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Les limites de la vision occidentale du vivant

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par Mathieu Néhémie
Université Blaise Pascal - Master 2 Philosophie 2007
  

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Le postulat naturaliste de l'universalité de la nature matérielle

Introduction

Maintenant que nous avons traité de l'originalité psychique que s'arroge le naturalisme occidental, abordons l'autre pilier de ce schème de pensée, à savoir la continuité des physicalités. La nature est unique et tous ses composants obéissent aux mêmes lois. Pour la pensée occidentale en général, tous les existants sont identiques sur le plan de leur matérialité et suivent tous un fonctionnement fondamentalement mécaniste.

Cependant, la téléologie et la finalité qui caractérisent l'ensemble des entités vivantes peuvent être considérées comme des arguments à l'encontre de cette idée d'un réalité essentiellement matérielle et inanimée. S'il s'avère qu'il faut davantage que la matière pour expliquer les phénomènes vivants, le postulat naturaliste devra être reformulé puisque l'universalité qu'il suppose devra être abandonné. Le réductionnisme, concernant la biologie, est précisément l'optique philosophique et scientifique qui a vocation à démonter cet argument en expliquant l'ensemble des phénomènes spirituels, de la finalité de la protéine à notre conscience réflexive, par des principes physiques et ainsi maintenir l'universelle continuité d'une nature matérielle. Il nous faudra donc proposer une analyse critique du réductionnisme, c'est-à-dire en montrant ses limites mais aussi en rappelant ses acquis concernant l'explication physique du psychique.

Une autre manière de remettre en cause le postulat naturaliste ici traité consiste à admettre que la nature est certes universellement soumise au même principe mais d'envisager que ce principe ne soit pas strictement matériel ou, peut-être même, pas matériel du tout. Pour cela nous rentrerons dans les rouages de la matière pour évoquer les derniers débats ontologiques qu'a connus la physique.

Enfin nous entreprendrons une succincte analyse de la philosophie de Leibniz car il propose un très bon exemple d'une ontologie de souche occidentale, mais pourtant très loin du postulat que nous avons déjà remis en cause et de celui que nous allons critiquer ici.

Le réductionnisme des neurosciences

Les neurosciences ont toujours été un des grands ressorts des argumentaires réductionnistes tout simplement parce que c'est à partir de ce point de vue qu'elles se sont construites. Le réductionnisme a une longue histoire que l'on peut faire remonter à l'explication de l'esprit par des atomes sphériques donnée par les atomistes antiques. Hobbes estimera lui aussi que c'est la matière qui pense tandis que les divers anatomistes du dix-septième siècle proposaient chacun une explication des phénomènes de l'âme à partir, et à mesure, de leurs connaissances physiologiques lacunaires. C'est, en effet, en opposition au dualisme, platonicien, chrétien ou cartésien, qui considère l'esprit comme une substance d'une nature différente de la réalité matérielle et par conséquent inexplicable par le corps, que se sont construites les différentes tentatives scientifiques de rendre raison de nos états mentaux par des organes biologiques. C'est le cerveau, et plus généralement le système nerveux central, qui est maintenant étudié pour cela.

Déterminer à quelle zone du cerveaux correspond tel état psychique ou fonction mentale, comprendre les mécanismes de transmission d'information entre neurones, etc ; voilà le pain quotidien du neurologue. Et cette science de l'esprit est parvenue à un certain succès au cours du vingtième siècle et continue encore de progresser à grands pas de sorte que l'on peut désormais affirmer avec certitude que tout état mental correspond à un phénomène électrochimique dans le système nerveux central. On peut aisément voir cela comme une entreprise proprement réductionniste, mais, si le réductionnisme est certes particulièrement répandu dans les rangs des sciences cognitives, il ne fait pas l'unanimité.

En admettant toutes les données apportées par les neurosciences, on est toujours en droit de penser que la conscience reste un phénomène purement spirituel et irréductible à la structure matérielle qu'elle habite, mais un épiphénomène qui n'a aucun rôle dans le fonctionnement biologique du corps. Il s'agit en somme de conserver le dualisme des substance de Descartes mais sans admettre la liberté de la chose pensante car maintenir la possibilité d'une action de la conscience sur le corps dans une telle ontologie nous ferait retomber dans les mêmes difficultés que le cartésianisme orthodoxe et notamment la critique de type leibnizienne à partir de la conservation de l'énergie dans l'univers. Ce point de vue, outre ses accointances avec diverses religions, ne peut cependant s'appuyer sur aucun fait empirique ou scientifique quoiqu'il ait pour lui de pouvoir rendre compte de l'unité indéniable de notre âme là où la neurologie ne voit que des multitudes de neurones, de synapses, etc.

Une autre conception quasiment dualiste, le fonctionnalisme, estime, sur la comparaison du software11(*) et du hardware12(*) en informatique, que les propriétés spirituelles émergeant de notre cerveau correspondent bien aux évènements matériels qui s'y déroulent, mais ne sont compréhensibles qu'en tant que phénomènes psychologiques car ils ont leurs propres lois, différentes des lois de la biologie. On est toutefois en droit de discuter la distinction entre fonction et support matériel en informatique ; en tout cas l'analyse des composants d'une machine peut suffire à expliquer son fonctionnement. Pour ce qui est de la biologie, nombre d'organes sont définis par leur fonction. De plus le fonctionnalisme peut être envisagé comme un authentique matérialisme plus que comme un dualisme car même si ces propriétés spirituelles émergeantes ne pouvaient être compréhensibles dans les termes de la physique, il demeure que ces propriétés sont ontologiquement celles de l'organe matériel. Le fonctionnalisme, et toutes les théories analogues basées sur le principe de propriétés émergeantes, peuvent donc constituer une critique du réductionnisme méthodologique, qui voudrait se suffire des sciences physiques pour analyser le fonctionnement mental, mais pas vraiment une remise en cause du réductionnisme ontologique, qui fait de la matière la seule réalité objective.

Plus généralement c'est la question des qualia, exposée par Frank Jackson à travers une expérience de pensée très simple qui pose problème à la neurologie. Il s'agit d'imaginer une neurologue particulièrement savante qui, dans un futur proche, serait à même d'expliquer en termes physiques tout le détail des phénomènes matériels qui correspondent à l'appréhension par une conscience humaine de la couleur rouge ; supposons alors que cette même scientifique soit atteinte de daltonisme de sorte qu'elle n'ait jamais pu voir la couleur rouge. Elle sait donc ce que signifie objectivement ''percevoir la couleur rouge'' mais elle ne sait pas ce que signifie subjectivement ''percevoir la couleur rouge'' ; le second ne peut donc pas se réduire au premier, il est purement qualitatif.

C'est face à ce type de problématique que Patricia et Paul Churchland ont construit un matérialisme qui n'est pas proprement réductionniste. Il faut partir pour cela du fait que, dans l'histoire des sciences, relativement rares sont les cas de théories qui en remplacent une autre tout en réduisant tous les énoncés de la théorie précédente dans ses propres termes. Plus généralement la nouvelle théorie remplace purement et simplement la précédente. On considère alors que les neurosciences sont certes incapables de conserver les concepts des théories de l'esprit antérieures comme la psychologie, rendant par là même impossible la perspective réductionniste, mais la nouvelle théorie, comme l'héliocentrisme contre le géocentrisme, doit purement et simplement se substituer aux précédentes. Ainsi ce sont les nouveaux concepts forgés par la neurologie qui doivent désormais peupler le discours scientifique tandis que les vieux énoncés de la psychologie doivent être abandonnés. ''Voir du rouge'' est une proposition psychologique qui n'a pas de sens dans l'étude qu'opèrent les neurosciences de la perception des spectres lumineux par le système nerveux central.

Quelles que soient les motivations réductionnistes des neuroscientifiques, rares sont ceux qui s'écartent d'une conception matérialiste. Pour beaucoup le débat est davantage méthodologique que philosophique puisque la plupart des critiques énoncées contre le réductionnisme semblent conserver une ontologie matérialiste. Il est vrai que tout porte à croire que lorsque l'on pense, c'est un phénomène matériel qui en est la source quoique, puisque le cerveau compte parmi les structures les plus complexes de l'univers, nous sommes encore loin d'avoir déterminé en détail le fonctionnement du système nerveux central.

On est toutefois en droit de penser, comme Leibniz, que même s'il nous était donné de connaître précisément toute cette complexité matérielle, nous ne saurions pas pour autant pourquoi en émerge une conscience car il est peu probable qu'un microscope ou un IRM13(*) nous fasse un jour observer une conscience ou une subjectivité. Cela n'implique pas pour autant un dualisme de type cartésien mais il faut admettre que ce ne sont pas les neurosciences qui apporteront la preuve d'une subjectivité derrière la seule réalité corporelle que le matérialiste attribue à nos semblables.

A l'embranchement de la neurologie et de la biologie se pose la question de savoir pourquoi le scientifique réductionniste attribue encore une subjectivité aux autres humains s'il peut théoriquement expliquer toutes leurs réactions et tout leur fonctionnement par les automatismes de leurs seuls corps. On ne peut guère expliquer cela autrement qu'en invoquant la ressemblance matérielle et comportementale qui unit l'observateur, qui connaît réflexivement sa propre subjectivité, et l'observé, dont ne peut en aucun cas constater empiriquement la conscience. Il est alors remarquable qu'au dix-septième siècle Descartes, en surprenant précurseur de la science-fiction, avait déjà imaginé que des androïdes constitueraient un contre-exemple à cet argument.

La comparaison entre le cerveau humain et l'ordinateur a certainement été particulièrement fructueuse aux neurosciences mais on peut maintenant penser qu'elle a fait son temps. En effet on sait dorénavant que notre cerveau est très différent des ordinateurs que nous utilisons très couramment. Alors que les ordinateurs sont arithmétiques et stockent les données dans des clusters matériels bien déterminés, nos neurones connaissent une circulation d'information constante qui empêche de localiser très précisément une information donnée. Cette souplesse permet au cerveau de subir un certain nombre de lésions et des pertes importantes de neurones sans perdre de données ni voir se détériorer son fonctionnement. Nos facultés d'apprentissage et d'analyse pratique viennent également de cette modularité du réseau synaptique où de nouvelles connections sont créées, se développent et se renforcent par l'usage, ce qui n'a rien à voir avec la programmation informatique traditionnelle.

Mais, forts de cette connaissance du fonctionnement neuronal, les scientifiques travaillent depuis longtemps pour construire des ordinateurs fonctionnant sur des principes similaires. On construit des neurones artificiels dont chacun est connecté à plusieurs autres, l'information est alors transmise de l'un à l'autre que si elle atteint un ''poids'' suffisant, sachant que ce ''poids'' augmente ou diminue selon que l'information est sollicitée plus ou moins souvent. Bien que ces réseaux de neurones artificiels soient encore loin de remplacer nos ordinateurs personnels, les applications techniques de cette technologie commencent à se multiplier. Pour l'instant ces machines n'ont pas vocation à copier le cerveau humain car elles n'en reproduisent le fonctionnement que dans les grandes lignes et conservent encore beaucoup de traits des ordinateurs traditionnels. On peut tout de même, d'ores et déjà, tirer d'importantes conclusions des expériences menées par les neurosciences computationnelles car les réseaux de neurones artificiels se montrent particulièrement efficace pour traiter des problèmes que le cerveau humain excelle à résoudre mais que les ordinateurs traditionnels peinent à solutionner. Notamment ces machines peuvent apprendre des tâches pratiques complexes par l'entraînement et reconnaître des formes générales à partir de plusieurs images ressemblantes. En fait elles parviennent à synthétiser plusieurs cas empiriques en trouvant les éléments communs. Là encore, les succès de ce type de recherche, quoique fabriquer un cerveau artificiel ne soit pas à l'ordre du jour, tendent à confirmer le fait que toute fonction mentale est assimilable à un support matériel.

La question de la subjectivité d'autrui n'en est que redoublée car la possibilité qu'une machine puisse copier certains fonctionnements de notre cerveau pose une alternative difficile à éviter. L'argument basé sur le langage ne peut plus guère être utilisé car non seulement les ordinateurs traditionnels font de redoutables progrès dans ce sens là mais les réseaux de neurones artificiels se montrent encore plus prometteurs à ce sujet. Soit nous ne pouvons plus attribuer une âme à nos semblables, et seulement à nos semblables, qu'à partir d'un postulat religieux et métaphysique, soit nous devrons (ou devons) attribuer une conscience aux machines qui développeront (ou développent) les indices comportementaux que l'on estime discriminant pour attribuer un esprit à une coquille14(*).

Cette alternative pourrait être écartée bien maladroitement en estimant impossible l'éventualité que l'homme puisse construire un jour de véritables cerveaux artificiels. Mais des machines capables d'apprendre, de calculer, de s'adapter, de communiquer et de décider existent déjà depuis bien longtemps, bien qu'elles ne soient pas l'oeuvre de l'homme. Le biologiste moléculaire, pourvu qu'il s'obstine à refuser une intériorité à une entité qui témoigne de téléologie, et conserve un propos strictement matérialiste, nous rapporte pourtant que toutes les entités vivantes, de la protéine à la baleine, sont de puissantes machines biochimiques dotées d'un fonctionnement téléologique.

Monod imagine sur ce point comment une entité particulièrement objective mais ignorant ce que vivant signifie, s'il lui était donné de distinguer des objets naturels d'objets artificiels, rangerait tous organismes vivants dans la seconde catégorie. En fait la seule caractéristique qui lui permettrait de discriminer entre les productions de l'homme et un animal est que la finalité de celui-ci vient de sa structure interne et non d'une intervention extérieure. Cependant, après avoir analysé le fonctionnement moléculaire de cette structure interne, Monod en conclut que, outre la différence d'échelle et de complexité, le fonctionnement physico-chimique des entités vivantes obéit aux mêmes lois mécaniques que n'importe quelle machine humaine. Matériellement il n'y a pas de différence ontologique, si ce n'est l'intervention de l'homme, qui introduit artificiellement de la finalité dans des construction matérielles, sans pour autant espérer égaler la téléonomie de la nature.

Pourtant la finalité introduite dans des artefacts par l'humanité est bien l'héritière de la finalité intrinsèque de cette espèce. L'analogie entre organisme biologique et outil humain et la difficulté qu'il y a à trouver un critère objectif pour distinguer à leur sujet l'artificiel du naturel peut être considéré comme redoublant la critique de Descolla de la distinction entre nature et culture. Pourquoi l'objet manufacturé par l'homme serait-il moins naturel que n'importe quel autre résidu d'un comportement animal ? Peut-être parce qu'il porte en lui l'objectif pour lequel il a été construit. Pourtant n'importe quel fossile animal révèle son fonctionnement et pour quel type de comportement et de modalité de subsistance son organisme devait être conçu. De même l'analyse d'une trace d'activité animale peut indiquer ce vers quoi était dirigée son action à ce moment là.

L'analogie entre la finalité de la machine et celle de l'organisme, quoiqu'elle gène Monod, peut très bien satisfaire bon nombre de réductionnistes. Quelle meilleure preuve peut-on avoir que la matière suffit pour expliquer la vie si les constructions matérielles de l'homme en reproduisent la téléologie ? Pourtant, puisque la subjectivité du non-humain n'est absolument pas résolue par le réductionnisme, on est en droit de douter que celui-ci nous renseigne réellement sur le statut ontologique du spirituel.

Par l'analyse des différents courants qui animent les débats au sein des neurosciences et par la mise en lumière des problèmes métaphysiques qui subsistent malgré les progrès de la science pour comprendre notre psyché, on est en droit de penser que la neurologie n'a pas été d'une aide si grande pour le réductionnisme. On ne peut certes plus penser comme Descartes que la raison et la pensée sont totalement immatérielles mais il demeure que la neurologie n'étudie pas vraiment des états de conscience. Elle tente seulement d'isoler les évènements physiques qui y correspondent, mais il demeure encore de nombreuses questions philosophiques dont on peut douter qu'elles puissent être solutionnées par la science seule. Est-ce vraiment le physique qui influence le spirituel, ou n'est-ce pas éventuellement l'inverse ? La distinction ontologique de ces deux éléments est-elle vraiment justifiée ?

L'union de l'âme et du corps est un des thèmes majeurs de la philosophie occidentale et on ne peut l'estimer résolu. Mais avant de traiter cette question il faudrait avoir défini plus précisément les deux termes en question. On peut estimer avoir une connaissance métaphysique de notre âme mais la nature du corps est justement ce qui est mis en question ici.

* 11 Le software concerne tous les programmes et les logiciels utilisés en informatique. Il s'agit d'une structure logique qui n'est pas liée à un support matériel prédéterminé. C'est pourquoi on peut le dupliquer à loisir.

* 12 Le hardware concerne les composants matériels d'un ordinateur ainsi que le fonctionnement électronique de celui-ci.

* 13 Scanner à Imagerie par Résonance Magnétique nucléaire, on comprendra aisément pourquoi le qualificatif ''nucléaire'' fut omis lors de l'apparition de cette technologie au début des années quatre-vingt.

* 14 C'est précisément la problématique du Ghost in the shell de Shirow.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand