WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le corps mis en scène dans une médiation théâtrale

( Télécharger le fichier original )
par Farida Amiou
Université Paris Denis Diderot, Paris VII - Master 1 de psychologie 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

I) Présentation

1.1) Situation clinique : « Martine, le jour et la nuit »

Elbabaz.André :  « De Bleu et de Rouge, 1987 » in Schmattes, pp.252

Martine est une jeune femme de 20 ans suivie depuis quelques années pour anorexie mentale et conduites d'automutilations (scarifications). Ce contexte l'oblige à subir plusieurs hospitalisations durant lesquelles elle bénéficie d'une prise en charge institutionnelle, notamment par des médiations qu'elle investit tout particulièrement avec un étayage soignant important.

Elle est la benjamine de trois enfants et vit seule avec sa mère, le père est décédé il y a quelques années d'une maladie grave.

Le père était artiste peintre et s'absentait souvent du giron familial pour retourner dans son pays natal. La mère après avoir fait des études de Lettres travaille comme traductrice.

Martine entretenait avec son père une relation très particulière en ce sens qu'il n'y avait aucune limite de posée par celui-ci. Martine était la fille préférée du père, ce qui lui conférait une place difficile à tenir au sein de la fratrie, notamment auprès de sa soeur ainée avec laquelle une grande rivalité demeure.

Pour Martine le père reste une figure idéalisée avec une amnésie de la haine de ses longues absences. Le père avait un investissement peu fiable envers sa famille.

En réponse au manque de limites de côté du père la mère se sentant en permanence disqualifiée, en posait d'une manière inadaptée, créant ainsi des conflits importants.

Les troubles de Martine se sont aggravés au moment du décès du père.

Au décours de cette hospitalisation, Martine donne à voir une maigreur quasi cachectique mise en valeur par des tenues peu étoffées. Sur ses bras se trouvent des traces de scarifications. Elle est dans une perception délirante de sa silhouette et du fonctionnement corporel avec des éléments dysmorphophobiques, lui permettant, sans doute, de lutter contre un vide interne. En plus de sa présentation physique qui interpelle le regard, Martine semble prise dans un tourbillon de souffrance à l'étourdir l'entrainant dans une marche effrénée dans les couloirs du service. Ceci lui donnait une allure de « possédée », telle une ombre incapable de se poser.

La séparation imposée par son faible poids, est très mal supportée par Martine, la poussant à de nombreuses transgressions dont des fugues. Cette séparation la déprime, invitant le psychiatre à instaurer un traitement antidépresseur en plus d'un entretien familial avec celle-ci. La mère vit ces entretiens familiaux dans un vécu persécutif et exprime, par son agressivité envers l'équipe, un grand désarroi et son impuissance face à la situation de sa fille.

Martine semble être dans une quête affective vis-à-vis de l'équipe avec des moments d'opposition, une agressivité sous tendue par une demande d'attention.

Les échanges avec Martine sont souvent réduits à des négociations, comme si elle tentait de grappiller, de décrocher le Graal de la tranquillité intérieure. Toutes ses entreprises visent sans doute à faire sens dans ce chaos interne dans lequel elle semble perdue. Ces négociations ont-elles la fonction d'un ancrage dans le réel pour Martine ? Dans celles-ci, elle attaquait, remettait en cause le cadre de soin, le groupe de patients hospitalisés et les rapports avec les soignants.

Sa voix est à certains moments « d'outre tombe » comme si ce qu'elle garde au fond de son être est indicible, et à d'autres moments elle est hurlée.

Ces oscillations de voix vont de pair avec des moments d'effondrement, d'apathie et des moments d'explosion, de crise ; trahissant l'incapacité chez Martine à trouver une juste mesure. Les moments d'explosion, obligeant l'équipe à une contention physique, répondant à une nécessité d'un « corps à corps », de se confronter à du « dur ». Ces moments se caractérisaient par des crises clastiques avec des velléités de violences auto et hétéro agressives.

Sa toute puissance infantile trahie par une grande immaturité chez Martine, semble jouer un rôle dans cette recherche de limite avec l'autre.

Martine est dans une représentation très clivée passant d'une capacité de création à un vécu délirant corporel où elle se vit comme obèse, embolisant toute possibilité d'élaboration et d'échange.

Cette patiente, dans ce qu'elle a de douloureux et de complexe, a suscité, chez moi, un mouvement de contretransfert massif fonctionnant tel un balancier allant de l'empathie à un sentiment de rejet.

Effectivement, le mortifère semblant avoir envahi tout son être, il m'était difficile de l'approcher, de peur d'être happée à mon tour.

Ce tableau assez sombre, contraste avec ce qu'elle donne à voir dans les temps de médiation.

En effet, tant qu'au niveau plastique, qu'au niveau scénique, elle déploie une créativité sortie telle un geyser de couleurs.

Martine ne peut être dans la création qu'avec un soutien soignant, sans lequel elle se perd de nouveau dans les méandres de sa souffrance. Dès qu'elle est seule elle redevient « addictée » à l'hyper activité physique en se détachant des autres, ce qui la fait souffrir.

Pour Martine, la création semble être un organisateur du lien, qu'elle met à mal en permanence.

Cette créativité semble s'inscrire comme un pulvérisateur du mortifère chez Martine.

Quelle est cette « chose » qui parvient à transcender le mortifère ?

La création vient-elle comme une mise en forme, une expérience d'exister, qui tente une figuration nouvelle et viable du traumatisme2(*) ?

Dans ces temps de création Martine semble faire tomber le sombre masque de « la folie » pour laisser s'exprimer cette « chose » lui donnant une allure totalement bouleversée et bouleversante.

Sa motricité, sa voix viennent se mettre au service de sa création et par la même se métamorphosent à leur tour. Comme si, par cette création, Martine parvenait à se figurer ce trou, ce chaos interne. Comme l'indique Céline Masson dans son ouvrage : « ... Passe de l'informe chose en soi, matière inerte et chaos traumatique, vers un objet représentable donnant vie par l'esprit, devenant enfin dicible »3(*). Martine passe d'un corps robotisé, mécanisé par l'échine de ses troubles, à un corps animé, coloré avec une voix retrouvant ses nuances comme si elle pouvait à nouveau se mouler sans risque aux émotions dont elle se fait le vecteur. Il en ressort un tableau de couleurs vives et douces se côtoyant sans jamais se mélanger, permettant ainsi la rêverie du spectateur.

Le chaos chez Martine qui génère en moi la fuite, laisse place à des émotions nommables et représentables.

En effet, sa maigreur et la robotisation de son être, font empreinte dans mes pensées et celle des différents intervenants. Ce qui trouble, sans doute, est ce qu'elle a d'abyssal en elle. Ces pensées troubles, sont difficiles à réunir dans un discours clinique forcé par le travail institutionnel. Mais c'est ce travail là, qui comme la création chez Martine, me permet de faire un travail de représentation et de figuration sur ce qu'elle vit. C'est ainsi que ma position de soignant peut exister et être élaborée.

Martine est un contraste et en l'évoquant en séminaire, j'ai utilisé l'expression suivante « Martine, c'est le jour et la nuit ». Cette expression attire l'attention de l'enseignant et la mienne en ce sens que cette patiente contraste nettement et sans transition passant d'un état de « gisant » à un état « vivant ».

Ce jour-nuit résume Martine tant elle se transforme au moment de ses créations, notamment théâtrales. La nuit retombe, sans préavis, dès la fin de ses représentations suscitant en moi la stupeur et la curiosité.

Martine est un condensé de tous les patients que j'ai pu observer en situation de représentation théâtrale. Ces patients comme elle, qui devenaient jour entre deux nuits de leur souffrance psychique.

Cette stupeur et curiosité se sont peu à peu transformées en interrogation clinique : « Qu'est ce qui émerge du patient en situation de création, plus particulièrement de mise en scène théâtrale » ? « Comment la situation de représentation théâtrale peut-elle réanimer un patient éteint par son symptôme » ?

En faisant part de mes interrogations, l'enseignant du séminaire me propose le mot « désir ». Comme soufflé depuis des trappes d'un théâtre, le mot « désir » vient nommer mes observations.

Martine, d'un corps filaire quasi inerte, passe d'un corps habité, incarné. Son corps semble, alors, changer de langage, racontant une autre version endormie par le poids du mortifère. En effet, comme le précise Thierry Delcourt4(*) le corps n'est pas qu'une enveloppe mais provoque à l'insu du sujet une dynamique interne et un espace d'échange avec les autres. Le corps prend valeur de langage. Cette autre version que le corps raconte ne serait-elle pas celle du désir, de la pulsion de vie ?

Le corps ne se résume pas qu'à son aspect organique. Il est pris entre besoin et désir et instinct et pulsion (Freud).

Martine est un oxymore à elle seule, suscitant des sentiments sombres et colorés à la fois chez les intervenants. Elle peut être redoutée tout en étant touchante.

A partir de la présentation de Martine, je vais déplier les différentes phases de l'atelier en sollicitant des notions théoriques appelée par ce type de médiation.

* 2 T.Delcourt : Au risque de l'art. Editions l'âge de l'homme, 2007

* 3C.Masson : L'angoisse et la création, essai sur la matière. L'Harmattan, 2005 P 82

* 4 T.Delcourt : Au risque de l'art. Editions l'âge de l'homme, 2007

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand