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Les limites de la vision occidentale du vivant

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par Mathieu Néhémie
Université Blaise Pascal - Master 2 Philosophie 2007
  

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La classification ontologique de Descola

En observant les extrapolations philosophiques dont sont susceptibles les biologistes et les épistémologues, on peut voir comment diverses certitudes métaphysiques, de l'évolution contingente de Monod au finalisme évolutionniste de Teilhard de Chardin ou de Michael Denton, ont connu des tentatives de justification à partir des mêmes données scientifiques. Lorsque conclusions scientifiques et métaphysiques sont mêlées il est parfois bien difficile de distinguer le fait de son interprétation. Tournons-nous donc vers l'anthropologie pour mieux comprendre les ressorts métaphysiques des diverses opinions concernant les conséquences du savoir biologique occidental, mais surtout pour dégager le socle ontologique commun de toutes ces opinions.

Dans son ouvrage, Par delà nature et culture, Philippe Descola propose une analyse structurale de l'ensemble des sociétés humaines qui a vocation à intégrer les modalités de pensée de l'occident moderne. Non pas comme certains travaux qui tentent de transposer des pratiques ''primitives'' de sociétés tout aussi ''primitives'' à nos sociétés ''modernes'' pour abolir cette distinction tout en la supposant, ni, dans le même ordre d'idée, en cherchant dans d'exotiques cultures extra-européennes des moeurs qui satisfassent à nos critères de progrès et d'utilité, mais en proposant une cartographie des ontologies observables au sein de l'humanité et de ne considérer les certitudes occidentales que comme l'un des archétypes envisageables dans cette typologie. Il tâchera également de ne pas céder à la tentation normative de comparer ''l'efficacité'' ou la ''légitimité'' de telle ou telle ontologie car cela n'est pas le propos d'un travail anthropologique.

Descola s'attache, pour accéder au type de vision globale auquel il aspire, à fournir un colossal travail de recoupement et de synthèse à partir d'un champ aussi vaste que possible de travaux ethnographiques. Ainsi son livre foisonne d'exemples ethnologiques et d'analyses détaillées de moeurs et de modèles de pensée particuliers mais nous ferons l'économie de leur résumé ici car il sera bien plus commode pour cela de se rapporter directement au travail de l'auteur. Conscient de la difficulté conceptuelle de l'entreprise, Descola ne manque pas de rappeler comment son travail doit inévitablement prendre racine dans une ontologie particulière. Ainsi nous ne tenterons pas d'établir dans quelle mesure il peut être parvenu à s'en défaire et à mettre en question, avec l'objectivité désirée, les paradigmes, habituellement traités par l'ethnologie, et le sien propre, que cette dernière oublie généralement de questionner. Il nous suffira de prendre cette simple tentative pour une vision, plus prudente et donc plus valable, de nos propres axiomes ontologiques, que la certitude ethnocentrique, paternaliste et condescendante dont fait généralement preuve l'épistémologie occidentale qui reste, finalement, ignorante des ontologies concurrentes.

Partant de la dualité entre nature et culture qui nous semble si familière et qui peut assez aisément être assimilée à la distinction entre humain et non-humain, Descola montre dans un premier temps comment cette discontinuité entre sociétés humaines et environnement extérieur n'est présente que dans un modèle de pensée occidentale. Ainsi la grande majorité des cosmologies étudiées pose d'emblée une continuité entre nature et culture, de sorte que c'est souvent l'ethnographie qui cherche à retrouver cette séparation entre deux domaines d'existants qui sont pourtant indissociés dans le langage et les moeurs du peuple étudié.

Descola poursuit en traitant la distinction entre sauvage et domestique, qui est liée à la première et que l'occidental a tendance à généraliser tout aussi précipitamment et abusivement aux autres modes de considération du réel qu'il peut avoir l'occasion de rencontrer. Cette dualité a une histoire, que l'auteur fait remonter, pour l'occident, à l'empire romain, qui opposera clairement une nature sauvage et hostile à la sécurité et l'ordre des domaines anthropisés. Après s'être quelque peu atténuée au moyen-âge, cette antinomie sera renforcée au dix-neuvième siècle par le courant romantique pour devenir une évidence invisible au vingtième siècle. Que l'on honore la loi et l'ordre qui transpire d'une campagne bien travaillée comme nos ancêtres romains ou que l'on attribue la corruption de l'homme aux méfaits de la civilisation sur notre nature sauvage comme Rousseau, c'est sur le fond de cette distinction que s'articule le débat. Pourtant cette histoire n'est que celle de quelques sociétés, il s'agit d'un phénomène local qui correspond à un modèle particulier de néolithisation qui n'est pas celui de tous les autres peuples qui ont conçu différemment les rapports entre humains et non-humains.

Le concept de nature tel que nous l'utilisons a donc bien une histoire. S'il vient du terme grec physis, il a changé de signification lors de l'épisode chrétien où la nature est devenue Création et où l'homme possède alors un statut particulier. Une rupture se formera donc entre nature et nature humaine, rupture dont hériteront les sciences positives et l'humanisme des Lumières. Lorsque la nature humaine deviendra culture, ce dualisme opposera désormais un monisme naturaliste et un relativisme culturel ; ce qui fondera la croyance en un positivisme humaniste et scientifique qui veut que toutes les cultures aient des fantaisies symboliques propres mais partagent un terreau de connaissances positives qui aspirent à égaler la connaissance moderne prise comme prototype culturel. L'anthropologie épousera ce dualisme en se fixant comme objet d'observer comment chaque culture interagit avec la nature, bien que l'on soit en droit de penser qu'il est abusif et source d'erreur de supposer d'emblée une telle dualité chez tous les peuples observés.

En prenant en compte l'immense diversité des environnements dans lequel l'homme a pu évoluéer, Descola part du principe que rechercher une structure sociale n'a de sens que si elle porte sur des relations et non sur des objets. Cette structure n'est pas celle dont les acteurs sociaux étudiés ont conscience car, bien qu'elle ne soit pas reconnue intelligiblement, elle tire sa légitimité de son efficience. Il s'agit donc d'un principe psychologique analogue au savoir-faire ou à l'expérience non-formelle, non-linguistique et non-explicite que peuvent partager les membres d'une communauté. Ce sont des concepts classificatoires pratiques qui fonctionnent sans un raisonnement logique actif de la part de l'individu, ils regroupent aussi bien d'éventuelles ''connaissances'' innées, des raccourcis pratiques individuels que des notions collectives et générales. Les « schèmes de la pratique », pour reprendre le terme de Descola, vont au-delà des modèles structuraux, ils ne se limitent pas à l'organisation sociale telle que les acteurs en ont conscience. S'ils doivent avoir leur substance dans les propriétés sensibles et mentales des individus, ces schèmes sont plus que la somme consensuelle d'individualités. Ils ne sont pas pour autant immuables mais sont soumis à des modifications historiques, puisque les schèmes de la pratique sont renforcés par des évènements générant de fortes émotions mais doivent muter face à des situations trop inédites qui montrent les limites du schème en question.

Dans la schématisation des pratiques, jouent deux types principaux de modes, les modes de la relation et les modes d'identification. On pourrait ajouter à cela au moins cinq autres modes, relativement classiques en anthropologie : la temporalité, la spatialisation, la figuration, la médiation et la catégorisation. Mais, selon Descola, les figures de l'identification et de la relation suffisent en général à son entreprise typologique de questionnement des ontologies et cosmologies humaines. Les modes d'identification jouent sur les deux classes de phénomènes que constituent l'intériorité et la physicalité. Cette dualité, si on la soustrait à la forme particulière qu'elle prend dans le paradigme occidental, peut être constater dans toutes les langues et dans toutes les ontologies connues. Par exemple la physicalité ne se limite pas toujours au corps de la dualité occidentale car elle recouvre également le comportement des êtres, tandis que l'intériorité est souvent conçue comme multiple et peut même parfois constituer le moteur des changements du monde extérieur à la conscience. Cette dualité, combinée aux deux modes d'identification que sont la différence et la ressemblance, conduit à quatre conceptions différentes de l'altérité.

L'animisme correspond à une ressemblance des intériorités et à une différence des physicalités.
Le naturalisme correspond à une différence des intériorités et à une ressemblance des physicalités.
Le totémisme correspond à une ressemblance des intériorités et des physicalités.
Enfin l'analogisme correspond à une différence des intériorités et des physicalités.

Descola se propose alors d'aborder successivement chacune de ces quatre ontologies afin d'en montrer des exemples, de confirmer par l'ethnographie la validité des modèles d'identification qui fondent ces classes typologiques ainsi que d'approfondir la singularité et l'autonomie de leurs schèmes respectifs. Aussi, il sera nécessaire de redéfinir les termes utilisés pour désigner chaque ontologie car ils ont tous connu des usages variés dans l'histoire de l'anthropologie. Le naturalisme, parce qu'il s'agit de notre ontologie, connaîtra un traitement différent, moins ethnologique mais plus philosophique, car il s'agira de dégager le socle ontologique sur lequel la pensée occidentale moderne se déploie.

Dans l'animisme, tous les êtres, en tout cas tous les êtres vivants, sont supposés posséder une âme et donc une subjectivité et une intentionnalité. Les espèces diffèrent par leur physicalité, c'est-à-dire par leur forme physique mais aussi par leur outillage biologique, leurs moeurs et leurs pratiques sociales ; bref la ''culture'' qui caractérise chacune d'elle. Si le perspectivisme, qui veut que chaque espèce se perçoit comme humaine et les autres comme non-humaines, est répandu parmi les sociétés animistes, on ne peut le généraliser. Par contre, tous les animismes voient le non-humain comme humain pour ce qui est de son intériorité alors qu'ils maintiennent une complète discontinuité pour ce qui est de la physicalité. L'ontogenèse animiste attribue à tous les êtres une origine commune qui fonde la communauté de leurs intériorités et explique par une séparation mythique qui aurait découpé les êtres selon différentes formes, les différences de physicalité qui fondent la variété des espèces.

Alors que l'animisme est répandu dans des régions très éloignées les unes des autres, le totémisme, tel que Descola le définit, peut être trouvé comme ontologie dominante surtout parmi les sociétés aborigènes d'Australie ; quoiqu'il soit possible d'y trouver nombre de classifications totémiques différentes. Premièrement, Descola remet quelque peu en cause Levi-Strauss en affirmant que ces classifications n'ont pas seulement un rôle pratique et social mais véhicule bien un sens ontologique. Deuxièmement, si les critères cosmologiques et ontologiques qui gouvernent l'attribution totémique semblent varier selon les sociétés, il demeure possible de trouver une unité ontologique au totémisme australien, notamment sur la constance d'un principe d'individuation commun aux humains et non-humains. Linguistiquement les noms désignant les totems sont avant tout des attributs, des propriétés et des qualités. C'est a posteriori que ce nom est étendu à l'espèce (animal, végétal ou autre) qui sert de prototype au totem, puis à tous les membres humains et non-humains de la classe totémique. Ce n'est pas une continuité d'intériorité illustrée par une continuité de physicalité mais une forme sémantique faisant état d'une continuité d'intériorité et de physicalité que la forme prototypique exprime et symbolise sur les deux plans. Un totem commun, bien qu'il y corresponde souvent, n'induit pas une relation sociale privilégiée, mais seulement une communauté ontologique. Descola souligne, cependant, que ce totémisme ontologique de communauté n'existe qu'en Australie, bien que des totémismes individuels se retrouvent ailleurs.

Concernant le naturalisme, Descola note que la philosophie occidentale, à quelques exceptions près, a continuellement tenté de démarquer l'humanité du reste du règne animal. Et c'est toujours sur le plan de l'intériorité que s'opère cette distinction ; l'homme se distingue par son âme, sa raison, sa qualité de sujet moral, etc. Selon Descola, l'apogée de cette tendance est atteinte lors de la révolution mécaniste, dont Descartes fut la figure de proue, puisque, comme nous l'avons vu, dans ce paradigme, tous les êtres ici-bas participent de l'étendue mais seule l'humanité superpose à sa corporéité un intellect immatériel. Modèle archétypal de l'ontologie naturaliste, ce critère de distinction des humains et des non-humains reste encore fort dans nos sociétés modernes. S'il peut sembler être remis en cause par certaines études éthologiques plus ou moins récentes observant des ''cultures'' ou ''protocultures'' chez des chimpanzés, et de véritables langages chez certains oiseaux chanteurs, l'ontologique retombe sur ses pieds en attribuant ces facultés, non pas à une intériorité commune aux humains, mais à des prédispositions génétiques et biologiques, bref à leur nature physique. On peut trouver des théories psychologiques qui étendent le privilège de l'intériorité, non plus aux seuls humains, mais à tous les animaux supérieurs, à tous les mammifères ou parfois à tous les animaux capables de motricité ; mais cela n'est envisagé qu'à partir de la ressemblance observée des comportements, et donc de la physicalité, de ces espèces avec le genre humain, on est loin du principe ontologique animiste qui attribue d'emblée une âme à tous les êtres. Fleurissent également des hypothèses de neuropsychologie qui tendent à réduire les phénomènes de la conscience à leur pendant matériel, faisant de l'intériorité un épiphénomène de la physicalité. Cependant, la continuité des physicalités que suppose le naturalisme n'en est que renforcée tandis que l'exclusivité de l'intériorité humaine n'est pas du tout remise en cause. En philosophie éthique et morale, Descola observe la volonté de certains courants à étendre la qualité de sujet moral à d'autres animaux mais là encore sur le critère, basé sur la physicalité, de leur ressemblance ou de leur proximité phylogénétique avec l'humain. D'autres supposent une responsabilité humaine sur les non-humains, mais sur le fond de l'ontologie naturaliste puisque l'humain écope de cette responsabilité en raison de son intériorité originale.

Dans le dernier type d'ontologie qu'est l'analogisme, les existants ne sont originellement pas classés, ils sont a priori dans un état confus d'hétérogénéité totale. C'est aux humains d'y déceler des liens, des relations et de l'ordre. De manière récurrente apparaît un système de classification dualiste et graduel, comme le chaud et le froid ou l'humide et le sec de la médecine des humeurs et des esprits animaux de la Renaissance. L'occident analogique connaîtra également la ''chaîne des êtres'' qui classe les existants selon leurs degrés de perfection. Tous les êtres ont, dans l'analogisme, une intériorité et une physicalité propres ; mais une connaissance précise des analogies, des correspondances, des ressemblances, etc, permet de trouver des ''raccourcis'' et de tisser des réseaux causaux d'influence permettant d'envisager une action pratique efficace au sein d'un monde aussi hétérogène.

Une fois les quatre ontologies ainsi traitées, Descola s'attache alors à préciser leur articulation logique et leurs modalités structurales de rapport au monde. L'animisme et le naturalisme proposent tous deux de grands écarts dichotomiques et des rapports d'englobement au sein desquels une continuité universelle est assurée, pour l'animisme, par l'intériorité et, pour le naturalisme, par la physicalité. Le totémisme et l'analogisme, pour leur part, classent selon de petits écarts les existants et supposent, concernant leur intériorité et leur physicalité, une symétrie ontologique des ressemblances pour le totémisme et des différences pour l'analogisme. Concernant les termes et relations, l'animisme fait prévaloir les seconds sur les premiers, ce qui correspond à la métonymie, c'est-à-dire un rapport de similitude externe entre relations ; tandis que le naturalisme préfère la métaphore, où des rapport de similitude interne entre termes font prévaloir ces derniers sur les relations. Le totémisme et l'analogisme identifient, quant à eux, termes et relations, le premier au sein de chaque groupe et le second à l'échelle du monde. En ce qui concerne la classification, l'animisme et le totémisme ont plutôt tendance à privilégier des modèles prototypiques tandis que l'analogisme et le naturalisme se fondent davantage sur les attributs des choses.

A la lumière de l'étude des différentes ontologies dans leurs rapports au non-humain, Descola estime avoir montré que, si la distinction entre naturel et social n'a lieu d'être que dans les modalités d'identification propre au naturalisme, dans toute société apparaît cependant toujours l'idée de collectif. Le collectif dont parle Descola ne correspond pas tout à fait à ce que la sociologie appelle système social mais, puisque la distinction précédemment évoquée ne peut être universalisée, « il faut envisager les divers modes d'organisation sociale et cosmique comme une question de distribution des existants dans les collectifs. » Il est alors tout naturel que les modes d'identification de chaque ontologie définissent une notion du collectif différente. L'animisme, parce qu'il place chaque espèce, humaine ou non-humaine, dans un collectif différent mais indexe toujours leurs propriétés et leur structure sur celles des humains, est caractérisé par son anthropogénisme. Quant au totémisme et à son cosmogénisme, ils mélangent humains et non-humains dans plusieurs collectifs, dont la structure est indexée sur du non-humain et les propriétés sur une identité d'attributs. Le naturalisme, pour sa part, ne regroupe que les humains dans plusieurs collectif (les cultures) et les non-humains dans aucun (la nature), les collectifs d'humains sont donc indexés, par anthropocentrisme, sur la dualité entre humain et non-humain. Enfin, de l'analogisme résulte un cosmocentrisme puisque humains comme non-humains sont placés dans un seul et même collectif (le monde), dont la structure et les propriétés sont indexées sur des différences ontologiques regroupées en ensembles complémentaires sur la base de l'analogie.

Sous le titre de chapitre évocateur et quelque peu iconoclaste de Métaphysique des moeurs, l'auteur nous montre comment chaque mode d'identification pose ses propres problèmes métaphysiques et épistémologiques, ou du moins comment ces problèmes se posent dans une forme tellement propre à chaque mode que leur résolution ne peut être pensée dans les même termes. En conséquence de ces problématiques chaque schème construit une notion de l'altérité différente.

Dans l'animisme chaque existant est sujet mais voit le monde en fonction de sa position et de son corps, ce relativisme naturel combiné à un universalisme culturel pose la question de savoir comment s'assurer de la nature non-humaine des non-humains humanisés ? Cela est bien évidemment à mettre en relation avec la pratique de la métamorphose, commune à tous les chamanismes. L'altérité dans l'animisme est alors constituée des humains et non-humains à la physicalité différente.

Pour le totémisme, les sujets ontologiques sont les groupes totémiques, chaque existant est un corps sans intériorité mais doublé d'une essence totémique, il s'agit d'un relativisme culturel et naturel où l'on se demande : comment singulariser au sein du groupe totémique ? Les non-humains de la même classe totémique qu'un humain en consisteront tout de même une sorte d'altérité par leur individualité corporelle particulière.

Le naturalisme attribue la même matérialité objective à tous les existants mais l'intériorité d'un sujet aux seuls humains ; ce relativisme culturel ajouté à un universalisme naturel pose alors la question, dont la réponse doit alors osciller entre un monisme naturaliste et un relativisme absolu : quelle place donner aux cultures dans l'universalité de la nature ? L'altérité est constituée des humains à l'intériorité différente ou tout simplement des objets sans intériorité.

L'analogisme accorde pour sa part une qualité de sujet et une matérialité objective à toute chose puisque tout est dans tout et réciproquement ; dans cet universalisme culturel et naturel : comment authentifier un point de vue rassembleur ou hypostasier le monde, une singularité ou un segment de collectif ? Ainsi ceux qui n'ont pas le même point de vue rassembleur constituent alors l'altérité.

Entre plusieurs collectifs partageant le même schème d'identification, la discontinuité s'opère grâce à des modes de relation regroupés selon six grands schèmes de relations. Lorsqu'il y a relations de similitude entre termes équivalents, on constate soit une symétrie (échange), soit une asymétrie négative (prédation), soit une asymétrie positive (don). Lors de relations de connexité entre termes non équivalents, on trouve une connexité génétique (production), une connexité spatiale (protection) et une connexité temporelle (transmission). Si toute société tend à privilégier l'un de ces types de relation, les cinq autres demeurent plus ou moins présents à un niveau ou à un autre.

Pour exemple Descola passe en revue trois types d'animisme amazonien, où l'un a pour relation dominante la prédation, le second l'échange et le dernier le don ; il montre alors que ces schèmes de relation sont dominants mais pas exclusifs, les autres pouvant cohabiter de manière périphérique. Cela lui permet de montrer comment les schèmes, que sont les modes de relation et d'identification, fondent une notion de collectif par delà les sphères linguistiques ou les impératifs géographiques qui sont avant tout des contraintes d'analyse. Cette nouvelle notion de collectif à la prétention de se fonder davantage sur une réelle communauté de visions et d'expériences des sociétés étudiées que sur la vision et l'expérience de l'anthropologue qui les étudie.

Enfin Descola fait un détour par l'histoire pour expliquer comment, au sein d'une société, seuls certains changements contingents de mode de relation, incompatibles avec l'ontologie en vigueur, peuvent provoquer, par une certaine nécessité, un glissement vers un autre mode d'identification.

Finalement, en guise d'épilogue, il précise les objectifs de son ouvrage : favoriser une étude structurale des schèmes pratiques d'un peuple, à des conjectures sur d'hypothétiques genèses ''naturelles'', pour expliquer la disparité de rapports au monde dont font preuve les humains, et, à partir de la classification des modes d'identification et des modes de relation, mieux comprendre l'absence de certaines pratiques, associées à des modes précis de relations, par leur incompatibilité avec certaines ontologies. Par exemple les modes de relation basés sur une potentielle transitivité (échange, prédation, don) sont les seuls admissibles dans un modèle animiste car tout y est sujet, tandis que les autres ne peuvent intervenir que de manière très marginale ou nécessiter un glissement ontologique. Au contraire le naturalisme résiste semble-t-il à toute tentative de dégager un mode de relation dominant car l'échange ne peut caractériser les rapports aux non-humains tandis que les rapports de production peinent à s'étendre aux relations entre humains. Aussi, c'est une fin heuristique que Descola fixe à son livre car, compte tenu de la masse des documents ethnographiques avec laquelle l'anthropologie doit composer, il s'assigne la tâche, non pas de systématiser tout ce contenu, mais de proposer une démarche anthropologique nouvelle qui éjecte la distinction entre nature et culture (et les autres tenants du mode d'identification naturaliste) de ses axiomes pour en faire un objet d'étude comme les autres.

Bien qu'il ne nous ait guère été donné de prouver en aucune manière la théorie de Descola (nous laissons au lecteur le loisir de confronter ses critiques directement au travail de l'auteur), celui-ci a le mérite de mettre à notre disposition différentes ontologies qui traitent le non-humain, et notamment le vivant, en des termes radicalement différents du dualisme et de l'anthropocentrisme qui caractérisent l'occident moderne. Aussi nous estimons que Descola apporte assez de données, ainsi qu'un raisonnement assez bien mené, pour montrer que la majorité des arguments ''philosophiques'' apportés en faveur de cette ontologie dualiste et humaniste peuvent davantage en être considérés comme des émanations.

Même si la définition de l'animisme donnée par Descolla ne peut être considérée comme universelle, car il s'agit là d'un terme équivoque, on doit tout de même lui accorder une certaine valeur anthropologique. Il paraît alors clair que l'idée que se fait Monod de l'animisme en est très éloignée. Il conçoit comme animismes de multiples courants philosophiques, pour ne pas dire tous, qui ont eu un certain impact dans l'histoire de la pensée occidentale. Monod place également dans cette catégorie toutes les religions et tous les cultes qu'a pu développer l'humanité. Il va sans dire comment, à la lumière de la classification fournie par Descolla, ce regroupement à perdu toute légitimité. Monod semble avoir sous-estimé les profondes différences ontologiques qui caractérisent les diverses descriptions du monde qu'il place toutes en opposition avec une science qui serait totalement dénuée de préjugés métaphysiques. Pourtant la science a bien, elle-aussi, un contexte historique et culturel et maintient les postulats ontologiques du schème de pensée qui l'a amenée.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo