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Les limites de la vision occidentale du vivant

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par Mathieu Néhémie
Université Blaise Pascal - Master 2 Philosophie 2007
  

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Conscience de soi

Ce qu'il est encore possible de refuser à l'animal conscient, c'est une conscience de lui-même, c'est-à-dire une conscience réflexive. Autrement dit la question est de savoir si l'animal à une conscience de lui-même comme un moi différencié de son environnement et de ses partenaires sociaux. L'éthologie, ayant en général au moins admis les états internes des animaux supérieurs, se penche sur cette problématique depuis longtemps.

Nous avons déjà noté que des scientifiques sont parvenus à enseigner un langage artificiel à des dauphins. A partir de là ils ont pu montrer comment ces dauphins sont capables d'indiquer lequel de deux bruits est le plus fort mais peuvent également préciser quel degré de certitude ils attribuent à leur jugement. Cela peut être considéré comme une preuve de la conscience qu'ils ont de leur propre connaissance. En fait quasiment tous les animaux à qui l'on a enseigné un langage semble à même de se désigner eux-mêmes. Bien entendu, c'est devenu un obstacle récurrent, sans communication de concepts abstraits il n'est pas évident de traiter de la conscience de soi que pourrait avoir un sujet. Les éthologues doivent donc rivaliser d'ingéniosité pour concevoir des tests permettant de cerner autrement le problème.

Le moyen le plus connu et le plus utilisé est le test du miroir. Développé par le psychologue Gordon G. Gallup dans les années soixante-dix, il consiste à mettre l'animal en présence d'un miroir et n'analyser ses réactions. L'expérience la plus simple est de placer une marque sans odeur sur une partie de l'animal qu'il ne peut normalement pas voir. Un animal qui se déplace par rapport au miroir pour mieux y voir la marque, qui essaye de toucher la marque avec un membre ou qui témoigne de tout autre forme de comportements auto-dirigés, a manifestement compris que l'image dans le miroir est la sienne. Il est en effet difficile de ne pas voir là une preuve de la conscience de soi de l'animal.

Plusieurs grands singes, les dauphins, les orques et, plus récemment, les éléphants ont réussi ce test. Ce n'est guère étonnant étant donné qu'il s'agit des mammifères considérés comme parmi les plus intelligents. Certains obtiennent même des résultats encore plus concluants avec des expériences un peu plus complexes. Ainsi la vidéo est souvent utilisée à la place du miroir, avec des résultats sensiblement similaires. Les chimpanzés, les dauphins et les orques se reconnaissent même dans des vidéos enregistrées et font la différence entre direct et différé car ils ne manifestent des comportements auto-dirigés que dans le premier cas. Les dauphins parviennent également à y reconnaître leurs congénères et leurs entraîneurs humains.

Bien qu'il ait été d'une aide considérable en primataulogie et pour l'étude des facultés cognitives de certains mammifères marins, l'efficacité de ce procédé est parfois controversée car celui-ci s'axe sur une conception peut-être trop anthropocentrique de la perception. Ainsi les gorilles, qui comptent pourtant parmi les primates les plus intelligents et témoignent de comportements sociaux complexes, échouent quasiment systématiquement au test du miroir. Puisqu'un gorille est parvenu à maîtriser le langage des signes, il est difficile de refuser à l'espèce une conscience de soi similaire à celle du chimpanzé. Beaucoup d'éthologues s'accordent donc pour attribuer cet échec au fait que les gorilles ne se regardent presque jamais droit dans les yeux car il s'agit d'un signe majeur d'agressivité ; les sujets détournent systématiquement leur regard à la vue d'un congénère ce qui ne leur laisse guère le temps de se reconnaître dans un miroir. C'est pourquoi ils obtiennent de meilleurs résultats lorsque le miroir est remplacé par un écran qui affiche l'image du gorille à partir d'une caméra postée dans un angle décalé.

De plus l'homme compte beaucoup sur la vue dans la majorité de ses activités sensorimotrices, mais ce n'est pas le cas de toutes les espèces. La plupart des canidés et des félins sont sociaux mais territoriaux et reconnaissent leurs congénères comme leur territoire en grande partie grâce à leur odorat. Pourtant ils doivent bien faire la différence entre les marquages de leurs rivaux et les leurs pour adopter ce comportement territorial. En fait la grande majorité des animaux communiquent et se reconnaissent par des signaux chimiques, comme les phéromones, qui n'ont rien à voir avec la vue. Chez toutes ces espèces, il n'est donc pas surprenant que le test du miroir ne donne pas le moindre résultat. Pour envisager ce type de test sur ces espèces, il serait nécessaire de construire des procédés expérimentaux permettant de les mettre en contact sensoriel avec leur propre signature chimique et autorisant le même type de réaction qu'un miroir. Il va sans dire à quel point l'élaboration de ce type de tests présente une montagne d'obstacles techniques.

Concernant l'immense majorité des entités vivantes, nous ne disposons pas de la moindre donnée pour traiter de leur éventuelle conscience d'elles-mêmes. Leur conscience en général, lorsqu'elle est admise, n'est d'ailleurs pas bien définie. Il est fort probable que les concepts et catégories que nous appliquons à notre conscience : réflexivité, but, moyen, etc, sont de moins en moins appropriés aux autres espèces à mesure que leur structure et leur fonctionnement diffèrent des nôtres. La neurobiologie va dans ce sens puisque, quoique téléologie et traitement de l'information se retrouvent à toutes les échelles du vivant, la structure et le fonctionnement d'un organisme peuvent varier du tout au tout.

Si l'on admet, comme les néo-darwiniens, que l'évolution est entièrement continue et fondée sur la sélection naturelle, il semble inapproprié de considérer la conscience réflexive comme apparue soudainement chez l'homme ou chez certaines espèces de mammifères supérieurs. Peut-être devrait-on plutôt admettre que le psychisme commun à toute forme de vie a évolué et s'est complexifié pour atteindre le niveau de notre conscience. Il faut cependant faire l'économie d'une apparition soudaine de la conscience, l'histoire phylogénétique de notre espèce doit témoigner d'un développement continue et progressif de la conscience de soi.

En acceptant la théorie alternative de Chandebois, il serait possible d'imaginer que la conscience réflexive soit apparue comme un organe, par saltation. Mais il semble qu'aucun organe ne corresponde à la conscience, et encore moins à la conscience réflexive. Le cerveau n'est pas l'apanage des animaux supérieurs puisque les vers nématodes, microscopiques et constitués de moins d'un millier de cellules, en possèdent un de quelques centaines de neurones. L'apparition du cerveau ne correspond donc pas vraiment au surgissement de la conscience que l'on pourrait imaginer au cours de la phylogenèse. Certaines zones du cerveau pourraient être invoquées pour jouer le rôle d'un impossible organe de la conscience mais nous avons pu voir avec Jouvet que les conditions neurobiologiques de l'attention consciente sont les mêmes chez tous les homéothermes. Le fonctionnement chimique et électrique de tous les cerveaux est identique et ne se distingue pas radicalement de celui d'autres systèmes cellulaires chargés du traitement de l'information dans des organismes dépourvus de systèmes nerveux. Incapable de trouver une histoire phylogénétique de la conscience, la science nous renseigne encore moins pour localiser le pendant biologique de la conscience réflexive.

Et comment le pourrait-elle lorsque l'on voit la variété des opinions dans les débats religieux, philosophiques, psychologiques et psychanalytiques sur le concept de ''moi'' ? On ne peut que douter que ce moi soit un objet approprié pour le scientifique. Les neurologues ont déjà fort bien fait remarquer comment ce moi, érigé en substance par Descartes, est difficile à localiser face à la multitude de neurones, de cortex et de sous-cortex que la neurologie constate comme source de états mentaux. Pour le cartésien, la conscience réflexive doit faire comprendre à l'homme que son moi fondamental est une entité immatérielle occupant temporairement un corps qui n'est qu'une enveloppe et qui n'appartient pas à l'unité métaphysique du moi. Les biologistes ont plutôt tendance à faire du moi, la conscience du corps qui y est tout entièrement localisée, quoique la perte d'un membre ne retranche rien à notre conscience. Certains ont fait de la volonté l'essence de l'individu tandis que d'autres la pensent comme un point de vue particulier sur le monde. Parfois le moi n'est qu'un concept, un concept majeur mais qui ne doit pas dépasser son rôle sémantique et représentatif. Il peut être considéré comme une illusion fondamentale qui masque la multiplicité primordiale de notre conscience. Le moi de la psychanalyse est ambiguë car il s'oppose à certaines parties de notre psyché et ne correspond donc pas tout à fait à l'unité de notre être. La valorisation du moi dans les systèmes de valeurs de nos sociétés à également une histoire. Dans certaines philosophies il est même condamné comme une source de motivation opposée au bien commun.

Nous n'avons pas le loisir de dresser ici une typologie des conceptions du moi, ni d'en retracer l'histoire, nous espérons seulement avoir mis en évidence que ce mot est trop équivoque pour constituer un objet d'étude pour la biologie. Les débats à son sujet doivent plus probablement parasiter la recherche en instaurant une rupture entre homme et animal que le scientifique est bien incapable d'isoler empiriquement.

Comme nous avons remarqué qu'une subjectivité sans conscience n'est guère intelligible puisqu'elle ne s'appuie sur aucun fait empirique, une conscience qui ne soit pas conscience de soi laisse perplexe puisque l'on ne dispose pas vraiment d'expériences d'une conscience qui ne fasse pas de différence entre ''soi'' et l'environnement. En psychologie du développement, les chercheurs tendent à penser que le bébé, même quelques minutes après sa naissance et peut-être même déjà dans le ventre de sa mère, témoigne d'une différenciation fine entre une stimulation d'origine extérieure, comme lorsque sa mère le touche, et une stimulation interne, lorsqu'on le fait se toucher lui-même le bras avec sa main opposée. Cela n'est guère étonnant lorsque l'on sait qu'un réseau de cellules comme le système immunitaire est précisément conçu pour faire cette distinction entre intérieur et extérieur. Difficile alors d'imaginer une entité vivante incapable de discriminer entre elle et son milieu. Toutes les formes de vie perçoivent leur environnement et il n'y a pas de perception sans distinction entre un élément qui reçoit et quelque chose d'autre à l'origine de ce qui est reçu.

Toutes les consciences pourraient ne pas présenter une connaissance de soi comme d'un être unifié et unique tel que nous en avons l'expérience. Ce ''moi'' réflexif peut être considéré comme davantage qu'une distinction entre intérieur et extérieur mais, là encore, comment opérer cette distinction sans avoir le sentiment de l'unité de cet ''intérieur''. On ne peut pas non plus le confondre avec l'autre, même s'il s'agit d'un congénère, sans ruiner par là même la distinction en question. Certes des communautés de cellules, bactéries, insectes ou herbivores, témoignent de comportements en groupe qui semblent davantage relever d'une délibération globale. Pourtant chaque individu est une unité de calcul indépendante, quoiqu'elle réagisse exactement comme tous ses semblables. Nombreux sont ceux qui ont d'ailleurs remarqué le même type de comportements généraux chez les regroupements humains, que l'on parle d'inconscient collectif, de bien commun ou de mode, sans faire pour autant avoir tirer ces observations d'analogie avec le monde animal.

La douleur, comme la mise en branle du système immunitaire, signifie justement que l'intégrité de l'organisme est en danger. Notre corps, comme celui de l'animal, réagira de la même manière pour faire cesser cette menace pour notre intégrité. Sauf exception, nos actes conscients iront également dans ce sens. Il n'y a pas rupture mais continuité entre la conscience réflexive d'un moi unifié, dont nous nous réservons parfois l'exclusivité, et la réaction automatique de fonctions biologiques, à qui nous refusons la conscience de ce qu'elles ont vocation à sauvegarder.

L'homme semble pourtant doté d'une conscience réflexive beaucoup plus poussée car il peut porter des jugements sur ses propres jugements, tenter de comprendre ses facultés de compréhension, bref il peut faire de son moi un objet pour lui-même. Plus que jamais, la barrière de la langue est insurmontable car, alors que nous sommes bien en peine d'imaginer en quoi pourrait consister la subjectivité d'une cellule ou d'un système cellulaire, aborder son contenu semble complètement inaccessible.

Pas plus que la biologie moléculaire ou la neurologie, les théories de l'évolution ne rajoutent aucune preuve au cogito pour n'attribuer une conscience réflexive qu'à ceux qui peuvent en témoigner. Si nous ne remarquons pas de réflexivité chez un animal, c'est peut-être uniquement parce que l'empathie nécessaire nous manque, un effet de perspective pourrait nous masquer la psyché des espèces les plus différentes de nous car nos schèmes de pensée humains sont peut-être insuffisants pour l'imaginer. Tout au plus pouvons-nous envisager que certaines formes de vie, si l'on considère la conscience réflexive comme un concept proprement humain, sont seulement moins conscientes d'elles-mêmes que nous. Il n'y a aucune raison pour instaurer une séparation tranchée entre espèces non-conscientes et espèces pleinement conscientes d'elles-mêmes. En fait, rien n'indique que le type de psyché développé par des espèces très différentes de nous est objectivement inférieur, peut être cette conclusion dépend-elle seulement de critères de discrimination inhérents aux schèmes humains de perception. Certaines espèces témoignent de succès qui semblent mineurs à nos yeux alors que peut-être sont-ils pour eux la perfection incarnée, de la même manière que les grandes réussites dont se vante l'homme dans les domaines scientifique, artistique, politique ou autre, laissent bien indifférents toutes les autres formes de vie.

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