps.

La problématique du vivant telle qu'elle s'est formulée avec les avancées de la biologie au vingtième siècle nous semble tout autant porter les stigmates de la réflexion cartésienne. Comprendre tous les phénomènes vivants, sauf la raison humaine, à partir des seules causes efficientes, voilà l'adage laissé en héritage par Descartes et que les biologistes n'ont pas encore fini de remettre en cause.

Nous ne parviendrons cependant pas pour le moment à mesurer correctement l'ampleur de l'héritage cartésien dans les débats scientifiques actuels concernant le vivant et la place que doit y tenir l'humanité. C'est la suite de notre enquête qui montrera comment les concepts cartésiens d'âme immatérielle strictement humaine et d'animal machine se retrouvent régulièrement dans les différents argumentaires, des philosophes comme des biologistes, visant à donner de la substance à l'originalité humaine.

* 1 Ghost in the shell, signifiant « esprit dans sa coquille », oeuvre majeure de science fiction du mangaka japonais Masamune Shirow, d'inspiration fortement cartésienne, où la notion d'âme comme rajoutée à un corps physique se confronte aux avancées de la cybernétique et de l'informatique, qui jouent sur la frontière entre homme et machine.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984