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Les limites de la vision occidentale du vivant

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par Mathieu Néhémie
Université Blaise Pascal - Master 2 Philosophie 2007
  

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Le positivisme de Jacques Monod

Jacques Monod, imminent biologiste français du vingtième siècle, dans Le hasard et la nécessité, Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, propose une vue d'ensemble des acquis de la biologie moléculaire de son époque. Mais son propos est surtout épistémologique, proprement philosophique et même éthique. Si, plus de trente ans après, il est légitimement contestable sur plusieurs points, il eut le mérite de préciser et d'amener sur la place publique les débats concernant le sens à donner aux découvertes étonnantes qui étaient faites sur la nature du vivant. Aussi il s'avère être un exemple relativement archétypal du point de vue positiviste occidental moderne sur le vivant et sur la place que l'homme tient dans la biosphère.

« La distinction entre objets artificiels et objets naturels paraît à chacun de nous immédiate et sans ambiguïté. » L'élément naturel étant l'objet de la science, Monod affirme comme un postulat de la méthode scientifique que la « Nature est objective et non projective. ». Mais il constate un puissant paradoxe car, tentant de dégager des critères objectifs pour distinguer le naturel de l'artificiel, en l'occurrence régularité et répétition, il remarque que les êtres vivants devraient en toute rigueur être rangés dans le domaine de l'artificiel pour leur propension à produire invariablement ces deux caractéristiques. Si l'on utilise comme critère la notion de projet, le paradoxe n'en est que plus exacerbé.

C'est l'occasion pour Monod d'introduire le concept de téléonomie qui permet de distinguer le vivant du reste des objets naturels. Le problème devient alors celui de séparer les êtres dotés d'un projet, des produits de ceux-ci. Monod trouve la solution dans le fait que le projet, comme l'ordre d'ailleurs, d'un être vivant a une origine interne, contrairement à l'artefact qui tire son projet et son organisation d'une action extérieure. Le vivant peut alors être défini par trois caractéristiques majeures : « téléonomie, morphogenèse autonome et invariance », ce qui permet à l'auteur de souligner une analogie avec les structures cristallines qui présentent à leur manière les deux dernières caractéristiques citées, ainsi que l'absence de contradiction entre cette invariance et le second principe de la thermodynamique, à savoir l'entropie. Finalement, « il n'y a pas en vérité de paradoxe ou de miracle ; mais une flagrante contradiction épistémologique » car la vie maintient son organisation invariante selon les lois de la physique grâce à un souci d'économie exceptionnel tandis que les axiomes de la démarche scientifique en excluent systématiquement la finalité.

Monod réfute alors succinctement, dans un premier temps, les vitalismes comme se réfugiant dans les irréductibles « mystères » de la biologies et se retrouvant de moins en moins justifiés à mesure que la solution de ces mystères progresse. Les animismes, qui poseraient tous un finalisme fondamental au monde, à la vie et à l'humanité, sont ensuite traités, l'auteur attribue alors un sens relativement personnel au terme que nous aurons l'occasion de critiquer ultérieurement, car les religions primitives des hommes préhistoriques, les diverses cultures tribales, la philosophie antique, le christianisme et les dialectiques de Hegel et Marx y sont regroupés pêle-mêle et réfutés comme pêchant par un anthropocentrisme incompatible avec l'objectivité scientifique.

« La notion de téléonomie implique l'idée d'une activité orientée, cohérente et constructive » qui en dernière analyse semble essentiellement chimique de sorte que, concernant n'importe quel organisme vivant, « la cohérence fonctionnelle d'une machine chimique aussi complexe, et en outre autonome, exige l'intervention d'un système cybernétique gouvernant et contrôlant l'activité chimique en de nombreux points. » L'apparence et le comportement de n'importe quel être vivant, de la bactérie aux mammifères, ne sont que la résultante de sa mécanique chimique et des fonctions téléologiques des protéines qui en sont les composants. Ces fonctions sont liées au caractère stéréospécifique des interactions entre molécules dans l'organisme, c'est-à-dire que chaque type de protéine ''reconnaît'' précisément les molécules avec lesquelles elle doit s'associer et ne réagit que très spécifiquement à celles-ci.

Cependant, pour assurer une certaine stabilité à l'organisme malgré le second principe de la thermodynamique, les complexes stéréospécifiques qui le composent, doivent être organisés en un système cybernétique où chacun à sa place et sa fonction, les nombreux types d'enzymes régulatrices en étant des cas exemplaires. Mais l'élément moléculaire pris indépendamment n'en reste pas moins téléologique car il est capable « non seulement d'activer électivement une réaction, mais de régler son activité en fonction de plusieurs informations chimiques. » Monod n'hésite pas, d'ailleurs, à parler de choix lorsqu'une molécule, pour la cohérence du système, discrimine entre plusieurs états chimiques non-nécessaires. Ainsi « il nous devient possible de comprendre en quel sens, très réel, l'organisme transcende en effet, tout en les observant, les lois physiques pour n'être que poursuite et accomplissement de son propre projet. »

Dans l'idée de ramener également l'ontogenèse aux processus moléculaires, l'auteur passe en revue quelques exemples expérimentaux destinés « à illustrer le processus par lequel des structures complexes, auxquelles sont attachées des propriétés fonctionnelles, sont construites par l'assemblage stéréospécifique, spontané, de leurs constituant protéiniques. » Ainsi, mettant fin à toute querelle entre préformationnistes et épigénétistes, Monod reconnaît que les processus épigénétiques d'un système complexe trouvent leur raison dans la structure de ses constituants mais n'est concrétisé que par leur assemblage, de sorte que l'on ne parle plus de création mais de « révélation » des édifices multimoléculaires. On est alors en droit de penser, par extrapolation car les matériaux expérimentaux manquent, que l'ontogenèse de la structure globale des macro-organismes, et de leurs organes, est également explicable par la reconnaissance stéréospécifique de ses composants et par la formation spontanée de complexes qui en résulte. Cela se passe par étapes, des replis des séquences polypeptidiques aux organes, en passant par les protéines et les cellules ; quoique tous ces éléments fassent preuve de téléonomie : « à chacune de ces étapes des structures d'ordre supérieur et des fonctions nouvelles apparaissent qui, résultant des interactions spontanées entre produits de l'étape précédente, révèlent, comme un feu d'artifice à plusieurs étages, les potentialités latentes des niveaux antérieurs. »

Si l'on peut penser trouver là « l'ultima ratio » ou « le secret de la vie », Monod nous informe que les recherches opérées pour décoder les séquences de protéines globulaires ne nous ont révélé qu'un profond hasard. Aucune logique ne semble sous-tendre ces structures, quoiqu'elles se distinguent d'un simple jet de dés par l'homogénéité qui caractérise des populations de millions de protéines dotées de la même séquence et dont la reproductibilité produit le fonctionnement téléologique de tout le règne du vivant.

Monod poursuit en rappelant un débat récurrent en philosophie entre les partisans d'une essence immuable du monde et ceux d'un principe d'évolution fondamental. La science, bien qu'extérieure à ces querelles, ne manque pas de rechercher des principes de mouvement ou de changement, quoique sa méthode consiste dans la recherche d'invariants. La science a longtemps été en droit de considérer ces invariants comme de simples outils épistémiques dépourvus de sens ontologique, mais l'auteur souligne que l'identité a pris un sens beaucoup plus déterminant en raison des bouleversements qu'a provoqués l'apparition de la microphysique. La biologie a également de tout temps consisté dans la recherche d'invariants, que ce soit les espèces, les cellules ou les macromolécules (protéines et acides nucléiques) que l'on peut maintenant considérer comme les briques fondamentales de toutes les formes de vie malgré leur diversité apparente. Reste alors à savoir pourquoi l'on constate tant d'espèces différentes alors que la vie provient de la même base chimique qui, par l'ADN, est destinée à l'invariance la plus totale.

Bien que d'une manière semble-t-il « arbitraire », la traduction de l'ADN par l'ARN messager fait que « l'organisme entier constitue l'expression épigénétique ultime du message génétique lui-même », qui est profondément invariant puisque, s'il dicte l'ensemble de l'ontogenèse, il ne reçoit pas la moindre information de l'extérieur2(*). Monod insiste alors sur le caractère fondamentalement cartésien et non dialectique de ce mécanisme. Cependant, par les particularités de la microphysique et l'indéterminisme qui lui est associé, la stabilité d'aucune structure, pas même l'ADN, n'est totalement assurée. Cela est la source des subtiles mais nombreuses mutations qui apparaissent en raison de perturbations d'ordre quantique et qui finissent inévitablement par altérer au fur et à mesure le code génétique. Et ces erreurs de traduction arrivent par un pur hasard, ontologique et non phénoménologique, en raison des lois de la physique quantique et notamment du principe d'incertitude d'Heisenberg3(*). Donc, si l'invariance est une propriété du vivant, ce n'est pas le cas de l'évolution, qui en constitue davantage un désordre systémique4(*). On ne peut donc pas parler de révélation à propos de l'évolution comme on a pu le faire de l'ontogenèse.

L'idée soutenue par l'auteur est que la source des mutations, et donc de l'évolution, n'a rien de téléologique mais relève du pur hasard. C'est sur cette base que l'aveugle nécessité de la sélection naturelle ne laisse survivre que les mutations avantageuses. La structure particulièrement conservatrice des acides nucléiques fera se reproduire la mutation à l'identique, de sorte qu'en s'accumulant, une série de mutations décisives amènera la formation d'une nouvelle espèce. Ces mutations sont d'une rareté extrême à l'échelle de la protéine mais étant donné que leurs populations se comptent en milliards, la mutation devient presque courante. La téléonomie apparaît donc comme le filtre de ces mutations, dont les facultés fonctionnelles sont mises à l'épreuve avant d'être reproduites. Monod met ensuite l'irréversibilité de ce processus évolutif en relation avec le second principe de la thermodynamique, en en faisant l'expression de l'entropie dans la biosphère.

La conservation des mutations efficaces justifie et explique la qualification des structures vivantes de téléologiques. Mais une fois la téléonomie apparue, le « choix » de telle ou telle forme de vie pour faire face à son milieu aura également un impact à très long terme sur l'espèce car son succès éventuel sera conservé dans le génome et amplifié par sa reproduction. La sélection naturelle ne se fait pas tant sous la pression d'un milieu extérieur que par l'effet d'une structure téléologique face à certaines contraintes. En ce qui concerne l'homme, c'est parce que son évolution particulière a favorisé la communication symbolique que, conjointement, cette pratique elle-même et l'organe correspondant à cette pratique, le cerveau, se développèrent. Comme Descartes, Monod fait du langage l'apanage de l'homme sans pour autant refuser aux animaux un certain traitement et une certaine communication de l'information. La création de sens, source de la culture, est cependant un pas évolutif de plus que seule l'humanité a franchi, quoiqu'on puisse voir quelques analogies entre certains primates montrant des capacités symboliques embryonnaires et le stade intermédiaire qu'ont connu nos ancêtres hominidés lorsque le « choix », et l'efficacité de ce choix, pour une communication symbolique favorisa le développement de leur cerveau pour soutenir cette pratique. Ainsi, dans l'esprit de la forme innée du langage de Chomsky, Monod tend à considérer le langage comme un phénomène épigénétique.

Satisfait d'avoir expliqué le miracle de l'évolution, l'auteur définit les nouvelles frontières que la biologie doit encore explorer. « Ces frontières je les vois, pour ma part, aux deux extrémités de l'évolution : l'origine des premiers systèmes vivants d'une part, et d'autre part le fonctionnement du système le plus intensément téléonomique qui ait jamais émergé, je veux dire le système nerveux central de l'homme. »

La phase « prébiotique », où se sont constitués les nucléotides et amino-acides, constituants chimiques fondamentaux du vivant, est relativement bien comprise. Quoiqu'elle ne soit pas insurmontable, la seconde étape, où se sont formées des macromolécules capables de reproduction, reste encore à élucider. On peut cependant constater que des reconstitutions chimiques expérimentales semblent présenter les principales caractéristiques d'un processus évolutif : reproduction, mutation et sélection. Le passage des macromolécules à la cellule est encore plus mystérieux car, même les êtres unicellulaires que nous sommes en mesure d'étudier, ne sont pas plus primitifs que nous, mais sont également le fruit d'une évolution de plusieurs milliards d'années. L'apparition du système de duplication qu'est le code génétique est également un très large sujet de spéculation, notamment à cause de son universalité dans la biosphère. Cependant, le principal problème posé par l'apparition de la vie sur Terre est que, en tant que phénomène unique, sa probabilité d'apparition ne peut être calculée ; est-ce un événement absolument nécessaire ou s'agit-il d'un coup de chance improbable ?5(*)

Concernant le système nerveux, judicieusement, Monod observe que l'exploration objective de l'anatomie des animaux supérieurs sera toujours freinée par l'impossibilité que nous avons d'accéder à leur subjectivité. Seule l'analyse de l'homme permet des conjectures entre états objectifs et états subjectifs et l'auteur reconnaît donc que toutes les modalités d'étude de l'esprit humain doivent être entreprises dans l'espoir de converger un jour. Même si la neurologie commence à trouver des liens entre certaines facultés mentales et certains outillages biologiques, il demeure que la question de la conscience chez l'animal ne peut qu'être difficilement traitée. Pourtant Monod considère les expériences subjectives comme accessibles aux seuls vertébrés supérieurs qui, contre Hobbes, seraient même doués d'abstraction. Là encore, par une innéité épigénétique qui ''programmerait'' l'acquisition de l'expérience chez l'animal comme chez l'homme, l'auteur donne raison au synthétique a priori kantien. Par les principes de l'évolution qui ont été définis, l'individu est certes entièrement issu de l'expérience mais, plutôt que la sienne, c'est l'expérience de ses ancêtres qui a constitué l'ADN dont il tire, de manière héréditaire et innée, la majorité de ses facultés. De nouveau, Monod ne trouve que le langage pour distinguer l'homme de l'animal et justifier, par les aptitudes créatrices dont cet outil nous rend capable, notre propension à nous soustraire, dans une certaine mesure, à cette innéité. La logique et les capacités de simulation prédictive sont également des facultés acquises qui se sont perfectionnées par l'épreuve de la sélection. Mais tant que la jonction sera potentiellement irréalisable dans l'absolu, entre l'expérience subjective et les données objectives, Monod estime que l'illusion d'un dualisme de type cartésien entre un cerveau matériel et un esprit immatériel restera insurmontable.

L'ultime chapitre de l'ouvrage est celui qui justifie le plus le nom donné à cette section. Comme nous allons le voir, l'idéologie positiviste est soutenue avec force par l'auteur lorsqu'il explique les conséquences épistémologiques et éthiques qu'il tire des avancées de la biologie moléculaire. Si la sélection naturelle a dû provoquer cette croissance exceptionnelle du cerveau des hominidés dont la paléontologie fait état, et parallèlement aussi le développement de la part « idéelle » de son existence, cette dernière fera reculer l'impact de la sélection sur l'évolution humaine. Du moins la guerre et le génocide, absents du règne animal, devaient imposer une nouvelle forme de sélection où le succès du groupe sur les ''tribus'' concurrentes devait prendre une place beaucoup plus importante que l'efficacité des spécificités individuelles. Progressivement, l'évolution culturelle et celle du génome devraient être de plus en plus dissociées car même si certaines facultés naturelles participent toujours au succès des individus en société, aucune sélection n'opère puisque ces facultés ne favorisent pas particulièrement la reproduction. Le terrain étant particulièrement glissant, sans proposer de solution ni même d'opinion, Monod pose tout de même la problématique eugénique concernant les maladies génétiques et leur caractère héréditaire.

L'auteur nous enseigne ensuite qu'un mal de l'âme humaine commun à toutes les cultures, à toutes les latitudes et à toutes les époques est en phase d'être soigné par la culture occidentale du vingtième siècle, qui a amené l'idée salvatrice suivante : « la nature est objective, la vérité de la connaissance ne peut avoir d'autre source que la confrontation systématique de la logique et de l'expérience. » La sélection des idées que Monod suppose se rajouter à la sélection naturelle, doit favoriser, dans un premier temps, celles qui expliquent l'homme et le libèrent de son angoisse face à l'absurdité du monde. C'est le cas de toutes les religions et de toutes les philosophies et même la science est l'héritière de cette tendance. Là encore la vision de la religion et du mythe par Monod est profondément indexée sur les conceptions judéo-chrétiennes dont il est familier, ce qui l'autorise à considérer toutes les ontogenèses comme tout aussi immanentes et anthropocentriques. Malgré son austérité et la difficulté qu'elle a à donner du sens à l'existence humaine, l'idée « de la connaissance objective comme seule source de vérité authentique » a pour elle une performance sans précédent, donc si elle n'a pas encore supplanter les différentes traditions animistes le temps devrait lui donner raison.

Pourtant, nos sociétés, qui utilisent autant que possible les fruits des performances de la science, quoiqu'elles soient les seules à avoir fait un pas pour en sortir, restent encore trop attachées à leur héritage de valeurs dépassées ; ce qui explique l'hostilité que la science doit souvent subir. La science nous enseigne donc que l'homme n'est ni la fin ni un élément exceptionnel du monde et qu'il n'a à subir aucune législation immanente. C'est à lui de définir l'éthique et les lois, et l'interpénétration de la morale et de la connaissance nous interdit de traiter ces deux thématiques séparément quoique nous devons explicitement maintenir cette distinction pour éviter de retomber dans l'animisme. « L'éthique de la connaissance » se différencie donc de toutes les autres morales, religieuses ou philosophiques, car elle est fondée sur un choix axiomatique autonome et non sur la reconnaissance de lois immanentes. Humaniste et transcendante, l'éthique de la connaissance amène aux plus grandes vertus par un asservissement à l'idéal d'une connaissance objective et peut seule fonder un véritable socialisme. Finalement, faire de la vérité la valeur suprême d'une société est la seule solution envisageable pour soigner les maux de notre monde.

Peut-être encore davantage que pour comprendre un philosophe des temps passés, saisir correctement la pensée de Monod dans Le hasard et la nécessité demande qu'elle soit replacée dans un contexte précis. Comme nous le verrons plus tard, nombre des ''vérités scientifiques'' que l'auteur énonce ont perdu ce statut en ce début de vingt-et-unième siècle, plusieurs autres, si elles sont encore enseignées dans les manuels de biologie, font l'objet de nombreux débats. Mais lorsque Monod prend ces éléments comme arguments pour son propos, rares sont leurs détracteurs. S'il devait participer de nouveau aux débats épistémologiques qui occupent la biologie, il ne pourrait plus poser certaines assertions de manière aussi catégorique. Nous devrons donc analyser les données utilisées en biologie de nos jours pour voir dans quelle mesure les avancées de la biologie depuis les années soixante-dix ont pu remettre en cause le raisonnement de Monod.

Mais ce n'est pas tant ses considérations épistémologiques qui nous paraissent édifiantes, c'est bien plutôt le positivisme archétypique dont il fait preuve. Ce document peut être analysé en termes anthropologiques et philosophiques, afin de mieux comprendre la vision toute particulière qu'a la culture occidentale du vivant et de la place qu'y occupe l'homme. L'idéal d'une science devant supplanter la religion est également un thème cher aux positivistes qui est particulièrement bien mis en exergue dans cet ouvrage. Ce positivisme scientifique, prenant la forme d'un prométhéisme dualiste et athée, nous semble particulièrement symptomatique de l'essoufflement métaphysique que connaissent nos sociétés modernes.

Aussi peut-on déceler aisément l'héritage cartésien derrière le propos de l'auteur. L'idéal de la science est, pour lui, clairement d'éjecter toute forme de finalité du discours scientifique. Pourtant Monod est forcé de s'écarter du simple mécanisme cartésien car il doit admettre le comportement téléologique qui caractérise l'ensemble des entités vivantes, de la protéine aux vertébrés supérieurs. Mais il recherche alors ardemment l'explication matérielle de cette téléologie, dont témoignent toutes les entités vivantes et surtout tous les rouages du vivant, puisqu'il lui semble nécessaire de conserver l'héritage anthropocentrique, dualiste et cartésien de la scientificité occidentale.

Pour un réductionniste athée comme Monod, le dualisme cartésien n'a pas lieu d'être. Pourtant il reproduit un raisonnement sensiblement similaire à celui de Descartes en taxant d'anthropocentrisme tout raisonnement, qu'il qualifie d'animisme, visant à attribuer une psyché analogue à la nôtre à toute entité vivante. Reprenant sensiblement le mécanisme cartésien, Monod estime lui-aussi que la science doit faire l'économie de toute forme de spiritualité dans la vie puisque la physique peut suffire à rendre entièrement compte des phénomènes vivants. Mais, comme Descartes, il ne peut pas nier l'esprit humain et, forcé de prendre l'originalité de la psyché humaine comme un acquis, il cherche alors à lui donner un sens biologique.

* 2 Cette assertion, si l'auteur la considère comme fondamentale et inattaquable, ne fait plus aujourd'hui l'objet d'un véritable consensus. Nous aborderons ce type de controverse dans le chapitre suivant mais il est bon de noter ici à quel point cela est un acquis pour Monod, malgré les débuts de réfutation qui lui étaient présentés alors.

* 3 Il faut remarquer,et nous aurons l'occasion d'y revenir, que cette imprévisibilité ontologique tient à une interprétation particulière de données expérimentales et masque les nombreux débats épistémologiques qui étaient déjà ceux de la microphysique dans les années soixante et qui sont toujours d'actualité.

* 4 Là encore, cela est matière à débat. Notons cette fois à quel point l'impossibilité d'un apport extérieur déterminé dans le génome est l'argument clé de Monod.

* 5 Quoique l'auteur ne fasse pas non plus sur ce thème état des débats qui divisent les physiciens, il faut mettre cela en relation avec la question du sens ontologique à donner à la structure probabilistique de la théorie quantique.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry